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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 24 septembre 2020, n° 19/02593

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Appart'City (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Caillard

Conseillers :

Mme Chenot, Mme Michel

TGI Blois, du 6 juill. 2018

6 juillet 2018

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé ayant pris effet au 1er octobre 1997, Mme Béatrice F. a donné à bail commercial à la société Dometud aux droits de laquelle vient la société Appart'City l'appartement correspondant au lot de copropriété n° 221, situé dans la [...], pour une durée de 9 ans du 1er octobre 1997 au 30 septembre 2006. Le bail commercial s'est poursuivi par tacite reconduction au-delà du 30 septembre 2006.

Par acte notarié du 12 octobre 2007, M. Benoît G. et Mme Nathalie G. ont acquis le lot n°221 et viennent donc aux droits de Mme F. en qualité de bailleurs.

Par acte sous seing privé du 3 janvier 2010, le contrat de bail a été renouvelé entre les époux G. et la société Appart'City pour une durée de 9 ans, prenant effet rétroactivement au 1er octobre 2006, jusqu'au 30 septembre 2015, moyennant un loyer global annuel de 3.180,12 euros HT, payable mensuellement à terme échu le 10 du mois suivant.

Se plaignant de nombreux retards de la locataire dans le règlement de ses loyers, et certains mois de l'absence de règlement, ce depuis 2012 jusqu'en 2015, M et Mme G. ont mis en demeure la société Appart'City de respecter ses obligations contractuelles, avant de la faire assigner par acte du 15 janvier 2016 devant le tribunal de grande instance de Blois en résiliation judiciaire du bail aux torts du locataire. Ils ont en outre demandé le paiement d'une somme de 1977,24€ au titre du prix du bail pendant la durée nécessaire à la relocation et de dommages et intérêts à hauteur de 5000€.

Par jugement du 6 juillet 2018, le Tribunal de grande instance de Blois a statué ainsi :

Prononce la résiliation du bail conclu le 1er octobre 1997, renouvelé le 3 janvier 2010 à compter du 1er octobre 2006 et depuis lors par tacite reconduction, unissant M. Benoît G. et Mme Nathalie G. à la société Appart'City aux torts du preneur à compter de la présente décision,

Dit que la société Appart'City et tous occupants de son chef devra libérer les lieux loués dans un délai de deux mois à compter de la présente décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ce pendant une durée de six mois,

Ordonne l'expulsion de la société Appart'City et de tous occupants de son chef, des lieux loués,

Dit qu'à défaut de départ volontaire, il pourra ainsi être procédé à l'expulsion avec si besoin est le concours de la force publique,

Autorise dans ce cas l'enlèvement des biens et objets mobiliers se trouvant dans les lieux lors de l'expulsion dans un garde meuble au choix du propriétaire des lieux aux frais, risques et péril de qui ils appartiennent, dans les conditions prévues aux dispositions à l'article L433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, le cas échéant avec le concours de la force publique ;

Condamne la société Appart'City à verser à M. Benoît G. et Mme Nathalie G. la somme globale de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la société Appart'City aux entiers dépens,

Ordonne l'exécution provisoire la présente décision,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

La société Appart'City a formé appel de la décision par déclaration du 18 juillet 2019 en intimant M et Mme G. et en critiquant tous les chefs du jugement sauf celui déboutant M et Mme G. de leur demande de dommages et intérêts. Dans ses dernières conclusions du 9 avril 2020, elle demande à la cour de :

Vu les articles 1184 et 1153du Code civil,

Vu la jurisprudence,

Vu l'ensemble des pièces versées aux débats

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté les époux G. de leur demande de condamnation à des dommages et intérêts,

Statuant à nouveau

Débouter M. et Mme G. de toutes leurs demandes

Condamner M. et Mme G. aux entiers dépens de première instance et d'appel avec pour les dépens d'appel droit pour l'Avocat soussigné, conformément à l'article 699 du même Code de recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.

Elle fait principalement valoir qu'elle a subi les conséquences néfastes de la crise depuis 2009 et de la concurrence d'Airbnb, expliquant des difficultés ponctuelles à faire face au paiement des loyers à échéance, mais souligne qu'elle n'a jamais interrompu ses versements, seul un retard de règlement compris entre 44,5 et 46 jours pouvant lui être reproché, et les loyers étant réglés sans retard depuis le début de l'année 2016, soit depuis quatre ans. Elle en déduit que le manquement à ses obligations n'est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail à ses torts. Elle ajoute que les bailleurs n'ont subi aucun préjudice distinct du seul retard du créancier et qu'elle est de bonne foi.

M et Mme G. demandent à la cour, par dernières conclusions du 17 janvier 2020 de :

- déclarer M. Benoît G. et Mme Nathalie G. recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et prétentions

- débouter la Société Appart'City de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions en conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a

- prononcé la résiliation du bail liant M. Benoît G. et Mme Nathalie G. à la société Appart'City

- dit que la société Appart'City et tous occupants de son chef devra libérer les lieux loués, sous astreinte de 100 euros

- ordonné l'expulsion de la société Appart'City et de tous occupants de son chef, des lieux loués si besoin est le concours de la force publique

- autorisé l'enlèvement des biens et objets mobiliers se trouvant dans les lieux lors de l'expulsion dans un garde meuble au choix du propriétaire des lieux aux frais, risques et péril de qui ils appartiennent, dans les conditions prévues aux dispositions à l'article L433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, le cas échéant avec le concours de la force publique en tout état de cause,

- infirmer le jugement et octroyer à M. Benoît G. et Mme Nathalie G. la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts,

- condamner la société Appart'City à verser à M. Benoît G. et Mme Nathalie G. la somme de 3 600 €, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamner la société Appart'City aux dépens.

Ils font valoir que la répétition des retards dans le paiement des loyers de 2012 à 2015 soit pendant 4 ans est suffisante pour justifier la résiliation du bail aux torts du preneur, d'autant qu'ils sont des particuliers ayant acquis le bien immobilier litigieux pour réaliser un investissement sûr et rigoureusement géré et que la société Appart'City ne s'est pas rapprochée d'eux pendant cette période pour expliquer ses difficultés et rechercher un accord amiable, les mettant devant le fait accompli. Ils ajoutent que les jurisprudences citées par l'appelante visent des situations non comparables, s'agissant notamment de retards peu nombreux ou ponctuels et non de retards continus pendant quatre ans.

Ils exposent en outre qu'ils subissent un triple préjudice lié aux retards incessants et impayés, ce qui crée une incertitude et une irrégularité de revenus, à la nécessité de devoir surveiller les versements et non versements alors que la gestion devait être sûre et sereine, et à la perte de valeur de leur bien en raison de son moindre intérêt pour d'éventuels autres investisseurs échaudés par la situation.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 30 avril 2020.

L'affaire a été appelée à l'audience du 18 juin 2020 qui n'a pu se tenir en raison de l'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et prorogé par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020. A la demande expresse de l'une des parties, l'affaire a été renvoyée à l'audience du 2 juillet 2020 pour y être plaidée.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la demande de résiliation du bail

Au terme de l'article 1741 du code civil, le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements.

L'article 1728 2° du code civil dispose que le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

Selon l'article 1184 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement, dans ce cas le contrat n'est point résolu de plein droit, la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

La société Appart'City ne conteste pas s'être acquittée des loyers avec retard sur la période de début 2012 à fin 2015.

Il ressort du tableau récapitulatif des dates de règlement des loyers, produit par M et Mme G. et couvrant la période de janvier 2008 à août 2015 et du décompte des paiements versé aux débats par l'appelante, qui couvre la période de 2012 à 2018 que les retards dans le paiement des loyers ont commencé principalement en 2012, et se sont ensuite aggravés à partir de l'année 2013. Le retard moyen de règlement mensuel a été de 46 jours en 2014 pour un cumulé de 553 jours sur l'année, de 44,5 jours entre janvier 2015 et août 2015 pour un retard cumulé de 356 jours (pièce 2 produite par les intimés), et les retards se sont réduits courant 2016 et ont cessé à compter d'août 2016 (pièce 9 produite par l'appelante).

Ainsi que l'a retenu le premier juge, le manquement de la société Appart'City à son obligation principale de payer le loyer a été réitéré et régulier pendant quatre années.

L'appelante établit pour partie les difficultés financières qu'elle allègue en produisant son compte d'exploitation de 2012 à 2014 dont il ressort que ses charges ont augmenté durant ces trois années et que son excédent brut d'exploitation a été négatif en 2012, positif en 2013 puis à nouveau négatif en 2014 (- 35.897€ en 2014 soit -315 % par rapport à l'année précédente).

Surtout, elle justifie par son décompte non critiqué par les intimés et allant jusqu'en février 2020 que les loyers de retard ont tous été réglés et que depuis le mois d'août 2016, soit depuis maintenant quatre ans, elle est à jour du paiement des loyers, qu'elle règle à bonne date. Les intimés ne font pas non plus état de retards de paiements postérieurement à février 2020 et ne forment pas de demandes au titre d'arriérés locatifs.

Compte tenu de ce que depuis août 2016 la société Appart'city respecte ses engagements et qu'il n'existe pas d'arriérés locatifs, les retards de paiements circonscrits dans le temps ne revêtent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier la résiliation du bail.

Il convient, en conséquence, d'infirmer la décision déférée et de rejeter la demande de résiliation du bail.

Sur la demande de dommages et intérêts

En application de l'article 1153 (ancien) du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause, dans les obligations qui se bornent au paiement d'ue certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution consistent dans la condamantion aux intérêts au taux légal, suf les règles particulières au comrce et au cautionnement. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

En l'espèce, même si, ainsi qu'il a été dit, la société Appart'City justifie de difficultés financières notamment en 2012 et 2014, elle a fait preuve de désinvolture et ne s'est pas montrée de bonne foi car en tant que société commerciale professionnelle, elle n'allègue ni a fortiori ne justifie s'être manifestée auprès des époux G. pour leur expliquer ses difficultés et tenter de trouver une solution pour le règlement de ses loyers, et car c'est seulement après la délivrance de l'assignation par ces derniers le 15 janvier 2016 que les retards de loyer se sont réduits puis arrêtés.

Indépendamment du préjudice lié au retard dans le paiement des loyers, M et Mme G. ont incontestablement subi un préjudice lié aux tracasseries résultant de la nécessité de devoir surveiller chaque mois les versements ou non-versements de leur locataire et de face à une irrégularité de revenus, ainsi qu'à la déception en résultant, qu'ils évoquent en page 6 de leurs écritures, à l'égard d'une société commerciale faisant profession de louer des appartements pour les sous-louer dans un cadre para-hôtelier, et dont ils pouvaient raisonnablement espérer une gestion locative relativement sûre et sereine. Ils indiquent en outre à juste titre que leur bien était moins attractif pour d'autres investisseurs, ce qui n'a pu que les dissuader d'envisager la vente de leur bien.

En réparation du préjudice subi par les époux G., la société Appart' City doit être condamnée à leur verser la somme de 4000€ à titre de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Appart'City aux dépens et au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, puisque c'est elle qui par le non-respect de ses obligations contractuelles a contraint M et Mme G. à introduire l'instance en résiliation judiciaire du bail. Pour la même raison, les dépens exposés devant la cour seront mis à sa charge.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Confirme le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;

- Infirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

- Déboute M. Benoît G. et Mme Nathalie G. de leur demande de résilation du bail conclu le 1er octobre 1997 et renouvelé le 3 janvier 2010 les liant à la société Appart'City et de celles subséquentes ;

- Condamne la société Appart'City à payer à M. Benoît G. et Mme Nathalie G. la somme de 4000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice ;

- Condamne la société Appart' City aux dépens.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.