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Décisions

CJUE, 3e ch., 23 décembre 2009, n° C-45/08

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cunha Rodrigues

Juges :

M. Rosas, M. Lõhmus, M. Caoimh

Avocat général :

Mme Kokott

CJUE n° C-45/08

22 décembre 2009

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. Cunha Rodrigues, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, Mme Lindh (rapporteur), MM. A. Rosas, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: Mme Kokott,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 juin 2009,

considérant les observations présentées:

        pour Spector Photo Group NV et M. Van Raemdonck, par Mes K. Van den Broeck, W. Henckens et W. Devroe, advocaten,

        pour la Commissie voor het Bank-, Financie- en Assurantiewezen (CBFA), par Mes J. Cerfontaine, F. Deruyck et H. Gilliams, advocaten,

        pour le gouvernement belge, par M. J.-C. Halleux, en qualité d’agent, assisté de Me J. Meyers, advocaat,

        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et J. Möller, en qualité d’agents,

        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et J.-C. Gracia, en qualité d’agents,

        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. J. Newman, BL,

        pour le gouvernement italien, par M. R. Adam, en qualité d’agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

        pour le gouvernement chypriote, par M. D. Lysandrou, en qualité d’agent,

        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes et Mme C. Guerra Santos, en qualité d’agents,

        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Ossowski, en qualité d’agent, assisté de M. A. Henshaw, barrister,

        pour la Commission des Communautés européennes, par Mme P. Dejmek et M. W. Roels, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 septembre 2009,

rend le présent

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 14 de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (JO L 96, p. 16).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Spector Photo Group NV (ci-après «Spector») et l’un de ses dirigeants, M. Van Raemdonck, à la Commissie voor het Bank-, Financie- en Assurantiewezen (Commission bancaire, financière et de l’assurance, ci-après la «CBFA»), cette dernière leur ayant infligé des amendes pour des opérations d’initiés.

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

3        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/592/CEE du Conseil, du 13 novembre 1989, concernant la coordination des réglementations relatives aux opérations d’initiés (JO L 334, p. 30), définissait l’opération d’initié comme suit:

«Chaque État membre interdit aux personnes qui:

        en raison de leur qualité de membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de l’émetteur,

        en raison de leur participation dans le capital de l’émetteur

ou

        parce qu’elles ont accès à cette information en raison de l’exercice de leur travail, de leur profession ou de leurs fonctions,

disposent d’une information privilégiée, d’acquérir ou de céder pour compte propre ou pour compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les valeurs mobilières de l’émetteur ou des émetteurs concernés par cette information, en exploitant en connaissance de cause cette information privilégiée.»

4        La directive 89/592 a été abrogée, à compter de l’entrée en vigueur, le 12 avril 2003, de la directive 2003/6. L’article 2 de cette dernière directive prévoit:

«1.      Les États membres interdisent à toute personne visée au deuxième alinéa qui détient une information privilégiée d’utiliser cette information en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, soit directement, soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information.

Le premier alinéa s’applique à toute personne qui détient une telle information:

a)      en raison de sa qualité de membre des organes d’administration, de gestion ou de surveillance de l’émetteur, ou

b)      en raison de sa participation dans le capital de l’émetteur, ou

c)      en raison de son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ou

d)      en raison de ses activités criminelles.

2.      Lorsque la personne visée au paragraphe 1 est une personne morale, l’interdiction prévue dans ce paragraphe s’applique également aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder à l’opération pour le compte de la personne morale en question.

3.      Le présent article ne s’applique pas aux opérations effectuées pour assurer l’exécution d’une obligation d’acquisition ou de cession d’instruments financiers devenue exigible, lorsque cette obligation résulte d’une convention conclue avant que la personne concernée ne détienne une information privilégiée.»

5        L’article 8 de la directive 2003/6 prévoit toutefois que cette interdiction ne s’applique pas aux opérations par lesquelles des sociétés procèdent au rachat de leurs propres actions. Les modalités de mise en œuvre de cet article 8 ont été précisées par le règlement (CE) n° 2273/2003 de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne les dérogations prévues pour les programmes de rachat et la stabilisation d’instruments financiers (JO L 336, p. 33), entré en vigueur le 23 décembre 2003.

6        L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 est libellé comme suit:

«Sans préjudice de leur droit d’imposer des sanctions pénales, les États membres veillent à ce que, conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de la présente directive. Les États membres garantissent que ces mesures sont effectives, proportionnées et dissuasives.»

7        La directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché (JO L 339, p. 70), complète la directive 2003/6 en définissant plus précisément les notions de publication d’informations privilégiées et de manipulation de marché.

 Le droit national

8        L’article 25, paragraphe 1, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers (Moniteur belge du 4 septembre 2002, p. 39121, ci-après la «loi du 2 août 2002 dans sa version initiale»), prévoyait:

«Il est interdit à toute personne:

1°)       qui dispose d’une information privilégiée:

         a)     d’utiliser cette information en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, directement ou indirectement, les instruments financiers sur lesquels porte l’information ou des instruments financiers connexes;

         [...]»

9        L’article 25, paragraphe 1, de la loi du 2 août 2002, telle que modifiée par la loi-programme du 22 décembre 2003 (Moniteur belge du 31 décembre 2003, p. 62160, ci-après la «loi du 2 août 2002 dans sa version modifiée»), dispose:

«Il est interdit à toute personne:

1°)      qui dispose d’une information privilégiée dont elle sait ou devrait savoir qu’elle a un caractère privilégié:

         a)     d’acquérir ou de céder ou de tenter d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, directement ou indirectement, les instruments financiers sur lesquels porte l’information ou des instruments financiers connexes;

         [...]»

10      Cette dernière disposition n’est applicable qu’aux faits postérieurs au 31 décembre 2003.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Spector est une société de droit belge cotée en Bourse. Dans le cadre de sa politique d’intéressement, elle offre un programme d’options permettant au personnel d’acquérir des actions. Afin d’honorer ses engagements en cas d’exercice de ces options, Spector avait prévu d’utiliser par priorité les actions en sa possession et, le cas échéant, d’acheter sur le marché le solde à livrer. Au cours de l’année 2002, Spector devait ainsi se procurer sur le marché plus de 45 000 actions.

12      Le 21 mai 2003, conformément à la réglementation belge alors en vigueur, Spector a notifié à Euronext Brussels son intention d’acheter un certain nombre de ses propres actions, en exécution de son programme d’option sur actions.

13      Du 28 mai au 30 août 2003, Spector est parvenue à acheter au total 27 773 actions. Quatre opérations successives portant chacune sur 2 000 actions ont d’abord été effectuées. Puis, les 11 et 13 août 2003, M. Van Raemdonck a passé deux ordres, permettant à Spector d’acquérir 19 773 actions au prix moyen de 9,97 euros, le prix d’exercice des options en cause étant de 10,45 euros.

14      Par la suite, Spector a publié certaines informations relatives à ses résultats et à sa politique commerciale. Le cours de l’action de cette société aurait alors augmenté. Au 31 décembre 2003, il s’élevait à 12,50 euros.

15      Par une décision du 28 novembre 2006 (ci-après la «décision attaquée»), la CBFA a qualifié les achats effectués sur la base des ordres des 11 et 13 août 2003 d’opérations d’initiés, prohibées à l’article 25, paragraphe 1, de la loi du 2 août 2002 dans sa version initiale. La CBFA a infligé des amendes de 80 000 euros à Spector et de 20 000 euros à M. Van Raemdonck, qui ont alors formé un recours contre cette décision devant le hof van beroep te Brussel.

16      Dans le cadre de ce litige, les requérants au principal ont soulevé trois séries d’arguments à l’origine de la demande de décision préjudicielle, relatifs à la rétroactivité de la loi nouvelle plus douce (rétroactivité in mitius), aux éléments constitutifs de l’opération d’initié et à la proportionnalité de la sanction de l’infraction reprochée.

17      Selon la juridiction de renvoi, les requérants au principal reprochent tout d’abord à la CBFA d’avoir méconnu le principe de rétroactivité in mitius. Ils font essentiellement valoir que les dispositions de l’article 25, paragraphe 1, de la loi du 2 août 2002 dans sa version modifiée sont incompatibles avec la définition de l’opération d’initié figurant à l’article 2 de la directive 2003/6 et donc inapplicables. Ils estiment, en conséquence, que l’incompatibilité de ces dispositions avec la directive 2003/6 a entraîné un vide juridique, analogue à une loi pénale plus douce, s’opposant à ce que la CBFA applique l’article 25, paragraphe 1, de la loi du 2 août 2002 dans sa version initiale.

18      La juridiction de renvoi expose que la CBFA a appliqué l’article 25, paragraphe 1, de la loi du 2 août 2002 dans sa version modifiée, alors que les faits incriminés sont antérieurs à la date d’effet de cette disposition, à savoir le 1er janvier 2004. Elle estime qu’il est possible que cette disposition ait modifié dans un sens plus répressif la définition de l’opération d’initié. En effet, pour que l’opération d’initié soit constituée, ledit article 25, paragraphe 1, exigerait désormais non pas l’«utilisation» d’une information privilégie, mais la seule «possession» de celle-ci.

19      La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si les États membres peuvent définir les éléments constitutifs de l’opération d’initié d’une manière plus stricte que celle visée à l’article 2 de la directive 2003/6 ainsi que sur l’interprétation de la notion d’«utilisation» d’une information privilégiée au sens de cette dernière disposition.

20      Selon la juridiction de renvoi, les requérants au principal soutiennent, à titre subsidiaire, que les éléments de l’opération d’initié ne sont pas constitués au regard de l’article 25, paragraphe 1, de la loi du 2 août 2002 dans sa version initiale. La CBFA n’aurait pas établi que les achats d’actions en cause au principal ont été effectués en raison de l’imminence de la publication des résultats de la société concernée.

21      La juridiction de renvoi s’interroge sur la nature de la preuve permettant d’établir qu’une information privilégiée a été «utilisée» au sens de l’article 2 de la directive 2003/6.

22      Selon la décision de renvoi, les requérants au principal soutiennent que les sanctions infligées sont disproportionnées par rapport à la gravité de l’infraction. La juridiction de renvoi s’interroge sur les critères permettant d’évaluer la proportionnalité de la sanction.

23      C’est dans ces conditions que le hof van beroep te Brussel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les dispositions de la directive [2003/6], et en particulier son article 2, constituent-elles une harmonisation complète, sous réserve des dispositions qui autorisent en termes explicites les États membres à mettre en œuvre librement leurs mesures, ou les dispositions de cette directive concernent-elles, dans leur totalité, une harmonisation minimale?

2)      Doit-on comprendre l’article 2, paragraphe 1, de la directive [2003/6] en ce sens que le seul fait qu’une personne visée à l’article 2, [paragraphe 1,] premier alinéa, [qui] détient une information privilégiée acquiert ou cède ou tente d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, des instruments financiers auxquels se rapporte cette information privilégiée implique d’emblée qu’elle utilise ladite information privilégiée?

3)      Si la deuxième question appelle une réponse négative, convient-il d’admettre que, aux fins de l’application de l’article 2 de la directive [2003/6], il est nécessaire que soit prise en connaissance de cause une décision d’utilisation de l’information privilégiée?

Si une telle décision peut aussi ne pas être une décision écrite, est-il alors nécessaire que la décision d’utilisation ressorte de circonstances qui ne sont susceptibles d’aucune autre explication ou suffit-il que ces circonstances puissent être comprises comme revêtant une telle signification?

4)      Si, pour déterminer le caractère proportionné d’une sanction administrative, mentionné à l’article 14 de la directive [2003/6], le bénéfice réalisé doit être pris en compte, faut-il admettre que le fait de rendre publique l’information qu’il convient de qualifier de privilégiée a effectivement influé de façon sensible sur le cours de l’instrument financier?

Dans l’affirmative, quel doit être le niveau minimal de modification de cours constaté pour que cette modification puisse être qualifiée de sensible?

5)      Indépendamment du caractère sensible ou non que doit revêtir le mouvement du cours après que l’information a été rendue publique, quelle période faut-il prendre en considération, après que l’information a été rendue publique, pour déterminer le niveau du mouvement du cours et à quelle date faut-il se placer pour évaluer le bénéfice patrimonial réalisé, aux fins de la définition de la sanction appropriée?

6)      À la lumière de la vérification du caractère proportionné de la sanction, convient-il de comprendre l’article 14 de la directive [2003/6] en ce sens que, si un État membre a prévu la possibilité d’une sanction pénale s’ajoutant à la sanction administrative, aux fins de l’appréciation du caractère proportionné de la sanction, il faut prendre en considération la possibilité et/ou le niveau d’une sanction pénale pécuniaire?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

24      La CBFA ainsi que les gouvernements belge et allemand doutent de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. Ils font, en substance, valoir que les questions posées revêtent un caractère hypothétique dans la mesure où elles portent sur la compatibilité de l’article 25 de la loi du 2 août 2002 dans sa version modifiée, alors même que la décision attaquée repose non pas sur cette disposition, mais sur l’article 25 de la loi du 2 août 2002 dans sa version initiale.

25      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 18 juillet 2007, Lucchini, C 119/05, Rec. p. I 6199, point 43, et du 22 décembre 2008, Magoora, C 414/07, non encore publié au Recueil, point 22).

26      Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit communautaire posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, van der Weerd e.a., C 222/05 à C 225/05, Rec. p. I 4233, point 22 et jurisprudence citée).

27      Certes, la pertinence de l’interprétation de la directive 2003/6 aux fins de l’appréciation de la conformité au droit communautaire de l’article 25 de la loi du 2 août 2002 dans sa version modifiée semble, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 19 de ses conclusions, très discutable puisque la décision attaquée ne repose pas sur cette disposition.

28      Toutefois, il n’apparaît pas en l’espèce que l’interprétation sollicitée de la directive 2003/6 n’aurait manifestement aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal. En effet, les faits en cause au principal sont postérieurs à l’entrée en vigueur de cette directive et ont été sanctionnés au titre de la législation nationale prohibant les opérations d’initiés. Les éléments de fait et de droit nécessaires pour que la Cour réponde de façon utile aux questions qui lui sont posées sont, en outre, exposés dans la décision de renvoi, qui indique, par ailleurs, les textes dont l’interprétation est demandée.

29      Il en découle que la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

 Sur les deuxième et troisième questions

30      Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble et en priorité, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le sens de la notion d’«utilisation d’une information privilégiée» figurant à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6. Cette disposition prévoit que les États membres interdisent à toute personne visée à son deuxième alinéa (ci-après l’«initié primaire») qui «détient une information privilégiée d’utiliser cette information en acquérant ou en cédant [...], pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement, soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information» ou de tenter d’effectuer une telle opération de marché. La juridiction de renvoi cherche plus précisément à déterminer s’il est suffisant, pour qu’une opération soit qualifiée d’opération d’initié prohibée, qu’un initié primaire en possession d’une information privilégiée effectue une opération de marché sur les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou s’il est, en outre, nécessaire d’établir que cette personne a «utilisé» cette information «en connaissance de cause».

31      L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 ne définit pas l’opération interdite comme devant être effectuée «en connaissance de cause» mais se borne à interdire aux initiés primaires d’utiliser une information privilégiée lorsqu’ils effectuent une opération de marché. Cet article définit les éléments constitutifs de l’opération prohibée en se référant expressément à deux types d’éléments, à savoir, d’une part, les personnes susceptibles de relever de son champ d’application et, d’autre part, les agissements matériels constitutifs de cette opération.

32      En revanche, cette disposition ne prévoit pas expressément de conditions subjectives relatives à l’intention ayant inspiré ces agissements matériels. Ainsi, l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 ne précise pas si l’initié primaire doit avoir été mû par une intention spéculative, doit avoir poursuivi un dessein frauduleux ou doit avoir agi de propos délibéré ou par négligence. Cet article n’indique pas expressément qu’il est nécessaire d’établir que l’information privilégiée a déterminé la décision d’effectuer l’opération de marché en cause, pas plus qu’il ne prévoit expressément que l’initié primaire devait avoir conscience du caractère privilégié de l’information en sa possession.

33      Il convient, à cet égard, de relever que le législateur communautaire, en élaborant la directive 2003/6, a entendu combler certaines lacunes constatées sous l’empire de la directive 89/592. L’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/592 visait en effet à interdire «aux personnes qui […] disposent d’une information privilégiée» d’effectuer une opération de marché sur les valeurs mobilières concernées «en exploitant en connaissance de cause cette information privilégiée». La transposition de cette disposition en droit interne a donné lieu à des nuances d’interprétation par les États membres, la notion «d’exploitation en connaissance de cause» ayant été, dans certains droits nationaux, assimilée à l’exigence d’un élément moral.

34      Dans ce contexte, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) [2001/0118(COD)], présentée le 30 mai 2001 par la Commission des Communautés européennes, s’est appuyée sur le libellé de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/592 tout en supprimant l’expression «en connaissance de cause», au motif que «par définition, [les initiés primaires] peuvent avoir accès chaque jour à des informations privilégiées et qu’ils sont conscients de la nature confidentielle des informations qu’ils reçoivent». Les travaux préparatoires subséquents évoqués au point 58 des conclusions de Mme l’avocat général démontrent, par ailleurs, que le Parlement, conformément à l’approche objective de la notion d’opération d’initié préconisée par la Commission, a souhaité remplacer le verbe «exploiter» par le verbe «utiliser», afin de ne conserver aucun élément de finalité ou d’intentionnalité dans la définition des opérations d’initiés.

35      Ces éléments démontrent que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 définit de manière objective les opérations d’initiés sans que l’intention qui les inspire entre de manière explicite dans leur définition, et cela afin de parvenir à une harmonisation uniforme du droit des États membres.

36      Le fait que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 ne prévoit pas expressément d’élément moral s’explique, en premier lieu, par la nature particulière de l’opération d’initié, qui permet de présumer cet élément moral à partir de la réunion des éléments constitutifs mentionnés dans cette disposition. Tout d’abord, la relation de confiance qui lie les initiés primaires visés à l’article 2, paragraphe 1, sous a) à c), à l’émetteur des instruments financiers sur lesquels porte l’information privilégiée implique de leur part une responsabilité particulière à cet égard. Ensuite, l’exécution d’une opération de marché résulte nécessairement d’une chaîne de décisions s’inscrivant dans un contexte complexe permettant d’exclure, en principe, que son auteur ait pu agir sans avoir conscience de ses agissements. Enfin, lorsqu’une telle opération de marché est effectuée alors que l’auteur de cette dernière est en possession d’une information privilégiée, cette information doit, en principe, être réputée avoir été intégrée au processus décisionnel de celui-ci.

37      Le fait que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 ne prévoit pas expressément un élément moral parmi les éléments constitutifs de l’opération d’initié s’explique, en second lieu, par la finalité de la directive 2003/6, qui, ainsi qu’il est rappelé, notamment, aux deuxième et douzième considérants de celle-ci, est d’assurer l’intégrité des marchés financiers communautaires et de renforcer la confiance des investisseurs en ces marchés. Le législateur communautaire a opté pour un mécanisme de prévention et de sanction administrative des opérations d’initiés dont l’efficacité serait atténuée s’il était conditionné à la recherche systématique d’un élément moral. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 55 de ses conclusions, ce n’est que lorsqu’elle permet de sanctionner effectivement les infractions que l’interdiction des opérations d’initiés déploie toute son efficacité et assure de manière durable le respect des règles par tous les opérateurs du marché. La mise en œuvre effective de l’interdiction des opérations de marché s’appuie donc sur une structure simple dans laquelle les moyens de défense subjectifs sont limités, afin non seulement de sanctionner mais également de prévenir efficacement les infractions à cette interdiction.

38      La réunion des éléments constitutifs de l’opération d’initié visés à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 permet donc de présumer l’intention de l’auteur de cette opération.

39      Une telle présomption ne saurait, pour autant, porter atteinte aux droits fondamentaux et, en particulier, au principe de la présomption d’innocence, consacré, notamment, à l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»).

40      Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C 402/05 P et C 415/05 P, Rec. p. I 6351, point 283).

41      Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le respect des droits de l’homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires et que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci (arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, point 284).

42      Certes, l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 n’impose pas aux États membres de prévoir des sanctions pénales à l’encontre des auteurs d’opérations d’initiés mais se limite à énoncer que ces États sont tenus de veiller à ce que «des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de [cette] directive», les États membres étant, en outre, tenus de garantir que ces mesures sont «effectives, proportionnées et dissuasives». Néanmoins, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’au degré de sévérité des sanctions qu’elles sont susceptibles d’entraîner, de telles sanctions peuvent être, aux fins de l’application de la CEDH, qualifiées de sanction pénales (voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 150, ainsi que Cour eur. D. H., arrêts Engel et autres c. Pays Bas du 8 juin 1976, série A no 22, § 82, Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73, § 53, et Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A n° 123, § 54).

43      Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit et la CEDH n’y met évidemment pas obstacle en principe, mais, en matière pénale, elle oblige les États contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil. Ainsi, le principe de la présomption d’innocence, consacré à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, ne se désintéresse pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives. Il commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense (voir Cour eur. D. H., arrêts Salabiaku c. France du 7 octobre 1988, série A n° 141-A, § 28, et Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A n° 243, § 33).

44      Il convient de considérer que le principe de la présomption d’innocence ne s’oppose pas à la présomption prévue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6, par laquelle l’intention de l’auteur d’une opération d’initié se déduit implicitement des éléments matériels constitutifs de cette infraction, dès lors que cette présomption est réfragable et que les droits de la défense sont assurés.

45      L’instauration d’un régime efficace et uniforme de prévention et de sanction des opérations d’initiés dans le but légitime de protéger l’intégrité des marchés financiers a ainsi pu conduire le législateur communautaire à retenir une définition objective des éléments constitutifs d’une opération d’initié interdite. Le fait que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 ne prévoit pas expressément d’élément moral ne signifie pas pour autant qu’il faille interpréter cette disposition de telle sorte que tout initié primaire en possession d’une information privilégiée qui effectue une opération de marché tombe automatiquement sous le coup de la prohibition des opérations d’initiés.

46      En effet, ainsi que l’ont souligné notamment les gouvernements italien et du Royaume-Uni, une interprétation aussi extensive de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 comporterait le risque d’étendre le champ d’application de cette prohibition au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par cette directive. Une telle interprétation pourrait, en pratique, conduire à l’interdiction de certaines opérations de marché qui ne portent pas nécessairement atteinte aux intérêts protégés par ladite directive. Il est donc nécessaire de distinguer les «utilisations d’une information privilégiée» qui sont susceptibles de porter atteinte à ces intérêts de celles qui ne le sont pas.

47      Il convient, à cette fin, de se référer à la finalité de la directive 2003/6. Ainsi qu’il ressort de son titre, celle-ci vise à lutter contre les abus de marché. Ses deuxième et douzième considérants énoncent que, à l’instar de la directive 89/592, elle interdit les opérations d’initiés dans le but de protéger l’intégrité des marchés financiers et de renforcer la confiance des investisseurs, confiance qui repose, notamment, sur le fait qu’ils seront placés sur un pied d’égalité et protégés contre l’utilisation illicite d’informations privilégiées (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang, C 384/02, Rec. p. I 9939, points 22 et 33).

48      L’interdiction des opérations d’initiés énoncée à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 vise ainsi à garantir l’égalité des cocontractants dans une transaction boursière en évitant que l’un d’eux, qui détient une information privilégiée et se trouve, de ce fait, dans une position avantageuse par rapport aux autres investisseurs, en tire profit au détriment de ceux qui l’ignorent (voir, par analogie, arrêt du 10 mai 2007, Georgakis, C 391/04, Rec. p. I 3741, point 38).

49      Dans le mémorandum explicatif accompagnant sa proposition à l’origine de la directive 2003/6, la Commission indiquait ainsi qu’il «peut y avoir abus de marché dans les cas où des investisseurs ont été lésés, directement ou indirectement, par d’autres qui […] ont utilisé à leur avantage ou à l’avantage de tiers des informations qui n’étaient pas publiques […]. Ce type de conduite peut donner une image trompeuse des opérations sur instruments financiers et porter atteinte au principe général qui veut que tous les investisseurs soient placés sur un pied d’égalité […] en termes d’accès à l’information. Les initiés sont en possession d’informations confidentielles. Les opérations fondées sur ces informations leur confèrent des avantages économiques injustifiés aux dépens des ‘non-initiés’». La proposition de directive reposait donc sur la volonté d’interdire aux initiés de tirer avantage d’une information privilégiée en effectuant une opération de marché au détriment des autres intervenants sur le marché ne possédant pas une telle information.

50      Par conséquent, il existe un lien étroit entre la prohibition des opérations d’initiés et la notion d’information privilégiée, celle-ci étant définie à l’article 1er de la directive 2003/6 comme une «information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique», se rapportant à des émetteurs d’instruments financiers ou à des instruments financiers et qui, «si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés».

51      Afin de renforcer la sécurité juridique pour les participants aux marchés, la directive 2003/124 a précisé la définition de deux éléments essentiels de l’information privilégiée, à savoir le caractère précis de cette information et l’ampleur de son impact potentiel sur les cours. L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive prévoit ainsi qu’une information «est réputée à ‘caractère précis’ si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés». Cet article 1er, paragraphe 2, énonce qu’une information susceptible d’influer de façon sensible sur le cours des instruments financiers concernés est celle «qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement».

52      Grâce à son caractère non public, précis et à son aptitude à influer de façon sensible sur le cours des instruments financiers concernés, une information privilégiée procure ainsi à l’initié qui la détient un avantage par rapport à tous les autres intervenants sur le marché qui l’ignorent. En effet, elle permet à cet initié, lorsqu’il agit de manière concordante avec cette information en effectuant une opération de marché, d’escompter en retirer un avantage économique sans pour autant s’exposer aux mêmes risques que les autres intervenants sur le marché. La caractéristique essentielle de l’opération d’initié réside donc dans le fait de tirer indûment avantage d’une information au détriment de tiers qui n’en ont pas connaissance et, par voie de conséquence, de porter atteinte à l’intégrité des marchés financiers ainsi qu’à la confiance des investisseurs.

53      Par conséquent, la prohibition des opérations d’initiés s’applique lorsqu’un initié primaire qui détient une information privilégiée fait une utilisation indue de l’avantage que lui procure cette information en effectuant une opération de marché concordant avec cette information.

54      Il s’ensuit que le fait qu’un initié primaire qui détient une information privilégiée effectue une opération de marché sur les instruments financiers auxquels se rapporte cette information implique que cette personne a «utilisé cette information» au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6, sous réserve du respect des droits de la défense et, en particulier, du droit de pouvoir renverser cette présomption.

55      Toutefois, afin de ne pas étendre la prohibition prévue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 au-delà de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par cette directive, certaines situations peuvent requérir un examen approfondi des circonstances de fait permettant de s’assurer que l’utilisation de l’information privilégiée revêt effectivement le caractère indu que ladite directive vise à proscrire au nom de l’intégrité des marchés financiers et de la confiance des investisseurs.

56      À cet égard, il convient de relever que le préambule de la directive 2003/6 fournit plusieurs exemples de situations dans lesquelles le fait, pour un initié primaire en possession d’une information privilégiée, d’effectuer une opération de marché ne devrait pas, en soi, constituer une «utilisation d’une information privilégiée», au sens de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive.

57      Ainsi, le dix-huitième considérant de la directive 2003/6 rappelle que l’utilisation d’une information privilégiée «peut consister dans l’acquisition ou la cession d’instruments financiers alors que la partie concernée savait ou aurait dû savoir que l’information détenue avait un caractère privilégié». Cette hypothèse est, en effet, expressément visée à l’article 4 de cette directive, qui étend l’interdiction des opérations d’initiés à toute personne qui a ou devrait avoir connaissance du caractère privilégié d’une information en sa possession. Néanmoins, l’application automatique de ces critères à certains professionnels des marchés financiers, qui sont amenés à détenir des informations privilégiées relatives à des opérations de marché effectuées par des tiers, risquerait de conduire à leur interdire de poursuivre leur activité, pourtant légitime et utile au bon fonctionnement des marchés financiers. Le dix-huitième considérant de ladite directive précise, à cet égard, que l’appréciation de ce qu’une personne raisonnable sait ou devrait savoir relève des autorités compétentes, «compte tenu des circonstances».

58      En outre, ce considérant précise que le simple fait que les teneurs de marché, les organismes habilités à agir en qualité de contrepartie et les personnes habilitées à exécuter des ordres pour des tiers disposant d’une information de marché se bornent à effectuer des opérations de marché d’une manière légitime et conformément aux règles qui leurs sont applicables «ne devrait pas en soi être réputé constituer une utilisation de cette information privilégiée».

59      Le vingt-neuvième considérant de la directive 2003/6 précise que le fait d’avoir accès à une information privilégiée concernant une autre société et d’utiliser cette information dans le cadre d’une offre publique d’acquisition ou d’une proposition de fusion «ne devrait pas être réputé constituer en soi une opération d’initié». En effet, l’opération qui consiste, pour une entreprise, après avoir obtenu des informations privilégiées concernant une société cible, à lancer, par la suite, une offre publique d’acquisition sur le capital de cette dernière à un cours supérieur à celui du marché ne saurait, en principe, être considérée comme une opération d’initié prohibée puisqu’elle ne porte pas atteinte aux intérêts protégés par cette directive.

60      Le trentième considérant de la directive 2003/6 énonce que l’exécution d’une opération de marché supposant nécessairement une décision préalable de la part de son auteur, le fait d’effectuer cette opération «ne devrait pas être réputé constituer en soi une utilisation d’une information privilégiée». Si tel n’était pas le cas, l’article 2, paragraphe 1, de cette directive pourrait, notamment, aboutir à interdire à la personne qui a décidé de lancer une opération publique d’acquisition d’exécuter cette décision, celle-ci étant une information privilégiée. Or, un tel résultat, non seulement excéderait ce qui peut être considéré comme approprié et nécessaire pour atteindre les objectifs de ladite directive, mais pourrait même porter atteinte au bon fonctionnement des marchés financiers en empêchant les offres publiques d’acquisition.

61      Il ressort de ce qui précède que la question de savoir si un initié primaire qui détient une information privilégiée «utilise cette information» au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 doit être déterminée à la lumière de la finalité de cette directive, qui consiste à protéger l’intégrité des marchés financiers et à renforcer la confiance des investisseurs, confiance qui repose, notamment, sur l’assurance qu’ils seront placés sur un pied d’égalité et protégés contre l’utilisation indue d’informations privilégiées. Seule une utilisation contraire à cette finalité constitue une opération d’initié prohibée.

62      Dès lors, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 doit être interprété en ce sens que le fait qu’une personne visée au second alinéa de cette disposition qui détient une information privilégiée acquiert ou cède ou tente d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, soit directement, soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information implique que cette personne a «utilisé cette information» au sens de ladite disposition, sous réserve du respect des droits de la défense et, en particulier, du droit de pouvoir renverser cette présomption. La question de savoir si ladite personne a enfreint l’interdiction des opérations d’initiés doit être analysée à la lumière de la finalité de cette directive, qui est de protéger l’intégrité des marchés financiers et de renforcer la confiance des investisseurs, laquelle repose, notamment, sur l’assurance que ces derniers seront placés sur un pied d’égalité et protégés contre l’utilisation indue d’informations privilégiées.

 Sur la première question

63      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si la directive 2003/6 constitue une harmonisation complète de l’interdiction des opérations d’initiés, de telle sorte que les États membres ne pourraient en donner une définition plus rigoureuse que celle prévue à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive.

64      Il ressort de la décision de renvoi que cette question a été posée dans l’hypothèse où l’article 2, paragraphe 1, de la directive interdirait de considérer que le fait qu’un initié primaire qui détient une information privilégiée effectue une opération de marché sur les instruments financiers auxquels se rapporte cette information puisse impliquer que cette personne a «utilisé cette information» au sens de cette disposition. Or, compte tenu de la réponse apportée aux deuxième et troisième questions préjudicielles, force est de constater que l’hypothèse sur laquelle repose cette première question n’est pas constituée. Dès lors, il n’y a pas lieu d’y répondre.

 Sur les quatrième et cinquième questions

65      Par ces deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, afin de sanctionner une opération d’initié dans le respect du principe de proportionnalité, il est nécessaire de prendre en considération le bénéfice réalisé et, dans l’affirmative, à quelle date ce bénéfice doit être évalué.

66      Ladite juridiction demande, en outre, si la divulgation d’une information privilégiée doit être réputée avoir influé sur le cours de l’instrument financier concerné et, si tel est le cas, quel est le seuil à partir duquel cette influence peut être qualifiée de sensible.

67      En réponse à ce dernier point, il convient de souligner que l’aptitude d’une information à affecter de manière sensible le cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte est l’un des éléments caractéristiques de la notion d’information privilégiée.

68      En effet, ainsi qu’il a été dit au point 51 du présent arrêt, la notion d’«information privilégiée», définie à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/6, se caractérise notamment par le fait que, si cette information était rendue publique, elle «serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours des instruments dérivés qui leur sont liés», cette notion ayant elle-même été précisée à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/124 comme étant une «information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement».

69      Conformément à la finalité de la directive 2003/6, cette aptitude à influer de manière sensible sur les cours doit s’apprécier, a priori, à la lumière du contenu de l’information en cause et du contexte dans lequel elle s’inscrit. Il n’est donc pas nécessaire, afin de déterminer si une information est privilégiée, d’examiner si sa divulgation a effectivement influé de façon sensible sur le cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte.

70      S’agissant de la première partie de ces questions, il convient de rappeler que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 prévoit que les États membres veillent à ce que, conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de cette directive. Les États membres sont, à cet égard, tenus de garantir que ces mesures sont effectives, proportionnées et dissuasives.

71      Force est de constater que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 n’établit aucun critère pour l’appréciation du caractère effectif, proportionné et dissuasif d’une sanction. La définition de ces critères relève de la législation nationale.

72      Il convient cependant de relever que le trente-huitième considérant de la directive 2003/6 énonce que les sanctions devraient être suffisamment dissuasives, proportionnées à la gravité de l’infraction et aux profits réalisés et devraient être appliquées de manière cohérente.

73      Il convient, dès lors, de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 doit être interprété en ce sens que l’avantage économique résultant d’une opération d’initié peut constituer un élément pertinent aux fins de la détermination d’une sanction effective, proportionnée et dissuasive. La méthode de calcul de cet avantage économique et, en particulier, la date ou la période à prendre en considération relèvent du droit national.

 Sur la sixième question

74      La juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 doit être interprété en ce sens que, si un État membre a prévu, hormis les sanctions administratives visées par cette disposition, la possibilité d’infliger une sanction pécuniaire de nature pénale, il y a lieu, au stade de la détermination de la sanction administrative, de prendre en considération la possibilité et/ou le niveau d’une éventuelle sanction pénale pécuniaire ultérieure.

75      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 exige des États membres que les mesures ou les sanctions administratives qu’ils imposent aux personnes responsables d’un abus de marché, tel qu’une opération d’initié, soient effectives, proportionnées et dissuasives, sans préjudice du droit des États membres d’infliger des sanctions pénales.

76      Cette disposition ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle impose aux autorités nationales compétentes l’obligation de prendre en considération, au stade de la détermination d’une sanction pécuniaire de nature administrative, la possibilité de l’infliction d’une éventuelle sanction pécuniaire de nature pénale ultérieure. En effet, l’appréciation du caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions administratives prévues par la directive 2003/6 ne saurait dépendre d’une hypothétique sanction pénale ultérieure.

77      Par conséquent, il convient de répondre à la sixième question que l’article 14 de la directive 2003/6 doit être interprété en ce sens que, si un État membre a prévu, hormis les sanctions administratives visées par cette disposition, la possibilité d’infliger une sanction pécuniaire de nature pénale, il n’y a pas lieu de prendre en considération, aux fins de l’appréciation du caractère effectif, proportionné et dissuasif de la sanction administrative, la possibilité et/ou le niveau d’une éventuelle sanction pénale ultérieure.

 Sur les dépens

78      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) doit être interprété en ce sens que le fait qu’une personne visée au second alinéa de cette disposition qui détient une information privilégiée acquiert ou cède ou tente d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, soit directement, soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information implique que cette personne a «utilisé cette information» au sens de ladite disposition, sous réserve du respect des droits de la défense et, en particulier, du droit de pouvoir renverser cette présomption. La question de savoir si ladite personne a enfreint l’interdiction des opérations d’initiés doit être analysée à la lumière de la finalité de cette directive, qui est de protéger l’intégrité des marchés financiers et de renforcer la confiance des investisseurs, laquelle repose, notamment, sur l’assurance que ces derniers seront placés sur un pied d’égalité et protégés contre l’utilisation indue d’informations privilégiées.

2)      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 doit être interprété en ce sens que l’avantage économique résultant d’une opération d’initié peut constituer un élément pertinent aux fins de la détermination d’une sanction effective, proportionnée et dissuasive. La méthode de calcul de cet avantage économique et, en particulier, la date ou la période à prendre en considération relèvent du droit national.

3)      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 doit être interprété en ce sens que, si un État membre a prévu, hormis les sanctions administratives visées par cette disposition, la possibilité d’infliger une sanction pécuniaire de nature pénale, il n’y a pas lieu de prendre en considération, aux fins de l’appréciation du caractère effectif, proportionné et dissuasif de la sanction administrative, la possibilité et/ou le niveau d’une éventuelle sanction pénale ultérieure.