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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 30 avril 2014, n° 13/05496

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Léa Trade France (SAS)

Défendeur :

ACH (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hirigoyen

Conseillers :

Mme Delbès, M. Boyer

Avocats :

Me Couturier, Me Fournier, Me Janvier-Manchon, Me Andrez

T. com. Paris, du 12 mars 2013, n° 20120…

12 mars 2013

La SNC ESL, créée le 28 novembre 2007, avait pour activité la mise à disposition d'ouvrages à destination d'équipement public et avait pour associées la SAS Ach, sa société mère, qui détenait 40 % de son capital, et la société Levaux et Associés qui en détenait 60 %.

Par jugement du 11 juin 2012, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Levaux et Associés. Cette procédure a été convertie le 9 juillet 2012 en liquidation judiciaire, la SCP Coudray-Ancel, en la personne de Maître Christophe Ancel, étant désignée comme liquidateur.

Par jugement du 16 janvier 2012, la même juridiction a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Ach. Cette procédure a été convertie le 19 novembre 2012 en liquidation judiciaire et la SCP Coudray-Ancel, en la personne de Maître Ancel, a été désignée comme liquidateur.

L'assemblée générale extraordinaire de la société ESL en date du 22 novembre 2012, à laquelle les deux associées de l'intéressée étaient représentées par Maître Ancel, a décidé la dissolution de la société ESL et a désigné Maître Ancel en qualité de liquidateur amiable.

La société ESL, qui s'était substituée à la société Solefim, était liée avec la commune de Saint-Laurent-Médoc par un contrat de partenariat relatif à des prestations de conception et de réalisation de travaux de restauration et d'extension d'une école et d'installations sportives. Ce contrat a été résilié aux termes d'un avenant n° 2 en date du 29 mars 2012 qui a fixé à 960 000 euros le montant de l'indemnité transactionnelle de rupture revenant à la société ESL.

Selon protocole d'accord du 18 juin 2012, la société ESL a cédé cette créance à la SAS Lea Trade Finance à hauteur de 616 396,25 euros. Un acte de cession de créance a été signé le même jour entre les intéressées.

Par actes des 14 et 16 novembre 2012, la société ESL et la SCP Coudray-Ancel, en la personne de Maitre Ancel, ès qualités, ont assigné la société Lea Trade Finance, la société Ach et Maître Florence Tulier, ès qualités de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de cette dernière, devant le tribunal de commerce de Paris à l'effet de voir dire nulle et de nul effet cet acte de cession de créance du 18 juin 2012.

Par jugement du 12 mars 2013, le tribunal de commerce de Paris a déclaré la SCP Coudray-Ancel recevable en son intervention volontaire en qualité de liquidateur amiable de la société ESL et de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Ach, a déclaré nul et de nul effet l'acte de cession de créance du 18 juin 2012, a ordonné la réintégration de la créance de 616 396,25 euros dans le patrimoine de la société ESL en liquidation amiable, a condamné la société Lea Trade Finance à payer à la SCP Coudray-Ancel, ès qualités, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a rejeté toute autre demande.

Par déclaration du 19 mars 2013, la société Lea Trade Finance a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures signifiées le 13 janvier 2014, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de dire valable l'acte de cession de créance partielle du 18 juin 2012 et de condamner Maître Ancel, membre de la SCP Coudray-Ancel, ès qualités, à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 23 janvier 2014, Maître Ancel, membre de la SCP Coudray-Ancel, agissant en qualité de liquidateur amiable de la société ESL et de liquidateur judiciaire des sociétés Ach et Levaux et Associés, demande à la cour de confirmer la décision dont appel et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées à Maître Tulier, ès qualités d'administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Ach, selon actes des 25 mai et 20 novembre 2013 qui a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de perquisition, et à la société Ach selon acte du 21 juin 2013 remis à une personne habilitée. Ces deux intimées n'ont pas constitué avocat.

SUR CE

Considérant que le protocole d'accord du 18 juin 2012 et l'acte de cession de créance ont été signés entre la société ESL, représentée par son gérant, M. Mottais, et la société Lea Trade Finance, 'en présence de' la société Ach, représentée par son président, M. Heitz, et de la société Levaux & Associés, représentée par son président, M. Boudet, intervenant toutes deux en qualité d'associées de la société ESL ;

Considérant que l'intimée argue de la nullité de la cession de créance en faisant valoir que cette nullité est expressément prévue par l'article 2 du protocole pour le cas où le contrat de partenariat conclu avec la Commune de Saint-Laurent-Médoc ou tout acte administratif relatif à la créance ferait l'objet d'un recours administratif et/ou contentieux, ce qui a été le cas puisqu'un recours en annulation du contrat de partenariat a été déposé le 16 septembre 2011 auprès du greffe du tribunal administratif de Bordeaux par le syndicat national des entreprises du second oeuvre, que la délibération du 3 avril 2012 de la commune approuvant le projet d'avenant n° 2 portant résiliation du contrat de partenariat, transmise au contrôle de légalité le 16 avril 2012, a fait l'objet d'un recours formé le 15 juin 2012 par Mme la sous-préfète faisant état de diverses irrégularités et que le Préfet de la Gironde a présenté un recours gracieux à l'encontre de cet avenant n° 2 par courrier du 6 septembre 2012 pour en solliciter le retrait ;

Considérant que la société Lea Trade Finance fait valoir que les recours invoqués par l'intimée n'ont connu aucune suite de sorte que l'article 2 du protocole ne peut recevoir application ;

Considérant que l'article 2 du protocole d'accord du 18 juin 2012 stipule que 'si pour quelque raison que ce soit, le contrat de partenariat, les avenants conclus avec la Commune de Saint-Laurent-Médoc ou tout acte administratif relatif à la Créance faisaient l'objet d'un recours administratif et/ou contentieux, le présent contrat serait nul et non avenu et par conséquent les créances réciproques ne seraient pas éteintes par compensation (...)

Dès lors , la SNC ESL s'engage expressément à faire toutes diligences auprès de la Commune afin que soient purgés les délais et voies de recours' ;

Considérant que l'intimée n'argue de l'existence d'aucun recours administratif ou contentieux en cours à ce jour à l'encontre tant du contrat de partenariat que de l'avenant n° 2, de nature à remettre en cause le protocole et la cession de créance du 18 juin 2012 et à justifier l'application de l'article 2 ci-dessus reproduit ; que sa demande en nullité fondée sur ledit article ne peut donc pas prospérer ;

Considérant que la SCP Coudray-Ancel, ès qualités, invoque encore la nullité de la cession de créance du 18 juin 2012 en raison du défaut de pouvoir pour représenter la cédante de M. Mottais, qui avait démissionné de ses fonctions de gérant et qui, en toute hypothèse, ne pouvait signer cet acte, étranger à l'objet social de la société ESL, sans le consentement unanime des associés de celle-ci ;

Considérant que la société Lea Trade Finance réplique que la démission de M. Mottait ne prenait effet, aux termes des statuts de la société ESL, qu'à la date de clôture de l'exercice comptable 2012, soit le 31 décembre 2012, et que le 18 juin 2012, cette démission n'était pas opposable aux tiers faute d'avoir été publiée au registre du commerce ; qu'elle ajoute que M. Mottais pouvait signer seul l'acte en litige, la cession de créance n'étant pas une activité étrangère à l'objet social de la société ESL et étant, en outre, validée par la participation à l'acte des deux associées de l'intéressée et par la communauté d'intérêts qui existait entre les sociétés du groupe Ach ;

Considérant qu'il est constant que M. Mottais a démissionné de ses fonctions de gérant de la société ESL au mois de mars 2012 ; que l'article 18 des statuts de la société ESL prévoit cependant que la démission du gérant doit être notifiée six mois au moins avant la date de clôture de l'exercice en cours et qu'elle ne prend effet qu'à cette date ; qu'en outre la démission de M. Mottais, qui n'avait fait l'objet d'aucune publicité auprès du greffe du tribunal de commerce, n'était pas opposable aux tiers le 18 juin 2012, date de signature du protocole et de l'acte de cession de créance ; qu'il suit de là que M. Mottais était encore, à cette date, le gérant de la société ESL ;

Considérant que les statuts de la SNC ESL prévoient que, dans les rapports avec les tiers, le gérant a pouvoir de passer seul tous les actes de gestion entrant dans l'objet social ;

Considérant que le paragraphe D du préambule du protocole du 18 juin 2012 est ainsi rédigé :

'La société Lea Trade Finance a conclu avec la société Ach SAS, société mère du groupe Ach, un contrat de commission en date du 20 février 2011, par lequel Ach SAS, en tant que commettant, donnait mission à Lea Trade Finance d'acheter en son nom mais pour le compte d'une de ses filiales Ach Aquitaine divers matériel, aux conditions d'achat et de prix définies et acceptées par Ach SAS. La société Ach SAS a émis au profit de la société Lea Trade Finance une garantie autonome à première demande par laquelle elle s'engage à garantir les dettes d'Ach Aquitaine envers Lea Trade Finance pour un montant maximum de 1 000 000 euros.

A ce titre, Lea Trade Finance détient à ce jour une créance d'un montant de 616.396,25 euros TTC (...) à l'encontre des sociétés Ach Aquitaine et Ach SAS' ;

Considérant que la cession par la société ESL d'une partie de la créance d'indemnité de rupture qu'elle détenait à l'encontre de la commune de Saint-Laurent-Médoc est donc intervenue en compensation non pas d'une dette sociale mais d'une dette contractée par les sociétés Ach SAS et Ach Aquitaine à l'égard de la société Lea Trade Finance ;

Considérant que les sociétés faisant partie d'un même groupe n'en demeurent pas moins des entités juridiques distinctes ; que le fait pour des sociétés d'appartenir à un même groupe ne saurait rendre chacune d'elles titulaire des créances et tenue aux dettes des autres ; que la communauté d'intérêts entre les sociétés du groupe Ach qui aurait justifié la cession de créance et découlant du souci de préserver les relations commerciales du dit groupe avec la société Lea Trade Finance qu'invoque celle-ci n'est nullement démontrée, alors que la société Ach, mère du groupe, bénéficiaire des prestations de l'appelante et débitrice de celle-ci, a été placée en liquidation judiciaire quelques mois seulement après la signature de l'acte en litige avec un passif de plus de 123 millions d'euros ; qu'en outre, les sacrifices imposés à l'une des sociétés du groupe ne doivent pas l'être sans contrepartie pour l'intéressée ; qu'il ne résulte pas des termes des actes en litige qu'en contrepartie de la cession des deux tiers de sa créance sur la commune, la société ESL et ses associées aient obtenu le moindre avantage, ce dont le maintien, affiché mais totalement fictif dans la situation ci-dessus évoquée, des relations commerciales avec la cessionnaire ne saurait tenir lieu ; que l'intérêt et l'avantage étaient clairement pour la seule société Lea Trade Finance qui échappait à la procédure collective de la société Ach ;

Considérant qu'à défaut de la communauté d'intérêts alléguée, les opérations en litige n'entraient pas dans l'objet social de la société ESL et M. Mottais ne pouvait pas signer l'acte de cession de créance du 18 juin 2012 sans le consentement des associées de la société ESL ;

Considérant que les sociétés Ach SAS et Levaux & Associés sont intervenues aux actes du 18 juin 2012 qui ont été signés, pour elles, par M. Heitz et par M. Boudet, leurs présidents respectifs ; que la première nommée faisait alors l'objet d'une procédure de sauvegarde avec Maître Ancel, comme mandataire judiciaire et Maître Tulier comme administrateur judiciaire avec mission de surveillance de la gestion ; que la seconde était en redressement judiciaire avec la SCP Coudray-Ancel comme mandataire judiciaire et Maître Tulier comme administrateur judiciaire avec mission d'assister le débiteur pour tous les actes concernant la gestion de l'entreprise;

Considérant que si l'intervention aux actes en litige des sociétés Ach SAS et Levaux & Associés, détentrice de la totalité du capital de la société ESL, pouvait traduire la volonté des intéressées de consentir aux dits actes, force est de constater que ceux-ci ne constituant pas des actes de gestion courante, lesquels s'entendent uniquement de ceux permettant à l'entreprise de fonctionner, la participation de la société Levaux & Associés nécessitait, pour être utile, l'assistance de son administrateur judiciaire ; que faute de ladite assistance, la participation de la société Levaux & Associés aux actes du 18 juin 2012 n'a pu valider le dépassement de ses pouvoirs par le gérant de la société ESL ;

Considérant que l'acte de cession de créance signé le 18 juin 2012 pour la société ESL par son gérant sans le consentement de l'un des deux associés de l'intéressée est donc nul ;

Considérant que le jugement dont appel mérite en conséquence confirmation ;

Considérant que l'équité commande de ne pas faire application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société Lea Trade Finance aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.