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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 25 janvier 2012, n° 09/28447

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

M. Aboukrat (és qual.)

Défendeur :

Trace One (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avoués :

SCP Petit Lesenechal, SCP Taze-Bernard Belfayol Broquet

Avocats :

Me Guerrini, Me Baud

TGI Paris, du 30 sept. 2009, n° 09/01927

30 septembre 2009

LA COUR,

Vu l'appel relevé par M. Maurice Aboukrat du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 4ème section, n° de RG : 09/1927), rendu le 30 septembre 2009 ;

Vu les dernières conclusions de l'appelant (22 novembre 2011) ;

Vu les dernières conclusions (15 novembre 2011) de la s.a. Trace One, intimée ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 22 novembre 2011 ;

SUR QUOI,

Considérant que, par contrat du 7 juillet 2001, la société Trace One a confié à la société Business Live et à M. Aboukrat la conception, le développement et la réalisation opérationnelle d'un projet appelé « Racing datas » consistant en un outil informatique de gestion de la qualité et de la traçabilité des produits pour la grande distribution ; que l'article 13 du contrat, intitulé « propriété industrielle et intellectuelle », stipule que la société Business Live et M. Aboukrat reconnaissent à la société Trace One la pleine et entière propriété du concept du produit initié par elle et que la propriété de l'ensemble des résultats de l'étude lui est transférée à compter du paiement intégral de la prestation » ; que le contrat a été exécuté jusqu'à sa résiliation survenue d'accord entre les parties le 30 août 2002 ; que, à partir du 1er septembre 2002, M. Aboukrat s'est vu confier un mandat de directeur général délégué chargé de la direction stratégie et technologies de la société Trace One ; que, le 31 mars 2003, la société Trace One a déposé une demande de brevet français n° 0303961 intitulé «dispositif informatique de gestion de documents en mode multiutilisateur» puis les demandes d'extension européenne (EP04742399) et internationale (WO2004/090749A2) ; que c'est dans ces circonstances que M. Aboukrat, expliquant qu'il avait, dans les sept mois suivant sa nomination en qualité de directeur général, imaginé et conçu un dispositif technique informatique de gestion de documents en mode multiutilisateur indépendant du métier de la société Trace One, et estimant que cette société l'avait irrégulièrement dépossédé de son invention et des demandes de brevets y afférentes, a assigné la société Trace One pour obtenir le transfert à son profit de la propriété de ces demandes de brevets et l'indemnisation de son préjudice ;

Que le tribunal, ayant retenu, en synthèse, que la mention du nom de M. Aboukrat en qualité d'inventeur dans la demande d'origine ne suffisait pas à établir ses droits sur le titre litigieux, que la société Trace One n'avait méconnu aucune obligation légale ou conventionnelle et que l'invention objet des titres de propriété industrielle en cause avait été conçue de manière collégiale et avant le début du mandat social de M. Aboukrat, a débouté ce dernier de toutes ses demandes ;

Considérant que M. Aboukrat conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de dire que les demandes de brevet ont été déposées par la société Trace One en violation de ses droits et d'ordonner en conséquence le transfert à son profit, sous astreinte, de la propriété de ces titres, d'interdire la société Trace One d'en faire usage, de la condamner à lui payer une indemnité provisionnelle et d'ordonner une expertise aux fins de déterminer son entier préjudice ; qu'il explique, pour l'essentiel, qu'il est bien le seul inventeur et que son acceptation du dépôt de la demande par la société Trace One était la contrepartie conventionnelle de son intégration comme directeur général de cette société, complétée par un certain nombre d'avantages financiers et qu'il a été mis fin à son mandat dans des conditions telles qu'il n'a pu obtenir les avantages promis, ce qui constitue la violation d'une obligation conventionnelle au sens de l'article L.611-8 du code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que la société Trace One conclut à la confirmation du jugement et au rejet de toutes les prétentions de M. Aboukrat ;

Sur la procédure :

Considérant que la société Trace One, par conclusions du 29 novembre 2011, demande le rejet des débats des pièces n° 133 à 145 communiquées par M. Aboukrat le jour même de l'ordonnance de clôture, expliquant qu’elle n'a pas eu le temps d'en prendre connaissance, de les analyser et d'apprécier l'opportunité ou la nécessité d'une réponse ;

Considérant que l'article 15 du code de procédure civile dispose : « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense » ;

Considérant que, le 22 novembre 2011, soit le jour même du prononcé de l'ordonnance de clôture, M. Aboukrat a communiqué 13 nouvelles pièces, pour l'essentiel des pièces comptables antérieures à 2007 ;

Considérant que M. Aboukrat n'invoque aucune raison justifiant cette communication de dernière heure de pièces qui étaient à sa disposition depuis plusieurs années ; qu'il ne prétend pas que la société Trace One aurait disposé du temps nécessaire avant la clôture des débats pour être à même d'organiser sa défense en prenant en compte ces nouvelles pièces ;

Considérant qu'il en résulte que ces pièces doivent être écartées des débats pour n'avoir pas été portées à la connaissance de la société Trace One en temps utile, au sens de l'article 15 du code de procédure civile ;

Sur l'action en revendication :

Considérant que l'article L.611-8 du code de la propriété intellectuelle dispose : « Si un titre de propriété industrielle a été demandé soit pour une invention soustraite à l'inventeur ou à ses ayants cause, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne lésée peut revendiquer la propriété de la demande ou du titre délivré » ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le succès des prétentions de M. Aboukrat suppose qu'il rapporte la preuve de sa qualité d'auteur de l'invention qu'il dit lui avoir été soustraite et que la demande de brevet a été déposée en violation d'une obligation légale ou conventionnelle ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la demande de brevet litigieuse désigne M. Aboukrat en qualité d'inventeur ; que, toutefois, si cette indication crée à son profit une présomption, celle-ci est susceptible d'être renversée ;

Considérant, à cet égard, que le tribunal a pertinemment relevé que la désignation de M. Aboukrat dans le titre revendiqué résulte de ses propres instructions, données le 28 mars 2003 à 20 h 23 au conseil en propriété intellectuelle chargé de la rédaction en contradiction flagrante avec les instructions données sur ce point au même conseil le même jour à 16 h 32 par la directrice administrative précisant : « nous déposerons le nom des inventeurs dans le délai de 16 mois dont nous disposons » ;

Considérant, en toute hypothèse, qu'il y a lieu de rechercher si, comme le soutient la société Trace One, l'invention était toute contenue dans les travaux effectués pour son compte par la société Business Live dans le cadre de l'exécution du contrat du 7 juillet 2001, soit avant le 30 août 2002, date de résiliation du contrat qui lui attribuait, par son article 13, propriété industrielle et intellectuelle de ces travaux, ou bien si, comme le prétend M. Aboukrat, l'invention est postérieure et date de la période où il exerçait le mandat de directeur général délégué ;

Considérant qu'un ensemble d'attestations, documents et courriers produits au débat établissent que l'invention avait été le fruit d'un travail de collaboration entre les salariés de la société Trace One, ses prestataires de services extérieurs dont la société Business Live et l'équipe de la société Carrefour ;

Considérant qu'il résulte d'une lettre du 27 avril 2004 du cabinet Netter, le conseil en propriété intellectuelle chargé de la rédaction de la demande de brevet, « que le document de base qui nous a été remis le 5 mars 2003 s'intitule '' Portail ASP de traçabilité '' et porte l'identification : version 1.2. 14 août 2002 et est antérieur à la situation de directeur délégué de Monsieur Aboukrat » ;

Considérant enfin qu'une étude effectuée par le cabinet Santarelli démontre que les concepts inventifs décrits dans le brevet et toutes les caractéristiques de la revendication 1 de celui-ci sont présentes dans le dossier de spécifications générales (DSG) établi pour la société Carrefour le 27 mai 2002 et validé le 22 août 2002 ;

Considérant que le tribunal a exactement apprécié la force probante et la portée des moyens de preuve versés au débat qui établissent que l'invention est contenue dans les documents antérieurs au 30 août 2002 et le résultat de travaux menés pendant la période d'exécution du contrat du 7 juillet 2001, de sorte que les droits de propriété intellectuelle s'y rapportant sont la propriété de la société Trace One par l'effet de l'article 13 de ce contrat et que M. Aboukrat n'est pas fondé à soutenir que l'invention lui aurait été soustraite ;

Considérant que M. Aboukrat soutient par ailleurs que le brevet a été demandé par la société Trace One en violation d'une obligation conventionnelle ; qu'il explique à ce sujet, en synthèse, qu'il n'a consenti à sacrifier ses intérêts personnels, par la mise en sommeil de sa société Business Live alors florissante, au profit de la société Trace One en acceptant le mandat de directeur général délégué de celle-ci, qu'en considération des promesses qui lui avaient été faites par M. Malavoy, président directeur général de la société Trace One, notamment celles de lui confier un poste d'administrateur, de faire souscrire à son profit par un tiers une promesse unilatérale de vente d'un certain nombre d'actions de la société, de lui faire bénéficier de stock-options sous la forme de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise ;

Mais considérant, ce faisant, que M. Aboukrat, qui se borne à exposer ses doléances contre M. Malavoy pour avoir manqué à ses promesses faites lors de sa nomination en qualité de directeur général délégué et pour l'avoir par la suite évincé, n'invoque aucune obligation conventionnelle mise à la charge de la société Trace One par un contrat quelconque en violation de laquelle cette société aurait déposé la demande de brevet ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui ne précède qu’aucune des conditions prévues par l'article L. 611-8 du code de la propriété intellectuelle n'étant satisfaite, la demande en revendication de brevet de M. Aboukrat doit être rejetée ; que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive de la société Trace One :

Considérant que la société Trace One expose que M. Aboukrat n'a engagé la présente procédure qu'à dessein d'entraver son développement en l'empêchant de lever des fonds alors qu'elle est en constante recherche d'investisseurs ;

Mais considérant qu'elle n'apporte la preuve d'aucun projet de développement ou de concours potentiel d'investisseurs qui aurait été empêché de se réaliser précisément à cause de la procédure engagée par M. Aboukrat ; qu'elle ne démontra ainsi n'avoir subi, du fait de cette procédure, aucun préjudice autre que celui de s'être trouvée dans la nécessité d'exposer des frais pour sa défense, ce qui donnera lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans les conditions fixées au dispositif ; que sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera en conséquence rejetée ;

PAR CES MOTIFS,

REJETTE des débats des pièces n° 133 à 145 communiquées par M. Aboukrat,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

REJETTE toute demande contraire à la motivation,

CONDAMNE M. Aboukrat aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Trace One 45.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.