Cass. soc., 20 mai 2014, n° 12-20.527
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly
Avocats :
SCP Didier et Pinet, SCP Gaschignard
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par jugement du 1er février 2011, confirmé par arrêt du 14 mars 2011, la demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire au bénéfice de la société Sodimédical, filiale de la société Laboratoires Lohmann et Rauscher (la société Lohmann) a été rejetée, ce dernier arrêt étant partiellement cassé par un arrêt du 3 juillet 2012 (pourvoi n° W 11-18.026) ; que, saisie en référé par les salariés de la société Sodimédical, dont Mme X..., d'une demande tendant à enjoindre à la société Lohmann de leur fournir un travail sous astreinte provisoire de 1 000 euros par mois de retard, la juridiction prud'homale y a fait droit par ordonnances du 7 octobre 2011 ; que la société Lohmann a interjeté appel de ces ordonnances ; qu'en cause d'appel, par jugement du 8 novembre 2011, la société Lohmann a été mise en procédure de sauvegarde, les sociétés Bihr-Le Carrer-Najean et Krebs-Suty respectivement désignées mandataire et administrateur judiciaires intervenant dans l'instance ; que la cour d'appel a infirmé partiellement l'ordonnance du 7 octobre 2011 (RG n° 11/00202) rendue à la demande de Mme X... et en outre enjoint à la société Lohmann de régulariser les cotisations dues au titre d'un contrat de groupe mutuelle santé dans un délai de huit jours sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard ;
Sur le premier moyen, après délibéré de la chambre commerciale, financière et économique :
Attendu que la société Lohmann et ses mandataire et administrateur judiciaires font grief à l'arrêt d'avoir dit Mme X... recevable en ses demandes et d'avoir ordonné à cette société de satisfaire à l'obligation de lui fournir du travail, sous astreinte de 1 000 euros par mois de retard, et de régulariser les cotisations dues au titre du contrat de groupe mutuelle santé dans le délai de huit jours à compter de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, alors, selon le moyen :
1°/ que le jugement d'ouverture d'une procédure collective interrompt non seulement les actions en justice tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent mais également celles tendant à l'exécution d'une obligation de faire susceptible d'impliquer des paiements de sommes d'argent pour une cause antérieure au jugement d'ouverture ; que Mme X... sollicitait la condamnation de la société Lohmann à exécuter une obligation de fournir du travail qui serait née avant l'ouverture de la procédure de sauvegarde, ce sous astreinte de 1 000 euros par mois de retard, et à « régulariser les cotisations de la mutuelle souscrite auprès de Vigie », autrement dit à payer ces cotisations, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; qu'en retenant que ces demandes n'étaient pas soumises à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et que l'instance n'avait pas été interrompue par l'ouverture de la procédure de sauvegarde, la cour d'appel a violé l'article L. 622-21 du code de commerce ;
2°/ que l'instance en cours, susceptible d'être reprise dans les conditions prévues aux articles L. 622-22 et L. 625-3 du code de commerce, est celle qui tend à obtenir, de la juridiction saisie du principal, une décision définitive sur l'existence et le montant de cette créance ; que tel n'est pas le cas de l'instance en référé, qui tend à obtenir une condamnation provisoire, et qui ne saurait donc être poursuivie après le prononcé du jugement d'ouverture ; qu'en statuant sur les demandes présentées en référé par Mme X..., après avoir constaté qu'une procédure collective avait été ouverte contre la société Lohmann, quand elle devait renvoyer la salariée à suivre la procédure normale de vérification des créances, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 622-21 du code de commerce ;
3°/ qu'il était soutenu que Mme X... n'était pas salariée de la société Lohmann, mais de sa filiale, la société Sodimédical, et qu'en conséquence, l'instance ne pouvait être poursuivie qu'à la condition que celle-ci ait préalablement déclaré sa créance à la procédure de sauvegarde ouverte à l'encontre de la société Lohmann ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que Mme X... était privée de travail sans que son contrat de travail soit rompu, ni suspendu et, par motifs propres, que faute de règlement depuis le 1er janvier 2012 par l'employeur des cotisations dues en exécution du contrat de groupe obligatoire, elle était privée depuis cette date d'une couverture santé complémentaire, l'arrêt retient que ces faits constituent des troubles manifestement illicites qu'il y a lieu de faire cesser ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir qu'elle n'était pas saisie de demandes relevant des dispositions des articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre au grief de la troisième branche relevant de la compétence de la juridiction du fond, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, inopérant en ses deux premières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles R. 1455-6 et R. 1455-7 du code du travail ;
Attendu que pour ordonner sous astreinte à la société Laboratoires Lohmann et Rauscher de fournir du travail à la salariée et de régulariser sous astreinte les cotisations de la mutuelle souscrite dans le cadre d'un contrat de groupe, l'arrêt retient que la société Sodimédical est la filiale à 100 % de la société Laboratoires Lohmann et Rauscher France, elle-même appartenant à un groupe employant trois mille trois cents personnes, que l'organisation interne du groupe induit une séparation des activités administratives, de commercialisation et de production au sein des différentes structures, que la société Sodimédical dépend totalement de la société Laboratoires Lohmann et Rauscher, ses produits étant commercialisés quasi exclusivement par la maison mère, qu'il ressort des éléments du dossier que la société Sodimédical a honoré ses obligations en matière de fourniture du travail et de paiement des salaires du fait de l'intervention de la société mère qui a fourni pour sa part les commandes et la trésorerie nécessaires pour le paiement des salaires, qu¿en application des dispositions de l'article R. 1455-6 du code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, que si la qualité d'employeur conjoint relève d'une décision au fond, il n'est ni contestable ni contesté qu'en l'espèce, le contrat de travail n'a pas été rompu, que si la société Sodimédical a notifié aux salariés de l'entreprise le refus de prolongation de chômage partiel en leur précisant qu'ils devaient reprendre leur poste de travail, cette reprise n'en est pas moins demeurée symbolique puisque les salariés ne se sont vu confier aucun travail, que la salariée n'a plus de travail alors que le contrat de travail n'est ni rompu, ni suspendu, que l'absence de fourniture de travail constitue un trouble manifestement illicite et que le caractère alimentaire de la rémunération justifie un règlement urgent du contentieux par des mesures conservatoires ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ses constatations une situation apparente de coemploi constituée par une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion de la société Laboratoires Lohmann et Rauscher dans la gestion économique et sociale de sa filiale la société Sodimédical et de nature à justifier la condamnation de la société mère à exécuter les obligations de sa filiale en qualité d'employeur de la salariée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné sous astreinte à la société Laboratoires Lohmann et Rauscher de satisfaire à l'obligation de fourniture de travail à la salariée et de régulariser sous astreinte les cotisations de la mutuelle souscrite auprès de Vigie dans le cadre d'un contrat de groupe au compte de la salariée, l'arrêt rendu le 4 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.