Cass. com., 7 juin 2005, n° 04-13.262
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Nîmes, 22 janvier 2004), que la société Alès TBTP (la société) a été mise en redressement judiciaire le 30 juin 1998, puis en liquidation judiciaire le 20 octobre 1998 ; que M. X..., liquidateur, a demandé la condamnation de Mlle Y..., gérante de la société, au paiement des dettes sociales ;
Attendu que Mlle Y... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer au liquidateur la somme de 250 000 euros par application des dispositions de l'article L. 624-3 du Code de commerce, alors, selon le moyen :
1 / qu'il résulte des dispositions mêmes de l'article L. 621-102 du Code de commerce que la dispense de vérification des créances chirographaires en cas de liquidation judiciaire n'est pas applicable lorsque, s'agissant d'une personne morale, il y a lieu de mettre à la charge des dirigeants sociaux tout ou partie du passif conformément à l'article L. 624-3 du même Code ; que ce n'est donc qu'au prix d'une fausse application de l'article L. 621-102 que la cour d'appel a pu soulever ce texte en réponse aux contestations soulevées par Mlle Y..., poursuivie sur le fondement de l'article L. 624-3 du même Code, relativement au caractère gravement erroné ou incomplet de l'état des créances invoqué par M. X..., pour justifier de la réalité de l'insuffisance d'actif de la société ;
2 ) que seule la gestion antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective peut donner lieu à condamnation d'un dirigeant social à combler le passif ; qu'en la présente espèce, Mlle Y... soulignait dans ses conclusions d'appel que le seul passif à retenir était celui correspondant aux créances de l'article 50 vérifiées, non contestées et régulièrement déclarées, alors que l'état du passif produit par le liquidateur à l'appui de sa demande mélangeait les créances article 50 et des créances article 40 ; qu'en retenant une insuffisance d'actif au sens des dispositions de l'article L. 624-3 du Code de commerce sans s'expliquer sur ce point, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du texte susvisé ;
3 / que c'est au liquidateur, demandeur à l'action en comblement de passif, qu'il appartient de justifier de la réalité de l'insuffisance d'actif et de son montant, au moins approximatif ; qu'en énonçant qu'en l'état des débats, l'insuffisance d'actif est certaine et peut être en outre chiffrée au moins à la somme de 4 000 000 francs si l'on retient les données chiffrées fournies par Mlle Y..., la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;
4 / qu'il n'est que de se reporter au jugement entrepris pour constater qu'il mentionne en page 4 : " Attendu qu'il apparaît à la lecture du rapport de l'administrateur que, dès le 13 juillet 1998, Mlle Y... faisait état elle-même d'une insuffisance d'actif de l'ordre de 2 681 549 francs " ; que ce n'est donc qu'au prix d'une dénaturation des termes clairs et précis de ce jugement que la cour d'appel a pu énoncer que " devant le premier juge, Mlle Y... avait reconnu l'existence d'une insuffisance d'actif ainsi que la décision déférée le mentionne " ; que, ce faisant, elle a violé l'article 1134 du Code civil ;
5 / que le jugement doit être motivé à peine de nullité et que ne satisfait pas aux exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile le jugement qui se détermine au seul visa de documents n'ayant fait l'objet d'aucune analyse ; qu'en retenant l'existence de fautes de gestion commises par Mlle Y... et ayant contribué à l'insuffisance d'actif en se contentant d'énoncer " qu'en l'état des débats, M. X..., en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Alès TBTP, a rapporté la preuve de fautes de gestion commises par Mlle Y... " sans préciser quels étaient les éléments de preuve sur lesquels elle fondait sa conviction ni en faire une analyse sommaire, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant exactement énoncé que les dispositions de l'article L. 624-3 du Code de commerce n'imposent nullement que le passif soit entièrement chiffré, ni que l'actif soit entièrement chiffré et réalisé, mais seulement que l'insuffisance d'actif soit certaine, son existence et son montant devant être appréciés par le juge au jour où il statue, l'arrêt retient que la procédure collective a fait apparaître une très importante insuffisance d'actif de l'ordre de 6 500 000 francs et qu'en l'état des débats, l'insuffisance d'actif est certaine et peut être chiffrée au moins à la somme de 4 000 000 francs si l'on retient les données chiffrées fournies par Mlle Y... ; que, par ces appréciations, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche, a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, que le moyen tiré d'une dénaturation prétendue du jugement ne peut être accueilli dès lors que, pour statuer comme elle a fait, la cour d'appel s'est fondée sur d'autres éléments de la cause ;
Attendu, en dernier lieu, que, loin de se borner à constater que la dirigeante avait commis des fautes de gestion au sens de l'article L. 624-3 du Code de commerce, la cour d'appel a retenu que Mlle Y... avait poursuivi une activité déficitaire et accumulé un passif qu'elle aurait pu éviter, qu'elle avait signé un contrat avec le groupe Ellul qui s'était révélé catastrophique pour la société dont la situation était particulièrement fragile, que la signature de ce contrat avait été une grave faute de gestion ayant généré un passif de plus de 6 000 000 francs, et que Mlle Y... n'avait déclaré tardivement l'état de cessation des paiements que pour éviter une assignation en redressement judiciaire ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli dans ses première et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.