Cass. crim., 27 octobre 1999, n° 98-85.214
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
Mme de la Lance
Avocat général :
M. Di Guardia
Avocat :
SCP Rouvière et Boutet
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 432-14 du nouveau Code pénal, 7, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription invoquée par Marcel X... et l'a pénalement condamné du chef de tentative de délit de favoritisme et de délit de favoritisme ;
" aux motifs que le délit d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité dans les marchés publics a pour finalité tant de protéger les intérêts de la collectivité publique, que de garantir la liberté et l'égalité d'accès des candidats dans les marchés et les délégations du service public ; que cette protection des intérêts particuliers et de l'intérêt général au regard d'infractions complexes procédant généralement d'actes pour partie occultes, conduit à retenir comme point de départ le jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; qu'en l'espèce, la publicité de l'attribution et de l'exécution du marché public, est sans incidence, dès lors qu'il est avéré que certains éléments de la procédure d'attribution des marchés tels que les modalités de recours à la procédure de marché négocié et la conduite de celle-ci, sont restés en tout ou en partie occultes ; que le jugement sera donc réformé sur ce point ; que la plainte ayant été déposée le 29 mars 1996 auprès du procureur de la République, et suivie d'actes d'enquête ou de poursuite, le moyen tiré de la prescription de l'action publique sera écarté ;
" alors qu'en matière de délit, l'action publique se prescrit par 3 ans à compter de la commission de l'infraction ; qu'il n'est dérogé à ce principe d'ordre public que lorsque le délit peut être qualifié de successif, c'est-à-dire se prolongeant dans le temps ; qu'il n'en est pas ainsi du délit de favoritisme qui, au sens même du texte, se trouve accompli à l'instant où la personne dépositaire de l'autorité publique procure ou tente de procurer à autrui par un acte répréhensible, un avantage injustifié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a confondu l'infraction elle-même, à la supposer établie, avec les suites qu'elle a entraînées, n'a pas légalement justifié sa décision, les faits incriminés survenus en août et septembre 1992 ne pouvant de surcroît être qualifiés de modalités de recours et de marchés, dont la conduite serait restée occulte ; qu'il en résulte que l'infraction poursuivie ne pouvait être qu'instantanée, la cassation sans renvoi de l'arrêt attaquée doit être prononcée " ;
Vu les articles 7 et 8 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 7 de la loi du 3 janvier 1991 devenu l'article 432-14 du Code pénal ;
Attendu que le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public est une infraction instantanée qui se prescrit à compter du jour où les faits la consommant ont été commis ; que, toutefois, le délai de prescription de l'action publique ne commence à courir, lorsque les actes irréguliers ont été dissimulés ou accomplis de manière occulte, qu'à partir du jour où ils sont apparus et ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice des poursuites ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Marcel X..., maire de la commune de Quibou au moment des faits, est poursuivi pour avoir, en août et septembre 1992, procuré et tenté de procurer à autrui un avantage injustifié, soit l'attribution de marchés, dans le cadre d'un projet d'implantation d'une salle polyvalente sur la commune, en ne respectant pas les règles de procédure prévues, en participant à l'ouverture frauduleuse de plis contenant l'offre d'un concurrent et en permettant que les entreprises choisies par lui fassent une offre inférieure ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de prescription soulevée par le prévenu, les juges du second degré énoncent que, s'agissant " d'infractions complexes procédant généralement d'actes pour partie occultes ", le délai de prescription court à compter du " jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ", soit à compter de la plainte déposée le 29 mars 1996 auprès du procureur de la République et suivie, le jour même, d'actes d'enquête ou de poursuite ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans établir que les actes irréguliers avaient été dissimulés ou accomplis de manière occulte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, en date du 20 avril 1998, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.