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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. 1, 3 juin 2020, n° 18/01788

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Wargacki (és qual.)

Défendeur :

Actifs (Selarl), Axa France Iard (SA), Etablissement Baillargeat Pascal (és qual.), Negrault (SAS), Entreprise Pascal Brunet (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

M. Orsini, Mme Verrier

Avocats :

Me Caliot, Me Lecossois Lemaitre, Me Simon Wintrebert, Me Le Lain

TGI Poitiers, du 14 mai 2018

14 mai 2018

EXPOSÉ : Les époux N ont confié à la société R F selon deux devis acceptés du 4 août 2010 le lot gros oeuvre dont implantation, fondations, soubassement, élévation du rez de chaussée, maçonnerie, ainsi que l'enduit extérieur, l'assainissement et les réseaux, pour la construction d'un bâtiment à usage mixte de local professionnel et d'habitation, sur un terrain dont ils sont propriétaires à Celles L'Evescault (Vienne), pour un coût total de 89.155,82 euros.

Le lot charpente couverture zinguerie a été confiée à la SAS Negrault, le lot menuiseries à la SARL Brunet, et le lot enduits extérieurs initialement confié à R F a été en définitive attribué à la SARL Baillargeat.

La déclaration d'ouverture de chantier a été faite le 18 novembre 2010.

Le chantier s'est interrompu au mois de juillet 2011.

Après vaine mise en demeure de reprendre le chantier adressé à la société R F le 15 mars 2012, les époux N ont provoqué la mise en place d'une expertise amiable qui a donné lieu au dépôt d'un rapport du cabinet NYX Expertise daté du 18 octobre 2012 recensant divers désordres.

Par jugement du 31 octobre 2012, la SARL Zouitina Fils a été placée en liquidation judiciaire simplifiée, avec pour liquidateur judiciaire la Selarl ACTIFS.

La compagnie AXA, assureur de l'entreprise R F, a missionné le cabinet d'expertise Saint Marc Rexi, qui a établi en date du 17 janvier 2013 un rapport dont l'expert qui avait assisté les époux N'a contesté les conclusions.

Les époux N, qui contestaient aussi la qualité des prestations exécutées par tous les titulaires de lots, ont fait assigner devant le juge des référés selon actes des 29 et 30 janvier 2014 la société R représentée par son liquidateur judiciaire, la compagnie AXA France IARD, et les sociétés Negrault, Brunet et Baillargeat, afin de voir instituer une expertise.

Par ordonnance du 2 avril 2014, rectifiée pour cause d'erreur matérielle le 23 avril 2014, le juge des référés a mis hors de cause les sociétés Negrault, Brunet et Baillargeat et ordonné une expertise confiée à M. O, dont les opérations ont ensuite été étendues par ordonnance du 22 décembre 2014 à la société Baillargeat, et qui s'est adjoint le cabinet SoprAssistance pour rechercher la cause d'infiltrations qu'il avait constatées, et M. Z pour chiffrer le coût des reprises.

Au vu du rapport définitif déposé par M. O le 6 juillet 2015, M. et Mme N'ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Poitiers, par actes du 13 novembre 2015, la société R F représentée par son liquidateur judiciaire ACTIS, la société AXA France IARD, la société Negrault, la société Brunet et la société Baillargeat, en sollicitant, dans le dernier état de leurs prétentions,

.la condamnation d'AXA en tant qu'assureur décennal, et subsidiairement en vertu de la police responsabilité civile, à leur payer le coût de reprise des désordres affectant le plancher (29.002,26 euros), le patio (10.629,48 euros), la façade arrière (8.363,11 euros), les seuils (1.220,88 euros), le remblaiement (1.632 euros), l'assainissement (20.762,67 euros), les plaques de placoplâtre (1.453,12 euros) ainsi que 151 euros en remboursement de la taxe foncière, 30.254,40 euros de dommages et intérêts pour le retard d'achèvement des travaux, 46.042,08 euros au titre du coût des intérêts intercalaires, 1.846,40 euros en remboursement des frais d'expertise amiable et 2.130 euros au titre des honoraires d'avocat

.la condamnation de la société Baillargeat à leur payer 8.060,28 euros au titre du coût de réfection de la façade avant

.la condamnation de Negrault et Brunet à terminer leur prestation conformément aux préconisations de l'expert judiciaire, soit les chéneaux d'un coût de 1.782 euros TTC pour la première et les seuils d'un coût de 310,13 euros quant à la seconde.

Ils soutenaient, en substance, que même inachevés, les travaux exécutés par la société R F avaient l'objet de leur part d'une réception, au moins tacite, en août 2011 ; qu'à défaut de le juger, le tribunal aurait à en prononcer la réception judiciaire au 18 octobre 2012 ; que les désordres objectivés par l'expertise judiciaire étaient assurables, au titre de la police décennale et subsidiairement de la police responsabilité civile ; et que les autres entreprises devaient répondre du défaut de leurs propres prestations.

Par jugement du 14 mai 2018, le tribunal de grande instance de Poitiers a condamné la société Negrault à payer 1.782 euros aux époux N et a débouté ceux ci du surplus de leurs prétentions en partageant les dépens à proportion de 90% à leur charge et 10% à celle de l'entreprise Negrault.

Pour statuer ainsi les premiers juges ont retenu, en substance,

.que l'ouvrage n'avait fait l'objet d'aucune réception, expresse ou tacite

.qu'en raison de l'inachèvement des travaux et de l'abandon du chantier, la réception judiciaire subsidiairement sollicitée par les maîtres de l'ouvrage ne pouvait être prononcée

.que ni la police décennale d'Axa, ni sa police responsabilité civile n'étaient mobilisables

.que la responsabilité de l'entreprise Baillargeat pour les enduits n'était pas caractérisée

.que celle de l'entreprise Brunet pour les seuils des garages ne l'était pas non plus

.que celle de Negrault l'était au vu de l'expertise judiciaire, pour la soudure d'un chéneau.

Les époux N ont relevé appel le 4 juin 2018.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique

* le 9 janvier 2020 par les époux N

* le 29 janvier 2020 par la société Negrault (communes avec Axa)

* le 29 janvier 2020 par la société Axa en qualité d'assureur de la société R F

* le 18 octobre 2018 par la société Brunet (communes avec Baillargeat)

* le 18 octobre 2018 par la société Baillargeat.

Les époux N soutiennent que l'ouvrage a fait l'objet, de leur part, d'une réception tacite au 1er août 2011, date à laquelle R F avait achevé la quasi-totalité du gros oeuvre et où eux-mêmes commencèrent à réaliser les travaux qu'ils s'étaient réservés, ou au 7 mai 2012 date à laquelle ils furent convoqués par l'expert amiable NYX Expertises pour une réunion valant réception amiable, ou au plus tard au 18 octobre 2012, date de dépôt par NYX Expertises de son rapport qui listait des malfaçons visuelles afin de déclencher les assurances décennales et responsabilité civile de l'entrepreneur.

Ils soutiennent que leur prise de possession accompagnée du paiement intégral des travaux attesté par les productions et confirmé par le liquidateur s'agissant de R F crée une présomption de réception tacite, et affirment que celle-ci peut tout à fait intervenir partiellement, par lots ou corps d'état, au fur et à mesure de leur achèvement, et ce, alors même que l'ouvrage n'est pas achevé ni même habitable ou en état d'être reçu.

Si la cour estimait néanmoins que leur volonté de recevoir l'ouvrage n'était pas clairement exprimée, ils lui demandent de prononcer alors la réception judiciaire, à l'une de ces trois dates, en soutenant que le critère d'habitabilité n'est pas pertinent puisqu'ils n'avaient confié aux entreprises que le gros oeuvre et la réalisation du hors d'eau et du hors d'air en se réservant tous les travaux intérieurs ; et que l'existence de désordres n'y fait pas obstacle puisqu'ils n'empêchent pas l'ouvrage d'être reçu en l'état, ce qui est l'unique critère à considérer.

Ils soutiennent que l'assurance décennale souscrite par R F auprès d'AXA peut être mobilisée car les désordres objectivés par l'expertise judiciaire sont de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage et qu'ils n'ont révélé toute leur ampleur et leurs conséquences qu'après la réception.

Ils ajoutent que les travaux préconisés par le technicien n'ont pas pour but l'achèvement des travaux mais la réparation des désordres causés par l'exécution incomplète des travaux.

Ils soutiennent que l'attestation d'assurance RC établie par AXA était trompeuse et qu'elle les abusés en leur faisant croire que l'entreprise R F était assurée au titre de sa responsabilité contractuelle tant avant qu'après réception, et ils soutiennent sur le fondement de l'ancien article 1382 du code civil, de son article 1190 et de l'article L.211-1, alinéa 2 du code de la consommation, qu'il doit en résulter que l'assureur est tenu de garantir.

Ils recensent les désordres retenus par l'expert, en discutant ses conclusions lorsqu'il estime qu'ils ne relèvent pas de la garantie décennale, ou pour certains quant à leur coût de reprise.

Ils incriminent la prestation de Baillargeat au motif qu'elle n'est pas conforme aux règles de l'art.

Ils affirment être recevables à agir contre Negrault après l'expiration de la garantie de parfait achèvement sur le fondement de la garantie décennale, et n'y être point forclos eu égard à la suspension des délais attachée à l'instance en référé expertise, et sur le fond, ils soutiennent prouver les défauts de son travail non seulement au moyen du rapport d'expertise judiciaire mais aussi au moyen du rapport d'essais d'E en recherche de fuites et des clichés photographiques y afférents.

Ils incriminent la qualité de la prestation réalisée par Brunet s'agissant des seuils au niveau des huisseries, et estiment que le désordre est valablement établi par l'expertise judiciaire.

Ils demandent ainsi à la cour de condamner

- AXA France IARD à leur payer le coût de reprise des désordres affectant le plancher (29.002,26 euros), le patio (10.629,48 euros), la façade arrière (8.363,11 euros), les seuils (1.220,88 euros), le remblaiement (1.632 euros), l'assainissement (20.762,67 euros), les plaques de placoplâtre (1.453,12 euros) ainsi que 151 euros en remboursement de la taxe foncière, 30.254,40 euros de dommages et intérêts pour le retard d'achèvement des travaux, 46.042,08 euros au titre du coût des intérêts intercalaires, 1.846,40 euros en remboursement des frais d'expertise amiable et 2.130 euros au titre des honoraires d'avocat pour le référé et l'expertise

- la société Baillargeat à leur payer 8.060,28 euros au titre du coût de réfection de la façade avant

- la société Negrault à leur payer 1.782 euros TTC au titre de la reprise des chéneaux

- la société Brunet à leur payer 620,26 euros TTC au titre des seuils en réclamant la condamnation des défendeurs, in solidum, aux dépens incluant le coût de l'expertise judiciaire, et au paiement de 6.000 euros d'indemnité de procédure.

La société Negrault forme appel incident et sollicite l'infirmation du jugement. Elle soutient que les défauts reprochés à ses travaux relevaient de la garantie de parfait achèvement, dont le délai était expiré, de sorte que les appelants sont irrecevables à agir à son encontre.

Subsidiairement, elle conteste sa responsabilité en faisant valoir que le rapport d'expertise judiciaire ne lui est pas opposable puisqu'elle avait été mise hors de cause par le juge des référés, et que les opérations n'ont pas été contradictoires à son égard. Elle récuse en tout état de cause les conclusions de M. P C réclame 6.000 euros d'indemnité de procédure.

La société Axa en qualité d'assureur de la société R F sollicite la confirmation du jugement et réclame 6.000 euros d'indemnité de procédure aux appelants.

Elle fait valoir que son assurée avait abandonné le chantier, que les travaux étaient inachevés, qu'ils n'ont fait l'objet de la part des maîtres de l'ouvrage d'aucune prise de possession ni d'aucun paiement intégral, de sorte qu'aucune réception n'a pu intervenir tacitement ; que la réception judiciaire n'est pas possible ; et que l'absence de réception constitue un obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité décennale et de la garantie décennale.

En réponse à l'argumentation des appelants, elle soutient qu'il n'a pu y avoir de réception partielle du lot gros oeuvre au fur et à mesure de son achèvement et du paiement des factures y afférentes, puisque le principe d'unicité de la réception exclut toute réception partielle à l'intérieur d'un même lot. Elle réfute, de même, l'existence d'une réception unique tacite en objectant que le paiement des factures ne suffit pas à lui seul à la démontrer, car elle requiert aussi une prise de possession et un achèvement des travaux qui n'existaient pas en l'espèce, où elle rappelle que la maison était inhabitable, ainsi que les époux N l'écrivaient encore eux-mêmes en mars 2012. Elle réfute également l'existence d'une réception tacite soit au 7 mai 2012, soit au 18 octobre 2012, en soutenant que l'absence de volonté des maîtres de l'ouvrage d'accepter les travaux en l'état est avérée.

Elle conteste que son attestation d'assurance énonce que l'entreprise R F était assurée pour ses travaux avant réception, et invoque les conditions particulières de la police.

Elle soutient que la police responsabilité civile ne couvre pas les travaux de son assurée, que ses garanties n'ont pas vocation à s'appliquer ; et que les préjudices matériels et immatériels invoqués par les maîtres de l'ouvrage relèvent au contraire du champ d'application des exclusions prévues par le contrat.

La société Brunet conteste sa responsabilité en faisant valoir que le rapport d'expertise judiciaire ne lui est pas opposable puisqu'elle avait été mise hors de cause par le juge des référés, et que les opérations n'ont pas été contradictoires à son égard. Elle sollicite la confirmation du jugement en niant tout manquement. Elle réclame une indemnité de procédure.

La société Ets Pascal Baillargeat sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas eu de réception tacite et a refusé de prononcer la réception judiciaire. Elle demande à la cour de constater que l'expert judiciaire ne met pas en cause sa prestation, de juger que sa responsabilité n'est pas engagée, de rejeter l'ensemble des demandes formulées à son encontre et de lui allouer une indemnité de procédure.

La société R F ne comparaît pas. Son liquidateur judiciaire, la société ACTIS, assignée à sa personne ès qualités, a adressé à la cour en date du 8 juin 2018 un courrier indiquant que la procédure collective était clôturée depuis le 8 juillet 2014 et qu'il n'est plus en fonction.

L'ordonnance de clôture est en date du 30 janvier 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

* sur la réception de l'ouvrage

La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage, avec ou sans réserve.

Contrairement à ce que fait plaider la société AXA France IARD, la réception peut intervenir avant l'achèvement des travaux, notamment dans l'hypothèse d'un abandon de chantier de l'entrepreneur, de sa liquidation judiciaire ou de la résiliation de son marché.

Il est constant qu'aucune réception expresse n'a été formalisée pour aucun des lots exécutés par les intimés.

Les époux N dénaturent la teneur et la portée de la réunion d'expertise amiable tenue le 7 mai 2012 en la présentant comme '..valant réception de l'ouvrage', alors que tel n'était pas son objet (cf leur pièce n°31, comprenant la convocation des parties) et qu'elle ne contient aucun procès-verbal de réception laquelle doit par nature être contradictoire, comme en dispose l'article 1792-6 du code civil ni le constat d'aucun accord susceptible d'être regardé comme assimilable ou équivalent à une réception, et que rien ne permet d'y voir, de leur part, l'expression d'une volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage avec des réserves.

Les appelants revendiquent à titre principal une réception tacite qu'ils auraient prononcée avec des réserves, et sollicitent subsidiairement la réception judiciaire des travaux.

* sur la réception tacite

La réception peut être tacite, mais à la condition de caractériser la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter l'ouvrage.

La réception tacite peut intervenir avec ou sans réserve.

Contrairement à ce que soutient la compagnie AXA, l'achèvement des travaux et l'habitabilité de l'ouvrage ne sont pas des conditions nécessaires de la réception tacite (cf Cass. Civ. 18.12.2012 P n°11-23590 ou 07.07.2015 P n°14-17115 ou 25.01.2011 P n°10-30617).

Le paiement du prix des travaux, ou la prise de possession des lieux par le maître de l'ouvrage, sont des indices de volonté d'accepter l'ouvrage, mais chacun, séparément, ne suffit pas à caractériser une volonté non équivoque de le faire.

En revanche, la réunion d'une prise de possession par le maître de l'ouvrage et du paiement de l'intégralité ou de la quasi-intégralité du prix crée une présomption de réception tacite, avec ou sans réserve (cf Cass. Civ. 24.11.2016 P n°15-25415 ou 15.09.2016 P n°15-20143 et 18.04.2019 P n°18-13734).

Il s'agit, toutefois, d'une présomption simple, qui peut être détruite par la preuve contraire.

En l'espèce, les appelants établissent avoir payé l'intégralité des travaux facturés par les entreprises, y compris les dernières factures, numérotées 13 et 14, de l'entreprise R F, que les époux N ont longtemps indiqué eux-mêmes n'avoir pas payées (encore devant l'expert judiciaire, qui le consigne : cf page 18), puisque le liquidateur judiciaire de l'entreprise certifie que le compte auprès des époux N au titre de ce chantier a été soldé (cf pièce des appelants n°36), ce qui clôt la discussion.

En revanche, aucune prise de possession des lieux par les maîtres de l'ouvrage n'est démontrée, en l'état des contestations des intimés.

Les époux N prétendent avoir pris possession des lieux le 1er août 2011 et manifesté la volonté de terminer les travaux, mais n'en rapportent rigoureusement aucune preuve

Au contraire, nombre d'éléments persuadent de l'absence de prise de possession des lieux.

Les maîtres de l'ouvrage indiquaient dans leur assignation en référé que le chantier était 'resté en suspens depuis le mois de juillet 2011 suite aux contestations de la qualité de la prestation offerte par le maçon principalement (la société R G et l'enduiseur (la société Ets Pascal Baillargeat) ainsi que la société Brunet chargé des travaux de fourniture et pose des menuiseries extérieures' (cf leur pièce n°58, page 2).

Ils ne produisent aucun procès-verbal de constat des travaux qu'ils auraient prétendument réalisés à compter des dates auxquelles ils demandent de situer la réception tacite en affirmant avoir accepté l'ouvrage et eux-mêmes commencé à exécuter les lots qu'ils s'étaient réservés.

Au contraire, ils écrivaient à la société R F dans un courrier du 15 mars 2012 (leur pièce n°9) : 'depuis juillet 2011, la construction de notre maison à Celle l'Evescault est bloquée'.

Le cabinet NYX Expertises indiquait en pages 10 et 11 de son rapport du 18 octobre 2012, dont les appelants se prévalent et que rien ne contredit sur ces points : 'Le chantier est bloqué depuis le mois de juillet 2011. Monsieur et Madame N avaient prévu de consacrer leurs vacances 2011 à réaliser les cloisons en placo, la plomberie et l'électricité afin d'emménager dans leur maison pour la rentrée scolaire de 2011. Malgré leurs multiples démarches auprès de Monsieur R pour trouver une solution, celles-ci sont restées vaines. Le 7 mai 2012, le chantier était en l'état tel que l'entreprise R l'avait laissé. En septembre 2012, soit 15 mois plus tard, rien n'a évolué. Monsieur et Madame N remboursent des emprunts et ne peuvent pas disposer de leur bien...sont contraints de payer d'une part, le loyer de leur logement en location, et de rembourser d'autre part, les intérêts d'emprunts depuis le 5 décembre 2010'.

Il concluait que 'le chantier est en suspens depuis le mois de mars 2011 à la suite des contestations de la qualité de la prestation offerte principalement par le maçon et l'enduiseur en partie'.

Dans un additif daté du 22 janvier 2013, ce même expert indiquait que le chantier était encore à ce jour dans le même état qu'au jour de la réunion d'expertise tenue le 4 novembre 2011 par son homologue initialement mandaté par les époux N, M. Y (cf pièce n°5 des appelants, page 2).

Ce constat est cohérent avec les indications, et illustrations photographiques, du rapport d'expertise établi au contradictoire de toutes les présentes parties qui montre un ouvrage encore brut à l'intérieur (cf pièce n°6 des appelants).

Il est aussi cohérent avec les énonciations du rapport de l'expert judiciaire O qui notait en conclusion (cf pièces n°66 des appelants page 22) que 'le chantier a été abandonné en juillet 2011 suite aux contestations de la prestation des entreprises dans son global et du maçon en particulier (l'entreprise R).', qui décrit et illustre un bien resté dans le même état, et qui renvoie pour la description des désordres et de leur remèdes au rapport, daté du 28 avril 2015, du sapiteur B Z qu'il s'était adjoint, selon lequel 'la construction est actuellement arrêtée', et qui chiffre pour plus de 51.000 euros des reprises consistant, notamment, à refaire le sol, déplacer la baie vitrée mal positionnée et à traiter les infiltrations (cf pièce n °66 p.22).

Ainsi, les maîtres de l'ouvrage n'ont jamais pris et pu prendre possession des lieux.

Et ils ont toujours protesté à l'encontre de la qualité des travaux, qu'ils n'ont jamais acceptés, ce qui exclut toute réception tacite (cf Cass. Civ. 3° 04.04.2019 P n°18-10412, ou 14.12.2017 P n°16-24752 ou 24.03.2016 P n°15-14830).

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté leur prétention à voir juger qu'une réception tacite serait intervenue et ce, à quelque date que ce soit.

* la réception judiciaire

La réception judiciaire peut être prononcée dès lors que l'immeuble est en état d'être reçu, c'est-à- dire, pour un logement, s'il est habitable (cf Cass. Civ. 3° 12.10.2017 P n°15-27802 ou 24.11.2016 P n°15-26090).

Elle peut être prononcée même si l'ouvrage est inachevé, dès lors que le maître de l'ouvrage a pris possession d'un ouvrage en état d'être habité (cf Cass. Civ. 3° 20.11.2007 P n°06-21064).

Ces conditions ne sont pas réunies en l'espèce, où en l'absence de démonstration d'une modification de la situation depuis que ces techniciens sont intervenus, ainsi qu'il vient d'être dit, il est établi que l'ouvrage n'est pas habitable, même indépendamment de l'exécution par les maîtres de l'ouvrage des lots qu'ils s'étaient réservés, ainsi qu'il ressort

- de leur propre courrier du 15 mars 2012 à l'entreprise R (leur pièce n°9), dans lequel ils indiquaient que la non-conformité du sol créait un décalage de 4 à 7 centimètres entre la chape et les seuils de portes, et en lui demandant d'intervenir pour le reprendre 'afin que nous puissions enfin finir notre maison et y habiter...',

- et, ainsi qu'il vient d'être vu, du rapport du Cabinet NYX Expertises

- et de celui de l'expert judiciaire, qui en réponse à un dire, indique concevoir que les époux N doivent se loger mais ne pas être à même de donner une date à laquelle ils le pourraient (cf page 20), étant précisé que la réception judiciaire du lot des entreprises Brunet, Negrault et Baillargeat n'est pas davantage possible.

Le jugement déféré sera ainsi également confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prononcer la réception judiciaire.

* sur les demandes dirigées par les époux N contre la société AXA

En l'absence de réception des travaux exécutés par la société R F, affectés de désordres et de non-conformités apparents signalés par les maîtres de l'ouvrage, et déjà perceptibles dans toutes leurs conséquences dès avant l'expertise judiciaire, la police couvrant la responsabilité décennale de l'entreprise n'est pas mobilisable.

La police responsabilité civile également souscrite auprès d'AXA par l'entreprise et dont les conditions particulières sont versées intégralement ne l'est pas davantage, puisqu'elle couvre la responsabilité incombant à l'assuré à raison de préjudices causés aux tiers ne consistant pas en dommages constructions (cf pièce n°3 d'AXA, page 11).

Les appelants ne sont pas fondés à prétendre que l'attestation d'assurance établie par AXA à l'entreprise R F du chef de cette police responsabilité civile serait trompeuse, ni seulement même équivoque, au point de faire accroire que l'entreprise était assurée pour des désordres de construction antérieurs à la réception, alors que ce document (leur pièce n°10) distingue clairement, par sa présentation comme par sa formulation, la garantie au titre de la 'responsabilité civile décennale découlant des articles 1792 et 1792-2 du code civil...que l'entreprise assurée peut encourir 'pour les travaux de construction soumis à l'obligation d'assurance', en en explicitant le régime, et 'sa responsabilité civile qu'elle peut encourir en raison des préjudices causés aux tiers, avant ou après réception', de sorte qu'ils seront aussi déboutés de leur prétention à rechercher la responsabilité extracontractuelle de l'assureur.

Ainsi, les époux N sont déboutés de tous leurs chefs de prétentions contre la société AXA France IARD, à laquelle ils verseront une indemnité de procédure, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

* sur la responsabilité de la SAS Negrault

La société Negrault n'est pas fondée à soutenir que les époux N seraient forclos, ou prescrits, à rechercher sa responsabilité parce que leur demande serait postérieure à l'expiration du délai de la garantie de parfait achèvement, le maître de l'ouvrage qui n'a pas agi dans le délai annal de cette garantie restant habile à agir sur le fondement soit, de la garantie décennale, soit sur celui de la responsabilité contractuelle, dont le délai respectif de prescription n'était pas expiré à la date d'introduction de la demande.

Les appelants incriminent une soudure que l'entreprise aurait mal faite et qui serait à l'origine d'infiltrations, mais ce grief ne repose que sur les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, alors que ce rapport lui est inopposable puisqu'elle n'était pas partie aux opérations d'expertise (cf Cass. Civ. 3° 12.11.2015 P n°12.11.2015).

Cette pièce est certes régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, mais la responsabilité de l'entreprise ne peut être exclusivement fondée sur ses conclusions.

Or il n'est pas justifié d'un autre élément probant susceptible d'établir un défaut des prestations exécutées par l'entreprise Negrault, ou le lien de causalité susceptible d'exister entre un désordre et son travail.

Notamment, le rapport du Cabinet NYX Expertises qui n'est pas non plus contradictoire à l'égard de Negrault n'incrimine en rien ses prestations.

Les appelants soutiennent que l'autre élément venant corroborer le rapport O tient aux rapports d'essais réalisés fin juillet/début août 2013 sur le site par la société E (cf leur pièce n°7), mais ce document, qui émane d'une entreprise de réparation d'étanchéité, ne constitue pas une expertise ou l'avis d'un technicien. En tout état de cause, son auteur indique n'avoir pu constater par ces essais les phénomènes d'importantes venues d'eau dont les propriétaires faisaient état au vu de clichés photographiques antérieurs ; il se borne à qualifier de 'phénomène inexpliqué' une petite infiltration constatée entre le chéneau et la bavette après un arrosage prolongé de l'enduit côté terrasse ; il émet certaines hypothèses ; n'évoque pas un problème de soudure défectueuse ni le lot charpente couverture zinguerie dont la société Negrault était titulaire ; il suggère d'interroger l'enduiseur ce qui ne renvoie pas aux travaux de Negrault- ; et il ne contient plus généralement rien de nature à incriminer cette entreprise.

Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit à l'appel incident de la société Negrault et, par infirmation du jugement, de débouter les époux N des prétentions qu'ils dirigent à son encontre, l'équité justifiant de ne pas les condamner à lui verser une indemnité de procédure.

* sur la responsabilité de la société Brunet

La responsabilité de la société Brunet est recherchée du chef des seuils situés au niveau des huisseries, au motif que l'expert a constaté lors de ses réunions qu'en fonction de la pluie, l'eau s'infiltrait sous la porte d'entrée et la porte du dressing.

Mais le grief n'est articulé par les appelants qu'au vu du seul rapport d'expertise judiciaire, qui est inopposable à la société Brunet puisqu'elle avait été mise hors de cause par le juge des référés devant lequel ils l'avaient assignée à fin d'expertise, et qu'elle n'était pas partie à la mesure ordonnée.

Ce rapport d'expertise judiciaire constitue certes une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, mais ainsi qu'il a déjà été dit, la responsabilité de l'entreprise ne peut être uniquement fondée sur ses conclusions.

Or les appelants, en réponse au moyen de l'intimée, ne justifient d'aucun autre élément à l'appui des griefs qu'ils adressent à l'intimée, et se bornent à invoquer le rapport O.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les époux N de leurs prétentions contre la société Brunet, à laquelle ils verseront une indemnité de procédure.

* sur la responsabilité de la société Baillargeat

Les époux N soutiennent que la prestation exécutée par l'entreprise Baillargeat ne serait pas conforme aux règles de l'art en ce que l'enduit qu'elle a appliqué laisse apparaître, sur la façade de l'entrée de la maison, des joints de maçonnerie en 'spectres' , mais ils ne justifient d'aucun élément propre à contredire les analyses et conclusions de l'expert judiciaire, qui, à l'issue d'un examen visuel et de différentes mesures faites au niveau du soubassement et, par sondage, au dessus de la porte d'entrée, a constaté que l'épaisseur de l'enduit était de 13,3 mm à 15 mm selon les endroits, soit conforme au DTU qui requiert une épaisseur entre 12 et 18 mm (page 14) et qui, en réponse à un dire lui demandant de préciser l'incidence sur l'esthétique, a indiqué : 'je n'ai pas dit que le résultat est inesthétique'en précisant n'avoir nullement constaté l'effet visuel apparaissant sur un cliché photographique que lui produisaient les maîtres de l'ouvrage (p18).

Au vu de ces constatations et conclusions, qui ne sont pas contredites, et en l'absence d'autre élément, c'est à bon droit que le tribunal a débouté les époux N de leurs prétentions contre la société Baillargeat, et le jugement sera confirmé de ce chef, les appelants devant verser à l'intimée une indemnité de procédure au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

* sur les dépens

Les époux N succombant en toutes leurs prétentions, supporteront entièrement les dépens de première instance incluant les dépens de référé et le coût de l'expertise judiciaire et les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS la cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort :

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il prononce condamnation contre la SARL Negrault et sauf en ses dispositions afférentes aux dépens statuant à nouveau de ces chefs :

REJETTE le moyen tiré par la société Negrault d'une irrecevabilité des demandes dirigées à son encontre par les époux N

DÉBOUTE les époux N de toutes leurs prétentions envers la SARL Negrault ajoutant :

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires

CONDAMNE in solidum les époux N aux dépens de première instance, qui incluent les dépens de référé et le coût de l'expertise judiciaire, et aux dépens d'appel

CONDAMNE in solidum les époux N à payer en application de l'article 700 du code de procédure civile

* 1.500 euros à la société AXA France IARD

* 1.500 euros à la SARL Ets Pascal Baillargeat

* 1.500 euros à la SARL Brunet

DIT n'y avoir lieu à allouer une indemnité de procédure à la société Negrault.