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Décisions

Cass. com., 1 mars 2017, n° 14-26.225

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Ohl et Vexliard, SCP Spinosi et Sureau

Paris, du 2 oct. 2014

2 octobre 2014

Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 2 octobre 2014 et 18 décembre 2004), que les titres de la société NET2S étaient admis aux négociations sur le compartiment C d'Euronext ; que le 10 octobre 2007, la société NET2S a publié un communiqué faisant état d'une offre publique d'achat simplifiée (OPA) sur ses titres par la société British Telecom ; qu'après une enquête sur le marché du titre à compter du 1er mars 2007, menée en collaboration avec son homologue du Royaume Uni La Financial Service Athority (la FSA) dans le cadre de l'accord multilatéral portant sur la consultation, la coopération et l'échange d'informations, le président de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) a notifié des griefs à M. [E] [F], Mme [Z], M. [Z], M. [G], M. [T] [F], la société Intouch Investments Limited (la société Intouch), représentée par ses deux associés gérants MM. [G] et [T] [F], et M. [U] ; que par décision du 28 septembre 2012, la commission des sanctions de l'AMF a retenu qu'entre le 3 mai et le 10 octobre 2007, M. [E] [F] avait transmis une information privilégiée à Mme [Z] et à M. [G], que ce dernier l'avait transmise à M. [U], et que MM. [G], [Z], Mme [Z], la société Intouch, M. [T] [F] et M. [U] avaient utilisé cette information, et a prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° V 14-26.225 :

Attendu que M. [E] [F] fait grief à l'arrêt du 2 octobre 2014 de rejeter son recours en annulation de la décision pour non-respect des formes de convocation alors, selon le moyen :

1°/ que l'accord multilatéral de coopération conclu par l'AMF avec des autorités de régulation étrangères ne la dispense pas du respect des règles de convocation devant la commission des sanctions de l'AMF prescrites par l'article R. 621-39 du code monétaire et financier ; qu'en estimant qu'il résultait d'un accord multilatéral signé par plusieurs autorités de régulation que la régularité des actes accomplis dans le cadre d'une demande d'assistance, par un homologue étranger, en vertu de cet accord, s'apprécie au regard des règles de procédure de l'Autorité saisie, en l'occurrence l'Autorité anglaise, de sorte que la circonstance que M. [E] [F] n'ait pas été convoqué selon les formes prévues par le code monétaire et financier était indifférente, la cour d'appel a violé l'article R. 621-39 III du code monétaire et financier, ensemble les articles L. 621-15 et L. 632- 7 du code monétaire et financier, et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que l'article 9 d) de l'accord multilatéral de coopération signé par l'AMF stipule qu' « à moins que les Autorités n'en aient décidé autrement, les informations et documents demandés dans le cadre du présent Accord seront rassemblées conformément aux procédures en vigueur dans la juridiction de l'Autorité requise, par les personnes qu'elle aura désignées … » ; qu'il s'évince clairement et précisément d'une telle stipulation que l'application des procédures en vigueur dans la juridiction de l'Autorité requise ne concerne que le rassemblement des informations et documents demandés, c'est-à-dire le recensement des preuves, à l'exclusion de la convocation des prévenus devant l'autorité en charge du prononcé des sanctions ; qu'en estimant qu'il résultait de ce texte que la régularité de la convocation de M. [E] [F] devait s'apprécier au regard du droit anglais dont relevait l'Autorité requise, la cour d'appel a dénaturé l'accord multilatéral de coopération et a partant violé l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate, d'abord, que l'AMF s'est adressée le 18 juin 2012 à la FSA, signataire comme elle de l'accord multilatéral portant sur la consultation, la coopération et l'échange d'informations de l'Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières, afin qu'elle remette à M. [E] [F] la convocation pour la séance de la commission des sanctions prévue le 21 septembre 2012 ; qu'il relève, ensuite, que l'article 7 de l'accord, relatif à l'étendue de l'assistance, énonce que les autorités se fourniront mutuellement l'assistance la plus complète possible en vue de garantir le respect des lois et réglementations en vigueur dans leurs juridictions respectives ; qu'il relève, encore, que cet accord, conclu pour conduire des activités de surveillance, de contrôle et d'enquêtes à la demande d'autorités étrangères, prévoit en son article 9 d), relatif à l'exécution des demandes d'assistance, qu'à moins que les autorités n'en aient décidé autrement, les informations et documents demandés dans le cadre de cet accord seront rassemblés conformément aux procédures en vigueur dans la juridiction de l'autorité requise, par les personnes qu'elle aura désignées ; qu'il relève, enfin, que la convocation de M. [F] à la séance du 21 septembre 2012 a fait l'objet d'une lettre remise par porteur à l'adresse de l'intéressé le 20 juin 2012 puis d'une lettre recommandée du 30 juillet 2012 remise contre reçu, ce dont la FSA a justifié par lettres des 5 juillet et 28 août 2012, et que le conseil de M. [F] a lui-même été avisé de la séance par lettre recommandée du 25 mai 2012 ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui en a déduit, sans dénaturation, que la régularité des actes accomplis dans le cadre d'une demande d'assistance, par un homologue étranger, en vertu de l'accord multilatéral susvisé, devait être appréciée au regard des règles de procédure de l'autorité saisie de sorte que la circonstance que M. [E] [F] n'ait pas été convoqué selon les formes prévues à l'article L. 621-39 du code monétaire et financier, inapplicable aux actes effectués par la FSA, était indifférente et que les exigences du procès équitable tenant au principe de la contradiction et des droits de la défense avaient été respectés, a statué à bon droit ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° V 14-26.225, le deuxième moyen du pourvoi n° X 15-12.362, pris en ses deuxième et troisième branches, et le quatrième moyen du pourvoi n° V 14-26.892, partiellement rédigés en termes similaires, réunis :

Attendu que M. [E] [F], M. [Z], Mme [Z], la société Intouch Investments Limited et MM. [G], [T] [F] et [U] font grief à l'arrêt du 2 octobre 2014, rectifié par arrêt du 18 décembre 2014, de rejeter leurs recours en annulation formé contre la décision de la commission des sanctions alors, selon le moyen :

1°/ qu'une information privilégiée est une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés et qu'une information est réputée précise si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés ; qu'un projet d'offre public ne constitue une information privilégiée que lorsqu'en dépit de son caractère aléatoire, il présente des chances raisonnables d'aboutir dans un délai proche ; qu'en se bornant à relever que l'opération avait, au minimum, des chances « raisonnables » d'aboutir, sans rechercher si une telle réalisation était susceptible d'avoir lieu dans un délai proche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 621-1 du Règlement général de l'AMF, ensemble l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;

2°/ que M. [E] [F] faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la commission des sanctions de l'AMF n'avait pas pris en considération les spécificités liées au mode de fonctionnement de British Telecom dans la date à laquelle le projet d'acquisition avait des chances d'aboutir, en ce que tant l'accord de confidentialité que la validation du comité d'investissement sont des préalables nécessaires et indispensables à tout engagement de discussion par la société British Telecom ; qu'en se bornant à affirmer que si, comme l'indiquent les requérants, NET2S n'avait pas l'intention de vendre début avril 2007, sa position a évolué, ce que dénote la conclusion d'un accord de confidentialité entre les parties le 20 avril 2007, accord qui manifeste nécessairement l'existence d'un projet commun - d'ailleurs immédiatement suivi d'une réunion le 23 avril- et qui permet de retenir que l'opération avait, au minimum, des chances « raisonnables » d'aboutir, sans répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'une information n'est réputée précise que si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés ; que la notion de précision, en matière d'offre publique d'achat d'une société dont les fondateurs détiennent un bloc de contrôle, suppose un projet suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d'aboutir ; qu'en ce qu'elle s'est fondée, pour dire qu'au 3 mai 2007 il existait un projet suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d'aboutir, partant qu'à cette date l'information relative « à la préparation de l'offre publique d'achat de British Telecom sur les actions de la société NET2S » était précise au sens de l'article L. 621-1, alinéa 2, du règlement général de l'AMF, sur le constat qu'à cette date une note de présentation du 30 avril 2007 avait été soumise au comité d'investissement de British Telecom, comportant un résumé des éléments financiers relatifs au projet, décrivant les caractéristiques et l'activité de NET2S et les conditions d'un rapprochement, qui l'avait validé et qu'une offre indicative et non engageante avait été présentée à NET2S, quand ces éléments visaient exclusivement l'intention de la société British Telecom, la cour d'appel a statué par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'un projet suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d'aboutir et privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 622-1 du règlement général de l'AMF et L. 621-15 du code monétaire et financier ;

4°/ qu'une information n'est réputée précise que si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et permettant d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés ; que la notion de précision, en matière d'offre publique d'achat d'une société dont les fondateurs détiennent un bloc de contrôle, suppose un projet suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d'aboutir ; que dans leurs conclusions devant la cour d'appel, les personnes sanctionnées faisaient valoir qu'en matière d'offre publique d'achat, il convenait de distinguer, quant au caractère suffisamment défini du projet, selon que le projet nécessitait ou non l'accord des actionnaires principaux de la société cible ; qu'ils indiquaient encore, qu'en l'espèce, quel que soit l'état d'avancement du projet de la société British Telecom, aucune offre publique d'achat n'était possible sans l'accord préalable des fondateurs de la société NET2S qui détenait un bloc de contrôle de la société, de sorte qu'en l'absence, au 3 mai 2007 d'un tel accord, fut-il de principe, il n'était pas raisonnablement possible de penser que l'opération de marché allait aboutir ; qu'en se bornant, pour rejeter le recours des personnes sanctionnées, à affirmer qu' « en matière d'offre publique, dont l'influence sensible sur le cours de bourse n'est guère discutable, le fait de savoir qu'un tel projet se prépare caractérise l'existence de l'information, même si un aléa subsiste sur le lancement de l'offre », sans répondre au moyen tiré de la distinction entre les offres publiques hostiles et celles nécessitant l'accord des actionnaires principaux de la société cible, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt constate, d'abord, qu'après une réunion tenue le 23 avril 2007, une note de présentation du 30 avril 2007 a été soumise au comité d'investissement de la société British Telecom, qui comportait un résumé des éléments financiers relatifs au projet, décrivait les caractéristiques et l'activité de la société NET2S, et les conditions d'un rapprochement, et qu'un cabinet d'avocat a été missionné par cette dernière fin avril 2007, l'offre lui étant finalement présentée le 3 mai suivant ; qu'il relève, encore, que le projet proposé au comité d'investissement de la société British Telecom comprenait notamment un recensement minutieux des activités de la société NET2S, des évaluations financières multicritères très détaillées, l'indication des synergies possibles entre les deux sociétés, des conditions juridiques d'un rapprochement et des enjeux pour la société British Telecom ainsi que la recommandation d'un premier prix indicatif à soumettre à la société NET2S, qui offrait une prime de 33 % par rapport à la valeur de marché de la société à l'époque, et de 40 % par rapport à la moyenne des cours constatés le mois précédent ; que de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu déduire qu'il existait, dès le 3 mai 2007, une information précise relative au projet d'offre publique de la société British Telecom, même si un aléa subsistait quant à la date et à la réalisation effective du lancement de l'offre, dès lors que ce projet était, à cette date, suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d'aboutir ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le quatrième moyen du pourvoi n° 14-26.225, pris en sa première branche :

Attendu que M. [E] [F] fait grief à l'arrêt du 2 octobre 2014 de rejeter son recours alors, selon le moyen, que le devoir d'abstention pesant sur l'initié ne présente pas un caractère absolu ; qu'en refusant de tenir compte de circonstances atténuantes pour modérer la peine infligée à M. [E] [F], aux motifs qu'il devait être condamné au maximum du montant forfaitaire encouru au regard de son obligation d'abstention absolue, la cour d'appel a violé l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;

Mais attendu qu'ayant pris en compte la gravité de la violation, par un initié, de son obligation absolue d'abstention, et de la gravité particulière des manquements retenus, en ce qu'ils ont été commis au profit de deux autres personnes, Mme [P] [Z] et M. [G], et ont été à l'origine de tous les autres manquements commis dans le cas d'espèce , la cour d'appel a estimé que la sanction pécuniaire concernant M. [E] [F] devait être fixée au maximum du montant forfaitaire encouru ; que le moyen, qui, sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine de la sanction, ne peut être accueilli ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le deuxième moyen et le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° V 14-26.225, ni sur les premier, deuxième et troisième moyens du pourvoi n° V 14-26.892, ni sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses première, quatrième et cinquième branches, et les troisième à sixième moyens du pourvoi n° X 15-12.362, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.