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Décisions

Cass. crim., 25 novembre 2015, n° 14-83.611

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Chaubon

Avocats :

SCP Gaschignard, SCP Piwnica et Molinié

Rennes, du 24 avr. 2014

24 avril 2014

Statuant sur les pourvois formés par :

- Mme Fabienne X...,

- Me Daniel A..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société le Balto, parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 11e chambre, en date du 24 avril 2014, qui, les a déboutés de leurs demandes après relaxe partielle de M. Stéphane Y... du chef d'abus de confiance ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I- Sur le pourvoi de Mme X... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II- Sur le pourvoi de Me A... :

Vu les mémoires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 314-1 du code pénal, 427, alinéa 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;

" en ce que, l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé le prévenu des fins de la poursuite du chef des détournements au préjudice de la société le Balto et a débouté Me Daniel A..., en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société le Balto, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

" aux motifs qu'il ressort des correspondances adressées par le cabinet comptable Sogecom-Cegirec tant à l'administrateur judiciaire qu'au mandataire liquidateur, que les bilans et comptes de résultat de l'exercice 2007 n'ont pu être établis en l'absence des pièces justifiant le chiffre d'affaires de 2007, notamment, les brouillards de caisse et les factures d'achats de cette période ; que ne sont pas davantage produits aux débats, les bilans et comptes de résultats des années antérieures, étant relevé par ailleurs, que suivant une ordonnance de non-conciliation rendue le 14 juin 2007, un expert comptable avait été commis à la demande des deux parties pour qu'il soit procédé à l'établissement des comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2006 et que les parties n'ont pas fait diligenter la mesure d'expertise ; qu'il n'a pas davantage été versé aux débats les rapports établis par l'administrateur judiciaire et/ ou le mandataire au cours de la procédure collective ; qu'il s'ensuit, qu'hormis les tableaux récapitulatifs et comparatifs établis par Mme X..., et chiffrant, d'une part, le montant « recettes estimées » de la société le Balto entre février et juin 2007, en prenant pour seule base, d'une part, pour l'évaluation de l'activité « bar », (en l'absence de tickets), un chiffre d'affaire journalier forfaitaire, et, d'autre part, pour l'estimation des recettes générées par les activités tabac, presse, loteries et divers et l'analyse des tickets « Z », ne présentent en l'absence des pièces comptables y afférent aucune valeur de certitude ; que la vérification succincte à laquelle ont procédé les enquêteurs en limitant leur contrôle à la seule vérification des tickets « Z » afférents aux activités presse, tabac, loterie des mois de février et avril 2007, ne présente pas davantage de valeur comptable et ne permet pas de conclure à la fiabilité de l'ensemble des chiffres tels que reconstitués par les enquêteurs dans le tableau qui figure à la procédure, sous l'intitulé « montant des recettes et dépôts en banque (...) de février à juin 2007 » ; que quoi qu'il en soit, et à supposer même que les chiffres des « recettes estimées » par Mme X... soient conformes ou proches de la réalité, cette approche succincte et partielle des résultats de l'activité, sous l'angle des seules recettes brutes sans prise en compte des charges d'exploitation (salaires, factures ... etc) dont on ne peut au demeurant exclure que certaines d'entre elles aient pu être réglées pendant les derniers mois de l'activité autrement que par le biais du compte courant de la société et notamment au moyen d'espèces du fait même du blocage des comptes bancaires ; que ne saurait suffire par l'effet du simple rapprochement opéré entre le montant des « recettes estimées » de l'activité et le montant des dépôts enregistrés sur le compte bancaire de la société et du différentiel en résultant, à faire la preuve de la matérialité d'un détournement de fonds imputable à M. Stéphane Y... lui-même, alors qu'aucune investigation n'a été entreprise pour rechercher et déterminer concrètement la nature des opérations et des actes propres à établir la matérialité du détournement suspecté à son encontre ; que les résultats de la procédure de vérification fiscale dont a fait l'objet la société le Balto et les rehaussements et redressements auxquels il a été procédé, en raison de l'absence (ou de la minoration) des déclarations souscrites en matière de BIC et de TVA au titre de l'exercice 2006 (BIC) et des exercices du 1er janvier 2004 au 30 juin 2007 (TVA), ne sont pas davantage de nature à apporter la preuve d'un détournement de recettes imputable à M. Stéphane Y..., dès lors qu'il en résulte qu'en l'absence déjà de déclaration des BIC au titre de l'exercice 2006, les résultats de l'exploitation ont été évalués d'office sur la base de ceux déclarés en 2005 et qu'en matière des déclarations de TVA, il a été procédé à des rehaussements pour tous les exercices clos depuis le 31 décembre 2004 et que s'agissant de la TVA due au titre du 1er semestre 2007, elle a été évaluée (en l'absence de déclaration) sur la base du chiffre d'affaires taxable au titre du 1er semestre 2006 ; que si M. Stéphane Y... a, lors de sa déposition, après que les enquêteurs lui aient présenté le tableau comparatif des recettes estimées et dépôts en banque au cours du 1er semestre 2007, admis qu'il avait « continué comme par le passé » et comme il le faisait au temps de la vie commune avec son épouse, et prélevé sur le compte bancaire de la société le Balto, le montant des impôts communs et des échéances des prêts personnels qu'ils avaient contractés en commun pour financer l'achat ou la construction de leurs maisons d'habitation communes, outre une rémunération de 5 000 euros pour vivre, il ne résulte pas de ces aveux qui n'ont donné lieu à aucune vérification objective, que les prélèvements ou règlements que M. Stéphane Y... a reconnu ainsi avoir effectués dans les comptes ou sur les fonds, aient été faits dans une intention frauduleuse ni qu'il en soit résulté pour son épouse, associée, un préjudice, dès lors que les fonds, selon les déclarations de M. Stéphane Y... qui ne sont contredites par aucun élément de preuve contraire ont servi au règlement de dettes communes ; que s'agissant de la rémunération que M. Stéphane Y... admet avoir prélevée, il n'est objectivement pas démontré qu'elle excédait le montant des prélèvements antérieurs ni qu'elle était disproportionnée ; 
qu'hormis ces prélèvements dont il a admis la réalité, M. Stéphane Y... n'a pas fourni d'explications sur l'origine du différentiel mentionné sur les tableaux comparatifs de recettes et dépôts en banque qui lui ont été présentés se bornant à déclarer : « je suis incapable d'expliquer ça » et a précisé lors de son audition « Nous avons confondu les comptes de la société avec les comptes personnels (¿) » ; qu'à la suite de sa déposition, aucune investigation n'a été entreprise à l'effet de rechercher l'existence éventuelle, d'opérations, de prélèvements ou de paiements suspects propres à établir l'origine de l'écart prétendu entre les recettes estimées et les dépôts en banque au cours du 1er semestre 2007 et à rapporter, en conséquence, la preuve de la matérialité des détournements qui lui sont imputés ; qu'à défaut, sa responsabilité dans le détournement supposé des recettes ne saurait être inféré de ces seules déclarations en l'absence de tout élément de preuve établissant la matérialité même de ces détournements ; que les investigations inabouties sur ce point, n'ayant pas permis de réunir à l'encontre de M. Stéphane Y... les éléments tant matériel qu'intentionnel propres à caractériser le délit d'abus de confiance qui lui est reproché, sa relaxe sera prononcée sous la réserve ci-après ; que s'agissant en effet de la remise à sa soeur d'un chèque de 319 euros qui lui avait été remis par un client de la société, l'enquête diligentée permet sur ce point, de caractériser à l'encontre de M. Stéphane Y..., la matérialité d'un détournement qui lui est imputable, effectué au préjudice et en fraude des droits de son épouse, associée ; qu'en ce qui concerne le deuxième chèque émis par M. Z... d'un montant de 119 euros que M. Stéphane Y... reconnaissait ne pas avoir déposé sur le compte de la société, Mme X... entendue sur ce point, a expliqué que la somme en cause lui avait été remboursée par M. Z..., de sorte que les faits ne caractérisent pas le délit d'abus de confiance ; que le jugement sera en conséquence infirmé et M. Stéphane Y... déclaré coupable d'abus de confiance pour le détournement du chèque de 319 euros en juin 2007 et relaxé pour le surplus des fins de la poursuite ; que si la constitution de partie civile de Me A..., ès qualité, au soutien de l'action publique est recevable, il y a lieu en raison de la relaxe prononcée au bénéfice du prévenu de rejeter l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et d'infirmer le jugement ;

" 1°) alors que l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ; que commet le délit d'abus de confiance celui qui détourne en connaissance de cause les fonds d'une société en nom collectif dont il est le gérant ; qu'en affirmant, pour relaxer M. Y... du chef d'abus de confiance et rejeter l'ensemble des demandes de Me A..., ès qualités, que la cour d'appel ayant constaté d'un côté que le prévenu avait, en connaissance de cause, détourné des sommes revenant à la société afin de payer des dettes personnelles correspondant à des impôts personnels, des prêts personnels ou encore à des prélèvements « pour vivre » et encore que le prévenu ne pouvait s'expliquer sur l'origine du différentiel mentionné sur les tableaux comparatifs de recettes et dépôts en banque, elle ne pouvait sans se contredire ou mieux s'en expliquer, affirmer d'un autre côté que la preuve de la matérialité des détournements n'est pas établie ou encore que les prélèvements n'avaient pas été faits dans une intention frauduleuse ;

" 2°) alors qu'il appartient aux juges d'ordonner les mesures d'instruction dont ils constatent la nécessité en vue de la manifestation de la vérité ; qu'en affirmant, pour relaxer M. Stéphane Y... du chef d'abus de confiance et rejeter l'ensemble des demandes de Me A..., ès qualités, qu'aucune investigation n'avait été entreprise à l'effet de rechercher l'existence éventuelle, d'opérations, de prélèvements ou de paiements suspects propres à établir l'origine de l'écart prétendu entre les recettes estimées et les dépôts en banque au cours du 1er semestre 2007 et à rapporter la preuve de la matérialité des détournements imputés à M. Stéphane Y..., quand précisément le juge est tenu d'ordonner les mesures complémentaires d'instruction dont il reconnaît l'utilité pour la manifestation de la vérité, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 3°) alors qu'en affirmant, pour relaxer M. Stéphane Y... du chef d'abus de confiance et rejeter l'ensemble des demandes de Me A..., ès qualités, que si M. Stéphane Y... avait avoué avoir prélevé dans les recettes de la société le montant des impôts communs et des échéances des prêts personnels contractés avec son ex-épouse, Mme X..., il ne résultait pas de ces aveux que les prélèvements ou règlements aient été faits dans une intention frauduleuse, quand précisément l'intention frauduleuse se déduisait des constatations opérées par les juges impliquant que le prévenu avait conscience des actes qu'il réalisait, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

" 4°) alors qu'enfin les juges ayant constaté l'existence de prélèvements réalisés par M. Stéphane Y..., l'absence d'explications sur l'origine du différentiel mentionné sur les tableaux comparatifs de recettes et dépôts en banque, le prévenu déclarant « je suis incapable d'expliquer ça » et encore « nous avons confondu les comptes de la société aves les comptes personnels », la cour d'appel qui n'a pas expliqué en quoi ce comportement ne constituait pas, à tout le moins une faute civile engageant la responsabilité du prévenu à l'égard du liquidateur, n'a pas justifié sa décision " ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. Y..., cogérant avec son ancienne épouse, Mme X..., de la société en nom collectif le Balto (la société), a été poursuivi du chef d'abus de confiance pour avoir détourné, entre le 1er janvier et le 30 juin 2007, au préjudice de Mme X... et de la société, représentée par Me A..., liquidateur judiciaire, la recette, qui lui avait été remise à charge de la verser sur les comptes de la société et de l'enregistrer à l'actif social ;

Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris et débouter le liquidateur de la société de ses demandes à la suite de la relaxe partielle prononcée à l'égard de M. Y..., l'arrêt énonce notamment que, si le prévenu a admis avoir prélevé sur le compte bancaire de la société, au cours du premier semestre 2007, le montant des impôts communs et des échéances de prêts personnels, ainsi que sa rémunération mensuelle de 5 000 euros, et avoir ainsi confondu les comptes de la société avec ses comptes personnels, il ne résulte de ces seuls aveux, qui n'ont donné lieu à aucune vérification objective, ni la matérialité des détournements ni l'existence d'une intention frauduleuse ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi alors que, d'une part, la confusion entre le patrimoine personnel du prévenu et celui de la société est constitutive d'un détournement, d'autre part, il résulte des énonciations de l'arrêt que M. Y... avait conscience de se comporter en véritable propriétaire des fonds, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

I-Sur le pourvoi de Mme X... :

Le REJETTE ;

II-Sur le pourvoi de Me A... :

CASSE ET ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 24 avril 2014, mais en ses seules dispositions civiles relatives aux demandes du liquidateur de la société le Balto, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi encourue,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.