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Décisions

Cass. crim., 9 septembre 2020, n° 19-81.239

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Zerbib

Avocat général :

M. Valat

Avocat :

SCP Zribi et Texier

Rouen, du 23 janv. 2019

23 janvier 2019

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. V... a porté plainte et s'est constitué partie civile le 22 janvier 2018 mettant en cause M. M..., notaire, lui imputant la production en justice d'un rapport en date 3 mai 2013 supposé contenir de fausses informations ayant conduit les juridictions civiles à estimer, notamment par une décision du 17 mai 2017, que cet officier ministériel n'avait commis aucune faute dans l'exercice de sa mission de liquidation d'une indivision familiale exclusive de la liquidation de deux sociétés à responsabilité limitée.

3. Le juge d'instruction a rendu une ordonnance de refus d'informer en date du 6 novembre 2018 au motif que l'action publique était prescrite.

4. M. V... a interjeté appel de cette ordonnance.


Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 313-1, 441-1 et suivants du code pénal, 7, 8, 80, 85, 86, et 593 du code de procédure pénale.

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à informer sur la plainte de M. V..., alors « que la juridiction d'instruction régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public ; que cette obligation ne cesse, que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale ; que le délai de prescription court, à l'égard du délit d'usage de faux, à partir de la date de chacun des actes par lesquels la personne se prévaut de la pièce fausse ; que l'usage de mauvaise foi à l'appui d'une action en justice, dans le but de tromper la religion du tribunal, d'un faux document, fût-il un rapport d'expertise dont les données ou les résultats ont été falsifiés, peut caractériser le délit d'escroquerie au jugement, dont le délai de prescription court à compter du jour où la décision de justice est devenue définitive ; qu'en retenant que M. V... se plaint de faits ou d'abstention advenus de 1992 à 1998, quand, dans sa plainte avec constitution de partie civile du 22 janvier 2018, celui-ci reprochait à M. W... I..., notaire, l'élaboration et l'utilisation en justice de son rapport du 3 mai 2013, qu'il estimait contenir de fausses informations destinées à tromper la confiance des magistrats, la chambre de l'instruction, qui n'a pas recherché si ces faits, de nature à caractériser les délits d'usage de faux et escroquerie, étaient prescrits, a méconnu les textes susvisés et les principes sus-énoncés. »
Réponse de la Cour

Vu les articles 85 et 86 du code de procédure pénale, 441-1, 121-7 et 313-1 du code pénal ;

7. Selon les deux premiers de ces textes, la juridiction d'instruction, régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile, a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public, cette obligation ne cessant que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale.

8. Le délai de prescription court, à l'égard du délit d'usage de faux incriminé par le troisième de ces textes, à partir de la date de chacun des actes par lesquels la personne se prévaut de la pièce fausse.

9. En application des deux derniers de ces textes, l'usage de mauvaise foi à l'appui d'une action en justice, dans le but de tromper la religion du tribunal, d'un faux document, fût-il un rapport de mission de liquidation d'une indivision établi par un notaire dont les données ou les résultats ont été falsifiés, peut caractériser le délit d'escroquerie au jugement.
10. Pour confirmer l'ordonnance disant n'y avoir lieu à informer et dire acquise la prescription de l'action publique soit en 2001, soit en 2008 si une qualification criminelle pouvait leur être donnée, l'arrêt énonce que la plainte ne fait état que de faits ou d'abstentions advenus de 1992 à 1998, les procédures civiles diligentées n'étant pas de nature à l'interrompre.

11. En se prononçant ainsi, sans rechercher, d'une part, si le rapport argué de faux invoqué dans la plainte avait été utilisé, postérieurement au 3 mai 2013, date de son établissement, aux différents stades du procès civil et avait donc été l'objet de faits positifs d'usage faisant courir chacun un nouveau délai de prescription, d'autre part, si la production en justice de ce document n'était pas susceptible de caractériser une escroquerie au jugement, la chambre de l'instruction, qui n'a pas vérifié la réalité de ces faits allégués et ne s'est pas assurée, comme elle le devait, de ce qu'ils n'étaient pas prescrits, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen, en date du 23 janvier 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.