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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 24 septembre 2020, n° 19/19026

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Des Bains (SCI)

Défendeur :

Yang-Ting (Selarl), Les Nouveaux Bains du Marais (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Picard

Conseillers :

Mme Grandjean, Mme Rohart

Avocats :

Me Guyonnet, Me Lahana, Me Marinakis, Me Dilmi, Me Pechenard

T. com. Paris, du 10 oct. 2017

10 octobre 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

En 2005 la SCI des Bains a donné en location à la société Carla des locaux destinés à l'exercice de son activité commerciale.

La société Carla a été mise en liquidation judiciaire le 17 novembre 2016.

Par une ordonnance du 8 mars 2017, le juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce de la société Carla à la société Les nouveaux bains du Marais.

Par une requête du 21 mars 2017, la SCI des bains a demandé au juge- commissaire de constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dus postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire.

L'acte de cession du fonds de commerce, comprenant le droit au bail, a été signé le 25 avril 2017, sous les conditions résolutoires que l'ordonnance du 8 mars 2017 soit infirmée et qu'une décision définitive constate la résiliation du bail.

Le juge commissaire, par une ordonnance du 16 juin 2017, a rejeté la requête tendant à la constatation de la résiliation du bail.

La SCI des Bains a interjeté appel contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 10 octobre 2017 qui avait confirmé cette ordonnance et par un arrêt rendu le 4 avril 2018, la cour d'appel a confirmé ce jugement.

Par un arrêt rendu le 9 octobre 2019 (pourvoi n°18-17.563), la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 4 avril 2018. La Cour a principalement jugé que l'article L 641-12 3° du code de commerce instituait un régime autonome de résiliation de plein droit du bail commercial qui n'imposait pas au bailleur de délivrer préalablement un commandement de payer les loyers échus postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société locataire.

Par déclaration au greffe en date du 10 octobre 2019, la SCI des bains a saisi la cour de renvoi.

Aux termes des dernières conclusions remises le 3 juillet 2020 dont le dispositif doit être expurgé des mentions qui ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, elle demande à la cour :

- de la déclarer recevable en son appel,

- de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déclaré recevable en son recours et a débouté les autres parties de leurs demandes,

- de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau,

- d'infirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire,

- de déclarer recevable la requête présentée au juge-commissaire et tendant à faire constater la résiliation du bail, de la dire bien fondée,

- de constater au 21 mars 2017, la résiliation de plein droit du bail liant la SCI des bains et la société Carla,

- de débouter M. [O], la société Les nouveaux bains du Marais et la SELARL [L] Yang-Ting ès qualités de leurs demandes,

- de condamner la société [L] Yang-Ting ès qualités aux dépens et à lui payer la somme de 20 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante expose qu'il ressort des termes de la cession du fonds de commerce formalisée le 25 avril 2017 que le transfert de propriété est subordonné au résultat de la présente instance portant sur la résiliation du bail, la société Les nouveaux bains du Marais disposant de la seule jouissance du fonds et du local commercial. Elle dénonce les conditions dans lesquelles le liquidateur judiciaire lui a proposé le 27 avril 2017 la somme de 65 155 € en paiement des loyers échus entre le 17 novembre 2016, date de l'ouverture de la procédure collective de la société Carla et le 8 mars 2017, date de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la cession, alors que les échéances impayées pendant cette période s'élevaient selon elle à 100958 €.

Sous le visa des articles L 641-12 3° et R 641-21 du code de commerce, elle fait valoir que l'absence de paiement des loyers échus postérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société Carla au-delà de l'expiration d'un délai de trois mois à compter de cette ouverture emporte résiliation de plein droit du bail qui peut être constatée par le juge-commissaire sans qu'il soit nécessaire que le bailleur délivre un commandement de payer préalablement à son action.

Elle soutient que l'action ouverte au bailleur devant le juge-commissaire lorsque le défaut de paiement des loyers échus postérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la locataire a persisté pendant plus de trois mois à un fondement légal distinct des dispositions conventionnelles soumises aux dispositions des articles L 145-1 et suivants du code de commerce.

Elle souligne qu'il appartient au liquidateur judiciaire qui entend céder le fonds de commerce de s'assurer que le bail est toujours en cours, seule la cession elle-même emportant transfert de propriété alors que le juge-commissaire délivre une simple autorisation de vendre.

Elle reproche aux premiers juges d'avoir subordonné son action aux dispositions de l'article L145-41 du code de commerce pourtant inapplicables devant le juge-commissaire et elle précise qu'une résiliation de plein droit exclut que le juge saisi analyse la gravité du manquement à l'obligation de payer.

Elle relève que l'offre de paiement de la somme de 65 155,90 € a été présentée postérieurement à l'expiration du délai de trois mois à compter de l'ouverture de la procédure collective de la société Carla et qu'elle s'avère sans effet. Elle conteste par ailleurs avoir reçu du cessionnaire du fonds de commerce le paiement des loyers échus postérieurement à l'ordonnance du juge-commissaire autorisant cette cession.

Elle ajoute que la société Les nouveaux bains du Marais a continué à exploiter le fonds de commerce en violation des dispositions relatives à l'état d'urgence sanitaire et qu'elle n'a pas acquitté l'indemnité d'occupation à sa charge depuis lors.

Par leurs dernières conclusions remises le 1er juillet 2020 dont le dispositif doit être expurgé des mentions qui ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, M. [O] et la société Les nouveaux bains du Marais demandent à la cour :

- de débouter la SCI des bains de toutes ses demandes et de confirmer le jugement dont appel,

- subsidiairement si la SCI des bains était dispensée de faire délivrer un commandement de payer préalablement à la requête présentée au juge-commissaire, de débouter la SCI des bains de ses demandes et notamment de sa demande d'expulsion,

- très subsidiairement, de déclarer la SCI des bains irrecevable en sa demande d'expulsion, de l'en débouter, de déclarer la SCI des bains irrecevable en sa demande tendant au paiement d'une indemnité d'occupation,

- à titre infiniment subsidiaire, de débouter la SCI des bains de sa demande en paiement d'indemnité d'occupation, de condamner la SCI des bains à payer à la société Les nouveaux bains du Marais une indemnité de 776 445 € correspondant à des travaux d'amélioration,

- en toute hypothèse, de condamner la SCI des bains aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils relatent les circonstances dans lesquelles le liquidateur judiciaire de la société Carla a effectué les diligences nécessaires pour réaliser les éléments d'actif au mieux des intérêts de la débitrice et de ses créanciers et les modalités mises en oeuvre par le juge-commissaire pour favoriser un examen équitable des offres au cours duquel la SCI des bains a émis un avis favorable à l'offre de M. [O] la mieux disant.

Ils soulignent les vives critiques suscitées par l'arrêt de la Cour de cassation en date du 9 octobre 2019 et les prérogatives des juridictions du fond dans la construction jurisprudentielle.

Ils relèvent l'importance des enjeux pratiques qui s'attachent à l'analyse de la portée de l'article L 641-12 3° du code de commerce dans la présente affaire et plus généralement dans la pratique des procédures collectives, dans la protection des droits du preneur, de ceux du repreneur et de ceux des créanciers inscrits.

Ils dénoncent une atteinte portée à l'économie des cessions de fonds de commerce, le délai de trois mois étant insuffisant pour permettre l'examen des offres d'acquisition dans la majorité des procédures. Ils font valoir que la question de la survie de la société Les nouveaux bains du Marais est ainsi posée après trois années consacrées à de lourds investissements tandis que la résiliation du bail permettrait en pratique au dirigeant commun de la société Carla et de la SCI des bains de récupérer le local sans frais après avoir laissé un passif de près de deux millions d'euros.

En droit, M. [O] et la société Les nouveaux bains du Marais font valoir que la lettre de la loi exclut que le bailleur soit dispensé de satisfaire les exigences des articles L 145-1 et suivants du code de commerce lorsqu'il agit sur le fondement de l'article L 641-12 3° du même code.

Par référence aux cas de résiliation des contrats de droit commun prévus par les articles 1226 et suivants du code civil, ils relèvent qu'en matière de bail commercial le juge peut toujours apprécier les motifs de résiliation à la seule exception de la mise en jeu de la clause résolutoire et qu'en droit des entreprises en difficulté les cas de résiliation de plein droit des contrats sont précisément énoncés par les articles L 622-13 III et L 641-11-1-III inapplicables aux baux commerciaux ; ils déduisent que la notion de résiliation de plein droit du bail dans l'article L 641-12 3° fait nécessairement référence à une résiliation de nature contractuelle impliquant la mise en jeu de la clause résolutoire et soulignent que l'article L 641-12 3° ne déroge pas aux dispositions d'ordre public de l'article L 145-41 du même code ; ils précisent à cet égard que seul le législateur pouvait écarter expressément des dispositions d'ordre public et renvoient aux données jurisprudentielles qui ont dit que l'existence d'une procédure collective n'emportait pas dérogation à des dispositions d'ordre public d'une autre nature.

M. [O] et la société Les nouveaux bains du Marais soutiennent aussi que l'esprit de la loi ne permet pas de retenir que l'article L 641-12 3° du code de commerce institut un mécanisme autonome de résiliation de plein droit du bail commercial dès lors que le livre VI du code de commerce protège par ailleurs le preneur contre la résiliation du bail et préserve ce qui constitue un élément important du gage des créanciers. Ils renvoient aux travaux préparatoires de la loi et à l'interprétation majoritaire des juridictions du fond. Ils dénoncent le caractère automatique de la résiliation du bail qui résulte de l'interprétation du texte par la Cour de cassation, relevant que le juge-commissaire ne dispose d'aucune possibilité d'appréciation et statue de façon non contradictoire.

M.[O] et la société Les nouveaux bains du Marais font valoir subsidiairement que la résiliation du bail ne pouvait être prononcée alors que le bail avait été transféré par l'effet de la cession rendue parfaite par et dès l'ordonnance du juge-commissaire l'autorisant. Ils rappellent que cette ordonnance était exécutoire par provision, qu'elle s'imposait au repreneur et que la cession a emporté tous ces effets avant que le juge-commissaire ne statue sur la demande de résiliation.

Rappelant au visa de l'article 1104 du code civil que la mauvaise foi du bailleur fait obstacle à la résiliation du bail, ils soulignent la chronologie des faits et relèvent que le bailleur a contesté l'ordonnance autorisant la cession du fonds à laquelle elle avait pourtant donné un avis favorable et qu'il a déposé sa requête aux fins de résiliation du bail moins d'un mois après l'accord donné sur la cession du fonds sans avoir jamais exprimer son intention d'obtenir la résiliation du bail alors même que le délai de trois mois de l'article L 622-14 était déjà écoulé.

Ils voient des manifestations de cette mauvaise foi dans le fait que la société Carla, preneur cédant s'est elle-même associée à la demande de résiliation du bail en agissant en la personne de M. [K], dirigeant commun du preneur et du bailleur et dans le fait de refuser le paiement des loyers échus depuis l'ouverture de la procédure collective.

Ils soutiennent que la compensation entre le dépôt de garantie conservé par le bailleur et les loyers postérieurs est autorisée par l'article L 641-3 du code de commerce et qu'elle avait permis de fait, avant même le dépôt de la requête aux fins de résiliation du bail, le paiement des loyers échus du 17 novembre 2016, date de la liquidation judiciaire au 17 février 2017, terme du délai de trois mois.

Au visa des articles R 621-21, L 641-12 3°du code de commerce et 561 du code de procédure civile, M. [O] et la société Les nouveaux bains du Marais font valoir que les demandes d'expulsion et d'indemnité d'occupation n'entrent pas dans les prérogatives du juge-commissaire auquel elles n'ont d'ailleurs pas été soumises. Ils considèrent que la cour doit relever d'office l'irrecevabilité de ces demandes.

Subsidiairement si le bail était résilié, ils font valoir que la SCI des Bains a perçu la somme de 598 951 € TTC au titre des loyers et/ou indemnité d'occupation entre le mois de mars 2017 et le mois de décembre 2019 et qu'il lui appartiendrait de rembourser la TVA facturée si le bail était résilié au mois de mars 2017 ; ils dénoncent aussi une augmentation injustifiée des provisions pour charges, une impossibilité d'exploiter les hammams pendant plusieurs mois et l'enrichissement indu procuré au bailleur par les travaux que le repreneur a financés à hauteur de 776 445 €, tous éléments devant être pris en compte dans l'évaluation de l'indemnité d'occupation ; ils ajoutent que le coût des travaux réalisés en pure perte constitue un préjudice indemnisable.

Par des conclusions remises le 16 janvier 2020, la SELARL [L] Yang-Ting en sa qualité de liquidateur judiciaire demande principalement à la cour de confirmer le jugement dont appel. Subsidiairement, elle sollicite le débouté de toutes les demandes de la SCI des Bains et plus subsidiairement l'octroi d'un délai de 45 jours à compter de la date de l'arrêt pour payer les loyers postérieurs à l'ouverture de la procédure collective, la résiliation du bail n'intervenant qu'à l'issue de ce délai à défaut de paiement.

Elle demande enfin le bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile.

Rappelant la chronologie des faits et les éléments de procédure, le liquidateur judiciaire soutient qu'il incombait au bailleur de faire délivrer un commandement de payer les loyers avant de saisir le juge-commissaire d'une demande de constat de la résiliation du bail de plein droit. Il s'appuie sur les positions doctrinales pour critiquer la solution adoptée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 9 octobre 2019, soulignant que les dispositions légales relatives au bail commercial répondent à un ordre public de protection auquel seul le preneur peut renoncer.

Il fustige le refus opposé par le bailleur au paiement des loyers postérieurs à l'ouverture de la procédure au moyen pris de la cession du fonds de commerce à laquelle il avait émis un avis favorable. Il dénonce la mauvaise foi du bailleur.

Il fait valoir que le bail n'a pu être résilié de plein droit dès lors que par l'effet de la compensation, les loyers des trois premiers mois de la procédure collective ont été payés par le dépôt de garantie détenu par le bailleur ; à cet égard, il distingue la compensation légale qui impose que les créances réciproques soient certaines, liquides et exigibles et la compensation conventionnelle ou judiciaire entre créances connexes qui ne sont pas nécessairement exigibles, relevant que le dépôt de garantie s'impute par priorité sur les loyers postérieurs à l'ouverture de la procédure collective.

Il indique enfin que M. [K], dirigeant commun de la société Carla et de la SCI des bains fait l'objet de poursuites pour avoir contribué à une insuffisante d'actif de la société Carla qui s'élève à 1,8 millions d'euros et que sa tentative de récupération via la SCI des bains d'un immeuble libre de toute occupation doit interroger.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens.

Le dossier a été communiqué au ministère public le 24 janvier 2020.

L'instruction de l'affaire a été close le 9 juillet 2020.

MOTIFS

La saisine de la cour s'inscrit dans les prérogatives que le juge-commissaire tient de l'article R 641-21 alinéa 2 du code de commerce qui dispose : 'le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrats dans les cas prévus au III de l'article L 641-11-1 et à l'article L 641-12 ainsi que les dates de cette résiliation.'

Selon l'article L 641-12 3° du code de commerce, indépendamment des causes possibles de résiliation du bail commercial antérieures au jugement de liquidation judiciaire, le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisièmes à cinquième alinéa de l'article L 622-14.

Ces dispositions de l'article L 622-14 prévoient que le bailleur ne peut alors agir qu'au terme d'un délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture de la procédure collective, que si le paiement des sommes dues intervient avant l'expiration de ce délai, il n'y a pas lieu à résiliation et que nonobstant toute clause contraire, le défaut d'exploitation pendant la période d'observation dans un ou plusieurs immeubles loués par l'entreprise n'entraîne pas résiliation du bail.

Pour soutenir que le bailleur ne peut solliciter du juge-commissaire le constat de la résiliation de plein droit du bail sans avoir fait délivrer au bailleur un commandement de payer visant la clause résolutoire contenue dans le bail, M. [O] et la société Les nouveaux bains du Mariais font valoir principalement qu'une résiliation de plein droit du bail ne peut résulter que de l'application de la clause résolutoire dont la mise en oeuvre est soumise à l'article L 145-41 du code de commerce et que tant la lettre des dispositions précitées que l'esprit du droit des procédures collectives excluent toute demande de constat de la résiliation du bail sans la délivrance préalable d'un tel commandement imposée par une disposition d'ordre public.

L'article 1228 du code civil dispose que le juge peut selon les circonstances constater ou prononcer la résolution d'un contrat.

Contrairement à ce que soutiennent les intimés aucune disposition de ce texte ne limite le constat de la résolution d'un contrat à la situation d'une résiliation de plein droit résultant de l'application d'une clause contractuelle et il n'est pas discuté que le législateur peut prévoir des situations dans lesquelles un contrat est résilié de plein droit.

Tel est le cas en particulier de l'article L 641-11-1 III du code de commerce, s'agissant des contrats conclus par une partie qui fait ensuite l'objet d'une procédure collective.

Il s'induit qu'une résiliation de plein droit d'un contrat peut résulter soit d'une disposition contractuelle, soit d'une disposition légale.

Si les dispositions d'ordre public des articles L 141-1 et suivants du code de commerce règlementent l'exercice de la liberté contractuelle en matière de bail commercial en ce qu'elles régissent la teneur et les modalités d'exécution des clauses contractuelles dont les parties peuvent convenir, force est de constater qu'elles n'ont pas vocation par elles-mêmes à régir le sort des relations contractuelles lorsque le preneur fait l'objet d'une procédure collective ; c'est en revanche l'objet même du droit d'ordre public des entreprises en difficulté (Livre VI du code de commerce) de déterminer en cette matière comme en toute autre (cf articles L 622-12 et L 641-11-1) les modalités spécifiques applicables aux contrats en cours lorsqu'une procédure collective est ouverte à l'encontre de l'un des cocontractants.

Il en résulte que le livre VI du code de commerce inclut des cas autonomes de résiliation des contrats en cours.

Dans ce contexte, estimant que l'importance du bail commercial pour l'activité de l'entreprise concernée imposait des dispositions particulières, le législateur a fixé des règles spécifiques le concernant qui le distinguent des autres contrats en cours (articles L 622-14 et L 641-12).

Il faut observer que l'article L 641-12 du code de commerce applicable au bail commercial :

- ne fait pas obstacle à l'application de l'article L 641-11-1 II selon lequel le liquidateur judiciaire peut exiger la poursuite du contrat en vérifiant qu'il disposera des fonds nécessaires, en payant les loyers comptant ou en obtenant un délai de paiement de la part du bailleur et qu'il prévoit la résiliation immédiate du bail,

- ne prive pas les parties, respectivement, de poursuivre devant le juge des référés le constat ou le prononcé de la résiliation du bail pour des causes antérieures au jugement d'ouverture et d'y défendre notamment en demandant des délais de paiement des loyers,

- ne prive pas les parties, respectivement, de poursuivre devant le juge des référés le constat ou le prononcé de la résiliation du bail pour des causes postérieures au jugement d'ouverture et d'y défendre notamment en demandant des délais de paiement des loyers,

-ajoute, avec l'article L 622-14 et l'article R 641-21 alinéa 2, la possibilité pour le bailleur de faire constater par le juge-commissaire la résiliation de plein droit du bail pour non-paiement des loyers postérieurs au jugement d'ouverture à charge de laisser expirer un délai de trois mois à compter de ce jugement avant d'agir.

Ignorer le caractère autonome de cette disposition conduirait à priver de tout effet un élément de la loi.

En outre, le fait qu'un paiement des loyers effectués dans le délai de trois mois fasse obstacle à la résiliation du bail sur une action aux fins de prononcé ou de résiliation est clairement incompatible avec les dispositions relatives à l'application de la clause résolutoire ; cette circonstance corrobore le caractère autonome de la disposition.

Il s'induit en conséquence et sans qu'il y ait lieu à plus ample interprétation de cette lettre claire que l'article L 641-12 3° du code de commerce institue un régime autonome de résiliation de plein droit du bail commercial et force est de constater qu'il n'impose pas au bailleur de délivrer préalablement un commandement de payer les loyers échus postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société locataire.

Alors qu'il n'appartient pas au juge d'apprécier la pertinence de l'équilibre des droits voulu et finalement adopté par le législateur, la seule existence de deux régimes juridiques comportant des dispositions favorables à un commerçant débiteur (le régime des baux commerciaux et le régime des procédures collectives) ne saurait à elle seule justifier que toutes les dispositions de ceux-ci favorables à ce dernier soient automatiquement cumulées.

Il suffit d'observer que l'évolution du droit des entreprises en difficulté témoigne d'une recherche d'équilibre entre les intérêts en jeu et non pas d'une protection univoque et absolue des intérêts du débiteur au détriment de ses créanciers.

En la matière, le droit de faire constater par le juge-commissaire la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers postérieurs au jugement d'ouverture en application des textes précités impose au bailleur de supporter un délai de trois mois avant d'agir au lieu du délai d'un mois applicable dans le cadre de la résiliation de plein droit par application d'une clause résolutoire et la saisine du juge-commissaire ne lui permet pas d'obtenir un titre permettant l'expulsion de l'occupant, étant relevé que, contrairement aux autres contractants du débiteur, le bailleur ne peut mettre en demeure le liquidateur judiciaire de prendre parti sur la poursuite du bail.

En outre, il ne saurait être soutenu que le liquidateur judiciaire, professionnel du droit des entreprises en difficulté, a besoin de la délivrance d'un commandement de payer pour connaître les conséquences que la loi attache au défaut de paiement des loyers échus postérieurement à l'ouverture de la procédure collective.

Enfin, c'est sans fondement juridique que les intimés soutiennent que le preneur pourrait être exposé au constat non contradictoire de la résiliation du bail par le juge-commissaire alors qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'exclut que la procédure suivie devant ce dernier sur la requête du bailleur soit contradictoire, ce qu'imposent les principes directeurs du procès.

En conséquence, la SCI des bains est recevable en son action tendant à faire déclarer résilié de plein droit par le juge-commissaire le bail commercial conclu avec la société Carla, sur le fondement de l'article L 641-12 3° du code de commerce, quand bien même elle n'a pas fait délivrer préalablement un commandement de payer.

La procédure de liquidation judiciaire de la société Carla ayant été ouverte le 17 novembre 2016, la SCI des bains ne pouvait agir pour faire constater la résiliation du bail commercial avant le 18 février 2017.

Le 8 mars 2017 le juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce à M. [M] [O] ou son substitué.

Le 21 mars 2017, la SCI des bains a déposé une requête aux fins de faire constater la résiliation du bail commercial.

Le 25 avril 2017, la cession du fonds de commerce a été formalisée et le prix payé.

Le 16 juin 2017 par une ordonnance confirmée par le jugement dont appel, le juge-commissaire a rejeté la demande relative à la résiliation du bail.

Les intimés soutiennent que le transfert préalable du bail au cessionnaire du fonds de commerce fait obstacle à la résiliation de plein droit de ce bail.

Il n'est pas discutable que l'ordonnance portant autorisation de céder le fonds de commerce était exécutoire par provision de sorte qu'il ne saurait être reproché au liquidateur judiciaire d'avoir régularisé la cession ainsi autorisée, nonobstant la requête aux fins de résiliation que la SCI des Bains avait déposée dans l'intervalle.

En outre, aucune décision ayant force de chose jugée n'avait emporté résiliation du bail au moment où la cession du fonds de commerce a été régularisée.

Pour autant, si le cessionnaire du fonds de commerce est entré en jouissance dès l'ordonnance du juge-commissaire qui a acquis force de chose jugée, l'acte de cession du fonds de commerce prévoit expressément - au-delà des conditions résolutoires posées - que l'acquéreur n'aura la pleine propriété du fonds que lorsque des décisions de justice définitives auront été rendues, la première confirmant l'ordonnance du 8 mars 2017, la seconde disant n'y avoir lieu à résiliation du bail commercial ; partant, le bail litigieux était encore en cours entre la société Carla et la SCI des bains à la date à laquelle la requête aux fins de résiliation a été déposée comme à la date à laquelle la cession a été formalisée.

Dans ces circonstances, le fait que le juge-commissaire a statué sur la requête postérieurement à la formalisation de l'acte de cession est indifférent.

La SCI des Bains était donc en droit d'agir sur le fondement de l'article L 641-12 du code de commerce.

Il est constant que le liquidateur judiciaire n'a pas acquitté dans le délai de trois mois suivant l'ouverture de la procédure collective de la société Carla les loyers commerciaux échus depuis lors.

Les conditions de la résiliation de plein droit du bail posées par l'article L 641-12 du code de commerce sont donc acquises.

Pour s'opposer au constat de cette résiliation, les intimés font valoir que la SCI des bains a agi de mauvaise foi, entretenant le cessionnaire et le liquidateur judiciaire dans l'illusion de son acceptation de la cession du fonds de commerce, se contredisant dans ses positions judiciaires, refusant le paiement des loyers litigieux.

Il ressort du procès-verbal de constat dressé les 22 et 23 février 2017 à la requête de la SELARL [L] - Yang-Ting ès qualités qu'à l'audience tenue par le juge-commissaire le 23 février 2017, que les parties ont pris connaissance des deux offres d'acquisition du fonds de commerce de la société Carla reçues par le liquidateur judiciaire, que M. [M] [O] dont l'offre a été examinée a déclaré notamment :

- que le dépôt de garantie sera remboursé ou reconstitué en sus du prix de 70 000 € offert, que les sommes dues au bailleur au titre d'arriérés de loyers et charges devront être réglées sur le prix de cession proposé,

- qu'il avait pris connaissance de la situation locative du local et notamment de l'offre de renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2017 à un loyer de 399 996 € HT/HC/an, puis de l'accord du bailleur pour porter le loyer à la somme de 330 000 € HT/HC/an.

A cette occasion, le candidat acquéreur a remis au liquidateur judiciaire un chèque de banque de 100 000 € en garantie et a indiqué faire son affaire de l'état des locaux qui apparaissait ne pas permettre l'exploitation immédiate du commerce.

Informé de l'ensemble de ces éléments, le bailleur représenté par son conseil a exprimé un avis favorable en faveur de l'offre de M. [M] [O] en relevant cependant que les loyers échus postérieurement à l'ouverture de la procédure collective n'étaient toujours pas payés.

Quand bien même à cette date du 23 février 2017, le délai de trois mois visés par l'article L 622-14 du code de commerce était déjà expiré, il ne saurait être retenu que le seul avis favorable ainsi émis par le bailleur sinon avec réserve du moins avec réticence sur l'une des offres d'acquisition du fonds de commerce a emporté renonciation univoque à se prévaloir de la résiliation de plein droit du bail.

Les intimés ne soutiennent d'ailleurs pas l'existence d'une telle renonciation et ne produisent aucun élément de fait pouvant étayer le fait qu'à cette date, le bailleur a délibérément celé une intention déjà avérée de se prévaloir de la résiliation du bail.

Alors que le bailleur avait rappelé à cette occasion qu'il attendait toujours le paiement des loyers échus postérieurement à l'ouverture de la procédure (que les pièces produites permettent de chiffrer à 69 012 € pour la période du 17 novembre 2016 au 8 mars 2017) la requête aux fins d'autorisation de cession adressée par le liquidateur judiciaire au juge-commissaire indiquait que les sommes dues au bailleur à ce titre seraient réglées sur le prix de cession proposé qui était de 70 000 € et l'ordonnance portant autorisation de cession ne contenait aucune disposition sur ce point.

Dans ces circonstances, il n'est pas établi que la requête aux fins de faire constater la résiliation du bail déposée le 21 mars par le bailleur ait été empreinte de mauvaise foi.

Il faut observer que ce n'est que le 27 avril 2017, soit près de six semaines après l'ordonnance portant autorisation de cession que le liquidateur judiciaire a voulu remettre à la SCI des bains la somme de 65 155,90 € en paiement des loyers échus entre la date d'ouverture de la procédure collective et la date de l'ordonnance portant autorisation de céder le fonds de commerce et que le cessionnaire a pour sa part remis un chèque de 30 737,50 € en paiement des loyers échus depuis cette ordonnance.

Le liquidateur judiciaire n'explique pas ces délais alors même qu'il disposait des fonds depuis le 23 février 2017 ainsi qu'il ressort de l'acte de cession.

Or, tant au regard des principes de droit commun que des termes de l'article L 641-11-1 II du code de commerce, il ne saurait être reproché à la SCI des bains, créancière d'avoir refusé un paiement partiel et tardif alors même qu'elle s'était déjà prévalue d'une résiliation de plein droit du bail.

L'obligation de restituer le dépôt de garantie n'étant exigible qu'à la résiliation du bail pour autant que le local soit rendu dans un état conforme à celui de sa délivrance, le liquidateur judiciaire ne peut davantage invoquer un paiement des loyers par compensation légale avec ce dépot de garantie.

Alors que le dépôt de garantie n'a pas pour objet de compenser une dette de loyers quelle qu'elle soit, le liquidateur judiciaire ne peut se prévaloir, en l'absence d'accord du bailleur, d'une compensation conventionnelle opérée entre la dette de loyers échus depuis l'ouverture de la procédure collective de la société Carla et le dépôt de garantie détenu par le bailleur, quelque soit le caractère connexe de la créance de restitution du dépôt de garantie du preneur et de la créance de loyers du bailleur. Au surplus le dépôt de garantie versé par la société Carla à la SCI des bains s'élevait à la somme initiale de 36 768 €, soit un montant très inférieur à la dette de loyers, nonobstant une éventuelle actualisation du dépôt de garantie dont il n'est pas justifié.

Il s'induit qu'à la date à laquelle la SCI des Bains a déposé sa requête, les loyers postérieurs à l'ouverture de la procédure collective de la société Carla n'était pas acquittés alors qu'un délai de plus de trois mois s'était écoulé depuis cette ouverture.

Partant, le contrat de bail est résilié de plein droit au 21 mars 2017.

Sous le visa de l'article 1343-5 du code civil, le liquidateur judiciaire sollicite des délais de paiement en soulignant l'absence de préjudice subi par le créancier bailleur et la malice de ce dernier qui tend à récupérer un actif libre de toute occupation dans le contexte d'une poursuite du dirigeant commun du bailleur et du preneur débiteur en contribution à l'insuffisance d'actif de ce dernier.

Or, il n'entre pas dans les prérogatives du juge-commissaire saisi sur le fondement de l'article R 641-21 alinéa 2 d'accorder de tels délais.

Au surplus, il incombait au liquidateur judiciaire de satisfaire les dispositions de l'article L 641-11-1 II du code de commerce qui s'appliquent au bail commercial ou d'agir devant le juge des référés.

Partant, il n'y a pas lieu d'octroyer des délais de paiement.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de constater la résiliation de plein droit du bail commercial qui liait la société Carla et la SCI des bains.

Il faut observer que la SCI des bains ne soumet pas à la cour une demande d'expulsion ni une demande de paiement d'indemnité d'occupation de sorte que les prétentions contraires avancées par M. [M] [O] et par la société Les nouveaux bains du Marais sur ces points sont sans objet.

La cour ne saurait par ailleurs statuer sur la demande reconventionnelle de la société Les nouveaux bains du Marais en paiement d'une indemnité correspondant aux travaux d'amélioration réalisés dans les locaux qui échappe aux attributions du juge-commissaire.

Il suffit de relever que lors de la signature de l'acte de cession du fonds de commerce, toutes les parties avaient connaissance de la requête aux fins de constat de la résiliation du bail déposée par la SCI des Bains, qu'elles ont librement convenu de cette cession sous condition résolutoire du constat de la résiliation du bail commercial, les travaux réalisés par le cessionnaire l'ayant donc été en toute connaissance du risque pris.

Succombant dans leurs prétentions, M. [O] et la société Les nouveaux bains du Maris supportent les dépens.

L'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par défaut,

Infirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

Déclare la SCI des bains recevable en son recours à l'encontre e l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 16 juin 2017 ;

Déclare la SCI des bains recevable en sa requête tendant à faire constater la résiliation du bail conclu entre elle-même et la société Carla ;

Constate la résiliation de plein droit de ce bail au 21 mars 2017 ;

Dit n'y avoir lieu de statuer sur les autres prétentions ;

Condamne in solidum M. [M] [O], la société Les nouveaux bains du Marais et la SELARL [L] Yang-Ting en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Carla aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la SCI des bains la somme de 1

5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.