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Décisions

Cass. crim., 30 juin 1999, n° 98-84.183

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Schumacher

Avocat général :

M. Geronimi

Avocat :

SCP Piwnica et Molinié

Nimes, ch. corr., du 12 juin 1998

12 juin 1998

Statuant sur les pourvois formés par - Z... Christian, - X... Monique, épouse Z..., contre l'arrêt de la cour d'appel de NIMES, chambre correctionnelle, en date du 12 juin 1998, qui, pour infractions à la législation sur les sociétés, banqueroute et escroqueries, les a condamnés, le premier, à 3 ans d'emprisonnement dont 30 mois avec sursis et mise à l'épreuve, la seconde, à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, a prononcé à leur égard 8 ans d'interdiction de gérer et a statué sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ; 

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425-4 de la loi du 24 juillet 1966, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6. 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, renversement de la charge de la preuve ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Christian et Monique Z... coupables d'abus de biens sociaux ;

" aux motifs qu'il n'appartient pas, comme prétendu, au ministère public de rapporter la preuve que les fonds détournés auraient été utilisés contrairement à l'intérêt social, avec perte d'un gain pour la société, mais que les dirigeants sociaux, qui ne peuvent démontrer, comme en l'espèce, avoir utilisé les fonds dont s'agit dans l'intérêt de la société, sont présumés l'avoir fait dans leur intérêt personnel ;

" 1) alors que l'usage des biens d'une société n'est contraire aux intérêts de celle-ci qu'autant qu'elle est dépourvue de contrepartie ; que, dans leurs conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel, les demandeurs faisaient valoir que l'utilisation faite par eux des fonds de la société avait eu pour contrepartie des avantages importants non facturés à la société ; qu'il en était ainsi, sans que cette liste soit exhaustive, notamment de la renonciation à la perception de salaire pour une somme fixée à 60 000 francs en ce qui concerne Monique Z... et pour une somme de 238 764 francs en ce qui concerne Christian Z..., de la mise à la disposition gratuite par eux de bâtiments leur appartenant en propre correspondant à une indemnité d'occupation de 120 000 francs, du versement d'une somme de 300 000 francs comptabilisée comme avance sur clients dont ils n'avaient pas demandé le remboursement à la société et qu'en se bornant à statuer par adoption des motifs des premiers juges et à faire état, de manière vague et imprécise, de ce que les dirigeants ne peuvent démontrer avoir utilisé les fonds dont s'agit dans l'intérêt de la société, la cour d'appel ne permet pas à la Cour de Cassation de vérifier s'il a ou non été répondu aux chefs péremptoires des conclusions des demandeurs en sorte que la cassation est encourue ;

" 2) alors que la présomption selon laquelle les fonds prélevés par les dirigeants sociaux l'ont nécessairement été dans leur intérêt personnel direct ou indirect n'est applicable qu'autant qu'il est expressément constaté que les prélèvements ont eu lieu de façon occulte ; qu'en l'espèce, ainsi que les demandeurs le faisaient valoir dans un chef de conclusions qui n'a pas été discuté par l'arrêt, les prélèvements ont donné lieu à une comptabilité précise ce qui exclut leur caractère occulte et que, dès lors, en faisant néanmoins application de la présomption ci-dessus énoncée en dehors du cas où elle est applicable, l'arrêt attaqué a renversé la charge de la preuve ;

" 3) alors qu'en tout état de cause, lorsqu'elle est applicable, la présomption selon laquelle l'utilisation des fonds sociaux par les dirigeants l'a été dans leur intérêt personnel, n'est pas irréfragable et cède devant la preuve contraire ; que cette preuve a été invoquée de manière circonstanciée par les époux Z... ainsi que cela a été ci-dessus rappelé et que, dès lors, en refusant d'examiner, point par point, les chefs de conclusions démontrant, comptes à l'appui, la réalité de l'utilisation par les dirigeants des biens de la société dans l'intérêt de celle-ci, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus énoncé " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'abus de biens sociaux dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 du Code pénal, 3, alinéa 1er, et 197 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Christian et Monique Z... coupables de banqueroute ;

" aux motifs que les époux Z... contestent avoir fait, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, des achats au-dessus du cours en vue d'une revente à perte ; que, dès lors, entre le mois de juillet et d'octobre 1991, le recouvrement des créances ne se faisait qu'à 50 % en moyenne et que l'EURL a connu, au cours de cette période, un manque de trésorerie multiplié par 4 tandis qu'elle mettait fin à sa politique de diversification de sa clientèle pour se concentrer sur un seul client, EMEC CARNI, dont le volume des achats au mois d'août 1991, a représenté 99, 64 % de son chiffre d'affaires mensuel, il est clair que les dirigeants de droit et de fait de l'EURL, qui ne bénéficiaient pas non plus d'un système de garantie type COFACE, devaient être conscients que les possibilités de redressement de l'entreprise étaient nulles ; que, pour autant, loin de réduire ou de différer les achats, les époux Z... allaient se lancer au contraire dans une politique d'intensification de ceux-ci, qui devait les conduire à expédier, sans aucune garantie de paiement, à une société avec laquelle ils n'avaient jamais commercé jusque-là, et dont, à leurs dires, ils ignoraient tout, trois à quatre camions par semaine (soit 1 000 à 1 200 têtes de bétail par mois), ce qui représentait au mois d'août 1991 la presque totalité du chiffre d'affaires de la société ; qu'une telle attitude pour un négociant avisé tel que Christian Z... qui exerce avec son épouse le commerce de bestiaux depuis plus de vingt ans et écoule l'essentiel de sa production sur le marché italien, relève d'une volonté consciente et délibérée et ne saurait, ainsi que le soutiennent les prévenus, être assimilée à la définition d'une politique de vente maladroite, traduisant des prises de position erronées au départ ; qu'en considération de l'ensemble des éléments de la cause, la Cour est en mesure de dire que, dès le 1er septembre 1991, l'EURL se trouvait de fait en état de cessation de paiement, celui-ci ne pouvant être subordonné, comme l'expert le propose, à la réclamation purement casuelle d'un créancier, en l'espèce la caisse ORGANIC, qui aurait pu tout aussi bien la présenter à un autre moment ; que c'est ainsi en toute connaissance de cause et dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire que les époux Z... se sont livrés à des achats de bestiaux au-dessus du cours en vue d'une revente à perte pour se procurer les liquidités nécessaires à la poursuite de leur activité ; qu'ainsi, M. Y..., négociant en bestiaux et ancien associé du prévenu au sein de la société BEVI-LOZERE précise-t-il dans son procès-verbal d'audition (cote D 591, page 3) : " A l'automne 1991, sur les marchés, le nommé Christian Z... a tout acheté au prix qui était demandé par les éleveurs ; il achetait des lots entiers ; il donnait le même prix pour les génisses que pour les broutards ; il faut savoir que, pour dix animaux mal achetés sur un camion, le bénéfice est annulé " ; qu'il n'importe que le système de la " retaille ", consistant pour l'acheteur mécontent de la qualité de la marchandise à réduire le montant de la facture dans une proportion pouvant atteindre 7 à 8 % de celle-ci, résulte de la pratique d'un usage commercial constant dès lors que les prévenus avaient intégré cette revente à perte dans leur activité de négoce dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture d'une procédure collective à leur encontre ;

" 1) alors que le délit de banqueroute suppose, pour être constitué, que la date de cessation des paiements soit légalement constatée par les juges du fond ; que ceux-ci ne peuvent conclure à l'état de cessation des paiements à une date déterminée qu'autant qu'ils ont, après analyse de documents précis, préalablement constaté que l'entreprise s'était trouvée, à ce moment, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible et que, dès lors, en fixant en l'espèce la date de cessation des paiements au 1er septembre 1991 sans avoir auparavant procédé à une telle constatation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985 ;

" 2) alors que l'article 197-1 de la loi du 25 janvier 1985, dont les dispositions sont d'interprétation stricte, incrimine au titre de la banqueroute la revente au dessous du cours et que l'arrêt qui s'est borné à faire état de prétendues reventes à perte sans constater que ces reventes aient été conclues au-dessous du prix du marché, a violé par fausse application le texte précité ;

" 3) alors que la perte de poids d'un animal au cours du transport est une contrainte du négoce de la viande et que le fait que cette perte entraîne une baisse de la facture appelée " retaille " ne peut être assimilée à une revente délibérée au-dessous du cours, le cours étant toujours fixé au poids et à la qualité " ;

Vu l'article 197-1 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que, selon ce texte, constitue notamment le délit de banqueroute le fait d'avoir effectué des achats en vue d'une revente au-dessous du cours, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ;

Attendu que, pour déclarer coupables de banqueroute Monique X... et Christian Z..., respectivement gérante de droit et gérant de fait de la société " Les monts d'Aubrac ", spécialisée dans le négoce de bestiaux, les juges relèvent que, postérieurement à la date de cessation des paiements de la société, dont ils fixent la date, les prévenus ont, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, acheté des bestiaux au-dessus du cours en vue d'une " revente à perte " ; qu'ils ajoutent qu'il n'importe que le système de la " retaille ", consistant pour l'acheteur mécontent de la qualité de la marchandise à réduire le montant de la facture dans une proportion pouvant atteindre 7 à 8 %, résulte de la pratique d'un usage commercial constant, dès lors que les prévenus avaient intégré cette revente à perte dans leur activité de négoce ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans caractériser l'existence de reventes au-dessous du cours, lesquelles ne se confondent pas avec des reventes à perte, notamment dans les cas où la pratique de la " retaille " avait été appliquée, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Et sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1 du Code pénal, 405 de l'ancien Code pénal, 388, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir, ensemble violation des droits de la défense ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Christian et Monique Z... coupables d'escroquerie et les a condamnés à verser d'importants dommages-intérêts aux parties civiles ;

" aux motifs, repris des premiers juges, qu'elle connaissait de graves difficultés financières, l'EURL a intensifié ses achats les quatre mois précédant l'ouverture de la procédure collective pour vendre à des clients sur la solvabilité desquels les époux Z... ne disposaient d'aucune garantie, ni renseignement fiable et qui, très rapidement, n'honoraient pas les créances ; qu'en conséquence, les prévenus, en poursuivant leurs opérations d'achats, se faisaient remettre des animaux par les éleveurs dont ils savaient pertinemment qu'ils ne pouvaient assurer le règlement, le crédit financier avancé par les époux Z... n'étant qu'imaginaire ; que Christian Z..., connu depuis de nombreuses années dans le milieu du négoce des animaux bénéficiait d'une réputation auprès des vendeurs dont il a abusé pour, selon les cas, procéder à l'enlèvement avant tout paiement qu'il promettait ultérieurement par chèque, ou bien, en remettant un chèque ou une traite qu'il savait ne pouvoir honorer dans les délais indiqués au vendeur, voire ultérieurement ; qu'ainsi, Christian Z... trompait la confiance des éleveurs en leur indiquant avoir oublié son chéquier, ou en remettant un chèque ou une traite qu'il savait nécessairement être rejetés, n'ignorant pas qu'ils ne pouvaient être honorés à l'échéance, manoeuvres manifestement frauduleuses ;

" 1) alors que les tribunaux correctionnels ne peuvent légalement statuer que sur les faits visés dans la citation ou l'ordonnance qui les a saisis ; que Christian et Monique Z... étaient poursuivis pour avoir trompé en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en laissant croire en l'existence d'un crédit imaginaire alors que l'EURL les Monts d'Aubrac était en état de cessation des paiements d'un certain nombre de victimes ; que cette incrimination incomplète ne permettait pas aux juges d'entrer en voie de condamnation à l'encontre des demandeurs du chef d'escroquerie sur le fondement de l'article 405 de l'ancien Code pénal et qu'en relevant d'office, en dehors de toute comparution volontaire des prévenus, l'abus de qualité vraie de négociant en bestiaux prêtée à Christian Z... et les manoeuvres frauduleuses, à nouveau prêtées à celui-ci, ayant prétendument consisté en des remises de chèques non approvisionnés, les juges du fond ont excédé leur pouvoir et méconnu, ce faisant, les droits de la défense ;

" 2) alors qu'il ne saurait y avoir d'escroquerie par simple mensonge et que, par conséquent, le fait, à le supposer établi, pour Christian Z..., en dehors de toute intervention de tiers, d'avoir indiqué à certains de ses cocontractants, avoir oublié son chéquier ou de leur avoir promis mensongèrement un chèque, n'est pas constitutif de manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 405 de l'ancien Code pénal ;

" 3) alors qu'aux termes de l'article 121-1 du Code pénal, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait et que les juges du fond, qui n'ont relevé à l'encontre de Monique Z... aucun fait de participation aux escroqueries prétendument commises par son époux, a violé le principe susvisé " ;

Sur le moyen de cassation en ce qu'il concerne Christian Z... ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits d'escroqueries dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Mais sur le moyen de cassation en ce qu'il concerne Monique X..., épouse Z... ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que la cour d'appel, qui a déclaré Monique X..., épouse Z..., coupable d'escroqueries sans caractériser sa participation aux faits poursuivis, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Que, dès lors, la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les quatrième et cinquième moyens proposés, portant sur la peine et sur l'action civile ;

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, en date du 12 juin 1998, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Limoges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.