Cass. crim., 15 mars 1993, n° 92-82.263
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. de Mordant de Massiac
Avocat général :
M. Libouban
Avocats :
Me Blondel, Me Choucroy
Sur les faits :
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Maurice Y... et Alain Z..., respectivement président-directeur général et directeur général adjoint de la Société générale de fonderie, société cotée au marché à terme de la Bourse de Paris, ont été poursuivis pour avoir, entre novembre 1985 et mai 1986, répandu dans le public des informations fausses sur la situation de la société et des filiales de celle-ci ; qu'ils ont en effet à plusieurs reprises, notamment par voie de communiqués à la presse, présenté leur groupe comme étant en voie de redressement alors qu'il se trouvait en état de cessation des paiements, réalité qu'ils n'ont fait connaître qu'en mai 1986 ;
Que Gilles A... et Jean-François B..., respectivement directeur général adjoint et directeur de l'Omnium de participations financières et industrielles Paribas, principal actionnaire du groupe SGF, ont été poursuivis, d'une part, pour avoir aidé et assisté les dirigeants de la SGF dans leurs agissements délictueux et, d'autre part, pour avoir, à partir des renseignements privilégiés qu'ils détenaient sur la situation réelle du groupe SGF, cédé une part importante des titres de participations que l'OPFI Paribas détenait sur ce groupe, pendant que les cours étaient encore à la hausse ;
Que l'opération de bourse ayant été réalisée au nom de l'OPFI Paribas, le président de cette société, François C..., a été poursuivi en cette qualité en même temps que ses collaborateurs ;
Que des porteurs du titre SGF, parmi lesquels X..., qui avaient acquis leurs actions entre le mois de novembre 1985 et le mois de mai 1986, alors que la valeur s'en trouvait à la hausse, se sont constitués parties civiles ;
En cet état :
I. Sur le pourvoi de la partie civile :
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 10 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 dans sa rédaction applicable à la cause, ordonnance instituant une Commission des opérations de bourse et relatives à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse, ensemble violation de l'article 60 du Code pénal et méconnaissance des exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt infirmatif sur ce point a renvoyé A... et B... des fins de la poursuite du chef de complicité et de diffusion de fausses informations ;
" aux motifs que, ainsi que la Cour l'a rappelé, A... et B..., pris en leur qualité respective de directeur-général adjoint de la compagnie Paribas et d'adjoint de A..., ont été poursuivis comme complices des consorts Y... et Z... et ont été retenus par le jugement déféré dans les liens de ce chef de prévention ; que sur ce point le procureur de la République, dans son réquisitoire définitif, expose que A..., directeur-général adjoint de Paribas avait lui-même pour adjoint B..., ce dernier spécialement chargé du secteur des travaux publics, de l'équipement, de l'habitat et des transports ; qu'également B... était membre du conseil d'administration de la Société générale de fonderie, et, à ce titre, participait aux comités de direction ; que, toujours selon la poursuite, B... était en charge du dossier du groupe Société générale de fonderie et rendait compte à son supérieur direct, A... ; qu'en outre, il est noté au réquisitoire définitif, que B... a été chargé, pour le compte du conseil d'administration de la Société générale de fonderie, d'une mission de recherche d'une solution à la question de la reconstitution des fonds propres, A... et B... étant en liaison avec les services qui suivaient, pour le compte de Paribas, les engagements bancaires de la Société générale de fonderie et de ses filiales ; que la poursuite retient en outre, que Paribas a participé à la confection de l'information fallacieuse dénoncée par les communiqués de la Société générale de fonderie, ci-avant examinés par la Cour, et souligne que cette compagnie possédait, en sa double qualité de banquier et d'actionnaire de la Société générale de fonderie, toute l'information afférente à ce groupe ; qu'il est encore énoncé que l'avis de Paribas a été sollicité pour la rédaction desdits communiqués, étant souligné que la diffusion des informations en cause était destinée à éviter le dépôt de bilan de la Société générale de fonderie ; que pour retenir les consorts A... et B... dans les liens de ce chef de poursuite, le Tribunal a retenu que le communiqué du 25 novembre 1985 avait été élaboré par Y... et Z... après consultation de B... et, la Cour l'a déjà relevé, après démarches communes auprès de la Commission des opérations de bourse, ce que ce prévenu n'a pas contesté ;
" et aux motifs que cependant B... affirme dans ses écritures que cette démarche était exclusive de toute tentative d'induire en erreur le public puisque, expose-t-il, une telle tentative aurait supposé que la Commission des opérations de bourse elle-même eût été égarée alors que cet organisme connaissait parfaitement la situation de la Société générale de fonderie et n'a formulé aucune observation ; qu'au demeurant, fait valoir B..., il n'est pas démontré que, dans l'hypothèse même où les indications en cause eussent été erronées, ce qu'il conteste, il ait eu connaissance de leur inexactitude cependant que l'affirmation du réquisitoire définitif selon laquelle les dirigeants de la Société générale de fonderie savaient que la reconstitution des fonds propres serait impossible n'est assortie d'aucune démonstration ; qu'en cet état, la Cour ne peut que constater qu'aucun fait précis d'aide ou d'assitance de Y... et Z... au sens de l'article 60 du Code pénal n'est dénoncé et encore moins démontré par la poursuite à l'encontre de A... et B... ;
" alors que la Cour n'a pu sans se contredire affirmer, d'une part, lorsqu'elle a examiné la culpabilité des dirigeants de la Société générale de fonderie au regard du délit de diffusion de fausses informations résultant déjà du communiqué du 22 novembre 1985, que lesdits dirigeants avaient créé l'équivoque en n'exprimant pas en toute clarté la véritable situation de la Société générale de fonderie, ce qui caractérisait leur mauvaise foi (cf. p. 24 de l'arrêt) et, d'autre part, s'agissant des poursuites pour complicité de A... et B..., dire " que l'affirmation du réquisitoire définitif selon laquelle les dirigeants de la Société générale de fonderie savaient que la reconstitution des fonds propres serait impossible " n'était assortie d'aucune démonstration (cf. p. 34 de l'arrêt) ; qu'en l'état d'une contradiction en fait aussi éclatante, la Cour méconnaît les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" alors que par ailleurs, ladite contradiction entre l'affirmation selon laquelle il n'était pas démontré que les dirigeants de la Société générale de fonderie savaient que la reconstitution des fonds propres serait impossible (cf. p. 24 de l'arrêt) et le fait qu'il savait parfaitement ce qu'il en était quant à ce, s'évince de la circonstance que lorsqu'elle se prononce sur l'intention frauduleuse de ces mêmes dirigeants pour les retenir dans les liens de la prévention, la Cour relève que lors de la publication des différents communiqués et notamment de ceux des 22 novembre 1985 et 27 mars 1986, les dirigeants de la Société générale de fonderie connaissaient parfaitement la situation désespérée de ladite société (cf. p. 32 de l'arrêt) ; qu'ainsi, ont encore été méconnues les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" et alors que, de troisième part, le fait que la Commission des opérations de bourse n'ait pas été induite en erreur par A... et B... apparaît radicalement sans emport au regard du délit de diffusion de fausses informatons dans le public à la suite de communiqués contenant des informations erronées, communiqués établis et diffusés après la consultation de B... également membre du conseil d'administration de la Société générale de fonderie, ce qui est relevé par l'arrêt ; qu'en l'état d'une motivation radicalement inopérante, l'arrêt n'est pas légalement justifié ;
" et alors qu'il résultait très clairement du jugement et du dossier que le communiqué diffusé le 25 novembre 1985 contenant de fausses informations ainsi qu'en ont jugé les juges du fond, a été élaboré par Z... et Y... après consultation de Jean-Pierre B... ; ce dernier, de son propre aveu, ayant reconnu qu'il prit part à une démarche auprès de la Commission des opérations de bourse sur le contenu même dudit communiqué relatif à la question des fonds propres (cf. p. 20, dernier alinéa du jugement) ; qu'il est par ailleurs établi et reconnu par les prévenus que B... rendait systématiquement compte à Gilles A... de ce qui se passait au sein des réunions de la Société générale de fonderie lorsque ce dernier ne pouvait y prendre part (cf. p. 21 du jugement, alinéa 1er) ;
" qu'en novembre 1985, les prévenus n'ignoraient pas au vu d'une note établie par B... le 24 juin 1985 que la reconstitution des fonds propres était impossible et que la situation nette de la Société générale de fonderie était négative de 740 millions de francs (cf. p. 22 du jugement) ;
" qu'il était constant que B... et A... étaient immédiatement instruits de tout évènement affectant la Société générale de fonderie, ce qui n'était contesté par quiconque (cf. p. 25 du jugement) ;
" qu'en ne s'exprimant pas sur ces données objectives de nature à avoir une incidence sur la prévention, la Cour prive son arrêt de base légale ;
" qu'en statuant sur le fondement de motifs inopérants car contradictoires ou sans emport, la Cour ne permet pas à la chambre criminelle d'exercer son contrôle ;
" qu'en se prononçant uniquement par rapport au communiqué du 22 novembre 1985, cependant que les faits de complicité visaient également notamment le communiqué du 27 mars 1986, la Cour motive encore insuffisamment son arrêt et ne permet pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle " ;
Attendu que, pour relaxer Gilles A... et Jean-François B... du chef de complicité du délit de diffusion de fausses informations reproché aux dirigeants de la SGF, la cour d'appel énonce qu'aucun fait précis d'aide ou d'assistance ne peut leur être imputé, leur participation aux faits se limitant à un simple entretien avec Maurice Y... et Alain Z... quelque temps avant que ceux-ci ne fassent leur premier communiqué à la presse ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ; que le moyen, qui remet en cause l'appréciation souveraine par les juges des faits et circonstances de la cause, ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation par refus d'application de l'article 10-1 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 dans sa rédaction applicable à la cause :
" en ce que l'arrêt infirmatif sur ce point a écarté la responsabilité pénale de François C..., président du conseil d'administration de l'Omnium de participation financière industrielle de Paribas, devenue la compagnie financière de Paribas pour le compte de laquelle des opérations ayant permis de caractériser le délit d'initié, ont été effectuées ;
" aux motifs qu'aux termes du réquisitoire définitif et de l'ordonnance de renvoi, C... est recherché ès qualités, pour avoir " sciemment " réalisé sur le marché, par personnes interposées, en disposant d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation de la Société générale de fonderie ou les perspectives d'évolution de la valeur mobilière, plusieurs opérations de vente de titres avant que le public ait connaissance desdites informations ; que cette prévention se réfère à l'article 10-1, alinéa 2, de l'ordonnance du 28 septembre 1967, dans la rédaction de cet article antérieur à la loi du 2 août 1989, ledit alinéa énonçant " dans le cas où les opérations auront été réalisées par une personne morale, les dirigeants de droit ou de fait de celles-ci seront pénalement responsables des infractions commises ", les infractions visées étant celles définies à l'alinéa 1er dudit article ;
" et aux motifs encore qu'en cet état, et bien que l'adverbe " sciemment " tel énoncé à la prévention ci-dessus rappelée ne soit pas expressément mentionné dans le libellé du texte de l'alinéa dont s'agit, les principes généraux du droit, dont la poursuite fait elle-même état commandent que la responsabilité pénale d'un dirigeant social, prévue audit texte, soit subordonnée à la réunion à sa charge des éléments matériels et intentionnel propres à caractériser une telle responsabilité ; qu'en l'occurrence, il n'est en rien démontré à l'encontre de C... aucun fait précis impliquant sa participation délibérée aux opérations retenues à la charge de A... et B... ; qu'en tout état de cause, en excluant des termes de la prévention telle que dirigée contre C... l'adverbe " sciemment ", pour s'en tenir à la lettre même du texte applicable en l'espèce et en faisant ainsi abstraction de l'élément intentionnel dénoncé par la poursuite, la Cour aggraverait ladite prévention et méconnaîtrait, par là, les droits fondamentaux de la défense ;
" alors que les dispositions spéciales de l'article 10-1, alinéa 2, de l'ordonnance du 28 septembre 1967 dans sa rédaction applicable à la cause n'exige ni une participation matérielle aux opérations visées au premier alinéa dudit article, ni un élément intentionnel ; que lesdites dispositions ont institué, à la charge des dirigeants de droit ou de fait des personnes morales qu'elles visent, une responsabilité pénale de plein droit du fait d'autrui dont ils ne peuvent être exonérés que par la force majeure nullement caractérisée ; qu'en jugeant différemment sur le fondement de motifs inopérants, la Cour viole par refus d'application le texte cité au moyen ;
" alors que, par ailleurs et en toute hypothèse, lesdites dispositions font à tout le moins peser sur les dirigeants une présomption de responsabilité qu'il leur appartient de renverser ; qu'à aucun moment la Cour ne constate en fait une telle inversion, si bien que pour cette raison encore l'arrêt attaqué doit être censuré ;
" et alors, enfin, que la circonstance que le réquisitoire définitif et l'ordonnance de renvoi fassent état du fait que François C... aurait " sciemment " réalisé sur le marché... apparaît en elle-même sans emport et insusceptible de porter atteinte aux droits de la défense dès lors que l'ordonnance du 28 septembre 1967 retient une responsabilité pénale de plein droit des dirigeants de droit de la personne juridique " ;
Attendu que le demandeur au pourvoi, qui ne s'est constitué partie civile que pour le seul délit de diffusion dans le public d'informations fausses ou trompeuses de nature à agir sur les cours, reproché aux dirigeants de la SGF, est sans qualité pour critiquer la décision de la cour d'appel en ce qu'elle relaxe François C... du chef de délit d'initié ;
Que, dès lors, le moyen est irrecevable ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation de l'article 2 du Code de procédure pénale, de l'article 10-1 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 dans sa rédaction applicable à la cause, de l'article 1382 du Code civil, ensemble méconnaissance du principe de la réparation intégrale et méconnaissance des exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué sur ce point a condamné solidairement Y... et Z... à verser à X... une somme de 1 500 000 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant de l'achat d'actions entre le mois de novembre 1985 et le mois de mai 1986 ;
" aux motifs notamment que devant la Cour, X... demande que lui soit allouée à titre de dommages-intérêts pour le préjudice financier correspondant aux 19 500 actions de la Société générale de fonderie acquises entre le mois de novembre 1985 et le mois de mai 1986, une somme de 2 929 711, 42 francs, et ce, avec intérêts au taux légal capitalisés annuellement à compter du 31 décembre 1986 jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir à titre de dommages-intérêts complémentaires ; que par le truchement de conclusions additionnelles récapitulatives sur le préjudice, X... a demandé que lui soit allouée une somme de 3 048 276, 10 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice financier correspondant aux 19 500 actions acquises entre le mois de novembre 1985 et le mois de mai 1986 et aux frais de report exposés à cause de la diffusion des informations fausses et trompeuses ; qu'en l'état de ces écritures, il apparaît que X..., quant à son préjudice financier, distingue deux parties correspondant à des situations différentes, d'une part l'acquisition de 19 500 actions pendant la période s'étendant du mois de novembre 1985 au mois de mai 1986, et, d'autre part la conservation pendant la même période de 60 000 actions Société générale de fonderie acquises avant le mois de novembre 1985 ; que dès lors, la Cour examinera en premier lieu ces deux chefs de conclusions avant de rechercher le mérite des demandes formulées par le concluant et fondées, respectivement, sur la réparation d'un préjudice moral et sur les dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
" et aux motifs encore s'agissant du préjudice fondé sur l'acquisition de 19 500 actions Société générale de fonderie du mois de novembre 1985 au mois de mai 1986, que, sur ce point, X... expose dans ses écritures qu'il n'a acquis les 19 500 titres SGF en cause, entre le mois de novembre 1985 et le 2 mai 1986, qu'en raison de la montée de leur cours, dont la Cour a précédemment constaté le caractère fallacieux puisque fondé sur les informations sciemment inexactes diffusées auprès du public, dans les conditons rappelées par la Cour et retenues à la charge de Y... et Z... ; qu'il est ainsi certain que X... a subi un préjudice résultant directement de l'infraction constatée par la Cour ; qu'en ce qui concerne le montant dudit préjudice, la Cour relève que, dans ses conclusions, X... évalue à la somme totale de 2 777 048, 60 francs la valeur des titres SGF par lui acquis pendant cette période et ce compris les frais de report pour 1986, la valeur de liquidation (337 155 francs) étant déduite et y ajoute, selon un échéancier qu'il dresse, la somme de 152 662, 82 francs à titre d'intérêt légal pour l'immobilisation de la somme investie pendant la période de novembre 1985, date de ses premiers achats, au 31 octobre 1986, date de liquidation de ses derniers titres ; que, si dans leurs écritures les prévenus contestent cette analyse en soulignant que les affirmations de la partie civile sont inexactes en ce qu'elle affirme qu'elle n'aurait pas acheté une action nouvelle si le cours avait repris sa baisse après le 25 novembre 1985, cependant que X... a, depuis 1982, acquis avec constance des titres Société générale de fonderie et qu'il a même procédé à de telles opérations jusqu'au 22 mai 1986, soit 20 jours après la publication du dernier communiqué provoquant l'effondrement du cours alors qu'il aurait dû, au contraire, réaliser immédiatement les valeurs Société générale de fonderie qu'il détenait déjà ; qu'il est cependant incontestable que X... a acquis un certain nombre d'actions de Société générale de fonderie entre le mois de novembre 1985 et le mois de mai 1986, en une période de hausse fallacieuse des cours et qu'il y a lieu à réparation pour X... du préjudice par lui directement subi de ce chef ;
" et aux motifs enfin, qu'à la lumière des éléments d'appréciation dont elle dispose, la Cour confirmera le montant des dommages-intérêts alloués à X... en réparation du préjudice direct et actuel subi du fait des agissements frauduleux en allouant pour l'acquisition des titres pendant la période de référence une somme de 1 500 000 francs ;
" alors que, d'une part, la Cour qui rappelle l'analyse rigoureuse de la partie civile s'agissant de l'étendue du préjudice directement lié à l'infraction en ce qui concerne les actions Société générale de fonderie acquises entre novembre 1985 et avril 1986, ne motive absolument pas sa décision pour arrêter à une somme de 1 500 000 francs le préjudice ainsi souffert, procédant par simple affirmation lapidaire ;
" alors que, d'autre part, et en toute hypothèse, à la faveur de conclusions circonstanciées, X... insistait sur la circonstance que pour acquérir entre le mois de novembre 1985 et le mois d'avril 1986 19 500 titres Société générale de fonderie, il a exposé la somme de 3 114 203, 60 francs, n'ayant pu liquider lesdites actions que pour une somme globale de 337 155 francs, soit un préjudice directement lié à l'infraction de 2 777 048, 60 francs (cf. p. 14 du premier jeu de conclusions) ; qu'en ne s'exprimant pas sur ces données objectives en elles-mêmes incontournables, la Cour méconnaît les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble ne permet pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle au regard des exigences du principe de la réparation intégrale ;
" et alors, enfin, que le défaut de motifs apparaît d'autant plus éclatant et critiquable que la Cour admet en premier lieu que l'acquisition par X... de 19 500 actions Société générale de fonderie entre le mois de novembre 1985 et le mois d'avril 1986 est bien directement liée à l'infraction constatée en limitant toutefois à 1 500 000 francs le montant de l'indemnisation et par ailleurs fait droit au centime près aux demandes d'indemnisation émanant d'autres parties civiles, à savoir notamment D...et E..., ayant le même conseil que X... et procédant d'une méthode d'évaluation absolument identique, s'agissant de la même période de référence ; qu'ainsi est derechef caractérisée l'insuffisance de motifs au regard du principe de la réparation intégrale, ensemble de l'égalité de traitement entre les mêmes victimes d'une même infraction se trouvant dans une situation identique " ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l'article 10 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble violation de l'article 2 du Code de procédure pénale, de l'article 1382 du Code civil, de l'article 593 du Code de procédure pénale, méconnaissance des exigences du principe de la réparation intégrale et 1315 du Code civil :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté X... de sa demande d'indemnisation fondée sur la conservation des actions par lui acquises avant le mois de novembre 1985 ;
" aux motifs que pour critiquer la décision des premiers juges qui ont écarté la demande de la partie civile tendant à obtenir réparation du préjudice né pour elle de la conservation entre le mois de novembre 1985 et le mois de mai 1986 de 60 000 actions (et non pas 600 000) acquises antérieurement au mois de novembre 1985, la partie civile expose que la décision d'acheter implique nécessairement celle de conserver les titres déjà en portefeuille, de telle sorte que les deux décisions sont indivisibles, la cause déterminante de l'achat des actions étant également celle de conserver lesdites actions déjà en portefeuille, si bien que les fausses informations diffusées sur le titre Société générale de fonderie, qui ont conduit la partie civile à acheter lesdits titres l'ont également déterminé à conserver les 60 000 actions acquises antérieurement au mois de novembre 1985 ; que la partie civile ajoute qu'en diffusant des informations fausses et trompeuses lesquelles ont été retenues à la charge des prévenus, ceux-ci ont sciemment pris le risque d'inciter les actionnaires à conserver leurs titres et par là, spécialement, ont, en connaissance de cause, affecté la libre faculté de jugement de X... qui, sans cela, aurait pu vendre les valeurs en cause à moindre risque ; que cependant, en dehors de ses affirmations, X... n'apporta pas la preuve péremptoire que sa décision de conserver les actions acquises avant le mois de novembre 1985 ait été directement dictée par la seule hausse des cours du titre Société générale de fonderie entre 1985 et 1986, si bien qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris quant à ce ;
" alors que, d'une part, en exigeant une preuve " péremptoire ", on ne sait si la Cour statue en fait ou en droit, posant ainsi une condition draconienne ne résultant d'aucun principe et d'aucune règle, lesquels en la matière sont dominés par la liberté d'appréciation du juge en présence d'indices, de présomptions de l'homme, et de faits et de documents ;
" alors que, d'autre part, et en tout hypothèse, il y avait une irréductible indivisibilité, sauf preuve contraire dont la charge incombait au prévenu, preuve nullement rapportée, entre la décision d'acheter de façon massive des titres à compter du 25 novembre 1985 et celle de conserver ceux acquis antérieurement ; en décidant le contraire, sur le fondement de motifs tout à la fois erronés et inopérants, la Cour viole derechef les textes et principes cités au moyen ;
" alors que, de troisième part, à supposer même que le fait de conserver 60 000 titres n'ait pas été directement causé par les seules hausses artificielles des cours des titres Société générale de fonderie entre le mois de novembre 1985 et le mois d'avril 1986, il va de soi que cette hausse a nécessairement eu une incidence au moins partielle sur la conservation desdits titres, si bien qu'en déboutant purement et simplement la partie civile de sa demande d'indemnisation pour les actions achetées avant 1985, la Cour viole encore spécialement les articles 2 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil et le principe de la réparation intégrale ;
" et alors, enfin, que la Cour ne répond pas au moyen essentiel tiré de la circonstance " qu'en diffusant des informations fausses et trompeuses, les prévenus ont sciemment pris le risque d'inciter les actionnaires à conserver leurs titres (...) en affectant la libre faculté de jugement de X... " (cf. p. 13 du premier jeu de conclusions des parties civiles), lequel a, ce faisant, perdu une chance à partir du 25 novembre 1985 de négocier ses titres au moment le plus favorable pour lui, c'est-à-dire la chance de vendre ses 60 000 actions dans la perspective d'éviter ou de limiter les pertes qu'il enregistra et la chance de réaliser une plus-value substantielle sur les produits de la vente pendant la période de manipulation ayant correspondu à une hausse considérable du titre (cf. également p. 13 des premières conclusions des parties civiles) ; qu'ainsi ont été méconnues les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour limiter à 1 500 000 francs l'indemnité à allouer à la partie civile, la cour d'appel retient que seul le préjudice né de la différence de cours est certain et découle directement de l'infraction dont Gérard X... a été la victime ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que les moyens, qui se bornent à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges, des faits et circonstances de la cause et la fixation de l'indemnité propre à réparer le préjudice subi par la victime, ne peuvent qu'être écartés ;
II. Sur le pourvoi du procureur général :
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des alinéas 1 et 2 (devenu alinéa 3, depuis la loi du 2 août 1989) de l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 :
" en ce que l'arrêt attaqué a écarté la responsabilité pénale de François C... ;
" aux motifs que la participation délibérée du prévenu aux opérations litigieuses n'est pas démontrée et que manquent donc les éléments, tant matériel qu'intentionnel, de l'infraction poursuivie ;
" alors que les dispositions spéciales de l'article 10-1, alinéa 2 (devenu alinéa 3 depuis la loi du 2 août 1989) de l'ordonnance du 28 septembre 1967 n'exigent ni participation matérielle aux opérations visées au premier alinéa dudit article ni élément intentionnel ; qu'elles ont institué, à la charge des dirigeants de droit ou de fait des personnes morales qu'elles visent, une responsabilité pénale du fait d'autrui dont ils ne peuvent être exonérés que par la force majeure ; qu'à tout le moins, lesdites dispositions font peser sur ces dirigeants une présomption de responsabilité qu'il leur appartient de renverser ; que dès lors, en l'état de ses motifs ci-dessus rappelés, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte précité " ;
Vu ledit article, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 fait défense, aux personnes disposant, à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d'un émetteur de titres ou sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière, de réaliser sur le marché des opérations avant que le public ait connaissance de ces informations ;
Que selon ce texte, dans le cas où les opérations ont été réalisées par une personne morale, les dirigeants de droit ou de fait de celle-ci sont pénalement responsables des infractions commises ;
Attendu que, pour renvoyer François C..., président de l'OPFI Paribas, des fins de la poursuite du chef de délit d'initié, après avoir relevé qu'utilisant les informations reçues en sa qualité d'actionnaire sur la situation financière critique de la Société générale de fonderie, cet établissement a revendu sur le marché à terme l'essentiel des actions SGF qu'il détenait, la cour d'appel se borne à énoncer qu'il n'est démontré à l'encontre du prévenu aucun fait impliquant sa participation délibérée au délit reproché ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il appartenait au prévenu, dirigeant de la personne morale ayant réalisé les opérations critiquées, de combattre la présomption édictée par le texte susvisé, en en administrant éventuellement la preuve contraire, la cour d'appel a inversé la charge de celle-ci et méconnu le texte susvisé ;
Que, dès lors, la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
I. Sur le pourvoi de la partie civile :
Le REJETTE ;
II. Sur le pourvoi du procureur général :
CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions pénales concernant François C..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 15 janvier 1992, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans.