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Décisions

Cass. crim., 30 octobre 1989, n° 88-84.556

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tacchella

Rapporteur :

M. Hebrard

Avocat général :

M. Lecocq

Avocat :

Me Vincent

Bordeaux, du 23 juin 1988

23 juin 1988

Statuant sur le pourvoi formé par :

C... Georges

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 23 juin 1988 qui, pour complicité de banqueroute, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, et qui a prononcé sur les réparations civiles ;

Vu le mémoire produit ; 

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 510 et 591 du Code de procédure pénale ;

" en ce qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Mme A..., agent d'administration principal, faisait fonction de greffier ;

" alors que les fonctions de greffier à la cour d'appel ne peuvent être tenues que par un greffier de ladite Cour ou par un greffier ad hoc ayant prêté serment ; qu'il s'ensuit que les mentions de l'arrêt attaqué qui établissent que Mme A... n'était pas greffier de la cour d'appel ne font pas la preuve de la régularité de la composition de ladite Cour faute d'avoir constaté que cet agent avait été assermenté " ;

Attendu que la capacité du greffier qui a assisté la cour d'appel repose sur une présomption qui dispense de toute mention spéciale, soit relativement au serment professionnel, soit relativement aux autres conditions que doivent remplir les greffiers d'audience ;

Attendu que si cette présomption peut tomber devant la preuve contraire, cette preuve n'existe pas en la cause ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 60, 402 et 403 du Code pénal, 131-2 de la loi du 13 juillet 1967, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré C... coupable de complicité du délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux de se procurer des fonds commis par Jean-Louis Y... ;

" aux motifs que si les bilans mis à sa disposition par Y... étaient truqués, ils pouvaient être facilement rétablis et l'escompte des traites non causées durait depuis des années, certaines ayant été présentées à l'escompte plusieurs fois ; qu'il ne pouvait qu'être au courant de la situation, Y... reconnaissant bien volontiers avoir signé de nombreuses traites sans cause ; si l'inquiétude avait tardé à se manifester chez C... d'abord, chez les responsables de la banque ensuite quand ils ont eu conscience des engagements de leur établissement, c'est à cause de l'intervention de Z..., ami de Y..., qui a aidé ce dernier à plusieurs reprises ; que Y... avait reconnu que les engagements demandés à Z... avaient pour but de se substituer aux traites non causées qu'il avait émises et que C... était au courant de cette situation qui était d'ailleurs due à son initiative ;

" alors d'une part qu'il n'y a complicité punissable qu'autant qu'il y a infraction principale punissable, dont les juges du fond sont tenus de constater l'existence ; que le délit prévu et réprimé par l'article 131-2 de la loi du 13 juillet 1967 supposait, pour être constitué, que son auteur, dirigeant social qui connaissait l'état de cessation des paiements de la société ait utilisé des moyens ruineux pour se procurer des fonds et ait eu, ce faisant, l'intention de retarder la constatation de la cessation des paiements de la société ; que l'arrêt attaqué qui ne constate ni qu'il y eût eu cessation des paiement de la SA Y..., ni que Y..., son président-directeur général, eût employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds, ni qu'il eût eu l'intention de retarder la constatation de la cessation des paiements n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité du chef de complicité de ce délit imputée à C... ;

" alors, d'autre part, et subsidiairement qu'à supposer le délit principal caractérisé, la complicité de banqueroute pour emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds suppose que le complice ait connu l'état de cessation des paiements ainsi que l'intention de l'auteur principal du délit d'en retarder la constatation, et qu'il lui ait apporté son aide en connaissance de cause ; que l'arrêt attaqué, qui se borne à énoncer que C... a fourni des moyens ruineux à l'entreprise Y..., ne constate pas que celui-ci ait connu l'état de cessation des paiements de la SA Y... et l'intention de Y... de retarder la constatation de la cessation des paiements par l'émission de traites sans cause ; que, faute d'avoir constaté la connaissance par C... de cette intention de Y..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité du chef de complicité ;

" alors de troisième part qu'il résulte du rapport d'expertise que la cessation des paiements devait être fixée à fin novembre 1973 et des énonciations de l'arrêt attaqué que l'escompte des traites non causées durait depuis des années ; qu'ainsi, à supposer même que C... eût été au courant de la situation-c'est-à-dire qu'il escomptait des traites sans cause-et qu'il eût lui-même provoqué le cautionnement de Z..., ces motifs n'établissent nullement qu'il eût voulu aider Y... dans son intention de retarder la constatation de la cessation des paiements de la SA Y... ; que, faute de s'en être autrement expliquée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que la SA Y..., dont Jean-Louis Y..., depuis décédé, était le président du conseil d'administration, et était en cessation des paiements depuis le mois de novembre 1973, a été mise en liquidation de biens par jugement du 27 juillet 1975 ; que, la société souffrant d'un manque chronique de fonds de roulement, Y..., tout en dressant des bilans qui en masquaient la véritable situation, a, dès 1972, employé des moyens ruineux en faisant escompter par la Banque Nationale de Paris (BNP) des traites sans contrepartie même apparente ; que ces agissement se sont poursuivis en 1973 et jusqu'en septembre 1974, les agios dépassant le quart du chiffre d'affaires ;

Attendu que pour déclarer Georges C..., directeur de la succursale de la BNP, coupable de complicité de banqueroute, les juges du fond, qui relèvent que la signature de la société avait été rejetée le 18 août 1969 par la Banque de France, retiennent que le banquier, qui pouvait facilement rétablir les comptes, n'a jamais refusé d'escompter les lettres de change qui lui étaient présentées malgré les multiples incidents de paiements, et les caractères frauduleux qu'elles présentaient ; que les juges ajoutent, pour les raisons qu'ils indiquent, que, bien avant le mois d'octobre 1974, C... était parfaitement éclairé sur la situation de la société, dont il avait été informé, soit par Y... lui-même, soit par un associé, Z..., lequel, notamment, le 16 mai 1972, puis, le 26 juin 1973, avait cautionné les engagements sociaux envers la banque, lesdits engagements étant destinés " à se substituer aux traites non causées " ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations dont il résulte que le prévenu avait facilité en connaissance de cause le recours à des moyens ruineux pour procurer des fonds à la société, la cour d'appel a, sans insuffisance, par une appréciation souveraine des éléments de preuve soumis au débat contradictoire, caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, la complicité du délit de banqueroute dont elle a déclaré coupable le demandeur ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 6 et 593 du Code de procédure pénale, et 1382 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné C... à payer à Mme Z... une somme de un franc à titre de dommages-intérêts ;

" alors d'une part que, dans ses conclusions demeurées sans réponse, C... avait souligné que Mme Z... n'avait pas interjeté appel de l'ordonnance de non-lieu prononcée en sa faveur et que, par conséquent, cette ordonnance ayant acquis à l'égard de cette dernière l'autorité de la chose jugée, sa constitution de partie civile était irrecevable ; que, faute de s'être expliquée sur ce moyen péremptoire de défense, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" alors d'autre part que la cour d'appel n'a justifié par aucun motif la réparation accordée à Mme Z... et qu'il ne résulte d'aucune de ses énonciations que C... eût jamais fait la moindre démarche pour tenter d'obtenir d'elle qu'elle s'engageât comme caution de la société Y... " ;

Et sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné C... à payer à Z... 1 franc à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice que les agissements du premier avait prétendument causés au second ;

" aux seuls motifs que Y... avait reconnu que les engagements demandés à Z... avaient eu pour but de se substituer aux traites non causées qu'il avait émises et que C... était au courant de la situation qui était due à son initiative (arrêt p. 4 in fine) ; qu'il était certain que C... et B... avaient abusé de sa candeur pour limiter les engagements de la BNP qu'ils avaient portés bien au-delà de ce qui est raisonnable ; qu'il avait contribué à ruiner Z... ;

" alors d'une part qu'il ne résulte nullement de ces énonciations que Z... lui-même ait ignoré la situation financière véritable de la société Y... et qu'il n'ait pas souscrit ses engagements en connaissance de l'existence des traites sans cause mises en circulation par Y... ; qu'il apparaît au contraire du dossier de procédure et notamment de deux lettres l'une cosignée par Z... (26 juin 1973), l'autre portant sa seule signature (30 janvier 1975), qu'il connaissait parfaitement les difficultés de la société Y... à laquelle il avait, à plusieurs reprises, apporté son aide pécuniaire avant de signer l'acte de cautionnement général du 26 juin 1973 ; que, faute d'avoir démontré comment Z..., qui était un " riche exploitant forestier, maire d'une commune ", avait été abusé par C..., la cour d'appel n'a pas justifié la réparation qu'elle lui a octroyée ;

" alors d'autre part que le manque de perspicacité de Z..., et sa candeur, n'excluent pas qu'il eût eu connaissance de la pratique des traites sans cause ni qu'il eût accepté en connaissance de cause de substituer son engagement aux traites non causées ; que ces motifs insuffisants ne justifient pas légalement la réparation accordée à la partie civile " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que pour condamner C..., déclaré coupable de complicité de délit de banqueroute par emploi de moyens uineux pour procurer des fonds, à payer aux époux Z... la somme par eux demandée, l'arrêt attaqué a constaté l'existence d'un préjudice particulier découlant directement de l'infraction retenue contre lui ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société civile agricole et forestière Gravey-Hostein et lui a accordé, ainsi qu'à Z..., la somme de un franc de dommages-intérêts ;

" alors d'une part qu'en n'énonçant aucun motif justifiant sa décision, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs ;

" alors d'autre part et subsidiairement que seuls peuvent se constituer partie civile ceux qui ont directement et personnellement souffert de l'infraction ; qu'en l'espèce, la société civile agricole et forestière Gravey-Hostein n'a justifié d'aucun préjudice direct et personnel causé par les agissements imputés à C... ; que, par conséquent, sa constitution de partie civile n'était pas recevable ;

" alors de troisième part, que la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions d'appel de C... qui soutenait que la société civile agricole et forestière Gravey-Hostein n'avait pas d'intérêt à agir " ;

Attendu que si la société civile agricole et forestière Gravey-Hostein s'est constituée partie civile devant le tribunal correctionnel, les premiers juges n'ont pas prononcé à son égard ; que faute par cette société d'avoir relevé appel de la décision, celle-ci est devenue définitive, l'arrêt attaqué s'étant borné sur ce point à confirmer le jugement ;

Qu'il s'ensuit que le moyen proposé par le prévenu non condamné à des réparations civiles au profit de cette personne morale, est sans objet ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.