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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 11 septembre 2012, n° 08/01612

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hoffbeck

Conseillers :

M. Cuenot, M. Allard

TGI Starsbourg, du 7 févr. 2008

7 février 2008

Attendu que par acte du 17 novembre 2004, M. André R. a assigné M. Albert M. pour revendiquer deux brevets relatifs à une porte basculante motorisée, un brevet français n° 9805350 et un brevet européen n° EP 0952293B1 ;

Qu'il a demandé des rectifications à l'Institut National de la Propriété Industrielle et à l'Office Européen des Brevets, ainsi que des dommages et intérêts et l'annulation de toute cession et de toute licence relative aux brevets en cause ;

Attendu que par jugement du 7 février 2008, le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a déclaré recevable l'action en revendication introduite par M. R., qu'il a annulé un acte du 21 avril 1998 qui avait autorisé M. Albert M. à déposer un brevet, et qu'il a condamné sous astreinte M. Albert M. à faire procéder à des modifications sur les registres français et européens ;

Qu'il a ordonné des publications, et qu'il a condamné M. M. à payer à M. R. 7.500 euros de dommages et intérêts et 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que M. Albert M. a relevé appel de ce jugement le 20 mars 2008, dans des conditions de recevabilité non contestées, en l'absence de justification de sa signification;

Attendu qu'au soutien de son recours, M. Albert M. indique essentiellement qu'il n'a pas soustrait l'invention de M. R., qu'il a conclu un accord avec lui pour le dépôt en son seul nom du brevet relatif à la porte basculante, et qu'il n'a donc pas soustrait de mauvaise foi une invention ;

Qu'il souligne les contradictions dans l'argumentation de M. R., qui qualifie l'acte du 21 avril 1998 de donation, tout en prétendant que l'invention lui aurait été soustraite ;

Qu'il estime que la revendication intentée par M. André R. plus de trois ans après la publication du brevet en France est prescrite conformément à l'article L. 611-8 du Code de la propriété intellectuelle ;

Qu'il estime que l'acte du 21 avril 1998 n'est en rien une donation déguisée, qu'il est valide, et que c'est M. R. qui est de mauvaise foi ;

Qu'il conteste par ailleurs diverses accusations que celui-ci estime devoir porter à son encontre ;

Qu'il conclut à l'infirmation du jugement entrepris, et qu'il demande de dire que l'action intentée par M. André R. est prescrite ;

Qu'il sollicite reconventionnellement 100.000 euros de dommages et intérêts et 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que M. André R. conclut à la confirmation du jugement entrepris, mais déclare reprendre 'en conséquence' de multiples demandes qui n'ont pas été accueillies par le premier juge ;

Qu'il demande 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que l'affaire dévolue à cette Cour concerne un brevet de porte basculante, déposé par M. Albert M. à l'INPI le 24 avril 1998, accordé et rendu public le 2 juin 2000;

Que la même technique a fait l'objet d'une demande de brevet européen déposée le 23 avril 1999, avec priorité au 24 avril 1998, et que ce brevet a été attribué et publié le 3 juillet 2002 ;

Attendu qu'il convient de rappeler que M. Albert M., qui est serrurier, avait déposé antérieurement plusieurs brevets avec M. André R., qui a une formation de dessinateur industriel, et qui est devenu associé de la SARL ETABLISSEMENTS M.;

Attendu que les pièces versées aux débats montrent que l'idée de cette porte basculante venait de M. Albert M., qui avait commandé à une société italienne des moteurs électriques particuliers destinés à être intégrés dans les montants de la porte ;

Attendu que M. M. a demandé au cabinet N. son avis sur la possibilité de déposer un brevet ;

Que deux ingénieurs du cabinet N. se sont rendus le 10 mars 1998 chez M. M., et ont pris des notes et des croquis sommaires du mécanisme en cause ;

Que M. R. a assisté à l'entretien ;

Attendu que M. R. a confectionné les plans d'exécution de chacune des pièces, qu'il les a mis sous enveloppe cachetée, et qu'il s'est adressé le pli à lui-même le 20 mars 1998 ;

Attendu cependant que par convention du 21 avril 1998, rédigée par M. André R. selon les indications données, celui-ci a permis expressément à M. Albert M. de déposer le brevet à son nom propre, alors qu'il avait participé lui-même à l'invention en finalisant, selon le mot assez précis employé, le projet de porte basculante automatique ;

Que M. Albert M. a été autorisé à céder librement le brevet à la SARL, mais qu'en cas de cession à une autre personne, il a été prévu qu'un accord devrait définir le droit à indemnité de M. André R. ;

Attendu que le cabinet N. a confirmé qu'il était bien convenu que le brevet devrait être pris au nom de M. Albert M. ;

Attendu que cette Cour indique ici qu'elle ne perçoit pas très clairement le caractère foncièrement innovant du brevet déposé ;

Qu'il s'agissait d'intégrer deux moteurs dans les montants de la porte, en couplant directement leur axe au levier de manoeuvre de la porte ;

Attendu que l'INPI a discuté d'ailleurs un temps du caractère innovant du brevet demandé par le cabinet N. au seul nom de M. Albert M., mais que M. R. a rédigé un argumentaire qui paraît avoir convaincu l'organisme public chargé de la protection des brevets ;

Que celui-ci a donc été délivré à M. Albert M., désigné comme seul inventeur, et que moins d'une année après, le cabinet N. a demandé pour la même invention un brevet européen avec priorité au jour de la demande de brevet français ;

Attendu qu'il s'agissait bien de la même invention, même si les revendications sont rédigées et détaillées dans un ordre différent ;

Qu'elles étaient identiques au fond cependant ;

Attendu que selon les indications de M. R., l'idée de la procédure actuellement soumise à cette Cour lui est venue à la lecture d'un article élogieux consacré à M. M. dans la presse ;

Qu'il indique qu'il n'a pas supporté de l'entendre 'se pâmer' (il semble qu'il veuille dire en réalité 'se pavaner') alors qu'il lui apparaissait qu'il avait le mérite de l'invention de 1998 ;

Qu'il apparaît donc que c'est une certaine vanité qui est à l'origine de l'actuel procès;

Attendu qu'au fond, celui-ci est directement contraire à la convention rédigée et signée par M. R. le 21 avril 1998 ;

Que celle-ci était possible en principe, et que l'article L. 611-6 indique que le titre de propriété industrielle appartient à l'inventeur ou à son ayant-cause ;

Qu'elle n'était naturellement pas une donation, ni dans la forme apparente, ni dans l'esprit ou la finalité ;

Qu'il s'agissait simplement d'un apurement conventionnel de comptes, ou d'un partage transactionnel de droits à la suite d'une opération à laquelle deux personnes avaient participé;

Que les parties ont fini toutes deux par admettre d'ailleurs avec quelques réticences qu'il avait été versé à M. André R. une somme de 100.000 frs sans facture pour son travail d'élaboration des plans d'exécution ;

Attendu cependant qu'indépendamment même du problème de la validité de cette convention, il convient de se demander préalablement si l'action de M. André R. n'est pas prescrite sur le fondement de l'article L.611-8 ;

Attendu que cette disposition édicte une prescription de trois années pour les inventions soustraites à l'inventeur, avec prorogation de ce délai en cas de mauvaise foi au moment de la délivrance ou de l'acquisition du titre ;

Attendu qu'en l'espèce, il résulte des simples observations de fait précédentes qu'il n'y a eu ni soustraction, ni mauvaise foi de la part de M. M. ;

Qu'il a exécuté la convention du 21 avril 1998 qui lui permettait de déposer le brevet sous son seul nom ;

Attendu que la revendication du brevet français se heurtait donc à la prescription lorsque la présente procédure a été intentée le 17 novembre 2004 ;

Attendu qu'un peu plus délicat est le problème de la prescription quant au brevet européen publié en 2002 ;

Attendu que la Cour rappelle à nouveau qu'il s'agissait bien d'un brevet entièrement identique, même si les revendications avaient été rédigées dans un ordre différent et selon une autre méthode ;

Attendu que cette Cour observe tout d'abord que la revendication de M. R. ne pouvait concerner que la protection en France du brevet européen, de même que la nullité ne peut être prononcée qu'en ce qui concerne la France conformément à l'article L. 614-12;

Attendu que le brevet français et le brevet européen sont nécessairement solidarisés lors des transactions sur ceux-ci conformément à l'article L. 614-14 ;

Que de même, le rejet d'une action en contrefaçon d'un des deux brevets entraîne irrecevabilité d'une action en contrefaçon fondée sur l'autre conformément à la disposition finale de l'article L. 614-15 ;

Attendu qu'eu égard à cette nécessaire solidarité des protections par brevets, eu égard au fait que l'action de M. R., qui a connu dès l'origine le dépôt du brevet français, était prescrite sur le fondement de celui-ci, et eu égard au fait qu'il ne pouvait revendiquer en France que la partie française du brevet européen, cette Cour estime que sa revendication relative à la protection européenne est également frappée par la même prescription ;

Que la demande de brevet européen avec revendication de la priorité du dépôt du brevet français n'a pas prorogé le délai de la prescription, qui a commencé de courir à la date de la publication du premier titre ;

Attendu qu'infirmant par conséquent le jugement entrepris, la Cour déclare irrecevable comme prescrite l'action intentée par M. André R. ;

Attendu que l'irrecevabilité de la revendication de M. R. vaut naturellement pour le droit moral qu'il revendique accessoirement ;

Qu'elle entraîne le rejet de toutes ses demandes et de tous ses moyens, tels que celui fondé sur une curieuse résiliation de la convention du 21 avril 1998 ;

Que toutes ses demandes et tous ses moyens sont des développements de son action en revendication irrecevable ;

Que la Cour précise donc en tant que de besoin que l'irrecevabilité vaut pour toutes les demandes et tous les moyens présentés par M. R. pour faire aboutir sa revendication ;

Qu'elle rappelle par ailleurs qu'il y a une contradiction dans le fait de demander la confirmation du jugement entrepris, et de reprendre des demandes qui ont été en partie écartées ;

Attendu que cette Cour ne fait pas droit à la demande reconventionnelle de dommages et intérêts présentée par M. Albert M. ;

Qu'il n'y a pas d'abus particulier de procédure, et que la Cour a observé d'ailleurs que M. M. n'était pas complètement à l'abri de la critique, en ce qu'il avait versé à M. R. des sommes sans factures ;

Attendu que cette Cour alloue à M. Albert M. une compensation de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et rejette toutes autres demandes plus amples ;

P A R C E S M O T I F S

LA COUR,

REÇOIT l'appel de M. Albert M. contre le jugement du 7 février 2008 du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG ;

Au fond, REFORME le jugement entrepris, et statuant à nouveau,

DECLARE irrecevable comme prescrite l'action en revendication intentée par M. André R. contre M. Albert M. ;

RAPPELLE que cette décision d'irrecevabilité entraîne le rejet de toutes les demandes et de tous les moyens présentés par M. André R. dans le cadre de son action ;

REJETTE la demande reconventionnelle de dommages et intérêts présentée par M. Albert M. ;

CONDAMNE M. André R. à payer à M. Albert M. une compensation de 1.200 euros (mille deux cents euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes plus amples émises de part et d'autre ;

CONDAMNE M. André R. aux entiers dépens de première instance et d'appel.