Livv
Décisions

Cass. 2e civ., 9 avril 2009, n° 08-12.355

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gillet

Avocats :

Me Spinosi, SCP Defrenois et Levis

Bastia, du 19 déc. 2007

19 décembre 2007


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 10 octobre 2003, les locaux loués par la SARL Poretta (la société) à M. X... en vertu d'un bail commercial du 20 avril 1999, assurés auprès de la société GAN (l'assureur), ont été dégradés par un incendie ; que M. X... ayant refusé de se désister au bénéfice du locataire de l'indemnité fixée par l'assureur sans pour autant entreprendre de travaux, la société a refusé de payer les loyers de janvier à juin 2004 ; que M. X... lui ayant fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire, la société a agi en nullité de ce commandement et appelé l'assureur en garantie ; que, par jugement du 31 août 2006, le tribunal de grande instance de Bastia a notamment rejeté les demandes de la société à l'égard de l'assureur et mis celui-ci hors de cause ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande d'indemnisation de la société concernant son préjudice d'exploitation et refuser d'ordonner une expertise, l'arrêt retient qu'au soutien de sa demande la société ne verse au dossier aucun élément, notamment comptable, susceptible d'établir la réalité du préjudice allégué, une mesure d'expertise ne pouvant être ordonnée pour suppléer la carence du demandeur dans l'administration de la preuve ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que si les lieux loués n'avaient pas été totalement détruits dans l'incendie du 10 octobre 2003, ils n'étaient ni exploités ni exploitables en l'absence de réparation des dégâts, et que le preneur était fondé à opposer l'exception d'inexécution au bailleur qui avait empêché par son fait la reprise d'activité de la société dans des conditions normales d'exploitation, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations d'où se déduisait nécessairement la preuve de l'existence d'un préjudice d'exploitation, a violé le texte susvisé ;

Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article L. 121-13, alinéa 4, du code des assurances ;

Attendu que pour rejeter les demandes de la société à l'égard de l'assureur et mettre ce dernier hors de cause, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le 1er mars 2004, M. X... a fait connaître à l'assureur qu'il refusait de signer un courrier que son locataire lui présentait, qu'il demandait que l'indemnité d'assurance lui soit directement réglée mais que, préalablement, il désirait avoir communication du rapport d'expertise pour savoir si les fonds étaient suffisants pour procéder à la remise en état de son magasin et que, dans le cas d'une réponse négative, il saisirait son propre assureur ; qu'au terme d'un rapport du 8 mars 2004, un cabinet d'expertise a estimé que l'origine de l'incendie était inconnue, a maintenu les évaluations acceptées le 27 février 2004 par la société et a conclu, en l'absence de désistement de M. X..., que l'indemnité au titre du risque locatif ne pourrait être versée que sur justificatif de reconstruction de la part de la société et avec l'accord du propriétaire des lieux ; que le 15 mars 2004, M. X... a fait opposition auprès de l'assureur au règlement de l'indemnisation et a fait part de sa volonté de faire usage de son privilège de propriétaire pour garantir la remise en état du local et le montant des loyers impayés ; que le 3 mai 2004 la société écrivait à M. X... en lui exposant que les pertes subies en raison de l'impossibilité d'exploiter les lieux ne lui permettaient pas de payer les loyers et qu'elle lui demandait de lui adresser sa lettre de désistement signée et de retirer son opposition, auprès de l'assureur ; qu'il n'est pas contesté que l'indemnité due par l'assureur, entre temps chiffrée, n'a pas été versée à la société ; que cependant l'article L. 121-13, dernier alinéa, du code des assurances prévoit qu'en cas de risque locatif ou de recours du voisin, l'assureur ne peut payer à un autre que le propriétaire de l'objet loué, le voisin ou le tiers subrogé à leurs droits, tout ou partie de la somme due, tant que lesdits propriétaire, voisin ou tiers subrogé n'ont pas été désintéressés des conséquences du sinistre, jusqu'à concurrence de ladite somme ; que le refus de l'assureur, qui ressort de la seule application du code des assurances, ne peut présenter un caractère léonin ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le bailleur ne disposait d'aucun droit de préférence sur les indemnités d'assurance éventuellement dues au seul locataire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Poretta à l'égard de la société GAN et mis cette dernière hors de cause, l'arrêt rendu le 19 décembre 2007 par la cour d'appel de Bastia ; remet en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée.