Livv
Décisions

Cass. crim., 4 février 1997, n° 96-81.227

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Joly

Avocat général :

M. Le Foyer de Costil

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, Me Blanc, Me Delvolvé

Douai, du 28 nov. 1995

28 novembre 1995

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

I. Sur le pourvoi de Bernard X... :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 406, 512 et 592 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, manque de base légale :

" en ce qu'aucune des mentions de l'arrêt attaqué ne constate que le ministère public, qui fait partie intégrante de la juridiction, a été entendu en ses réquisitions ; que la preuve de l'accomplissement de cette formalité substantielle, qui s'impose au second comme au premier degré, doit résulter de la décision elle-même de sorte que la cassation est encourue " ;

Attendu que l'arrêt attaqué mentionne qu'à l'audience des débats, à laquelle était présent M. Frémiot, substitut du procureur général, " les parties en cause ont eu la parole dans l'ordre prévu par les articles 513 et 460 du Code de procédure pénale " ;

Attendu qu'une telle mention implique que le ministère public a été entendu en ses réquisitions ;

Que, dès lors, le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 152-6 du Code du travail, 131-26 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard X... coupable du délit de corruption active de salariés et l'a condamné de ce chef à la peine de 2 années d'emprisonnement dont 16 mois assortis du sursis et à 20 000 francs d'amende ;

" aux motifs qu'il était essentiel pour l'équipe de l'OM que le match du 20 mai 1993 soit gagné de manière à ce que les joueurs soient prêts à se présenter à la coupe d'Europe prévue pour le 25 mai 1993 et à remporter cette épreuve qui consacrerait la réussite de Bernard X... ; que le nom de Bernard X... a été évoqué à plusieurs reprises concernant des propos attribués à Jean-Jacques Y... ; que Jean-Pierre Z... a répété que le principe de la corruption avait été décidé sur Le Phocéa à la date du 16 mai 1993 par Bernard X... et que des ordres lui avaient été donnés en ce sens ; que seul Bernard X... avait les moyens, l'autorité et la psychologie nécessaires pour décider de la corruption, Jean-Pierre Z... étant dans l'impossibilité pratique d'avoir agi sans l'ordre de corruption du président de l'OM ; que Bernard X..., Jean-Pierre Z... et Jean-Jacques Y... ont usé de promesses et de dons envers Christophe A... et Jorge B... qui les ont acceptés, pour obtenir un match terne et sans relief au profit de l'OM, l'argent ayant été remis aux corrompus grâce à l'action consciente de Marie-Christine C..., épouse A... ;

" 1° alors que le délit de corruption de salarié prévu à l'article 152-6 du Code du travail, applicable aux faits reprochés, n'est caractérisé que si l'offre ou la remise de dons a été faite à l'insu de l'employeur ; que le caractère secret de la sollicitation disparaît lorsque l'un des salariés approchés par le prétendu corrupteur révèle aux dirigeants du club qui l'emploie l'existence d'une offre de rémunération illicite réalisée avant que la rencontre n'ait lieu ; qu'il importe peu que le témoignage de ce joueur soit isolé, la preuve de la connaissance de l'existence d'une démarche de corruption est suffisamment établie par cette révélation ; que, dès lors, les juges d'appel après avoir constaté la réalité de la dénonciation de corruption faite par Jacques D...auprès de Boro E... et Michel F..., dirigeants de l'USVA, avant la rencontre du 20 mai 1993, ne pouvaient conclure que les dirigeants du club valenciennois ignoraient l'existence d'une sollicitation de corruption sans priver de base légale leur décision ;

" 2° alors que le délit de corruption susvisé n'est caractérisé que si l'offre ou la remise de dons, connue de l'employeur, a été réalisée sans son approbation ; que l'approbation qui ôte aux offres et remises reprochées leur caractère délictueux peut être établie par voie d'autorisation expresse ou seulement implicite, dès lors où l'employeur, informé des faits, ne manifeste aucune opposition ; qu'en l'espèce, les dirigeants de l'USVA, qui ont dès 13 heures 30, avant le match prévu à 20 heures, été informés de l'existence d'une offre de corruption adressée à l'un de leurs joueurs, ne se sont aucunement opposés au maintien de la rencontre, acceptant de la sorte que certains d'entre eux n'aient pas un comportement loyal au cours de la réunion sportive ; qu'en conséquence, en s'abstenant de s'opposer à la rencontre entre l'OM et l'USVA, les dirigeants du club de Valenciennes ont implicitement approuvé les sollicitations dont a été l'objet Jacques D..., de sorte que l'infraction n'est pas caractérisée " ;

Attendu que, pour déclarer Bernard X..., président de l'association " Olympique de Marseille ", coupable de corruption active de salariés, l'arrêt attaqué énonce que, par le truchement de 2 co-prévenus, il a usé de promesses et de dons envers des joueurs de l'équipe de football de l'Union sportive Valenciennes-Anzin, afin que ceux-ci " lèvent le pied " et lui " facilitent le gain d'un match " ; que les juges ajoutent que " la corruption n'a pas été faite au su et avec l'autorisation " des dirigeants du club de Valenciennes ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé, en tous ses éléments, le délit retenu à l'encontre du demandeur ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 121-1 du Code pénal, 365 ancien du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard X... coupable de subornation du témoin Boro E... le 17 juin 1993 et l'a condamné de ce chef ;

" aux motifs qu'aux dires de Boro E...lors d'une entrevue non prévue, réalisée au siège parisien de Bernard X... Finances où il était reçu pendant quelques minutes par Bernard X... lui-même, celui-ci lui avait demandé de déclarer aux enquêteurs que, dans la soirée du 19 mai 1993, étant au Novotel de Valenciennes, il avait reçu un appel téléphonique de Jean-Pierre Z...mais qu'il avait aussitôt raccroché ; qu'ultérieurement, Bernard X... lui avait proposé une place d'entraîneur dans l'un des clubs proches de l'OM et qu'après avoir quitté les locaux de l'homme d'affaires et rejoint André G..., celui-ci lui proposait une somme de 300 000 francs à 500 000 francs s'il acceptait l'offre de Bernard X... ; que la réalité de la rencontre entre Bernard X... et Boro E... n'établit pas la subornation mais son organisation manifeste par Bernard X... ; que Boro E... a fait l'objet de la part de Bernard X... de promesses et de pressions en vue d'apporter un faux témoignage en justice ;

" alors que le délit de subornation de témoin, prévu à l'ancien article 365 du Code pénal, applicable aux faits commis le 17 juin 1993, n'est caractérisé qu'à la double condition que les promesses ou pressions aient précédé la demande de déposition mensongère adressée à un témoin et qu'elles émanent de l'auteur de la sollicitation ; qu'en relevant que Bernard X... aurait proposé à Boro E... d'affirmer qu'il avait reçu un appel téléphonique de Jean-Pierre Z...au Novotel de Valenciennes, que seulement ultérieurement il lui aurait proposé une place d'entraîneur et que André G... encore plus tardivement lui aurait proposé la remise d'une somme d'argent, les juges du fond n'ont pas constaté l'antériorité des propositions faites pour obtenir le témoignage désiré, de sorte que la sollicitation prétendument effectuée constitue une demande non visée par l'article 365 ancien du Code pénal et qu'ainsi la décision n'est pas légalement justifiée " ;

Attendu que, pour déclarer Bernard X... coupable d'une subornation de témoin commise à l'égard de Boro E..., l'arrêt attaqué énonce que, lors d'une entrevue au siège de la société Bernard X... Finances, le prévenu a demandé à l'intéressé de faire des déclarations mensongères au cours d'une procédure relative aux faits de corruption dénoncés ; que les juges ajoutent que " dans la suite de la conversation " le prévenu lui a proposé une place d'entraîneur ; qu'ils en déduisent que le témoin " a fait l'objet de la part de Bernard X... de promesses et de pressions en vue d'apporter un faux témoignage en justice " ;

Attendu qu'en cet état, dès lors que le délit de subornation de témoin n'exige pas que les promesses, offres ou pressions aient précédé la demande de déposition mensongère, la cour d'appel a fait l'exacte application tant de l'article 365 ancien que de l'article 434-15 nouveau du Code pénal ;

Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation de l'ancien article 365 du Code pénal, 434-15 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard X... coupable du délit de subornation de témoin commis auprès de Jean-Jacques Y... et l'a condamné de ce chef ;

" alors que l'arrêt ne pouvait, sans se contredire, constater que le 16 septembre 1993 a eu lieu une rencontre entre Bernard X... et Jean-Jacques Y... au domicile parisien du prévenu au cours de laquelle celui-ci aurait tenté d'obtenir du joueur marseillais la rétractation de ses aveux en échange d'un nouveau contrat au club de l'OM et néanmoins déclarer être convaincu que, le 12 juillet 1993, au domicile de Bernard X..., organisateur de la rencontre, celui-ci a usé à l'égard de Jean-Jacques Y... de dons, de promesses et menaces pour que le joueur revienne sur ses aveux de corruption qu'il avait passés devant le juge et qui compromettaient le président de l'OM ; que la décision est ainsi privée de toute base légale " ;

Attendu que, si l'arrêt énonce que la subornation du témoin Jean-Jacques Y... a été commise le 12 juillet au lieu du 16 septembre 1993, il résulte des autres énonciations de la décision qu'il ne s'agit que d'une erreur matérielle ne pouvant donner ouverture à cassation ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes du 8 avril 1965, 4 § 2 de l'acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct du 20 septembre 1976, 6 du règlement du Parlement européen, 26 de la Constitution du 4 octobre 1958 pris en sa rédaction du 4 août 1995, 131-6 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé une peine privative de liberté de 2 années dont 8 mois ferme contre Bernard X..., membre du Parlement français et membre du Parlement européen, sans qu'il y ait eu levée de l'inviolabilité parlementaire dont il bénéficiait ;

" 1° alors qu'aux termes des dispositions de l'article 26, alinéa 2, de la Constitution du 4 octobre 1958, pris en sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, applicable aux faits selon les dispositions de l'article 68-3 de la Constitution, aucune arrestation ou toute autre mesure privative ou restrictive de liberté ne peut être décidée sans l'autorisation du bureau de l'Assemblée auquel appartient le membre du Parlement français, à l'exception des crimes ou délits flagrants ou en cas de décision définitive ; qu'en conséquence, aucune condamnation à une peine privative de liberté non assortie du sursis, rendue par une décision susceptible de voies de recours, ne peut être prononcée à l'encontre d'un membre du Parlement français sans autorisation du bureau de l'Assemblée concernée ; qu'en l'espèce, le 28 novembre 1995, date à laquelle la cour de Douai a déclaré Bernard X... coupable des faits reprochés et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de 2 années dont 8 mois ferme, le bureau de l'Assemblée nationale dont le demandeur est un représentant, n'avait donné aucun avis favorable à une demande de levée d'inviolabilité concernant les faits reprochés et s'était même précédemment opposé à une telle demande au cours de l'information par décision du 10 janvier 1994 ; que, dès lors, en prononçant à l'encontre d'un membre du Parlement français une peine privative de liberté non assortie du sursis par une décision non définitive, les juges du fond ont violé les règles d'ordre public organisant la protection des parlementaires et gravement porté atteinte aux droits de la défense ;

" 2° alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 10 du Protocole sur les privilèges et immunités parlementaires daté du 8 avril 1965, 4 § 2 de l'acte du 20 septembre 1976 portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, 6 du règlement du Parlement européen et de l'article 26 de la Constitution du 4 octobre 1958 pris en sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, qu'aucune condamnation privative ou restrictive de liberté ne peut être prononcée contre un membre du Parlement européen de nationalité française, pour des faits commis antérieurement, sans autorisation du Parlement européen rendue après rapport établi par la commission chargée de la vérification des pouvoirs et des immunités ; qu'en l'espèce, le 28 novembre 1995, date à laquelle la cour de Douai a déclaré Bernard X..., membre du Parlement européen depuis le 12 juin 1994, coupable des faits reprochés et condamné à une peine d'emprisonnement de 2 années dont 8 mois ferme, le Parlement européen n'avait donné aucune autorisation de levée d'inviolabilité parlementaire pour les faits objet de la poursuite ; que dès lors, en prononçant une peine privative de liberté par une décision non revêtue de la force de chose jugée à l'encontre d'un membre du Parlement européen, les juges d'appel ont violé les droits de la défense et les textes susvisés " ;

Attendu que le demandeur ne saurait reprocher à l'arrêt attaqué d'avoir, au mépris de l'article 26 de la Constitution et des dispositions conventionnelles invoquées, prononcé contre lui une peine d'emprisonnement pour partie ferme, sans que l'inviolabilité dont il bénéficiait à la date de la décision ait été levée, dès lors que cette peine, en application de l'article 569 du Code de procédure pénale, n'était pas susceptible d'exécution immédiate ;

Qu'ainsi le moyen ne peut qu'être écarté ;

II. Sur les pourvois de la Fédération française de football et de la Ligue nationale de football :

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de la Fédération française de football et de la Ligue nationale de football tendant à la réparation du préjudice causé par des faits de corruption active et passive et de complicité de corruption, commis en vue d'aider l'équipe de l'Olympique de Marseille à gagner le match de football du 20 mai 1993 qui l'opposait à l'équipe de l'Union sportive Valenciennes-Anzin ;

" aux motifs que, même si ces 2 organismes avaient pour mission d'assurer la défense des intérêts collectifs du football professionnel, il n'apparaissait pas qu'ils puissent justifier d'un préjudice personnel en relation directe avec l'infraction et qu'ils n'étaient pas autorisés à agir par un texte spécial applicable à la corruption ;

" alors, d'une part, que les fédérations sportives et leurs délégués exercent en vertu de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984 " une mission de service public " consistant notamment " à faire respecter les règles techniques et déontologiques de leurs disciplines ", que les faits de corruption et de complicité de corruption en vue de gagner un match constituent un manquement grave à ces règles et portent atteinte aux intérêts légaux que ces organismes ont, en vertu de leur mission légale, la charge de protéger et qu'ils sont donc recevables à se constituer partie civile pour obtenir réparation du préjudice direct et personnel que leur causent ces infractions ;

" alors, d'autre part, que la cour d'appel s'est contredite en affirmant que ces 2 organismes ne justifiaient pas d'un préjudice personnel en relation directe avec l'infraction tout en constatant par ailleurs que ces faits avaient gravement porté atteinte à la morale du sport et à celle du football en particulier " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la Fédération française de football et de la Ligue nationale de football, l'arrêt infirmatif attaqué énonce que " même si ces groupements ont pour mission d'assurer la défense des intérêts collectifs du football professionnel, il n'apparaît pas qu'ils puissent justifier d'un préjudice personnel en relation directe avec l'infraction " ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la corruption de sportifs professionnels est de nature à causer directement un préjudice aux fédérations sportives dont ils relèvent, ainsi qu'à leurs organes délégataires, lesquels ont pour mission de veiller à la régularité des compétitions qu'ils organisent et au respect des règles techniques et déontologiques de leurs disciplines, en application de l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984, les juges ont méconnu les textes et le principe susénoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

I. Sur le pourvoi de Bernard X... :

LE REJETTE ;

II. Sur les pourvois de la Fédération française de football et de la Ligue nationale de football :

CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai en date du 28 novembre 1995, mais en ses seules dispositions portant sur l'action civile de la Fédération française de football et de la Ligue nationale de football,

Et pour être à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.