Cass. crim., 5 août 1998, n° 97-84.431
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilloux
Rapporteur :
M. Schumacher
Avocat général :
M. Cotte
Avocat :
Me Choucroy
Statuant sur les pourvois formés par :
- GILLES Z...
- X... Mireille, épouse Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 12 juin 1997, qui a condamné le premier, pour abus de biens sociaux, banqueroute et infraction à interdiction de gérer, à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans et 30 ans d'interdiction de diriger ou gérer toute entreprise commerciale ou artisanale ou toute personne morale, la seconde, pour abus de biens sociaux, recel d'abus de biens sociaux et de banqueroute, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, 50 000 francs d'amende et 10 ans d'interdiction de diriger ou gérer toute entreprise commerciale ou artisanale ou toute personne morale, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 460, 512, 592 et 802 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce qu'il ne résulte pas des mentions de l'arrêt attaqué que le ministère public, qui fait partie intégrante de la juridiction, ait été entendu en son réquisitoire ;
"alors que l'audition du représentant du ministère public constitue, en première instance comme en cause d'appel, une exigence légale dont l'inobservation lorsque, comme en l'espèce, l'action publique est en cause, porte atteinte aux intérêts de toutes les parties et notamment des prévenus, en sorte que la cassation est nécessairement encourue quand elle n'a pas été observée, la preuve de l'accomplissement de cette formalité devant résulter de l'arrêt lui-même ;
Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué, selon lesquelles les parties ont eu la parole dans l'ordre prévu par les articles 513 et 460 du Code de procédure pénale, que le ministère public a été entendu en ses réquisitions ;
Que, dès lors, le moyen, qui manque en fait, ne peut être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 196 et suivants de la loi du 25 janvier 1985, 425-4 et suivants de la loi du 24 juillet 1966, 460 de l'ancien Code pénal, 321-1 et suivants du nouveau Code pénal, 1315 du Code civil, 6.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, renversement de la charge de la preuve, manque de base légale, violation des droits de la défense par méconnaissance du principe de la présomption d'innocence ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Patrick Y... coupable d'abus de biens sociaux et de banqueroute par détournement d'actifs commis au sein des sociétés Cooky et VDM et Mireille X... coupable de recel de certaines de ces infractions ;
"aux motifs :
- Sur les abus de biens sociaux reprochés aux deux prévenus :
* avance de fonds à la société VDM par la société Cooky,
que l'expert-comptable a relevé que la SARL Cooky payait régulièrement des sommes pour le compte de la société VDM ; que, contrairement à ce qu'avance le prévenu, il ne s'agit pas d'un compte entre sociétés mais de règlements pour le compte d'une autre société (VDM) dans laquelle il était intéressé en tant que gérant de fait ; que, s'agissant de Mireille X..., gérante de la société VDM jusqu'au 1er août 1989 et bénéficiaire des sommes détournées, elle ne peut se voir reprocher le délit d'abus de biens sociaux mais celui de recel des biens provenant de cette infraction ;
- Sur les abus de biens sociaux commis au préjudice de la société VDM Gilles :
* encaissement des sommes versées en espèces par M. B...,
que Patrick Y..., qui reconnaît avoir reçu 200 000 francs sur les 400 000 francs versés en espèces, prétend, sans en rapporter la preuve, qu'il ne s'agit pas de sommes revenant à VDM, les seuls faits constants c'est qu'il n'est pas justifié du règlement de la totalité des travaux, que les bénéficiaires des travaux ont versé des sommes en espèces que Patrick Y... a gardées ;
- Sur les faits de banqueroute :
que la SARL Cooky a, après avoir été placée en redressement judiciaire, effectué des travaux dans le débit de boissons de Mireille X... qui n'ont donné lieu à aucune facturation ;
que, comme l'a relevé le tribunal, les explications des prévenus se heurtent à l'absence de justificatifs ;
"alors que, d'une part, si les délits d'abus de biens sociaux et de banqueroute par détournement d'actif peuvent être commis par le dirigeant de fait d'une société, encore faut-il que cette qualité soit caractérisée par les juges du fond qui entrent en voie de condamnation à l'encontre d'une personne n'ayant pas la qualité de dirigeant légal de la personne morale victime des détournements ;
que, dès lors, en l'espèce où les juges du fond n'ont pas constaté que Patrick Y... ait dirigé ou géré en fait les sociétés Cooky et VDM dont son épouse était la gérante, ceux-ci ont privé de toute base légale les chefs de leur arrêt ayant déclaré ce prévenu coupable d'abus de biens sociaux et de banqueroute et Mireille X... coupable de recel de ces infractions ;
"alors que, d'autre part, s'agissant des sommes payées par la société Cooky pour le compte de la société VDM, les juges du fond dont les constatations établissent qu'elles avaient été remboursées pour l'essentiel avant le dépôt de bilan et qui ont relevé l'interférence des intérêts des sociétés entre elles, n'ont pas caractérisé l'existence du délit d'abus de biens sociaux commis à cette occasion qui était contesté par les prévenus ;
"qu'en outre, en application du principe de la présomption d'innocence, c'est aux parties poursuivantes, ministère public et partie civile, qu'il appartient de rapporter la preuve de la culpabilité d'un prévenu et non à ce dernier qu'il incombe de démontrer son innocence en prouvant que les éléments constitutifs de l'infraction poursuivie ne sont pas réunis à son encontre ; que dès lors, en l'espèce, où Patrick Y... soutenait que la somme de 200 000 francs qui lui avait été versée en espèces par M. A..., n'était pas due à la société VDM, les juges du fond ont violé les articles 1315 du Code civil et 6.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en entrant en voie de condamnation à l'encontre de Patrick Y... parce que ce dernier ne rapportait pas la preuve que la somme qui lui avait été remise en espèces n'était pas due à la société VDM ;
"et qu'enfin, en ce qui concerne les travaux effectués dans le débit de boissons de Mireille X... par la société Cooky, les prévenus soutenaient que leur montant avait été réglé par le débit du compte courant créditeur de cette prévenue au sein de la société Holding, propriétaire de 99,9 % de son capital social ; qu'en entrant en voie de condamnation de ce chef en raison des incertitudes existant quant à la réalité de la facture correspondant à ces travaux, les juges du fond, qui n'ont pas cru devoir rechercher si ceux-ci avaient ou non été acquittés par le débit du compte courant de la prévenue, ont laissé sans réponse un moyen péremptoire de défense et renversé une nouvelle fois la charge de la preuve" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance et de contradiction, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les délits d'abus de biens sociaux et de banqueroute reprochés à Patrick Y..., ainsi que le délit de recel dont elle a déclaré Mireille X... coupable ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que la peine se trouvant justifiée par cette déclaration de culpabilité, il n'y a pas lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé pour Mireille X... concernant le délit d'abus de biens sociaux dont celle-ci a également été déclarée coupable ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 192, 195 et 201 de la loi du 25 janvier 1985, 112-1 et 131-27 du nouveau Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a prononcé à l'encontre des deux prévenus l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant 10 et 30 ans ;
"alors que l'article 131-27 du nouveau Code pénal applicable en l'espèce, prévoit expressément que lorsqu'elle est encourue à titre de peine complémentaire pour un crime ou un délit, l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale ne peut excéder une durée de 5 ans quand elle est prononcée à titre temporaire ; qu'en infligeant une telle interdiction pendant 10 et 30 ans aux prévenus, les juges du fond ont donc violé le texte précité" ;
Attendu que Patrick Y..., déclaré coupable de banqueroute, ne saurait faire grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à 30 ans d'interdiction de gérer ou administrer toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale, en application des articles 192 et 201 de la loi du 25 janvier 1985, dès lors que ces dispositions n'entrant pas dans les prévisions de l'article 131-27 du Code pénal, la durée de l'interdiction est illimitée et que les juges l'ont partiellement relevé de cette mesure ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Mais sur le moyen relevé d'office, pris de la violation des articles 4 ancien et 112-1 nouveau du Code pénal ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les juridictions répressives ne peuvent prononcer des peines qui ne sont pas prévues par la loi ;
Attendu qu'après avoir déclaré Mireille X... coupable de recel de banqueroute, les juges du second degré l'ont condamnée à 10 ans d'interdiction de gérer ou administrer toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aucun texte ne prévoit la peine prononcée pour le délit retenu à la charge de la prévenue, la cour d'appel a violé les textes susvisés et commis un excès de pouvoir ;
D'où il suit que l'arrêt encourt la cassation ;
Et sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 182, 195 et suivants de la loi du 25 janvier 1985, 425 et suivants de la loi du 24 juillet 1966, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Patrick Y... à payer à la SARL Cooky, représentée par son liquidateur, une somme de 5 238 941 francs dont 525 000 francs supportés solidairement par son épouse et lui ;
"au motif propre à la Cour que l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 ne concerne pas des comportements délictueux ;
"et aux motifs adoptés des premiers juges que Patrick Y... a exercé la gérance de fait de la société Cooky alors qu'il avait été condamné à 15 ans d'interdiction de gérer une personne morale ; que l'administrateur judiciaire Becquet avait noté dans son rapport daté du 11 décembre 1990, qu'en avril 1990, les prévenus ont organisé le transfert des actifs de la SARL VDM Y..., en cessation de paiement, au bénéfice de la SARL Cooky, tout en laissant la charge d'un important passif à la première société, mais que le projet a été contrarié par le fait que la SARL Cooky était dans l'incapacité de se procurer des concours bancaires nécessaires au financement de son compte client ; que, n'ayant pas pu dégager la trésorerie nécessaire au règlement de son propre passif, il en est résulté l'accumulation de nouvelles dettes sur la SARL Cooky avec mise en oeuvre de mesures de recouvrement par les créanciers ;
qu'il apparaît donc que non seulement Patrick Y... a géré la SARL Cooky au mépris de l'interdiction qui lui avait été faite, mais qu'en outre, il s'est montré incapable de gérer cette société et que par des actions maladroites, voire douteuses, il a contribué à la réalisation d'un passif évalué à 5 238 941 francs ;
"alors que le préjudice subi directement par une société en raison des faits d'abus de biens sociaux, de banqueroute par détournement d'actifs et d'exercice d'une activité de gérant de fait de cette société en violation d'une interdiction de gérer une personne morale, ne peut être égal au montant du passif laissé par la société, mais est nécessairement limité à la valeur des biens détournés en sorte qu'en condamnant le prévenu à verser à la personne morale, représentée par son liquidateur, une somme égale à son passif, les juges du fond ont violé les textes visés au moyen" ;
Vu les articles 1382 du Code civil, 2 et 3 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'aux termes de l'article 2 du Code de procédure pénale, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ;
Attendu qu'après avoir déclaré Patrick Y..., gérant de fait de la société Cooky, coupable d'abus de biens sociaux et de banqueroute, et Mireille X..., coupable de recel de ces délits, les juges énoncent qu'en raison de sa gestion maladroite et douteuse, le premier doit être condamné à supporter le passif social s'élevant à 5 238 941 francs et que la seconde, qui a contribué personnellement à la réalisation de ce dernier, doit être tenue solidairement à hauteur de la somme de 525 000 francs ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'action civile fondée sur les infractions poursuivies est distincte de l'action en comblement du passif de la société précitée, la cour d'appel a méconnu les textes et principe susvisés ;
Que la cassation est, dès lors, de nouveau encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE,
1°), par voie de retranchement, en ce qu'il a prononcé à l'égard de Mireille X... l'interdiction de gérer ou administrer toute entreprise commerciale ou artisanale ou tout personne morale, l'arrêt de la cour d'appel de Douai, en date du 12 juin 1997 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi sur l'action publique ;
2°), en toutes ses dispositions civiles, ledit arrêt et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi dans la limite de la cassation partielle ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.