CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 12 septembre 2017, n° 17/08723
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Selafa Mandataires Judiciaires Associés (ès qual.), Conseil Régional de l'Ordre des Pharmaciens d'Ile-de-France, Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert-Pageot
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Bedouet
La Snc Pharmacie M.-D., exploitant une pharmacie [...], a obtenu différents financements auprès de la Caisse d'Epargne au titre d'une facilité de caisse de 500.000 euros et de deux prêts de 4.450.000 euros et de 60.785 euros, pour lesquels MM. M. et D. se sont pour partie portés cautions solidaires.
Suite à des difficultés financières, une procédure de conciliation a été ouverte pour assister les associés dans leurs négociations avec leurs créanciers dont la Caisse d'Epargne et a abouti à la signature d'un protocole d'accord le 12 octobre 2012, puis sous l'égide d'un mandataire ad hoc, Maître M., un avenant au protocole de conciliation a été signé le 12 octobre 2012, aux termes duquel la Caisse d'Epargne a accepté des allongements d'échéancier et des substitutions de garantie, matérialisés par la signature d'avenants aux prêts, M.D. étant déchargé de son cautionnement.
Les engagements issus de ces accords n'ayant pas été respectés, la Caisse d'Epargne a, en mars et avril 2015, mis en demeure la société, devenue la Snc Pharmacie M., et M.M., caution, d'avoir à régler 33.701,83 euros, 4.829.314,28 euros et 507.865,48 euros.
C'est dans ce contexte que par jugement du 14 avril 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la Snc Pharmacie M.
La Caisse d'Epargne, dont la créance a été admise au passif pour un montant total de 5.420.345,75 euros, a refusé de procéder à un nouvel abandon d'une partie de sa créance dans le cadre du redressement judiciaire, mais a accepté de céder sa créance, le 29 septembre 2016, à la Sarl Splfp B., holding ayant pour objet la détention de parts ou d'actions de sociétés d'exercice libéral exerçant la profession de pharmaciens d'officine, pour un montant de 2 millions d'euros devant être payé au plus tard le 1er mars 2017.
Par jugement du 14 décembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de redressement par voie de continuation à l'égard de la SncPharmacie M. et autorisé la cession de 100% des parts de cette société aux époux B., cette cession étant intervenue le 28 février 2017.
Le prix de la créance cédée n'ayant pas été réglé au 1er mars 2017, la Caisse d'Epargne a par courrier du 14 mars 2017, mis la Splfp B. en demeure de régler pour le 15 mars 2017 au plus tard.
Sur requête déposée le 6 avril 2017 par la Sarl Splfp B., le tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 10 avril 2017, ouvert une procédure de sauvegarde à son égard, assortie d'une période d'observation de 6 mois, Maître P. étant désigné en qualité d'administrateur avec une mission de surveillance et la Selafa MJA, en la personne de Maître J., en qualité de mandataire judiciaire.
Le ministère public a relevé appel de cette décision selon déclaration du 26 avril 2017 et demande à la cour dans ses conclusions signifiées le 30 mai 2017, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à ouverture d'une procédure de sauvegarde.
Par conclusions signifiées le 19 juin 2017, la Caisse d'Epargne, créancière de la Splfp B. est intervenue volontairement à la procédure, en demandant à la cour de la recevoir en son intervention volontaire, de la dire bien fondée, d'infirmer le jugement, de dire que les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde ne sont pas réunies, en conséquence de dire n'y avoir lieu à ouverture d'une procédure de sauvegarde.
Dans leurs écritures signifiées le 9 juin 2017, Maître P., ès qualités et la Selafa MJA, ès qualités, s'en rapportent à la décision de la cour.
Par conclusions signifiées le 19 juin 2017, la société Splfp B. sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.
SUR CE
La recevabilité de l'intervention volontaire de la Caisse d'Epargne, créancier de Splfp B., n'est pas contestée.
Aux termes de l'article L 620-1 du code du commerce, 'Il est institué une sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L 620-2 qui, sans être en état de cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.'
Pour faire droit à la requête, le tribunal de commerce a retenu l'absence d'état de cessation des paiements, la requérante ayant fait état de l'absence d'exigibilité de sa dette bancaire de 2 millions d'euros, a considéré que Splfp B. se trouvait dans des difficultés qu'elle ne pouvait surmonter sans l'ouverture d'une procédure de sauvegarde et qu'elle sera en mesure de dégager une trésorerie mensuelle de 24.500 euros, au vu des remontées financières de l'ordre de 30.000 euros HT à provenir de la Pharmacie M., ce niveau de trésorerie constituant un élément sérieux relatif à la possibilité pour la société de dépasser ses difficultés.
Le ministère public et la Caisse d'Epargne soutiennent que les conditions d'ouverture d'une procédure de sauvegarde ne sont pas réunies, que cette procédure a été ouverte en toute hâte, en fraude des droits de la banque, dans le seul but d'échapper au paiement de la somme de 2 millions d'euros, auquel Splfp B. s'était engagée le 29 septembre 2016, de lui imposer des délais et de l'empêcher de reprendre la pleine propriété de ses créances et de ses droits à l'égard de la Snc Pharmacie M., devenue la Selarl B., ainsi qu'à l'égard de la caution, après lui avoir fait accepter une réduction drastique de sa créance, qu'il n'est justifié d'aucune démarche préalable pour rechercher un financement, ajoutant que seule la situation de la société Splfp B. est à prendre en considération et qu'il n'existe pas de difficultés au sens de l'article susvisé, dès lors que la résolution de la cession, consécutive au non-paiement, suffira à réduire toutes ses difficultés, qu 'en conséquence cette procédure n'est aucunement destinée à la réorganisation de l'entreprise qui n'a qu'une dirigeante et pas de salariés.
La Splfp B. conteste toute fraude dans la mise en oeuvre de la procédure sauvegarde, dont elle estime les conditions réunies et soutient que l'exigibilité de sa dette à l'égard de la Caisse d'Epargne au 14 mars 2017, la plaçait dans des difficultés qu'elle n'était pas en mesure de surmonter, dès lors qu'en dépit de ses démarches auprès de différents établissements bancaires, dès le mois d'août 2016, soit avant la signature de l'acte de cession de créance, elle n'a pas été en mesure d'obtenir les concours financiers nécessaires au règlement de cette dette dans le délai prévu.
Les conditions d'ouverture de la sauvegarde doivent être appréciées au jour de l'ouverture.
Il est admis que, or le cas de la fraude, l'ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur au motif qu'il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il justifie par ailleurs de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à l'état de cessation des paiements.
Ainsi qu'il a été rappelé, les créances de la Caisse d'Epargne à l'égard de la SNC Pharmacie M., objet de la cession de créance, ont donné lieu avant l'ouverture de la procédure collective de cette société, à plusieurs aménagements à l'occasion d'une procédure de conciliation.
Dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de la Snc Pharmacie M., la créance de la Caisse d'Epargne a été admise au passif pour un montant total de 5.420.345,75 euros, ce montant étant à rapprocher d'un passif total déclaré de plus de 9,6 millions d'euros.
Il ressort tant des explications de la Selarlu P. et de la Selafa MJA, que du jugement arrêtant le plan de redressement par voie de continuation de la Snc Pharmacie M., que l'importance de la créance de la Caisse d'Epargne, représentant plus de la moitié du passif total déclaré, constituait un obstacle quasi insurmontable à la présentation d'un plan de redressement par la Pharmacie M., dès lors que la Caisse d'Epargne n'entendait pas, dans le cadre de cette procédure collective, consentir à l'abandon d'une partie de sa créance, définitivement admise, eu égard aux efforts antérieurs vainement consentis par elle. La Caisse d'épargne acceptait en revanche une décote de sa créance dans le cadre d'une cession de celle-ci à une autre société.
Il a alors été convenu, afin de permettre l'élaboration d'un plan de redressement pour la Pharmacie M., que la créance de la Caisse d'Epargne serait cédée à une holding, dont le financement serait assuré par Mme B. et un partenaire extérieur.
La cession par la Caisse d'Epargne de sa créance de 5.420.345,75 euros à la Splfp B. alors en cours d'immatriculation, moyennant le prix de 2 millions d'euros, payable au plus tard le 1er mars 2017, a été signée le 29 septembre 2016. L'acte de cession énonce que dans l'hypothèse où le plan de redressement de la Snc Pharmacie M. ne serait pas adopté, la cession sera caduque et que chacune des parties retrouvera ses droits initiaux. La Sarl Splfp B., au capital social de 1.000 euros, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris, le 17 février 2017.
Fort, notamment, de cette cession, qui a permis d'exclure la créance de la Caisse d'Epargne du passif, un plan de redressement de la Snc Pharmacie M. a pu être adopté par le tribunal de commerce, le14 décembre 2016, sur la base d'un passif, relevant du plan sur 10 ans, de 1.520.490,42 euros (en ce non compris les créances hors plan et inférieures à 500 euros remboursables dans le mois du jugement (53.691,81 euros), sachant que le passif déclaré ressortait à plus de 9,6 millions d'euros.
Ainsi, la dette contractée par la Splfp B. à l'égard de la Caisse d'Epargne dans le cadre de la cession de créance, résulte de la nécessité de trouver des solutions pour réduire le passif de la Snc Pharmacie M., sachant que la Slfp B. et Mme B. devaient acquérir de M.M. les 500 parts de la Snc Pharmacie M. (devenue la Selarl B.) le 28 février 2017, pour un prix de 1 euro, Mme B. devenant la dirigeante de la nouvelle Selarl.
Si la société Splfp B. communique des pièces attestant de ses diverses demandes de financement, il ressort toutefois d'un examen attentif de celles-ci qu'elle s'est engagée à acquérir la créance de la Caisse d'Epargne, sans aucune visibilité quant au financement du prix conséquent de 2 millions d'euros, mais plus encore, après s'être vu opposer par deux fois un refus.
En effet, le 29 août 2016, un mois avant la cession, la société Interfimo, spécialisée dans le financement des professions libérales, a informé les époux B. du rejet de leur demande de prêt de 2 millions d'euros. Il en a été de même, le 8 septembre 2016, par la banque BCP. M.R. du Financement des entreprises, la Banque Delubac et Perceva ont également refusé de financer cette reprise par courriers respectifs des 21, 22 et 23 novembre 2016, sans qu'il soit indiqué à quelle date les demandes avaient été présentées. Il en a été de même pour la Société Générale, à une date non précisée sur la copie du courrier communiqué à la cour, ainsi que les 29 mars, 4 avril et 9 mai 2017, par la Bred Banque Populaire, la Banque Delubac et Investment Managers. Ces demandes sont insuffisantes à établir que la société avait lieu de penser qu'un financement de cette importance lui serait accordé dans le délai requis par l'acte de cession, alors que la cession n'était assortie d'aucune condition suspensive quant à l'obtention d'un financement, seul un délai de paiement maximum de cinq mois ayant été prévu.
La procédure de sauvegarde en empêchant la Caisse d'Epargne de se prévaloir de la résiliation de la cession de créance pour défaut de paiement du prix, peu important à cet égard qu'aucune clause de résiliation ne figure dans l'acte de cession dès lors que la Caisse pouvait faire constater cette inexécution par le juge, alors qu'une telle résiliation aurait eu pour effet de rétablir la Caisse d'Epargne dans ses droits de créancier au redressement judiciaire de la Snc Pharmacie M., avec les conséquences qui en découlent quant à la possibilité d'exécuter le plan de redressement sur la base d'un passif, non plus de 1,5 millions d'euros, mais de près de 7 millions d'euros, tend en réalité à préserver les intérêts de la Snc Pharmacie M. (Selarl B.) et non ceux de la société Splfp B., laquelle, en cas de résiliation de la cession de créance, ne se trouverait pas privée de la possibilité de poursuivre son activité consistant à détenir des parts dans les officines de pharmacie.
Il s'ensuit que le dépôt d'une requête aux fins de sauvegarde par la société Slfp B., juste avant l'exigibilité de la créance de la Caisse d'Epargne, après s'être engagée au paiement de 2 millions dans le contexte et les conditions qui viennent d'être rappelés, et alors que son engagement ferme de payer à très court terme a été manifestement déterminant dans l'abandon par la Caisse de plus de la moitié de sa créance et pour l'adoption du plan, relève d'une fraude aux dispositions de l'article L 620-1 du code de commerce, en ce qu'elle vise à permettre à une autre société que la requérante, de poursuivre son activité et d'apurer son passif.
Il s'ensuit que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions, la cour statuant à nouveau déboutera la société Splfp B. de sa demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde.
PAR CES MOTIFS
Reçoit la Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Ile de France en son intervention volontaire,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau, dit n'y avoir lieu à ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Splfp B.,
Laisse les entiers dépens, y compris ceux résultant de l'ouverture de la procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce, à la charge de la société Splfp B.