Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 4 juin 2020, n° 19/114547

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Autorité des Marchés Financiers

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schmidt

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Tréard

Avocat :

Me Peltier

CA Paris n° 19/114547

3 juin 2020

FAITS ET PROCÉDURE

1.Le 9 décembre 2014, le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers (ci-après l'« AMF ») a ouvert une enquête sur le marché du titre Iliad à compter du 1er juin 2014, afin de déterminer si des transactions avaient été réalisées sur ce titre au mois de juillet 2014 en connaissance d’une information privilégiée concernant le projet d’acquisition par la société Iliad (ci-après « Iliad ») de la société de droit américain T-Mobile US Inc. (ci-après « T-Mobile »), filiale cotée au NYSE de la société Deutsche Telekom (ci-après « Deutsche Telekom ») et quatrième opérateur téléphonique américain.

1. L’acquisition envisagée sous la dénomination « Projet Tolbiac »

2.L’enquête a mis en évidence les faits suivants :

– En avril/mai 2014, M. Y… J…, fondateur et actionnaire majoritaire d’Iliad, a commencé à réfléchir à ce projet et a sollicité M. U… P…, directeur financier d’Iliad pour qu’il l’examine. Iliad a mandaté la banque […] pour travailler sur le projet et a reçu le 28 mai 2014 un rapport, intitulé « prévois discussion matériels » (pièce AMF, annexe 4-1), comprenant, d’une part, des éléments relatifs au marché américain des Télécoms et à l’évaluation de la cible, et présentant d’autre part, trois scénarios potentiels ;

– En juin 2014, M. U… P… a rencontré les dirigeants de Deutsche Telekom. Il a échangé avec M. G… V…, associé gérant de M… en charge du dossier. Le cabinet d’avocat Paul Hastings a été mandaté par Iliad pour étudier les contraintes légales et réglementaires du projet. Un premier projet d’offre indicative a été rédigé le 10 juin 2014 ;

– Le 24 juin 2014, M. P… a envoyé à plusieurs dirigeants d’Iliad, dont M. Q…, directeur général, une série de documents par un mail intitulé « Docs Tolbiac – confidentiel » indiquant « pour info, en vue du conseil du 1er juillet vous trouverez différentes présentations sur le marché US et T-Mobile (…) Iliad deviendrait actionnaire en direct de T-Mobile à hauteur de [51 % – 80 %] avec une dette d’acquisition (hors dette opérationnelle) maximum de 9,2 bn€. » ;

– Le 27 juin 2014, M. P… a pris contact avec la banque HSBC pour lui présenter le projet ;

– Le procès-verbal de réunion du conseil d’administration d’Iliad du 1er juillet 2014, auquel M. Q… a participé, est ainsi rédigé :

« Projet Tolbiac :

Face au ralentissement de la croissance du groupe en raison notamment de la maturité du marché des communications électroniques fixes et la décélération logique de la croissance du marché mobile en France, Iliad doit trouver de nouveaux relais de croissance à court ou moyen terme notamment sur des marchés à l’étranger. La structure financière d’Iliad, qui très peu endettée, sa valorisation boursière au plus haut ainsi que les conditions favorables du financement poussent le groupe à étudier les opportunités qui se présentent.

Ainsi, plusieurs cibles possibles ont été analysées en fonction de plusieurs critères (taille, diversification géographique/devises, actif de taille critique, préférence pour un actif mobile, contrôle de l’actif sans dilution excessive du management d’Iliad) et le choix s’est porté sur T-Mobile Us (…).

1. Les raisons ayant motivé ce choix sont les suivantes :

– la structure du marché des Etats Unis est très attractive (…) ;

– L’ADN de T-Mobile est similaire de celle du groupe : pure player du marché grand public avec des offres simples et sans engagement / une position de maverick en fort gain de parts de marché depuis 18 mois ;

– le rebond potentiel des marges important en raison de plusieurs leviers d’optimisation de la structure.

2. L’offre envisagée à ce jour est présentée au conseil d’administration :

Il s’agirait pour Iliad de se porter acquéreur de 100% du capital de T-Mobile à 34 $ par action. Le financement de l’opération se réaliserait pour partie en numéraire (jusqu’à 9 milliards de dollars) et pour partie en nouvelles actions Iliad émises à 240 euros par action.

Le montant de la transaction s’élèverait entre 13,4 et 20,1 milliards d’euros.

3. Les contraintes de l’opération sont :

– Le caractère côté de la cible ;

– L’existence d’un pacte d’actionnaire qui impose le lancement d’une offre sur les minoritaires de la cible ;

– La volonté de l’actionnaire majoritaire (Deutsche Telekom) de céder l’intégralité de sa participation ;

– refinancement de la dette intragroupe de Deutsche Telekom pour 5,6 milliards de dollars ;

– Le refinancement de la dette opérationnelle de la cible en cas de downgrade et en cas de changement de contrôle pour 14, 3 milliards de dollars ;

– La problématique de levier et dilution de l’actionnariat d’Iliad.

Sur l’articulation de cette opération avec un projet de consolidation sur le marché français, M. P… précise qu’il apparaît difficile voire impossible de procéder à l’acquisition de la totalité de Bouygues Télécom avant ou concomitamment à la réalisation du projet Tolbiac.

A la suite de la présentation, une discussion s’engage au sein du conseil sur l’opportunité de l’opération Tolbiac. A l’issue d’un échange nourri, le conseil autorise MM. Q… et P… à poursuivre la réalisation du projet notamment à l’effet de déposer une offre non engageante dans les prochaines semaines. »

– Le 2 juillet 2014, la société Orange a publié un communiqué de presse annonçant avoir mis fin au projet de partenariat envisagé avec Iliad pour l’acquisition de Bouygues Télécom ;

– Le 31 juillet 2014, la société Iliad a rendu public le projet Tolbiac en publiant un communiqué de presse annonçant avoir déposé une offre d’acquisition de 56, 6 % du capital de T-Mobile pour un montant de 15 milliards d’euros. Chaque actionnaire se voyait proposer de céder 56, 6 % de ses actions au prix de 33 dollars par action, puis de percevoir pour le reliquat soit 43, 4 % des actions de la nouvelle société T-Mobile post acquisition. Pour financer le projet, Iliad entendait s’appuyer sur un financement bancaire et une augmentation de capital d’environ 2 milliards à laquelle son fondateur, M. J…, devait souscrire personnellement ;

– Le 1er août 2014, le lendemain de l’annonce, le titre Iliad a ouvert en forte baisse (-10, 19 % par rapport à la veille) et a terminé la séance en recul de 7 % par rapport au cours de la veille. Ont été échangés au cours de la séance près de 12 fois le volume moyen quotidien constaté sur l’année 2014 ;

– A la date du communiqué, T-Mobile était déjà en discussion avancée pour une fusion avec la société Sprint, troisième opérateur de téléphonie aux USA. Le 6 août 2014, la société Sprint a annoncé avoir renoncé à son offre sur T-Mobile ;

– le 7 août 2014, Deutsche Telekom a indiqué ne pas avoir reçu d’offre satisfaisante pour le rachat de sa filiale T-Mobile, rejetant de fait l’offre d’Iliad ;

– Le 3 octobre 2014, le site d’information N… a indiqué qu’Iliad étudiait la possibilité de déposer une offre améliorée sur T-Mobile.

3.Le 13 octobre 2014, Iliad a publié un communiqué annonçant que les actionnaires de T-Mobile avaient décliné les offres présentées par le groupe qui, en conséquence, avait décidé de mettre fin à son projet d’acquisition.

2. Les opérations sur titres réalisées par M. O… Q… et Mme D… L.

4.En sa qualité de dirigeant d’Iliad, M. Q… a bénéficié d’un plan de souscription d’actions octroyé le 5 novembre 2008 par lequel 80 000 options de souscription d’actions lui ont été attribuées, susceptibles d’être exercées à compter du 5 novembre 2013 au prix de 53,79 euros, le délai pour exercer les options étant de 10 ans à compter de leur date d’attribution.

5.M. Q… a levé, entre décembre 2013 et mai 2014, 61 050 options et vendu les actions correspondantes pour un montant brut d’environ 10,7 millions d’euros.

6.Le 4 juillet 2014, il a adressé un courriel à sa banque, lui donnant l’ordre de lever des options d’achat des titres Iliad et de céder ces derniers immédiatement. L’ordre a porté sur 7 000 actions et était assorti d’une limite de 218 euros. Il a été exécuté les 4 et 7 juillet 2014. Les interventions de M. Q… ont représenté 14, 26 % des transactions réalisées le 4 juillet 2014 et 5, 13 % le 7 juillet 2014.

7.Le 11 juillet 2014, M. Q… a procédé, comme l’y autorisait une procuration donnée par sa compagne Mme D… L., à la vente de 650 actions Iliad pour le compte de cette dernière (sur les 2 400 qu’elles détenait), l’ordre étant assorti d’une limite de 208 euros.

8.Ces transactions ont été régulièrement déclarées au titre des obligations déclaratives des dirigeants les 9 et 10 juillet 2014 et des obligations déclaratives des personnes liées aux dirigeants le 17 juillet 2014.

9.Le 24 juillet 2014, Mme D… L. a acquis 13 345 titres Orange pour un montant net de 156 198, 87 euros. M. Q… a pour sa part, entre le 15 et le 25 juillet 2014, fait l’acquisition de 19 200 titres Orange pour un montant de 225 189 euros.

3. La procédure devant l’AMF

10.Le 16 septembre 2016, la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF (ci-après « la DEC ») a adressé à M. Q… une lettre circonstanciée lui faisant connaître qu’il pourrait être considéré que, par ses fonctions de directeur général, il avait connaissance de l’information privilégiée relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad à compter du 9 juillet 2014. M. Q… a adressé des observations en réponse le 14 octobre 2016.

11.Le 24 janvier 2017, la DEC a adressé à Iliad un procès-verbal de constatation du 17 janvier 2017 listant les pièces du dossier joint au rapport d’enquête (pièce no40).

12.Le 6 mars 2017, la DEC lui a adressé une seconde lettre circonstanciée indiquant que le collège avait examiné, lors de sa séance du 14 février 2017, les éléments de faits et de droit consignés par les enquêteurs ainsi que ses observations en réponse et avait décidé de lui adresser cette nouvelle lettre afin de recueillir ses observations complémentaires « sur une analyse des faits retenant que le projet relatif à l’acquisition de T-mobile par Iliad présentait les caractéristiques d’une information privilégiée dès le 2 juillet 2014 et non à compter du 9 juillet 2014 ».

13.M. Q… a adressé des observations en réponse le 6 avril 2017.

14.Après le dépôt du rapport d’enquête final le 22 juin 2017, le collège de l’AMF, réuni le 4 juillet 2017, a décidé l’ouverture d’une procédure de sanction à l’encontre de M. Q….

15.Par lettre du 28 septembre 2017, le président de l’AMF a ainsi notifié à M. Q… le grief de manquement aux dispositions des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF (ci-après RGAMF) pour avoir utilisé à deux reprises, l’une pour son compte l’autre pour le compte de sa compagne, l’information relative au projet d’acquisition de la société T-Mobile par Iliad qu’il détenait en qualité directeur général de la société Iliad et qui présentait les caractéristiques d’une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du règlement général de I’AMF à partir du 2 juillet 2014. Cette lettre était accompagnée du rapport d’enquête du 22 juin 2017.

16.Par lettres des 13 et 29 novembre 2017, M. Q… a sollicité le versement au dossier de la procédure « du rapport tel qu’il a été présenté au collège de l’AMF, le 14 février 2017 ». Le secrétaire général de l’AMF le lui a refusé au motif que ce document était un document de travail interne, non définitif, des investigations étant alors toujours en cours.

17.Le rapporteur, désigné le 12 octobre 2017 par la présidente de la Commission des sanctions, a déposé son rapport le 11 février 2019.

18.La Commission des sanctions a examiné l’affaire lors de sa séance du 28 mars 2019 et par décision du 25 avril suivant, a retenu que les griefs notifiés à M. Q… étaient établis, a prononcé à l’encontre de ce dernier une sanction de 600 000 euros et a ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l’AMF et son maintien en ligne pendant cinq ans.

4. Les recours formés

19.La cour est saisie du recours en annulation, et à titre subsidiaire en réformation, de cette décision formée par M. Q…, ainsi que du recours incident en réformation formé par le président de l’AMF.

20.M. Q… demande à la cour de :

– à titre principal, juger que la procédure de sanction est entachée de nullité en raison de l’atteinte irrémédiable à ses droits et/ou de l’atteinte au principe du procès équitable, la Commission des sanctions s’étant prononcée sur la base d’un rapport d’enquête différent de celui présenté au collège lors de sa séance du 14 février 2017 ;

– à titre subsidiaire,

• dire que le caractère précis de l’information sur le projet T-Mobile n’était acquis ni les 2 et 9 juillet 2014, ni aux dates des opérations sanctionnées, et qu’au surplus à ces dates, l’information sur ce projet, qui pouvait faire l’objet d’une offre que Deutsche Telekom ne voulait pas prendre en considération, n’était pas susceptible d’avoir une conséquence sur le cours de bourse d’Iliad puisque sa communication aurait nécessairement conduit à une fin de non-recevoir ;

• dire que l’imputation de la cession de 650 actions Iliad détenues par Mme D… L. à M. Q… n’est pas fondée ;

– à titre encore plus subsidiaire, juger que la sanction pécuniaire prononcée par l’AMF est disproportionnée et réduire substantiellement son quantum.

21.Le président de l’AMF demande à la cour de porter la sanction à l’encontre de M. Q… à la somme d’un million d’euros.

22.Dans son avis du 26 février 2020, le ministère public estime que le recours principal doit être rejeté et le recours incident accueilli. Il s’en remet à l’appréciation de la cour quant au montant de la sanction.

MOTIVATION

I. SUR LA NULLITÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT L’AMF

23.M. Q… fait valoir, en premier lieu, que l’article L.621-15 du code monétaire et financier prévoit que le collège examine le rapport d’enquête établi par les services de l’AMF de sorte que, lors de sa séance du 14 février 2017 le collège a nécessairement statué sur la base de ce rapport d’enquête initial, ce qui exclut la qualification de ce document de « document de travail non définitif », et ce qui exigeait que ce document soit versé à la procédure. Il souligne qu’il résulte des dispositions de l’article 144-2-1 du RGAMF que l’envoi d’une lettre circonstanciée intervient avant la rédaction finale du rapport d’enquête qui doit être présenté au collège et donc à la fin de l’enquête, et non à un stade intermédiaire. Il ajoute que la lettre du 24 janvier 2017 adressé par la DEC, listant la liste des pièces jointes au rapport d’enquête, marquait la fin des investigations.

24.Il soutient, en second lieu, que la décision du collège lors du 14 février 2017 est illégale au motif d’une part, que le collège n’a pas statué sur l’éventuel engagement de poursuites alors que ni l’article L.621-15 du code monétaire et financier ni la Charte des enquêtes de l’AMF ne l’autorisent à reporter sa décision ou à surseoir à statuer ; d’autre part, qu’en décidant de rouvrir une enquête close, de lui adresser une nouvelle lettre circonstanciée et de faire modifier le rapport d’enquête pour y reporter au 2 juillet 2014 la date à laquelle l’information relative au projet T-Mobile était devenue privilégiée, le collège, organe de poursuite, s’est immiscé dans la direction des enquêtes, de manière déloyale et au mépris de la séparation des fonctions d’enquêtes, qui relèvent des attributions exclusives du secrétaire général de l’AMF, et celle des poursuites, qui relève de la compétence du collège, principe et règles qui garantissent la loyauté de l’enquête.

25.Il soutient, en troisième lieu, que la décision du collège du 14 février 2017 a abouti à l’envoi d’une notification de griefs et à la saisine de la Commission des sanctions sur la base d’un rapport d’enquête expurgé, sur instruction du collège, des éléments à décharge qui avaient amené les enquêteurs à considérer que l’information sur le Projet T-Mobile est devenue privilégiée le 9 et non le 2 juillet 2014. Il fait valoir que ces circonstances portent, à elles seules, une atteinte irrémédiable à ses droits de la défense puisqu’il a été mis en cause et jugé par la Commission des sanctions à la lumière d’un rapport d’enquête modifié par le collège, sans que cette dernière ait eu connaissance du premier rapport d’enquête fixant la date du caractère privilégiée de l’information au 9 juillet 2014, et sans qu’il puisse s’en prévaloir comme élément à décharge. Il souligne que le refus des services de l’AMF de lui communiquer le rapport initial ainsi que la première page de ce rapport et de l’ordre du jour de la séance du collège du 14 février 2017 constitue une atteinte au principe du contradictoire, lequel étant applicable à partir de la notification des griefs, imposait que soit versé à la procédure le rapport initial comme élément à décharge.

26.Dans son mémoire complémentaire du 12 février 2020, M. Q… ajoute que le collège se devait de s’appuyer sur le rapport qui lui a été soumis le 14 février 2017, rien ne s’opposant à ce qu’il puisse notifier les griefs à M. Q… en retenant une qualification ou une date différente pour la qualification de l’information en cause comme étant privilégiée.

27.L’AMF répond qu’il résulte d’une jurisprudence bien établie, qu’elle cite et reproduit dans ses écritures, que le principe des droits de la défense ne s’applique qu’à compter de la notification des griefs et non à la phase préalable d’enquête et que cette dernière doit seulement être loyale, de façon à ne pas compromettre irrémédiablement les droits de la défense.

28.Elle fait valoir que la violation des principes et règles invoqués est infondée. Elle relève qu’il n’est nullement indiqué, dans la lettre du 24 janvier 2017 à laquelle se réfère M. Q…, que ce courrier marque la fin des investigations. Elle souligne en outre qu’il ne peut être sérieusement soutenu que des éléments factuels auraient été dissimulés à M. Q…. Elle ajoute qu’aucune disposition ne fait obstacle à ce qu’une seconde lettre circonstanciée soit adressée à une personne mise en cause si l’appréciation portée sur les faits par les enquêteurs a évolué postérieurement à son envoi. Ceci a permis en l’espèce de recueillir les observations de M. Q… sur la nouvelle analyse des faits retenue par les enquêteurs. L’AMF rappelle qu’aucun texte ni principe ne fait non plus obstacle à ce que le collège décide d’attendre avant de prendre une décision sur l’éventuelle ouverture d’une procédure de sanctions et que des débats ont régulièrement lieu devant le collège sans donner lieu à des prises de décisions immédiates.

29.L’AMF conteste qu’ait été consacré un principe de « séparation des fonctions de l’AMF », comme allégué et observe qu’aucune décision n’est citée à l’appui. Elle rappelle que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH »), dans son arrêt du 1er septembre 2016, a considéré que pour que le principe d’indépendance et d’impartialité nécessaire au respect des droits de la défense soit correctement mis en oeuvre, seule la Commission des sanctions devait être indépendante des autres organes de l’AMF. Une séparation fonctionnelle entre les organes d’enquête et de poursuite ne constitue donc qu’une modalité d’organisation purement interne, à la différence de la séparation entre les fonctions de poursuite et de jugement.

30.L’AMF fait valoir que devaient être versées à la procédure lors de la saisine de la Commission des sanctions la position définitive du collège arrêtée dans la notification des griefs, d’une part, et la position des services développée dans le rapport d’enquête, d’autre part. Elle ajoute que tout autre document est interne à l’AMF et était susceptible d’être modifié ou complété par les services jusqu’à la décision du collège se prononçant sur l’opportunité d’ouvrir une procédure de sanction.

31.Elle conteste que des éléments à décharge non connus de M. Q… aient pu être écartés, la démonstration du caractère privilégié de l’information, et notamment de son caractère précis, supposait d’ajouter des éléments et non pas d’en retirer. Elle observe que la comparaison des deux lettres circonstanciées adressées à M. Q… permet de constater une forte similitude de l’argumentaire développé, l’analyse ne différant partiellement que sur un point, l’impact de l’avis favorable de financement émis par les banques. Elle ajoute que le document de travail de HSBC du 8 juillet 2014 et la présentation de BNP Paribas du 9 juillet 2014 figurent en annexe du rapport d’enquête communiqué à M. Q….

32.Elle souligne que M. Q… a pu se confronter à deux reprises au raisonnement des enquêteurs et a été informé des éléments de fait susceptibles d’être pris en compte par le collège. L’envoi d’une seconde lettre circonstanciée a permis de préserver ses droits dès lors qu’il a pu faire valoir ses observations sur la dernière analyse des enquêteurs. À compter de l’ouverture de la procédure de sanction, l’intéressé a eu accès à l’entier dossier de la procédure, a fait valoir ses observations en réponse à la notification des griefs puis en réponse au rapport du rapporteur et a été représenté lors de la séance de la Commission des sanctions. Il a en outre été conseillé tout au long de la procédure par son avocat. Elle conteste en conséquence toute atteinte à la loyauté de l’enquête.

33.Le ministère public invite la cour à approuver l’analyse de l’AMF. Il estime que le déroulement de la procédure a été décrit dans la décision critiquée et qu’il en ressort que M. Q… a disposé de tous les éléments à charge et à décharge retenus par les enquêteurs et versés au dossier et a pu faire valoir tout élément utile à sa défense avant comme après l’ouverture de la procédure de sanction.

Sur ce, la cour :

A. l’interférence alléguée du collège dans une enquête clôturée

34.Aux termes de l’article L.621-15, I du code monétaire et financier, le collège examine le rapport d’enquête établi par les services de l’Autorité des marchés financiers. S’il décide l’ouverture d’une procédure de sanction, il notifie les griefs aux personnes concernées. Il transmet alors la notification des griefs à la Commission des sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres.

35.Selon l’article R.621-36 du code monétaire et financier, le rapport d’enquête consigne les résultats des investigations et indique notamment les faits relevés susceptibles de constituer des manquements aux règlements européens, au code monétaire et financier, au code de commerce, au règlement général de l’Autorité des marchés financiers et aux règles approuvées par l’Autorité, ou une infraction pénale.

36.L’article 144-2-1 du RGAMF prévoit qu’avant la rédaction finale de ce rapport d’enquête, une lettre circonstanciée relatant les éléments de fait et de droit recueillis par les enquêteurs est communiquée aux personnes susceptibles d’être ultérieurement mises en cause. Ces personnes peuvent présenter des observations écrites dans un délai qui ne peut être supérieur à un mois. Ces observations sont transmises au collège lorsque celui-ci examine le rapport d’enquête en application du I de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier.

37.La Charte des enquêtes de l’AMF précise que le rapport d’enquête final tient compte des observations reçues, après la réalisation, le cas échéant, d’actes d’enquête complémentaires qui s’avéreraient nécessaires au regard des réponses obtenues. La lettre circonstanciée et la réponse qui lui est faite sont jointes au rapport d’enquête présenté à la commission spécialisée du collège appelée à statuer sur les suites qui pourraient être données à ladite enquête.

38.L’ensemble de ces dispositions attribue donc au collège, organe de poursuite, le pouvoir de décider d’ouvrir une procédure de sanction au vu du rapport d’enquête et précise le contenu de ce dernier, qui reprend tout d’abord les faits et éléments recueillis par les enquêteurs, indique ensuite en quoi ces faits seraient susceptibles de constituer des manquements au règles du marché et, enfin, tient compte des observations adressées par les personnes mises en cause en réponse à la lettre circonstanciée que doit leur adresser les services d’enquête avant la rédaction finale de ce rapport. Cette décision de poursuite, ouvrant la procédure de sanction, est matérialisée par la notification de griefs aux personnes mises en cause, laquelle est accompagnée du rapport d’enquête, et est ensuite transmise à la Commission des sanctions.

39.Si les exigences du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la CSDH impliquent au sein de l’AMF, autorité publique indépendante, une séparation organique et étanche entre, d’une part, les fonctions d’enquête et de poursuite, et d’autre part, celle de sanction, ces mêmes exigences n’impliquent pas une telle séparation entre les fonctions d’enquête et celles de poursuites.

40.Organe de poursuite qui ne statue ni sur l’existence des manquements, ni sur leur imputabilité, ni sur la sanction, mais qui apprécie l’opportunité de l’ouverture d’une procédure de sanction, le collège n’est pas lié par les qualifications proposées par les services d’enquête et peut avoir une appréciation différente des faits relevés par ces derniers, soit dans un sens moins sévère, soit dans un sens plus sévère.

41.Si, dans la première hypothèse, le collège, lors de l’examen du rapport d’enquête, peut décider d’une notification des griefs ayant un périmètre plus favorable ou plus restreint que celui qui a été envisagé par les services d’enquête, il ne peut, dans la seconde, décider d’ouvrir une procédure de sanction pour des manquements au périmètre plus sévère ou plus large, sans qu’au préalable une lettre circonstanciée ait été adressée par les enquêteurs aux personnes mises en cause afin de recueillir leurs éventuelles observations et que ces dernières aient été analysées dans le rapport d’enquête ultérieurement transmis à la Commission des sanctions.

42.Il en résulte qu’en l’espèce, le collège, au cours de sa séance du 14 février 2017, à l’occasion du premier examen des faits relevés par les enquêteurs et consignés dans un premier document, a pu estimer que les éléments du dossier justifiaient qu’il soit porté à la connaissance de la personne mise en cause que la date à laquelle l’information pouvait être considérée comme privilégiée devait être fixée au 2 juillet 2014 et non au 9, comme initialement proposée par les services d’enquête.

43.Par suite et dès lors, il ne pouvait décider immédiatement de l’ouverture d’une procédure de sanction et procéder à la notification des griefs portant sur un manquement d’initié fondé sur la date du 2 juillet, sauf à méconnaître les dispositions précitées. C’est donc à juste titre qu’il a reporté sa décision, dans l’attente des diligences restant à effectuer par les services d’enquête pour recueillir les observations de la personne mise en cause sur le nouveau périmètre des faits susceptibles de constituer un manquement.

44.Par ailleurs, étant un organe de poursuite et non de jugement, le collège n’est pas amené à statuer mais à apprécier l’opportunité d’ouvrir ou non une procédure de sanction. Aucun texte ni principe ne lui imposant de rendre sa décision dans un délai précis lorsqu’il entend faire application des dispositions précitées du I de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, le fait qu’il ne décide pas immédiatement de l’orientation d’une affaire ne peut être assimilé à un « sursis à statuer ». Il n’est pas plus opérant de soutenir, compte tenu de sa nature, que la composition du collège doit rester identique entre le moment ou le rapport d’enquête lui est transmis et la date à laquelle il prend sa décision.

45.C’est donc en vain que M. Q… allègue que la décision prise par le collège, le 14 février 2017, serait illégale pour avoir été prise en méconnaissance de ses attributions et de celle du secrétaire général de l’AMF, ou encore qu’il se serait immiscé dans l’enquête.

46.Pour les mêmes motifs, il ne peut être davantage soutenu, comme le fait M. Q…, que le rapport d’enquête dans sa rédaction initiale soumis à l’examen du collège était un rapport définitif ayant clôturé l’enquête administrative, dès lors que l’analyse des éléments de fait transmis au collège a rendu nécessaire les diligences complémentaires effectuées par les services d’enquête, à savoir, d’une part, l’envoi par ces derniers d’une nouvelle lettre circonstanciée relatant les éléments de fait et de droit conduisant à retenir que l’information portant sur le projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad était privilégiée à compter du 2 juillet 2014 et non du 9, laquelle lettre a été adressée le 6 mars 2017, et d’autre part, l’intégration de cette nouvelle analyse et des observations en réponse adressées par M. Q… dans le rapport d’enquête dans sa rédaction finale, lequel a été établi le 22 juin 2017.

47.Le collège a donc pu décider de l’ouverture de la procédure de sanction sur la base de ce rapport, lors de sa séance du 4 juillet 2017.

B. l’atteinte irrémédiable alléguée aux droits de la défense

48.Il ressort des dispositions de l’article 144-2-1 du RGAMF que le collège, lorsqu’il décide de l’ouverture d’une procédure de sanction, notifie les griefs aux personnes concernées après avoir examiné le rapport d’enquête établi par les services de l’AMF.

49.Les griefs ont été en l’espèce notifiés le 18 septembre 2017, avec en annexe le rapport no2014.82 examiné par le collège lors de sa séance du 4 juillet 2017 ainsi que les pièces visées par ce dernier.

50.Il a donc en l’espèce été satisfait à la réglementation en vigueur.

51.Il y a lieu de rappeler, ensuite, que selon une jurisprudence constante, non contestée au demeurant par M. Q…, le principe des droits de la défense ne s’applique qu’à compter de la notification des griefs, mais que l’enquête administrative doit être loyale, de façon à ne pas compromettre irrémédiablement les droits de la défense. La déloyauté ne se présumant pas, il appartient à celui qui l’allègue d’en rapporter la preuve.

52.Il peut être observé à cet égard, que la première lettre circonstanciée évoque, parmi d’autres points, un document de travail du 8 juillet 2014 présenté par la banque HSBC aux équipes d’Iliad et concluant que le financement de l’opération est réalisable et dépend de la capacité d’Iliad de trouver les modalités et structures appropriées. Il est aussi mentionné que la banque BNP Paribas a indiqué dans sa présentation du 9 juillet 2014 que l’endettement global consolidé rapporté à l'« EBITA » (Earnings Before Interest and Taxes and Amortization) c’est-à-dire au bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements, tel qu’estimé par la banque dans le cas d’une acquisition de 100 % du capital de la société cible, pouvait être supporté par la nouvelle structure après l’opération. En parallèle, la même banque a considéré que le montant des revenus consolidés de la nouvelle structure semblait lui aussi de nature à faire face à ce niveau de dette. La société BNP Paribas a enfin indiqué que le ratio loan to value de la structure post acquisition demeurerait confortable. La première lettre circonstanciée comporte ensuite la mention suivante : « l’avis favorable du financement par les banques sur une opération d’une telle envergure conférait à l’information une chance raisonnable d’aboutir à compter de cette date ».

53.La seconde lettre circonstanciée reprend la même chronologie mais ne fait pas la même analyse, en observant que le projet a été présenté de façon détaillée au conseil d’administration d’Iliad le 1er juillet 2014 au cours duquel il a été constaté qu’il apparaissait difficile de procéder à l’acquisition de la totalité de Bouygues Télécom avant ou concomitamment à la réalisation du projet T-Mobile, mais que « le 2 juillet 2014, la société Orange a annoncé, par communiqué de presse, qu’elle renonçait à son projet de rachat des actifs de Bouygues Télécom en partenariat avec Iliad. Dès lors, à compter de cette date, l’opération Bouygues Télécom ne constituait plus un obstacle à la réalisation du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad. En outre, la réalisation du projet s’inscrivait dans un contexte économique favorable qui avait permis l’aboutissement d’autres opérations d’ampleur équivalente dans le même secteur. Dans ces conditions, l’obtention du Financement nécessaire à l’acquisition de T-Mobile par Iliad ne semblait pas constituer un véritable obstacle. »

54.Ces deux lettres présentent ainsi chacune l’analyse des éléments de fait ayant conduit les enquêteurs, dans la première à retenir la date du 9 juillet et dans la seconde celle du 2 juillet. Elles ont été toutes les deux versées au dossier de la procédure, avec les pièces correspondantes, qui a été communiqué à la Commission des sanctions et au rapporteur. Le rapport final d’enquête du 22 juin 2017, transmis à la Commission des sanctions, reprend en ses pages 34 à 40 l’évolution de l’analyse suivie par les enquêteurs, ainsi que les deux lettres circonstanciées et répond aux observations adressées par M. Q… sur chacune de ces lettres.

55.Il en résulte qu’il ne peut être sérieusement soutenu que des éléments factuels auraient été dissimulés à M. Q… et que des éléments à décharge initialement retenus auraient été « expurgés du dossier », dès lors que les éléments mis en exergue ont en réalité apporté un éclairage différent sur la chronologie présentée. Il ne peut non plus être utilement allégué que la Commission des sanctions aurait été mise dans l’impossibilité de comprendre le raisonnement des enquêteurs, ce dernier étant de fait exposé de manière précise et explicite dans chacune des deux lettres circonstanciées et l’ensemble des pièces sur lesquelles ils se sont appuyés figurant en annexe du rapport du 28 septembre 2017.

56.Enfin, M. Q… a bénéficié à deux reprises, en réponse aux lettres circonstanciées successives, du droit de faire valoir tout élément lui paraissant utile avant l’ouverture de la procédure de sanction. Informé des éléments de fait considérés comme pertinents par les enquêteurs, il a été mis en mesure de répondre tout à la fois sur les opérations sur le titre Iliad intervenues au bénéfice de sa compagne et sur celles intervenues à son bénéfice. L’envoi de la seconde lettre circonstanciée lui a permis de faire valoir ses observations sur la dernière analyse des enquêteurs avant la décision de lui notifier les griefs. L’ensemble de ses arguments en défense a été porté à la connaissance du collège avant que ce dernier ne décide d’ouvrir une procédure de sanction.

57.L’absence de versement au dossier de procédure du rapport initial ne peut donc porter une atteinte irrémédiable aux droits de M. Q…, qui a disposé de tous les éléments à charge et à décharge recueillis par les enquêteurs et versés au dossier.

58.Ainsi, les moyens d’annulation, mal fondés, seront rejetés.

II. SUR LE CARACTÈRE PRIVILÉGIÉ AU 2 JUILLET 2014 DE L’INFORMATION RELATIVE AU PROJET D’ACQUISITION DE LA SOCIÉTÉ T-MOBILE

59.M. Q… reproche, en premier lieu, à la Commission des sanctions de s’être fondée sur une analyse subjective d’éléments de contexte extérieurs au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad, tenant notamment aux réorientations du secteur français des Télécoms, l’organisation du secteur américain et au marché de la dette, alors que le caractère privilégié d’une information au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF doit être apprécié de manière objective, excluant tout arbitraire, et en fonction de son seul contenu. Il conteste en outre la pertinence de l’analyse de ces éléments de contexte retenue dans la décision attaquée.

60.Il soutient, en deuxième lieu, que l’information en cause n’était pas précise au 2 juillet 2014, ni à la date des opérations qui lui sont imputées et ne l’est devenue que le 24 juillet 2014, date à laquelle les banques sollicitées par Iliad ont émis leurs lettres de confort et après que le conseil d’administration d’Iliad a eu autorisé le dépôt de l’offre le 22 juillet 2014. Il souligne en outre son implication minimale dans le projet, celui-ci résultant d’une démarche unilatérale du fondateur de la société.

61.Il conteste, en troisième lieu, le fait qu’un tel projet d’acquisition ait pu présenter un caractère sensible en l’absence d’échange d’information et de négociation avec le propriétaire de la cible. Il estime que dès lors qu’il est acquis que Deutsche Telekom ne désirait même pas étudier l’offre adressée par Iliad, ces réflexions unilatérales et sans avenir ne pouvaient avoir d’influence sur le cours de bourse.

62.Il affirme qu’à la date des opérations sanctionnées, le projet T-Mobile n’avait aucune chance d’aboutir, puisque la structure de l’opération n’était pas définie, que son financement n’était ni structuré, ni assuré et que le conseil d’administration d’Iliad n’avait pas autorisé le dépôt d’une offre. Il ajoute que l’existence de la décision du conseil d’administration du 22 juillet 2014 aurait été occultée par la Commission des sanctions, qui n’a pris en compte que celle du 1er juillet dont elle a dénaturé la portée. Il verse à l’appui un tableau comparatif des présentations faites lors de ces deux conseils d’administration, estimant qu’il s’en évince que les indications imprécises données début juillet étaient très éloignées de celles figurant dans le projet d’offre présenté le 22 juillet.

63.L’AMF rappelle en réponse qu’il est de jurisprudence constante qu’une information sur un projet d’offre publique est réputée précise si le projet est suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d’aboutir, peu important donc l’existence d’aléas inhérents à toute opération de cette nature, quant à la réalisation effective de ce projet. Elle ajoute qu’il a aussi déjà été jugé que le critère de précision ne requiert pas, pour être établi, que le conseil d’administration ait formellement approuvé l’opération, ni que ses modalités définitives soient arrêtées, ni même que le prix ait été fixé. Elle observe qu’il ressort également d’une précédente décision définitive qu’une information sur un projet d’offre publique est considérée comme précise alors même que les discussions avec un autre initiateur potentiel n’ont pas cessé et que les actionnaires de référence ont peu avant indiqué être opposés à perdre tout intérêt dans la société cible.

64.L’AMF souligne qu’il a aussi déjà été jugé qu’en matière d’offre publique, dont l’influence sur les cours n’est guère discutable, le fait de savoir qu’un tel projet se prépare caractérise l’existence de l’information, même si un aléa subsiste sur le lancement de l’offre, de sorte qu’il n’est pas nécessaire que l’initiateur ait formulé une offre ferme et engageante pour que l’information relative au projet d’offre publique d’achat soit considérée comme précise. L’AMF rappelle enfin que, dans un précédent arrêt, il a été considéré qu’indépendamment du prix offert au cédant, la perspective d’une cession à un grand opérateur de téléphonie d’une large majorité du capital de la société suffisait à fonder une décision raisonnable d’investissement et que dès lors, même à supposer que n’étaient précisés ni le nom de l’acquéreur, ni les conditions financières de l’opération, il s’agissait d’une information suffisamment précise et certaine pour être considérée comme privilégiée.

65.L’AMF fait valoir que pour considérer que l’information revêt un caractère précis dès le 2 juillet 2014, la Commission des sanctions a développé avec précision et objectivité, aux paragraphes 62 à 65, trois éléments de contexte dans lesquels s’inscrivait l’opération. Elle s’est ensuite s’est livrée à une analyse factuelle approfondie. L’AMF rappelle que l’existence de mandats donnés à des conseils externes, banquiers ou avocats, fait partie des éléments généralement pris en compte pour apprécier le caractère précis d’une information privilégiée. Elle fait, à cet égard, valoir que le rapport de […] , de 84 pages, qui a été reçu le 28 mai 2014, contenait une présentation globale du marché des télécoms aux Etats-Unis, puis une description plus détaillée de T-Mobile et de sa valorisation. Il présentait ensuite un scénario d’acquisition de 51 % des actions de cette entreprise par Iliad. Elle cite, par ailleurs, les échanges par courriels intervenus en juin 2014 s’agissant des négociations avec Deutsche Telekom, desquels il ressort que cet opérateur était prêt à « faire des efforts » pour voir l’offre se concrétiser.

66.L’AMF conclut que suite à l’abandon, le 2 juillet 2014, par la société Orange, du projet de rachat des actifs de Bouygues Télécom aux côtés d’Iliad, le projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad avait des chances raisonnables d’aboutir et constituait de fait une information précise au sens de l’article 621-1 du RGAMF. Elle conteste par ailleurs la portée des arguments factuels développés par l’auteur du recours s’agissant de la période postérieure à cette date, s’appuyant notamment à cette fin sur le contenu d’un mail du 25 juillet 2014 reçu de Deutsche Telekom et sur des articles de Reuters du 6 août 2014 et des Echos du 7 août 2014.

67.Le ministère public se réfère lui aussi à la jurisprudence constante citée par l’AMF. Il en déduit que contrairement aux affirmations du requérant, la Commission des sanctions a procédé, comme repris aux paragraphes 62 à 67 de la décision critiquée, à une analyse factuelle précise et détaillée, en prenant en compte le contexte général du projet tant du secteur des télécommunications français que du secteur des télécommunications américain ainsi que du contexte favorable sur le marché de la dette constaté par la presse économique.

68.Le ministère public souligne que l’AMF a également examiné les conditions de la conception et du développement du projet par Iliad et ses conseils, les négociations avec Deutsche Telekom ainsi que le financement du projet d’acquisition avant de conclure, à bon droit, qu’au 2 juillet 2014, même si la structure financière du projet n’était pas définitive et que les lettres de confort des banques n’avaient pas encore été obtenues, le projet d’offre d’acquisition était suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d’aboutir et que l’information en cause a donc revêtu, le 2 juillet 2014, un caractère précis.

Sur ce, la cour :

69.Aux termes de l’article 621-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 24 novembre 2004 au 15 juin 2014 et non modifiée sur ces points jusqu’à son abrogation par l’arrêté du 14 septembre 2016 :

« Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés.

Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés.

Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement. »

70.Les dispositions de l’article 7 du règlement européen no596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché, qui sont entrées en application le 3 juillet 2016, ne définissent pas l’information privilégiée de façon moins sévère de sorte qu’il n’y a pas lieu d’en faire une application rétroactive.

A. Le caractère précis de l’information au 2 juillet 2014

71.Il ressort de la chronologie des faits exposée aux paragraphes 2 et suivants du présent arrêt, faits dont la matérialité n’est pas contestée, que la société Iliad a, entre avril et juin 2014, entrepris, en recourant notamment aux services de la banque […] et du cabinet d’avocats Paul Hastings, d’étudier la possibilité d’acquérir une participation supérieure à 50 % du capital de la société T-Mobile.

72.Dans cet objectif, les dirigeants d’Iliad, assistés de la banque […], ont approché les dirigeants de Deutsche Telekom, et ont fait part d’un retour perçu comme « très positif ». Il résulte notamment des échanges par courriels intervenus en juin 2014 que Deutsche Telekom était prêt à « faire des efforts » pour voir l’offre se concrétiser, étant observé que M. V… a indiqué aux enquêteurs à propos de la réunion organisée à Bonn le 3 juin 2014 : « nous sommes sortis du meeting en sachant qu’ils étaient vendeurs. Nous n’étions pas les acheteurs naturels mais ils ne nous ont pas fermé la porte ». Un courriel de M. P… du 5 juin 2014 à ses interlocuteurs de Deutsche Telekom évoque aussi le besoin d’Iliad d’un peu de temps pour travailler le projet, insiste sur « la qualité et l’ouverture de leur discussion » et conclut en indiquant « j’attends avec impatience notre prochaine réunion pour que nous puissions poursuivre notre discussion ».

73.La banque M… a, de son côté, préparé un projet de lettre d’offre indicative le 10 juin 2014, M. P… indiquant être « en ordre de bataille » pour la déposer fin juin.

74.C’est à la suite de ces premiers actes préparatoires et premières négociations que, le projet d’offre, désigné sous le nom de « projet Tolbiac », a été présenté le 1er juillet 2014 au conseil d’administration d’Iliad, dans les termes suivants :

« L’offre envisagée à ce jour est présentée au conseil d’administration :

Il s’agirait pour Iliad de se porter acquéreur de 100% du capital de T-Mobile à 34 $ par action. Le financement de l’opération se réaliserait pour partie en numéraire (jusqu’à 9 milliards de dollars) et pour partie en nouvelles actions Iliad émises à 240 euros par action.

Le montant de la transaction s’élèverait entre 13,4 et 20,1 milliards d’euros ».

75.La formulation de cette proposition chiffrée a été précédée d’une présentation des éléments de contexte tenant notamment à la décélération à venir du marché du mobile en France et à la nécessité pour Iliad de trouver de nouveaux relais de croissance, à la structure d’Iliad, à son faible endettement, à sa valorisation au plus haut et aux conditions favorables de financement, ainsi que d’un exposé des raisons ayant motivé le choix de T-Mobile, comme en témoigne le procès-verbal de séance (Annexe 3-1 au rapport d’enquête du 22 juin 2017).

76.Les éléments présentés au cours de cette séance sont proches des éléments de contexte général auxquels la Commission des sanctions s’est justement référée, aux points no62 à 65 de la décision attaquée, pour souligner le contexte favorable à la réalisation du projet d’offre d’Iliad, de sorte que les critiques de M. Q… sont, sur ce point, sans portée.

77.A l’issue de cette présentation, le conseil d’administration d’Iliad a approuvé l’opportunité d’une telle opération et a autorisé « MM. Q… et P… à poursuivre la réalisation du projet notamment à l’effet de déposer une offre non engageante dans les prochaines semaines ». Ainsi, le conseil d’administration d’Iliad a adopté le principe d’une offre d’acquisition majoritaire de capital de T-Mobile précisant le prix de l’action, les modalités de financement en retenant le principe d’un paiement pour partie en numéraire et pour partie par l’attribution de nouvelles actions, ainsi que la fourchette du coût total de la transaction, tout en confiant à MM Q… et P… le soin d’en poursuivre la réalisation.

78.L’absence, à cette date, de réaction favorable de la cible ou de ses actionnaires de référence, est ici indifférente. Le fait de savoir qu’un tel projet se prépare, projet dont le principe et les grandes lignes ont été arrêtés, suffit à établir le caractère précis de l’information en cause, même si des aléas subsistent sur le lancement de l’offre. Et d’ailleurs, à la date du communiqué de presse publié par Iliad pour annoncer son projet d’offre d’acquisition, Deutsche Telekom n’avait pas davantage pris position ou réagi sur ce projet.

79.Il ressort par ailleurs du procès-verbal de séance du conseil d’administration du 1er juillet que si les dirigeants d’Iliad ont fait état de ce qu’il paraissait « difficile voire impossible de procéder à l’acquisition de la totalité de Bouygues Télécom avant ou concomitamment à la réalisation du projet Tolbiac », aucun obstacle à l’obtention des financements n’était toutefois signalé.

80.Il résulte au demeurant du rapport d’enquête que M. P… s’est entretenu, après la séance, avec les sociétés HSBC et BNP Paribas sur le financement de l’opération, et que c’est à partir de cette date que la société BNP Paribas a pris très au sérieux ce projet d’acquisition, une de ses responsables ayant déclaré aux enquêteurs : « cette opération nous semblait agressive mais faisable et il ne s’agissait pas d’une transaction standard. Du côté d’Iliad, il y avait une motivation évidente ». Le directeur du corporate banking de la banque HSBC a pour sa part indiquée aux enquêteurs qu’il existait une bonne chance que l’opération se réalise et qu’il n’avait pas d’inquiétude sur la capacité d’Iliad à convaincre la banque BNP Paribas de l’émission d’une lettre de confort.

81.Au 1er juillet 2014, le projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad était en conséquence sérieusement envisagé et avait fait l’objet de démarches préparatoires précises ainsi que d’un calendrier, de sorte qu’il ne peut utilement être allégué qu’il n’en était qu’à un stade exploratoire.

82.Il n’était pas non plus évoqué, au cours de ce conseil d’administration, de difficulté quant à une éventuelle émission obligataire ou à une augmentation de capital. La seule interrogation portait sur la capacité d’Iliad à mener de front deux opérations de grande envergure.

83.Par suite, l’annonce de l’abandon, le 2 juillet 2014, par la société Orange, du projet de rachat des actifs de Bouygues Télécom aux cotés d’Iliad, constituait une circonstance favorable à l’obtention du financement de l’acquisition de T-Mobile par Iliad.

84.La condition de précision de l’information en cause ne requière pas, pour être remplie, que le conseil d’administration d’Iliad ait formellement approuvé l’opération, ni que ses modalités définitives soient arrêtées, ni encore que le prix ait été défini. Il est dès lors indifférent que la structure précise de l’acquisition proposée ait continué d’évoluer tout au long du mois de juillet 2014 et jusqu’au dépôt de l’offre le 24 juillet.

85.La circonstance, à la supposée établie, que M. Q…, directeur général d’Iliad, bien que nommément désigné le 2 juillet 2014 comme chargé de poursuivre la réalisation du projet, ne se soit de fait que peu impliqué dans l’opération, est inopérante pour apprécier le caractère précis de l’information en cause.

86.Il peut être observé, à titre surabondant, que l’offre présentée au conseil d’administration n’était au demeurant pas fondamentalement différente de l’offre indicative soumise au conseil d’administration de T-Mobile dont fait état le communiqué de presse du 31 juillet 2014 (prix d’achat de l’action proposé, montant total de l’offre en numéraire), ce qui témoigne de la relative maturation du projet bien avant le 24 juillet 2014, date à laquelle les banques sollicitées par Iliad ont émis leurs lettres de confort.

87.Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’au 2 juillet 2014, même si la structure financière du projet n’était pas définitive et que les lettres de confort des banques n’avaient pas encore été obtenues, le projet d’offre d’acquisition était suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d’aboutir.

88.Ainsi, le projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad constituait bien, dès le 2 juillet 2014, un événement « susceptible de se produire », au sens de l’article 621-1 alinéa 2 du RGAMF, et compte tenu de l’ampleur de ce projet d’offre, il était possible d’en tirer une conclusion quant à l’impact qu’il pouvait avoir sur le cours du titre Iliad.

B. Le caractère sensible de l’information sur le cours du titre

89.Il n’est pas contesté que le projet d’acquisition de T-Mobile s’inscrivait dans une stratégie sensiblement différente de celle qu’avait menée Iliad jusqu’ici, à savoir le réinvestissement de ses revenus dans le développement de son activité en France tout en adoptant une politique d’endettement limité. Il pouvait, dans ces circonstances, en être tiré une conclusion, positive ou négative, quant à l’effet possible sur le cours du titre de cet opérateur.

90.Compte tenu de l’importance de l’acquisition envisagée et de sa nature, l’information en cause était donc susceptible d’être utilisée par un investisseur raisonnable comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement et, partant, était susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre Iliad.

91.Le caractère sensible de l’influence de l’information sur le cours du titre ne requérant pas, pour être établi, que la cible ou ses actionnaires de référence ait réagi favorablement au projet, c’est en vain que M. Q… fait valoir « l’absence totale d’implication et d’intérêt de la contrepartie d’Iliad » pour Deutsche Telekom, en se prévalent d’un courrier du 20 avril 2015 adressé par cet opérateur à l’autorité de régulation allemande.

92.Il résulte de l’ensemble de ces éléments que, ainsi que l’a justement retenu la décision attaquée, cette information était, à compter du 2 juillet 2014, une information précise et susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre Iliad. Il n’est pas contesté que, jusqu’au 31 juillet 2014, elle était non publique. Il s’en déduit qu’au cours de cette période, l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad était une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du RGAMF.

93.Les moyens ne sont donc pas fondés.

III. SUR L’UTILISATION DE L’INFORMATION PRIVILÉGIÉE PAR M. Q…

94.La Commission des sanctions a retenu, dans la décision attaquée, que M. Q… avait, à deux reprises, manqué à son obligation d’abstention d’utilisation de l’information privilégiée qu’il détenait. D’abord lors de la levée-cession d’option d’achat portant sur les 7 000 actions Iliad intervenue le 4 juillet 2014, ensuite en procédant, le 11 juillet, à la cession de 650 actions Iliad pour le compte de sa compagne.

A. Concernant la levée cession d’options d’achat ordonnée le 4 juillet 2014

95.M. Q… ne conteste pas qu’il détenait l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad mais estime ne pas avoir été en possession de l’ensemble des éléments qui ont permis à la Commission des sanctions de conclure au caractère précis de cette information au 2 juillet 2014. Il fait valoir ne pas avoir eu connaissance :

– de la rencontre avec Deutsche Telekom ayant eu lieu le 3 juin 2014 ;

– des échanges entre MM. P… et V… du 4 juin 2014 ;

– du courriel adressé par M. P… à Deutsche Telekom le 5 juin 2014 ;

– de l’envoi, le 10 juin 2014, par M. V… à M. P…, d’une trame de projet d’offre indicative ;

– de la prise de contact de M. P…, le 27 juin 2014, avec un collaborateur d’HSBC pour lui présenter le projet.

96.Il en déduit ne pas avoir été dans une position avantageuse par rapport aux autres investisseurs.

97.M. Q… souligne, en outre, qu’une présomption d’utilisation de l’information privilégiée pèse certes sur l’initié primaire, mais que cette présomption est conditionnée au respect des droits de la défense et, en particulier, au droit de pouvoir la renverser. Au cas présent, il fait valoir que l’opération de levée-cession qu’il a décidée faisait partie d’une stratégie de liquidation préétablie et raisonnablement échelonnée de son plan d’options, qu’elle n’était pas atypique ni réalisée avec une précipitation inhabituelle et qu’elle représentait moins de la moitié de son exposition aux titres Iliad, de sorte qu’il restait très largement soumis au risque d’évolution défavorable du marché. Il en déduit que le manquement relatif à cette opération n’est pas constitué.

98.L’AMF rappelle en réponse que M. Q… exerçait, à l’époque des faits, les fonctions de directeur général d’Iliad et était membre du conseil d’administration. A ce titre, il a reçu le 24 juin 2014 un courriel particulièrement explicite, M. J… étant mis en copie, et auquel étaient jointes trois présentations établies par M…, la banque conseil d’Iliad mandatée dès le mois de mai 2014, la plus récente datant du 23 juin 2014 et la plus ancienne du 28 mai 2014. L’AMF souligne que M. Q… a, en outre, participé au conseil d’administration du 1er juillet 2014 au cours duquel ce projet a été discuté et que l’intéressé s’est vu confier la tâche de poursuivre les négociations à l’issue de ce conseil. Elle relève, enfin, que M. P…, directeur financier d’Iliad, a déclaré lors de son audition par les enquêteurs : « M. Q… a été informé de l’évolution du dossier. Les travaux avec nos conseils étaient menés par M. Y… J… et moi-même. M. Q… n’était pas impliqué mais était informé ».

99.L’AMF souligne, par ailleurs, qu’il a été déjà jugé qu’il n’est pas nécessaire qu’un mis en cause ait été mis en possession de tous les détails de l’opération préparée sur le titre litigieux, ni même qu’il ait eu connaissance de tous les éléments de l’information privilégiée. Elle en déduit qu’il importe peu que M. Q… n’ait pas été informé de l’intégralité de la chronologie des éléments qui ont permis à la Commission des sanctions de retenir son caractère précis, étant rappelé qu’il est établi qu’au 1er juillet 2014, l’intéressé avait connaissance du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad. Elle considère qu’il était, à compter du 2 juillet 2014, en situation de rupture d’égalité par rapport au marché puisqu’il disposait à compter de cette date d’une information privilégiée, que les investisseurs ayant acquis les actions qu’il a cédées entre le 4 et le 7 juillet 2014 ne détenaient pas.

100.L’AMF souligne qu’il résulte des éléments du dossier, et notamment de ses relevés de compte, que M. Q… est intervenu sur le titre Iliad entre le 4 et le 7 juillet 2014 dans le cadre d’une stratégie préétablie de levées-cessions régulières qu’il avait décidée à une époque où il n’était pas encore initié, ainsi que l’a d’ailleurs relevé la Commission des sanctions. Pour autant, du fait de ses fonctions au sein d’Iliad, il ne pouvait ignorer détenir une information privilégiée et aurait donc dû interrompre ses interventions sur les titres Iliad.

101.Le ministère public se réfère aux motifs de la Commission des sanctions paragraphes 112 à 115 de la décision attaquée. Il considère qu’il y est valablement répondu aux moyens présentés dans le cadre du présent recours.

Sur ce, la cour :

102.Le RGAMF, dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 au 24 septembre 2016, date de son abrogation, disposait :

Article 622-1 : « Toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers ou les produits de base auxquels se rapporte cette information, au moyen de contrats commerciaux ou d’instruments financiers auxquels ces instruments ou ces contrats commerciaux sont liés. [

]».

Article 622-2 : « Les obligations d’abstention prévues à l’article 622-1 s’appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :

1o Sa qualité de membre des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l’émetteur ;

2o Sa participation dans le capital de l’émetteur ;

3o Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière ; (…)

Ces obligations d’abstention s’appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée. »

103.Ces articles assuraient la transposition des articles 2§1 et 4 de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché).

104.Les dispositions de l’article 8 paragraphes 1, 2 et 4 et de l’article 14 du règlement no 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement Market abuse regulation dit « MAR ») qui ont remplacé ces deux articles du RGAMF sont rédigées en des termes équivalents et partant, ne sont pas susceptibles de recevoir une application rétroactive, ce qui n’est pas contesté par l’auteur du recours.

105.Dans un arrêt du 23 décembre 2009, Spector Photo Group N V (C-45/08), la CJUE, se fondant sur l’existence d’un lien étroit entre la prohibition des opérations d’initiés, figurant à l’article 2 de la directive 2003/6, et la notion d’information privilégiée, définie à l’article 1er de celle-ci, a souligné que « grâce à son caractère non public, précis et à son aptitude à influer de façon sensible sur le cours des instruments financiers concernés, une information privilégiée procure à l’initié qui la détient un avantage par rapport à tous les autres intervenants sur le marché qui l’ignorent » dans la mesure où « elle permet à cet initié, lorsqu’il agit de manière concordante avec cette information en effectuant une opération de marché, d’escompter en tirer un avantage économique sans pour autant s’exposer aux mêmes risques que les autres intervenants sur le marché » (points 50 et 52 de l’arrêt). Elle en a déduit que « la caractéristique essentielle de l’opération d’initié réside dans le fait de tirer indûment avantage d’une information au détriment de tiers qui n’en ont pas connaissance et, par voie de conséquence, de porter atteinte à l’intégrité des marchés financiers ainsi qu’à la confiance des investisseurs » (point 52) et en a tiré la conséquence que « la prohibition des opérations d’initiés s’applique lorsqu’un initié primaire qui détient une information privilégiée fait une utilisation indue de l’avantage que lui procure cette information en effectuant une opération de marché concordant avec cette information » (point 53). En conclusion, elle a dit pour droit que « le fait qu’un initié primaire qui détient une information privilégiée effectue une opération de marché sur les instruments financiers auxquels se rapporte cette information implique que cette personne a « utilisé cette information » au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6, sous réserve du respect des droits de la défense et, en particulier du droit de pouvoir renverser cette présomption » (point 54).

106.Il résulte de cette jurisprudence qu’un initié primaire qui réalise une opération de marché sur des instruments financiers auxquels se rapporte l’information privilégiée qu’il détient est présumé avoir utilisé indûment celle-ci. Il appartient à la personne mise en cause, pour renverser cette présomption, de démontrer qu’elle n’a pas fait une utilisation indue de cette information privilégiée.

107.En l’espèce, il est constant que le conseil d’administration d’Iliad a, le 1er juillet 2014, « autorisé M. Q… (…) à poursuivre la réalisation du projet notamment à l’effet de déposer une offre non engageante dans les prochaines semaines », information qui a présenté un caractère privilégié, au sens de la réglementation boursière, dès le 2 juillet 2014 par suite de l’annonce de l’abandon par la société Orange, du projet de rachat des actifs de Bouygues Télécom aux côtés d’Iliad. Il est donc indifférent que M. Q…, directeur général d’Iliad, membre du conseil d’administration, n’ait pas été destinataire de l’ensemble des actes préparatoires de ce projet dès lors qu’à la date des opérations litigieuses il détenait l’information privilégiée en cause, en sa qualité d’initié primaire, à la différence des acquéreurs auxquels il a cédé des titres les 4 et 7 juillet 2014.

108.Cette détention a causé une rupture d’égalité avec ces acquéreurs et d’une manière générale avec les opérateurs actifs sur le marché du titre, ce qui a permis à M. Q… d’effectuer des opérations sur le marché sans s’exposer aux mêmes risques que les autres intervenants sur le marché, portant ainsi atteinte à l’intégrité de celui-ci et à la confiance des investisseurs.

109.L’article 622-1 du RGMF édictant une obligation d’abstention, M. Q… se devait d’interrompre ses cessions à compter du 2 juillet 2014.

110.La circonstance que M. Q… ait bénéficié en 2008 d’un plan de souscription d’action exerçables à compter du 5 novembre 2013 dans un délai de 10 ans à compter de leur attribution et que les interventions en cause s’inscrivaient dans le cadre d’une stratégie préétablie de levées-cessions décidée à une époque où il n’était pas encore initié ne peut les justifier, dès lors qu’il a envoyé l’ordre de lever des options d’achat de titres Iliad le 4 juillet 2014 et de les céder immédiatement, soit pendant la période d’abstention que lui imposait l’article 622-1 du RGMF, alors qu’il ne se trouvait pas dans l’impossibilité absolue d’interrompre ses interventions sur le titre jusqu’à ce que l’information privilégiée soit rendue publique.

B. Concernant la cession de 650 titres Iliad effectuée le 11 juillet 2014 pour le compte de Mme D… L.

111.M. Q… se réfère à l’attestation de Mme D… L., sa compagne, qu’il produit et par laquelle elle « atteste avoir pris la décision, au mois de juillet 2014, de céder 650 des 2 400 actions Iliad qu'[elle] détenait à l’époque, et avoir donné instruction à [son] conjoint, M. O… Q…, d’exécuter l’ordre de vente correspondant à [son] compte, ce qui a été fait le 11 juillet 2014 », propos qu’elle a réitéré lors de son audition par le rapporteur. Il estime que la Commission des sanctions n’apporte pas la preuve que la décision de cession aurait été prise par M. Q…, que celui-ci aurait agi en vertu d’un mandat discrétionnaire de gestion du compte de sa compagne ou encore qu’il aurait transmis à Mme D… L. une information de quelque nature que ce soit sur le projet T-Mobile. Il estime que la Commission des sanctions a eu recours de façon abusive à la preuve par la méthode dite du « faisceau d’indices », ce qui est contraire à la jurisprudence Spector selon laquelle « l’exécution d’une opération de marché supposant nécessairement une décision préalable de la part de son auteur, le fait d’effectuer cette opération ne devrait pas être réputé constituer en soi une utilisation d’une information privilégiée ». Il rappelle que la présomption pesant sur l’initié primaire n’est pas irréfragable mais conditionnée au droit de pouvoir la renverser.

112.M. Q… argue que cette décision de cession s’explique par le contexte d’inquiétude dans lequel se trouvait Mme D… L. en raison du redressement fiscal de son entreprise. Le fait que ce redressement ait été in fine clôturé, plusieurs mois après la cession, par une rectification moins importante que celle initialement prévue, n’a aucune incidence sur l’état de « stress » considérable que la rectification initiale, s’élevant à près de 100 000 euros, a pu provoquer chez l’intéressée.

113.L’AMF réplique que le caractère probant de l’attestation de la compagne de l’auteur du recours est très faible. Elle est par ailleurs contredite par les déclarations postérieures de l’intéressée, lors de son audition par le rapporteur, sur ses habitudes d’investissement. Mme D… L., qui a indiqué « ne pas être une grande connaisseuse des marchés financiers » n’a pas pu notamment préciser le nombre d’opérations qu’elle avait réalisées au cours desdites dernières années, ajoutant « j’ai toujours demandé à O… Q… de s’en occuper ».

114.L’AMF souligne qu’il est allégué que la cession des titres Iliad était motivée par le souhait de dégager des liquidités dans le cadre du redressement fiscal en cours et qu’il est peu explicable, dans ces circonstances, que ces liquidités aient été réinvesties très rapidement (13 jours après) en d’autres instruments financiers. Elle observe qu’il n’est pas établi que les titres acquis présentaient un caractère matériellement moins volatile et plus liquide que les actions Iliad, alors même que Mme D… L. était appelée à régler le montant du redressement fiscal à brève échéance. L’intéressée a, de fait, procédé à une opération identique à celle de M. Q… consistant à céder des titres Iliad pour acquérir des titres Orange. L’AMF en déduit que les éléments fournis ne permettent donc pas de renverser la présomption d’utilisation indue à l’encontre du requérant.

115.Le ministère public se réfère aux motifs de la Commission des sanctions paragraphes 119 à 127 de la décision attaquée. Il considère qu’il y est valablement répondu aux moyens présentés dans le cadre du présent recours.

Sur ce, la cour :

116.Le 11 juillet 2014, M. Q… a envoyé un courriel à son gérant de fortune au sein de la BNP Paribas indiquant : « Bonjour, Pourriez-vous s’il vous plaît vendre les titres Iliad qui sont sur le PEA de D… avec une limite à 208 euros. Avec mes remerciements ».

117.En sa qualité de directeur général de la société Iliad, M. Q…, initié primaire, avait l’obligation de s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’il détenait, ce qui impliquait une abstention de toute cession des titres Iliad, y compris pour le compte d’autrui. Il est donc présumé avoir utilisé indûment l’information privilégiée qu’il détenait lorsqu’il a ordonné la cession de 650 actions Iliad pour le compte de sa compagne le 11 juillet 2014, sauf à rapporter la preuve contraire.

118.Lors de son audition par le rapporteur (cotes D2150 et D2151), Mme D… L. a déclaré « Je ne suis pas une grande connaisseuse des marchés financiers. Je demandais à mon banquier et j’ai pu évoquer ces sujets avec O… Q…. Je ne consulte pas les sites boursiers par exemple. Je regarde mes relevés de comptes et je suis à l’écoute de ce qui se dit ». Interrogée sur le nombre d’opérations sur instruments financiers qu’elle a réalisées au cours des dix dernières années, elle a précisé : « Je ne saurais vous le dire j’ai toujours demandé à O… Q… de s’en occuper. Ces opérations ont été peu nombreuses ». Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle avait procédé à une opération sur le titre Gaztransport Technigaz en mars-avril 2014, elle a déclaré : « Je ne m’en souviens plus ».

119.Il résulte de ces déclarations que Mme D… L. présente le profil d’un investisseur peu averti, laissant manifestement à M. Q… la gestion de son portefeuille.

120.Il ressort en outre des éléments du dossier (annexe 5-8 au rapport d’enquête) que le produit des cessions des titres Iliad de Mme D… L. a été réinvesti, comme celui des cessions effectuées par M. Q…, dans des titres Orange, et ce dans la quinzaine qui a suivi l’exécution de l’ordre de cession.

121.La cession ainsi réalisée ne peut donc s’expliquer uniquement par la volonté de se procurer des liquidités pour faire face à un éventuel redressement fiscal, comme le soutient M. Q…, mais par un arbitrage entre deux titres de sociétés opérant au demeurant dans le même secteur d’activité, et qui aux yeux du donneur d’ordre, ne présentaient pas les mêmes risques à la baisse. Ce qu’admet l’intéressée lorsqu’elle déclare qu’elle se sentait rassurée d’avoir sécurisé ses plus values Iliad en investissant dans les titres Orange dont le risque lui semblait limité (cote D2152).

122.Doit donc être écartée l’attestation établie par Mme D… L. selon laquelle M. Q… se serait borné à exécuter le mandat de vente qu’elle lui aurait confié pour se rassurer sur les risques d’un contrôle fiscal en cours.

123.M. Q… échouant à renverser la présomption d’utilisation indue, pour le compte de Mme D… L., de l’information privilégiée qu’il détenait, il y a lieu de rejeter le moyen.

124.Il résulte de l’ensemble de ces éléments, ainsi que l’a justement retenu la Commission des sanctions dans la décision attaquée, que le manquement reproché à M. Q…, en raison de ses interventions sur le titre Iliad les 4, 7 et 11 juillet 2014, est caractérisé.

IV. SUR LA SANCTION

125.La Commission des sanctions a considéré que compte tenu de ses fonctions de directeur général d’Iliad à l’époque des faits, le manquement de M. Q… à son obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée, une première fois à son profit, une seconde fois à celui de sa compagne, est d’une particulière gravité. Elle a observé que les opérations incriminées lui avaient permis de réaliser une économie de 185 768 euros et à sa compagne une économie de 11 425 euros. Eu égard aux données fournies au rapporteur quant à son salaire et son patrimoine, elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 600 000 euros.

126.M. Q… demande une réduction substantielle de la sanction pécuniaire en raison, notamment, de sa participation marginale à l’élaboration du projet T-mobile au moment des faits incriminés et d’une atteinte inexistante à l’intégrité du marché. Il fait valoir que la gravité du manquement doit être appréciée au regard de critères précis qui ne sauraient se limiter à la prise en considération de la fonction du mis en cause. Il souligne également l’absence de toute dissimulation de sa part s’agissant de ses revenus et de son patrimoine et rappelle que l’AMF est parfaitement en mesure de vérifier, au travers du document de référence qu’elle contrôle, qu’il n’est pas rémunéré au titre des mandats sociaux dans les filiales du groupe Iliad. Il considère que la sanction, qui représente plus de trois fois son revenu professionnel annuel net d’impôt, alors qu’il n’a réalisé aucun gain en vendant les titres Iliad en juillet 2014 mais seulement évité des pertes, est disproportionnée. Il observe s’être montré coopératif avec l’AMF et souligne tout à la fois qu’il n’a jamais été poursuivi auparavant pour des faits comparables et qu’aucun tiers n’a subi de perte de son fait.

127.Le président de l’AMF, dans son recours incident, invoque le statut d’initié primaire de l’intéressé et expose que la sanction pécuniaire de 600 000 euros prononcée, alors que le représentant du collège avait proposé une sanction d’un million d’euros, est insuffisante au regard des prescriptions de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier. Il souligne que M. Q… n’a pas seulement, en raison de sa détention de l’information privilégiée en cause, réalisé une économie de perte subséquente, mais en a également fait bénéficier sa compagne. L’argument selon lequel il n’a jamais été sanctionné auparavant ne saurait en outre constituer une circonstance atténuante. Il observe par ailleurs que la coopération de M. Q… avec l’AMF n’est nullement étayée, que ce soit par les arguments du mis en cause ou les éléments du dossier.

128.Il ajoute que la Commission des sanctions a omis de relever que les interventions de M. Q… sur le marché ont, le 4 juillet 2014, représenté 14,26 % des transactions réalisées (4 503 sur 31 573) et le 7 juillet 2014, 5, 13 % (2 497 sur 48 635). Il en conclut que la sanction infligée, qui est à peine trois fois plus élevée que l’économie réalisée, est trop faible eu égard à l’étendue du patrimoine de l’intéressé et de la particulière gravité des manquements qui lui sont reprochés. Un tel montant départit en effet la sanction prononcée par la Commission des sanctions de son effectivité ainsi que de ses caractères proportionnés et dissuasifs.

Sur ce, la cour :

129.Le III de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, soit à la date des faits en cause, et non modifiée depuis dans un sens moins sévère, disposait :

« III. Les sanctions applicables sont :

[

] / c) Pour les personnes autres que l’une des personnes mentionnées au II de l’article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public ».

130.M. Q… encourt ainsi une sanction de 100 millions d’euros ou du décuple du montant des profits éventuellement réalisés.

131.L’article L. 621-15, III ter, du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016 applicable de manière rétroactive, dispose que « dans la mise en œuvre des sanctions (…), il est tenu compte notamment :

– de la gravité et de la durée du manquement ;

– de la qualité et du degré d’implication de la personne en cause ;

– de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s’agissant d’une personne physique de ses revenus annuel s’agissant d’une personne morale de son chiffre d’affaires total ;

– de l’importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;

– des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;

– du degré de coopération avec l’Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l’avantage retiré par cette personne ;

– des manquements commis précédemment par la personne en cause ;

– de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement. »

132.Ce dispositif tend à garantir que ces sanctions sont effectives, proportionnées et dissuasives.

133.C’est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu qu’en l’espèce, le manquement commis par M. Q… revêtait une particulière gravité au regard de sa qualité d’initié primaire étant observé en outre, qu’il exerçait non seulement les fonctions de directeur général d’Iliad, comme l’a relevé la décision attaquée, mais détenait également des participations dans le capital de cette société et était impliqué dans la préparation de l’opération envisagée, de sorte qu’il cumulait les qualités visées aux trois paragraphes de l’article 622-2 du RGAMF, induisant un degré de vigilance élevé.

134.M. Q… a reçu, le 24 juin 2014, un courriel « Docs Tolbiac – confidentiel », M. J… étant en copie, et auquel étaient jointes trois présentations établies par M…, la banque conseil d’Iliad mandatée en mai 2014. Y étaient notamment décrites les différentes structurations possibles. M. Q… a répondu à ce mail pour faire part de ces observations critiques, et a, en outre, participé au conseil d’administration du 1er juillet 2014 au cours duquel ce projet a été discuté. A l’issue, l’intéressé s’est vu autorisé, avec M. P…, à poursuivre les négociations. Dans ces circonstances, M. Q… était informé de la préparation du projet en cours et associé à la décision prise par le conseil d’administration d’approuver ce projet d’acquisition avec ses modalités de financement, de sorte qu’il n’est pas fondé à soutenir qu’il n’était que faiblement impliqué dans l’opération.

135.Il n’est pas davantage fondé à invoquer le fait que Iliad ne l’a pas spécifiquement prévenu de la nature privilégiée de l’information, dès lors que, de par les fonctions qu’il occupait, il ne pouvait ignorer ni le caractère privilégié de l’information en cause ni son influence sensible sur le cours du titre Iliad.

136.La Commission des sanctions a par ailleurs tenu compte, à juste titre, des caractéristiques du manquement à l’obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée reproché à M. Q…, lequel a utilisé cette information, une première fois pour son compte et une seconde fois pour le compte de sa compagne, confirmant la gravité d’un comportement réitéré à deux reprises.

137.Il doit ensuite être rappelé que la gravité particulière des manquements retenus peut également s’apprécier eu égard aux bénéfices que ces manquements ont permis de réaliser, qu’ils l’aient été au profit de l’initié ou d’un tiers. Par suite, peut être pris en compte pour la détermination du montant de la sanction, les pertes ou les économies que le manquement a permis d’éviter ou de réaliser, que ces pertes ou économies aient été réalisées ou évitées par l’auteur du manquement ou par celui pour le compte duquel l’information a été utilisée.

138.Il en résulte que c’est à juste titre que la Commission des sanctions a pris en considération l’économie de perte réalisée, non seulement par M. Q…, mais également celle réalisée par sa compagne à la suites des opérations de cessions qu’il a réalisées pour le compte de cette dernière.

139.Les cessions réalisées pour le compte de sa compagne ont rapporté 136 110 euros alors que Mme D… L. n’aurait perçu que 124 507 euros le 1er août (soit une économie de perte de 11 603 euros), tandis que l’opération de levée-cession a permis à M. Q… de réaliser une plus-value de 1 150 088 euros, alors qu’elle n’aurait été que de 964 320 euros si la cession des titres avait été effectuée sur la base du cours de clôture le 1er août 2014, au lendemain de l’annonce publique de l’offre d’Iliad portant sur l’acquisition d’une participation majoritaire dans le capital de la société T-Mobile, de sorte qu’il a bénéficié d’une économie de pertes de 185 768 euros.

140.L’article L. 625-15 du code monétaire et financier prévoyant la fixation du montant de la sanction en relation avec le avantages ou profits éventuellement tirés des manquements, incluant les pertes évitées, et prévoyant de tenir compte des pertes subies par des tiers du fait du manquement « dans la mesure où elles peuvent être déterminées », la décision attaquée n’encourt par ailleurs aucune critique pour n’avoir pas pris en compte les pertes subies par des tiers dès lors que, précisément, ces pertes n’ont pas pu être déterminées et qu’elles ne sont pas une donnée nécessaire au prononcé de la sanction.

141.Enfin, s’agissant des revenus et du patrimoine de M. Q…, ce dernier ne produit, au soutien de son recours aucune déclaration de revenus ni aucun élément de nature à établir l’étendue de son patrimoine, de sorte que la cour s’appuiera sur ses déclarations, faites lors de son audition par le rapporteur, le 28 novembre 2018, d’un salaire annuel de 384 000 euros et d’un patrimoine d’environ 17 millions d’euros, éléments pris en compte par la décision attaquée.

142.Au regard de ces éléments tenant à la gravité particulière du manquement, de la qualité et de l’implication de son auteur, ainsi que des revenus et du patrimoine tel que déclaré au cours de l’instruction, le montant de la sanction de 600 000 euros infligée à M. Q… n’est pas disproportionnée.

143.De sorte que le recours de ce dernier doit être rejeté.

144.S’agissant du recours incident, il convient de relever que si les cessions imputables à M. Q… n’ont pas revêtu un caractère massif, contrairement à ce que soutient le président de l’AMF, elles ont néanmoins représenté 14,26% et 5,13% des transactions réalisées le jour des interventions litigieuses, de sorte qu’elles n’ont pas été insignifiantes. Cet élément, qui n’est pas mentionné dans l’analyse des critères d’évaluation de la sanction, doit être pris en compte.

145.Le président de l’AMF a par ailleurs versé aux débats le dernier document de référence d’Iliad publié le 17 avril 2019, dont il ressort que le patrimoine de M. Q… est plus important que celui qui a été pris en compte par la Commission des sanctions. Il n’est pas contesté en effet que M. Q… est également administrateur de la société irlandaise Carraun Telecom Holding Limited, extérieure au groupe Iliad. Il touche à ce titre, selon l’information communiquée à l’audience par son conseil, la somme d’environ 30 000 euros de jetons de présence.

146.Le président de l’AMF évoque un second élément, non contesté par M. Q…, qui n’a pas été mentionné par la Commission des sanctions, concernant le fait qu’il a été attribué à ce dernier 21 000 actions gratuites d’Iliad, valorisées comptablement à 1 804 752 euros au titre de l’exercice 2017 et dont la valorisation, à la date de la déclaration du recours, était de 2 038 586 euros selon le document de référence d’Iliad précité, qui fait état au 31 décembre 2018, d’une détention de 21 925 actions Iliad par M. Q…. À cet égard, la cour constate qu’il n’a pas été soutenu par l’intéressé que ces deux éléments étaient déjà compris dans ceux communiqués en leur temps au rapporteur.

147.Au vu des développements qui précèdent et des nouveaux éléments recueillis, il y a lieu d’accueillir le recours du directeur de l’AMF en ce que la sanction prononcée, d’une part, n’est pas suffisamment proportionnée à la gravité de l’infraction, d’autre part, n’a pas un caractère suffisamment dissuasif. Par suite, la sanction doit être portée à la somme de 800 000 euros.

PAR CES MOTIFS

REJETTE les moyens d’annulation et de réformation formés par M. Q… contre la décision de la Commission des sanctions no5 du 25 avril 2019.