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Décisions

Cass. crim., 7 avril 1986, n° 85-95.225

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Escande

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Clerget

Avocat :

SCP Nicolas, Massé-Dessen et Georges

Paris, du 9 juill. 1985

9 juillet 1985

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 150, 151, 177 alinéa 2, 460 du Code pénal, des articles 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de recel des délits de faux et usage de faux, commis par ses coïnculpés, et de corruption passive d'employé, et en répression l'a condamné à une peine d'emprisonnement ferme, à une amende, et a décerné mandat d'arrêt contre lui ;

" aux motifs qu'il a reçu à plusieurs reprises des sommes d'argent prélevées sur celles obtenues par ses coïnculpés à l'aide de faux en écritures de commerce, et ce, à l'insu et sans le consentement de son patron, pour faire des actes de son emploi ;

" alors que l'arrêt attaqué laisse sans réponse les conclusions péremptoires du demandeur, selon lesquelles la perception de pourboires par les employés de banque procède d'un usage constant, et selon lesquelles, conformément à cet usage, ces sommes ont été par lui remises dans la caisse " noire " commune à l'ensemble du personnel ; "

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 150, 151, 460 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable de faux en écritures de commerce et usage, délits dont il déclarait coupables Y... et Z... ;

" aux motifs que Y... et Z... ont établi des factures fictives et fait usage de celles-ci pour percevoir les sommes dues en réalité à des travailleurs clandestins en conservant pour eux le montant de la T. V. A., portant ainsi préjudice aux droits de l'Etat ; que cependant ils n'ont pas commis le délit d'escroquerie qui leur est reproché, ces manoeuvres frauduleuses n'ayant pas été déterminantes de la remise par les donneurs d'ouvrage du montant de la T. V. A. correspondant aux prestations réellement fournies, l'exigibilité du paiement de cet impôt résultant de la loi fiscale elle-même et non des fausses factures établies ;

" alors que le faux et l'usage de faux ne sont pénalement punissables que si un préjudice actuel ou possible est susceptible d'en résulter ; qu'en l'espèce il résulte de l'arrêt attaqué que les fausses factures n'ont causé aucun préjudice aux donneurs d'ouvrage ; que d'autre part, si l'Etat a subi un préjudice du fait du non-paiement de la T. V. A., ce préjudice ne provient pas des fausses factures elles-mêmes qui au contraire consacraient les droits de l'Etat, mais du refus par les auteurs des fausses factures d'acquitter cet impôt exigible ; qu'ainsi le délit de faux et usage n'était pas constitué ; "

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 150, 151, 460 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de recel de faux et usage de faux commis par ses deux coïnculpés, et en répression l'a condamné à une peine d'emprisonnement ferme et à une amende, et décerné mandat d'arrêt contre lui ;

" aux motifs que le demandeur avait conscience du caractère anormal et illicite de l'activité de l'entreprise Stotex, au plus tard à compter de septembre 1983 ; que celle-ci n'avait plus d'adresse et que son responsable, interdit bancaire, ne pouvait être joint au téléphone ; que le compte bancaire litigieux, en permanence débiteur, ne fonctionnait que par remises de chèques et décaissements immédiats en espèces du montant desdits chèques, pratique considérée comme anormale par les supérieurs hiérarchiques du demandeur ; qu'en recevant des sommes d'argent prélevées sur celles obtenues par Y... et Z... à l'aide de faux en écritures de commerce, le demandeur s'est rendu coupable de recel ;

" alors que la tenue même irrégulière ou anormale d'un compte bancaire et la perception, fût-elle illicite, de pourboires pour rémunérer les opérations bancaires prétendument anormales n'impliquent nullement la connaissance de l'illicéité de l'activité exercée par le titulaire dudit compte bancaire, l'existence des fausses factures établies par celui-ci et l'origine délictueuse des fonds remis à la banque ; qu'est en conséquence insuffisamment motivé l'arrêt qui déduit de ces seules énonciations relatives au fonctionnement du compte la connaissance d'illicéité de ladite activité et partant l'existence du délit de recel ; "

Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l'article 177 alinéa 2 du Code pénal, des articles 427, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de corruption passive d'employé et, en répression, l'a condamné à une peine d'emprisonnement et à une amende, et décerné mandat d'arrêt contre lui ;

" aux motifs qu'il est établi par les éléments du dossier et en particulier par les déclarations précises, concordantes et réitérées de Y... et Z... qu'il avait été convenu entre ces derniers et le demandeur, qu'en contrepartie des décaissements sur chèques indisponibles, une commission serait versée à ce dernier, qu'ainsi en recevant à plusieurs reprises des sommes d'argent à l'insu et sans le consentement de son patron, pour faire des actes de son emploi, le demandeur s'est rendu coupable de corruption passive, la prévention étant requalifiée en corruption d'employé, le demandeur n'étant pas fonctionnaire ;

" alors que, d'une part, saisie in rem, la juridiction de jugement ne pouvait disqualifier le délit de corruption de fonctionnaire visé par la prévention en délit de corruption d'employé, lequel suppose la constatation d'un fait non visé par la prévention, à savoir que la remise ait été faite " à l'insu et sans le consentement de son patron " ;

" alors que, de seconde part, manque de base légale l'arrêt attaqué qui ne recherche pas si les remises de " pourboires " ont précédé ou suivi les opérations bancaires accomplies par le demandeur, auquel cas elles ne présenteraient aucun caractère délictueux ;

" alors, encore, qu'à supposer que l'arrêt attaqué ait entendu, implicitement, caractériser l'antériorité de la remise par la constatation qu'une convention a été conclue entre Y... et le demandeur pour le versement à ce dernier d'une commission, l'arrêt attaqué est insuffisamment motivé faute d'avoir précisé sur quels éléments de preuve soumis au débat contradictoire il se fondait pour affirmer que l'existence de ladite convention était établie par les " déclarations précises, concordantes et réitérées de Y... et Z... " ;

" alors enfin que l'arrêt relève que seul Z... a invoqué l'existence d'une convention entre Y... et X... ; qu'il résulte du dossier que Y... a déclaré n'avoir été lié par aucune demande de X... ; qu'il n'est pas allégué qu'il soit ensuite revenu sur ses déclarations ; que dès lors est entaché de contradiction l'arrêt qui se fonde sur les déclarations réitérées de Y... établissant une telle convention ; "

Lesdits moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, sous la raison sociale " Stotex ", entreprise sans aucune activité réelle de production, Y... et Z... ont établi un grand nombre de factures, ne correspondant à aucune prestation, mais utilisées par des responsables d'ateliers clandestins de confection pour couvrir leurs activités délictueuses ; que lesdites factures permettaient aux façonniers de recevoir, en paiement de leurs prestations, des chèques émis par les donneurs d'ouvrage à l'ordre de cette fausse entreprise ; que les chèques étaient remis à Y... et Z... qui les déposaient pour encaissement sur un compte ouvert dans une antenne du Crédit lyonnais, dirigée par X... ; qu'avec l'accord de ce dernier, les deux hommes procédaient simultanément à des retraits en espèces, correspondant au montant des chèques déposés ; qu'ils remettaient ensuite aux façonniers, en espèces, les sommes correspondant au travail fourni, tout en retenant pour eux les 18,60 % de ces prestations, correspondant au montant de la T. V. A., payée par les donneurs d'ouvrage ; que lors de ces retraits, Y... et Z... laissaient à X... des sommes d'un montant variable ;

Attendu que pour retenir la culpabilité de X... des chefs de recel et de corruption passive d'employé, la Cour d'appel relève notamment que celui-ci avait eu conscience du caractère anormal et illicite de l'activité de l'entreprise Stotex, au plus tard à compter de septembre 1983 ; qu'en effet, cette société n'avait plus d'adresse, que son responsable, interdit bancaire, ne pouvait être joint que par téléphone, que le compte bancaire litigieux, en permanence débiteur, ne fonctionnait que par remises de chèques suivies immédiatement de décaissements en espèces du montant des chèques ; que ces curieuses opérations étaient effectuées, contrairement à la pratique bancaire courante, dans le bureau du prévenu ; que malgré les dénégations de ce dernier selon lesquelles les sommes reçues par lui ne constituaient que des pourboires modestes et épisodiques, conformément, selon lui, à un usage très répandu dans les agences de banque et avaient été reversées dans la caisse commune à l'ensemble du personnel de son agence, il est établi par les éléments du dossier que Y... et Z... avaient laissé à X..., à plusieurs reprises, des sommes d'argent d'un montant variable mais pouvant atteindre plusieurs milliers de francs ;

Que la Cour en déduit qu'en recevant ces sommes prélevées sur d'autres, plus importantes, obtenues à l'aide de faux en écriture de commerce, X... s'est rendu coupable de recel et qu'en les recevant à l'insu et sans le consentement de son patron, pour faire des actes de son emploi, il s'est rendu coupable de corruption passive d'employé, un salarié d'une banque nationalisée ne pouvant être assimilé à un fonctionnaire ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, fondées sur l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de preuve qui leur étaient soumis, la Cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé, en tous leurs éléments constitutifs, les délits retenus à l'encontre du demandeur ;

Qu'en effet l'absence de consentement de l'employeur de X... était déjà visée dans les poursuites initiales de corruption passive de fonctionnaire ; qu'en outre, le caractère répété des versements effectués en contrepartie des décaissements sur chèques indisponibles démontrait que ces avantages avaient nécessairement précédé les agissements des corrupteurs ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 464-1, 465, 569, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a décerné mandat d'arrêt contre le demandeur ;

" aux seuls motifs qu'il y a lieu d'ordonner cette mesure particulière de sûreté pour préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction et pour garantir le maintien de ce prévenu à la disposition de la justice ;

" alors que ces considérations de portée générale touchant la protection de l'ordre public et la nécessité de garantir la représentation du prévenu, qui ne sont corroborées par aucun élément de fait, ne constituent pas la motivation spéciale exigée par la loi ; "

Attendu qu'après avoir retenu la culpabilité de X... et prononcé contre lui la peine de deux ans d'emprisonnement et 20 000 F d'amende, la Cour d'appel, pour décerner mandat d'arrêt à son encontre, énonce que les infractions par lui commises sont d'une réelle gravité, dans la mesure où elles ont permis pendant une longue période l'accomplissement d'actes illicites particulièrement nuisibles aux intérêts économiques de la nation et qu'une mesure de sûreté s'impose pour préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction et garantir le maintien de ce prévenu à la disposition de la justice ;

Attendu qu'en cet état, la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que le mandat d'arrêt a été décerné, par une décision spéciale et motivée, et d'après les éléments de l'espèce, conformément à l'article 465 du Code de procédure pénale ;

Que le moyen doit, dès lors, être rejeté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.