Livv
Décisions

Cass. com., 1 juillet 2020, n° 19-11.849

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Vallansan

Avocats :

SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP L. Poulet-Odent

Reims, du 11 déc. 2018

11 décembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 11 décembre 2018), le 3 avril 2014, la société Bois et services, dirigée par M. O..., a été mise en liquidation judiciaire, la société E... D..., remplacée par la société C... D... le 1er janvier 2019, étant désignée en qualité de liquidateur. Ce dernier a assigné M. O... en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Examen du moyen unique

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la condamnation de M. O... à supporter l'insuffisance d'actif de la société Bois et services, alors que « hormis l'hypothèse particulière, non caractérisée en l'espèce, où le dirigeant poursuivi a quitté ses fonctions dès avant l'ouverture de la procédure collective, l'insuffisance d'actif au comblement de laquelle peut être condamné un dirigeant social doit s'apprécier exclusivement au jour où le juge statue, peu important que cette insuffisance n'ait été révélée qu'après l'ouverture de la procédure collective ; qu'en décidant au contraire qu'aucune condamnation ne pouvait être prononcée contre M. O..., motif pris qu'appréciée au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire, sur la base des estimations réalisées à cette époque des actifs de la société débitrice, l'insuffisance d'actif ne pouvait être encore caractérisée, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 651-2, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016 :

3. Selon le texte susvisé, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

4. En application de ce texte, le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif, et il peut être condamné à supporter tout ou partie de celle-ci, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie de cette insuffisance. Il n'y a donc pas lieu, pour apprécier la faute de gestion du dirigeant, de rechercher les conditions dans lesquelles le liquidateur a réalisé les actifs de la société débitrice, les éventuels manquements du liquidateur n'étant pas de nature à exonérer le dirigeant de son obligation de contribuer à l'insuffisance d'actif constatée.

5. Pour rejeter la demande de condamnation de M. O... à contribuer à l'insuffisance d'actif, l'arrêt énonce, d'abord, que l'existence de cette insuffisance doit être constatée par référence à la gestion du dirigeant antérieure au jugement d'ouverture et s'apprécier à la date de cessation de ses fonctions. L'arrêt retient, ensuite, qu'il résulte de la liste des créances antérieures au jugement d'ouverture que le passif admis s'élevait à cette date à la somme totale de 425 019,65 euros. Après avoir énoncé que l'actif de la société doit s'apprécier à la date d'ouverture de la liquidation judiciaire, sauf à établir que la diminution notable de la valeur des actifs entre le jugement d'ouverture et la vente de ceux-ci aux enchères publiques serait due à la faute de gestion de M. O... qui aurait omis d'assurer les biens de la société contre l'incendie, l'arrêt retient encore qu'à cette date, les stocks de sciage sur parc à bois avaient une valeur de retrait de 822 050 euros, à laquelle s'ajoutait la valeur du stock de bois sous hangar de 1 094 807 euros, que si une partie des stocks a été détruite dans l'incendie de septembre 2014, le stock subsistant après ce sinistre était encore estimé à une valeur de retrait de 822 050 euros, et que la vente aux enchères publiques de ce stock a rapporté la somme de 66 073,23 euros, ce qui est très éloigné de la valeur estimée après l'incendie. L'arrêt en déduit qu'il n'existait aucune insuffisance d'actif à la date d'ouverture de la liquidation judiciaire.

6. En statuant ainsi, alors que, M. O... étant le dirigeant de la société débitrice en fonction à la date du jugement d'ouverture, l'existence et le montant de l'insuffisance d'actif devaient être appréciés au jour où elle statuait, sans tenir compte des conditions dans lesquelles le liquidateur avait réalisé les actifs de la société, dès lors que ses éventuels manquements à ce titre n'étaient pas de nature à exonérer le dirigeant de son obligation de contribuer à l'insuffisance d'actif constatée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.