CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 14 mars 2018, n° 16/19330
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
MJA (Selafa)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert-Pageot
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Bedouet
Avocats :
Me Elbaz, Me Bernabe, Me Ranteri
Le Groupe Chanoinesses est une société holding, ayant pour actionnaire X, et pour filiales la société Résidence et Patrimoine et la société Petot Promotion.
La Sas Résidence et Patrimoine, ayant pour dirigeant Y, exerce une activité de promotion immobilière.
Le 13 mars 2014, Y a procédé à une déclaration de cessation des paiements.
Par jugement du 26 juin 2014, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Résidence et Patrimoine, et a désigné la Selafa MJA, prise en la personne de Maître Lévy, ès-qualités de mandataire liquidateur, la date de cessation des paiements étant fixée au 26 décembre 2012.
Les autres sociétés du groupe dirigé par X ont fait également l'objet de procédures de liquidation judiciaire.
Par actes d'huissier des 3 août 2015 et 13 janvier 2016, le liquidateur judiciaire a assigné X, en sa qualité de dirigeant de fait, et Y, en sa qualité de dirigeant de droit de la société Résidence et Patrimoine en demandant à titre principal la condamnation de Y et de X au paiement d'une somme de 8 500 000 euros, à parfaire, ainsi que la condamnation de X à une interdiction de gérer toute entreprise.
Par jugement du 13 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a dit que X était dirigeant de fait de la société Résidence Patrimoine, aux côtés de son président de droit, Y, a débouté la Selafa MJA de sa demande de sanction personnelle à l'encontre de X, a dit que X et Y, pris solidairement, devaient supporter personnellement les dettes de la société Résidence et Patrimoine, soit la somme de 6.372.000 euros, le second dans la limite de deux millions d'euros, les a condamnés solidairement à payer ladite somme entre les mains de la Selafa MJA, sommes majorées des intérêts au taux légal à compter du 3 août 2015 pour Y et du 13 janvier 2016 pour X, a ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 ancien du code civil, et les a condamnés au paiement de la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus des demandes, et a rejeté la demande d'exécution provisoire de la décision.
X a relevé appel de cette décision selon déclaration du 29 septembre 2016 et demande à la cour dans ses conclusions signifiées le 26 décembre 2016 de juger qu'il n'a pas agi en qualité de dirigeant de fait de la société Résidence et Patrimoine, en conséquence, d'infirmer le jugement, de débouter la Selafa MJA de l'ensemble de ses demandes, de condamner la Selafa MJA, es qualités, au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Elbaz, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La Selafa MJA, dans ses conclusions signifiées le 24 février 2017, demande à la cour de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel interjeté par X, de le déclarer en tout état de cause mal fondé, en conséquence, de confirmer le jugement en son principe, ainsi que sur la somme allouée en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sur le quantum, de juger que la condamnation de X sera fixée à hauteur de 5.059.803 euros sauf à parfaire, et en tout état de cause, de le condamner au paiement de la somme complémentaire de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés devant la cour, ainsi qu'aux dépens.
Le ministère public demande la confirmation du jugement.
SUR CE,
X expose avoir créé une société de construction, la SAS Petot Promotion, afin d'exercer une activité de promotion immobilière. C'est ainsi que pour développer son activité, il a fait appel à des capitaux extérieurs et a confié à Z, courtier en produits financiers, le soin de lever des fonds auprès d'investisseurs à l'occasion d'augmentations de capital des sociétés Groupe Chanoinesses et Petot Promotion.
Dans le but d'attirer les clients, Z, faisait état d'une garantie financière de X, ce dernier contestant avoir consenti une telle garantie.
X indique que suite à la crise financière de 2008, entraînant une baisse des ventes immobilières et un effondrement de la commercialisation des biens immobiliers, le groupe Petot a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire.
C'est ainsi que consécutivement aux problèmes rencontrés par la société Petot Promotion, Y et lui-même ont décidé, courant 2008, de créer une nouvelle société, la société Résidence et Patrimoine, afin de relancer les programmes immobiliers que la société Petot Promotion n'était plus en mesure de réaliser, étant précisé que X en était l'associé majoritaire et Y le dirigeant.
Les souscripteurs ayant introduit des procédures afin d'obtenir le remboursement de leurs investissements, et à la suite d’un contrôle fiscal, X expose que lui-même et Y ont décidé d'effectuer une déclaration de cessation des paiements des sociétés Groupe Chanoinesses et Résidence et Patrimoine, qu'ils dirigent respectivement. C'est ainsi que par jugement du 26 juin 2014, le tribunal de commerce de Paris a ouvert des procédures de liquidation judiciaire à l'égard des sociétés Groupe Chanoinesses et Résidence et Patrimoine.
Sur la qualité de dirigeant de fait de X.
Pour retenir la qualité de dirigeant de fait de la société Résidence et Patrimoine de X, alors que Y en était le dirigeant de droit, les premiers juges ont retenu que celui-ci était l'instigateur des opérations immobilières, qu'il a suivi personnellement le contrôle fiscal, qu'il était le seul présent à l'audience d'ouverture de la procédure collective de la société Résidence et Patrimoine et qu'il a été le seul interlocuteur du mandataire judiciaire.
X conteste avoir dirigé de fait la société Résidence et Patrimoine. Il fait valoir que le compte bancaire fonctionnait sous la seule signature de Y, qu'il était le seul interlocuteur de la banque, que Y effectuait seul la gestion administrative et juridique de cette société, qu'il gérait seul les relations avec le commissaire aux comptes et le parquet.
Il fait valoir que le fait d'avoir suivi le contrôle fiscal ainsi que la procédure collective est insuffisante à démontrer sa qualité de dirigeant de fait et insiste sur le fait qu'il n'a perçu aucune rémunération.
Cependant, ainsi que le souligne le liquidateur judiciaire, il résulte des déclarations de Y, et notamment de son argumentaire en défense, que celui-ci, qui a une formation de métreur et de conducteur de travaux, n'avait que des fonctions techniques au sein de la société débitrice, que X a toujours dirigé l'entreprise, D…, son fils, s'occupant de la comptabilité avec l'aide de l'épouse de X.
C'est ainsi que Y ne percevait pas d'indemnité de gérance, mais était rémunéré sur la base d'honoraires d’auto-entrepreneur relatifs à son travail de suivi de chantier.
Si les contrats de travail ont été signés par Y, celui-ci précise que c'est X qui a imposé l'embauche de deux employés, Z… et A…, lesquels travaillaient initialement pour la SARL X. Il ajoute que ces deux salariés ont travaillé quasiment exclusivement à l'entretien du patrimoine immobilier de X.
Il ajoute que X était l'interlocuteur principal de Maître Weber notaire, dans le cadre du montage des dossiers de vente en l'état de futur achèvement des programmes immobiliers de la société Résidence et Patrimoine, qu'il était l'unique interlocuteur de Z, courtier qui amenait des investisseurs privés, qu'il était l'interlocuteur et le décisionnaire exclusif de l'expert-comptable de la société KPMG missionnée pour tenir la comptabilité de la société Résidence et Patrimoine et qu'il était en relation étroite avec le commissaire aux comptes.
Enfin, il indique que seul X était l'interlocuteur du contrôleur des impôts, qu'il a suivi le contrôle fiscal dans son intégralité en liaison directe avec le cabinet KPMG et que, par la suite, X lui a indiqué qu'il entendait être l'interlocuteur du liquidateur judiciaire en sa qualité d'actionnaire majoritaire.
Il résulte d'un courrier du 31 janvier 2012, de mails envoyés les 9 novembre 2010 et 29 octobre 2010, que c'est bien au seul X que le commissaire aux comptes s'adressait pour fixer les termes de sa mission et ses honoraires. C'est ainsi également que les aspects juridiques faisaient l'objet d'échanges de correspondances entre X et le commissaire aux comptes et que les pièces au débat démontrent que le commissaire aux comptes a prévenu uniquement X de son intention de déclencher une procédure d'alerte.
Par ailleurs, les échanges de mails entre X et le contrôleur des impôts démontrent que celui-ci était le seul interlocuteur de la société Résidence et Patrimoine.
De façon générale, il ressort des échanges de mails entre l'assistante de direction, A, et X que celui-ci était le destinataire principal, Y étant parfois destinataire, en copie, des messages échangés.
De même, lors de l'audience d'ouverture de la procédure collective sur déclaration de cessation des paiements, Y était absent et la société Résidence et Patrimoine était représentée uniquement par X.
Il s'infère de ces éléments, ainsi que des mails échangés, que si Y effectuait certains actes, tels que la signature des documents officiels, comme la déclaration de cessation des paiements, en réalité toutes les décisions étaient prises par X.
Il s'ensuit que X effectuait des actes positifs de gestion en toute souveraineté et indépendance, et le jugement sera confirmé en ce qu'il a qualifié X de dirigeant de fait.
Sur les fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif.
X ne formule aucune critique à ce sujet.
Pour condamner X au paiement d'une somme de 6.372.000 euros, le tribunal a retenu l'absence de comptabilité, des minorations intentionnelles de déclaration de TVA et des défauts de déclarations d'impôt sur les sociétés, ayant entraîné un redressement fiscal, des mouvements financiers entre les différentes sociétés du groupe mis en évidence par le contrôle fiscal, le fait d'avoir incité des investisseurs privés à lui apporter des fonds dont la destination et l'utilisation n'apparaissaient pas clairement, en leur faisant miroiter des avantages fiscaux, l'ensemble de ces éléments ayant contribué à une insuffisance d'actif de 6.372.000 euros.
Le liquidateur judiciaire indique que l'insuffisance d'actif est désormais d'un montant de 5.059.803 euros.
Par des motifs appropriés, les premiers juges ont caractérisé les fautes de gestion et leur gravité.
Il convient de relever que les fautes ainsi commises ont contribué notamment au redressement fiscal, l'administration fiscale ayant déclaré une créance de 3.374.097 euros, ainsi qu'au préjudice subi par les souscripteurs d'un montant de 1.033.809,85 euros. Il s'ensuit qu'il apparaît proportionné de condamner X au paiement d'une somme de 3.000.000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif.
X sera condamné aux dépens d'appel.
L'équité commande de le condamner en outre au paiement d'une somme de 5000 euros pour les frais hors dépens exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement, sauf à réduire à 3.000.000 euros la somme que X est condamné à payer à la Selafa MJA ès qualités de liquidateur de la SAS Résidence et Patrimoine, au titre de l'insuffisance d'actif,
Condamne X aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la Selafa MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Résidence et Patrimoine, une somme de 5.000 euros pour frais hors dépens exposés en appel.