CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 22 mars 2016, n° 15/14846
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Bien-Être et Spa (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert-Pageot
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Bedouet
Avocats :
Me Audegond, Me Gourdain
La Sarl NB Bien Être Et Spa était créée en décembre 2009 en vue de l'exploitation d'un fonds de commerce de salon de massage et d'esthétique situé à Paris XVIIe.
Le 24 mars 2011, la société Feral Participations rachetait cette société et X… en devenait la gérante.
Y… était président du conseil de surveillance de la société Feral Participations.
X… effectuait une déclaration de cessation des paiements et par jugement du 7 février 2013, le tribunal de commerce de Paris prononçait la liquidation judiciaire de la société NB Bien Être Et Spa, fixait la date de cessation des paiements au 6 janvier 2012 et désignait la SCP Brouard-Daudé, en la personne de Maître Florence Daudé en qualité de liquidateur judiciaire.
Il résulte du rapport du liquidateur judiciaire que le passif déclaré mais non vérifié, s'est élevé à la somme de 280'267,28 euros, tandis que l'actif réalisé est d'un montant de 375,58 euros, ce qui aboutit à une insuffisance d'actif de 279.891,70 euros.
Par ailleurs le liquidateur judiciaire fait valoir que si X… était la dirigeante de droit de la société NB Bien Être Et Spa, son fils M Y… en était le dirigeant de fait.
C'est dans ces circonstances que le tribunal de commerce de Paris, saisi par le ministère public, a fait citer X… et M Y… à comparaître à l'audience du 2 février 2015 pour être entendus et faire toutes observations sur l'application à leur encontre des dispositions des articles L. 653-1 à L.653-11 du code de commerce.
Plus précisément, dans sa requête, le ministère public reproche aux Z… :
' une augmentation frauduleuse du passif, faits prévus à l'article L. 653-4 du code de commerce et en l'espèce met en évidence que le montant des précomptes impayés de l'URSSAF s'élève à la somme de 11'819 92 euros.
' une tenue de comptabilité manifestement irrégulière au regard des dispositions légales, faits prévus à l'article L. 653-5 du code de commerce. En l'espèce le ministère public fait valoir que la société débitrice a fait l'objet d'un redressement portant sur la TVA sur la période 2010/2011 mais que le rapprochement entre les déclarations d'échanges de biens à la livraison et les déclarations de TVA faisaient apparaître des discordances, ainsi qu'il résulte de la proposition de rectification du 12 mars 2013, aboutissant à un rappel de TVA de 2608 euros pour l'année 2010 et de 16'154 euros pour l'année 2011.
' le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours étant précisé que pendant la période suspecte est né un passif de 117'286,61 euros constitué de dettes de loyers, de cotisations Urssaf et de prestations effectuées par une société Grenelle Service.
Par jugement, non assorti de l'exécution provisoire, du 30 juin 2015 le tribunal de commerce de Paris a :
' interdit à X… et à M Y… de gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale pour une période de 3 ans,
' mis les dépens à la charge du Trésor Public.
M Y… et X… ont relevé appel le 8 juillet 2015.
Dans leurs dernières conclusions du 10 septembre 2015 M Y… et X… demandent à la cour d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 juin 2015, à titre principal, de constater que le rapport de M. le juge-commissaire viole les dispositions de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ; en conséquence, dire que ce rapport est nul et non avenu et que dès lors la procédure ne respecte pas les dispositions de l'article 348 du décret d'application du 28 décembre 2005 ; à titre subsidiaire, de constater que Y… n'est pas dirigeant de la société N.B Bien Etre Et Spa, dire qu'il ne peut leur être reproché au détriment de la société N.B Bien Etre Et Spa, l'existence d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière, une augmentation frauduleuse du passif, une déclaration tardive de l'état de cessation des paiements. Ce faisant, de débouter le ministère public de l'ensemble de ses demandes, les mettre hors de cause, dire que les dépens d'instance resteront à la charge du trésor public et à titre très subsidiaire dire que cette interdiction de gérer ne portera pas sur les sociétés pour lesquelles X… est actuellement dirigeante ;
Par conclusions du 5 janvier 2016, la SCP Brouard-Daudé, en la personne de Maître Florence Daudé, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société N.B Bien Être Et Spa demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; condamner in solidum M. et X…, subsidiairement X… à lui payer en sa qualité de liquidatrice judiciaire une somme de 2.500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, condamner in solidum M. et X…, subsidiairement X… en tous les dépens.
M. l'A… conclut au rejet de la demande de nullité du jugement, demande de retenir la gestion de fait de Y… et sollicite la confirmation du jugement.
SUR CE,
Par courrier du 12 janvier 2016, les Z… soulèvent l'irrecevabilité des conclusions de la SCP Brouard-Daudé, en la personne de Maître Florence Daudé, ès qualités. Cependant à défaut de conclusions ce courrier ne saisit pas la cour.
Sur le rapport du juge-commissaire
Les appelants font valoir que, dans son rapport, le juge-commissaire n'a fait que reprendre dans sa totalité l'argumentation du ministère public du 19 septembre 2014, sans y apporter la moindre touche personnelle, ce qui, selon eux, démontrerait que le juge-commissaire n'a pas examiné le dossier. Ils en concluent que ce rapport serait nul et que par voie de conséquence la juridiction n'aurait pas été saisie conformément à l'article 348 du décret d'application du 28 décembre 2005.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que le juge-commissaire est libre de s'associer totalement à la demande du ministère public et que les dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'ont pas été violées, puisque le tribunal n'est pas tenu par le rapport du juge-commissaire.
Il résulte de l'article R. 662-12 du code de commerce que le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, ce rapport constituant une formalité substantielle dont l'absence emporte nullité du jugement.
En l'espèce, le juge-commissaire a bien établi un rapport. S'il est exact que ses termes sont identiques à ceux de la requête du ministère public et que le rapport aurait gagné en pertinence être plus personnalisé, cette concordance ne saurait toutefois suffire à l'annuler, le juge-commissaire ayant entendu reprendre à son compte l'analyse du ministère public, étant précisé que ce rapport ne lie aucunement le tribunal.
Il s'ensuit que les appelants seront déboutés de leur demande de nullité du rapport du juge-commissaire.
Sur la qualité de dirigeant de fait de Y….
Pour qualifier Y… de dirigeant de fait, les premiers juges ont relevé qu'il était président du conseil de surveillance de la société Feral Participations, associé unique de la société débitrice, qu'il s'est porté caution au profit du bailleur à hauteur de 41'000 euros et qu'il est le signataire de la résiliation amiable du bail commercial consenti à la société débitrice.
Y… conteste avoir exercé la direction de fait de la société N.B Bien Être Et Spa. Il reconnaît être membre du conseil de surveillance de la société mère, s'être porté caution et avoir procédé à la résiliation amiable du bail commercial, mais soutient qu'il ne s'agissait que d'interventions ponctuelles à caractère administratif. Il indique qu'il était en désaccord avec X…, gérant de droit de la société débitrice et présidente du directoire de la société Feral Participations, et que c'est en raison de cette opposition que le 11 février 2013 il a été amené à donner sa démission de ses fonctions de président du conseil de surveillance par courrier du 11 février 2013.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que X… demeurait dans les Alpes-Maritimes à Mouans-Sartoux ce qui ne lui permettait pas de diriger une petite entreprise située dans le 17e arrondissement de Paris, tandis que Y… habitait à Levallois, qu'il s'est présenté à Maître Florence Daudé, liquidatrice judiciaire, comme étant le manager de la société débitrice.
Est dirigeant de fait la personne qui effectue des actes positifs de gestion en toute souveraineté et indépendance.
En l'espèce, la cour relève qu'il résulte de la feuille de présence signée lors du rendez-vous du 12 février 2013 chez le liquidateur judiciaire que Y… accompagnait sa mère à ce rendez-vous. Dans son rapport, le liquidateur judiciaire indique que Y… lui a déclaré être le « manager » de la société N.B Bien Etre Et Spa.
De surcroît, c'est Y… qui a pris l'initiative de procéder à la résiliation amiable du bail commercial par protocole d'accord du 30 janvier 2012 à effet du 31 juillet 2012, or un tel acte est de nature à mettre fin à l'activité économique de la société N.B Bien Etre Et Spa, étant précisé que ce protocole d'accord s'est accompagné de la caution personnelle de Y…
Une telle décision ne constitue pas un acte purement administratif mais relève bien des pouvoirs du dirigeant.
Par ailleurs, le protocole n'ayant pas été exécuté, par acte du 30 avril 2014 un nouveau protocole d'accord a été signé entre le bailleur et Y… dans lequel il est exposé que la société N.B Bien Etre Et Spa était dirigée par lui-même. Il a ainsi reconnu expressément être le dirigeant de cette société. Il s'ensuit que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'il était dirigeant de fait de la société N.B Bien Etre Et Spa.
En conséquence, la mesure d'interdiction de gérer sollicitée par le ministère public est susceptible de lui être appliquée.
Sur les faits reprochés
Pour condamner M. et X… à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale, pour une durée de 3 ans, les premiers juges ont reproché aux Z… de n'avoir effectué une déclaration de cessation des paiements que tardivement, soit le 7 février 2013, alors que le tribunal a fixé la date de cessation des paiements au 6 janvier 2012, d'avoir pendant la période suspecte, augmenté le passif de 118'000 €, mais aussi d'avoir créé frauduleusement un passif constitué de créances privilégiées fiscales pour un montant de 113'000 €.
Sur la comptabilité irrégulière et non probante.
Le liquidateur judiciaire reproche aux appelants d'avoir tenu une comptabilité irrégulière et en tous les cas non probants, à tel point que la société débitrice a fait l'objet d'un rappel de TVA pour un montant de 16'154 € au titre de l'année 2011.
Les Z… soulignent que le tribunal n'a pas repris ce grief et mentionnent que la comptabilité était établie par un expert-comptable, lequel a contesté le redressement fiscal. Ils versent aux débats une attestation de leur expert-comptable confirmant que la comptabilité était correctement tenue.
Or en l'espèce la comptabilité était établie par un expert-comptable, lequel, dans un courrier du 27 janvier 2015, indique que celle-ci a toujours été régulièrement traitée conformément aux textes légaux. Il ajoute avoir préparé un projet de réponse à la proposition de rectification du trésor public, répondant point par point aux griefs énoncés par l'inspecteur de l'administration fiscale, mais que le liquidateur judiciaire a omis d'y répondre, ce qui a entraîné le rappel de TVA qu'il considère comme injustifié.
Il en résulte que le grief n'est pas suffisamment établi.
Sur la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements.
Il résulte de l'article L. 653-8 du code de commerce que le tribunal peut prononcer une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale et toute exploitation agricole et toute personne morale à l'encontre des dirigeants qui ont sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements.
S'agissant de la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, les appelants critiquent la décision d'ouverture de la procédure qui a fixé la date de cessation des paiements au 6 janvier 2012 alors que, selon eux le tribunal ne disposait pas des éléments comptables de la société pour fixer une telle date et lui reprochent de s'être basé uniquement sur la première inscription de privilège.
Cependant l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal s'apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture de la procédure collective ou dans le jugement de report.
De surcroît, les appelants avaient conscience de l'existence de l'état de cessation des paiements de la société N.B Bien Être Et Spa, puisque :
- dès le 30 janvier 2012, Y… décidait de procéder à la résiliation anticipée amiable du bail commercial des locaux où était exploitée la société N.B Bien Être Et Spa, étant précisé qu'à cette date, cette société était débitrice envers son bailleur de diverses sommes au titre de l'année 2011 et que le chèque relatif au dernier trimestre 2011 d'un montant de 21'528 euros était revenu impayé.
- les Z… conviennent dans leurs conclusions également que les difficultés résultaient pour partie du « business model » qu'ils avaient développé et avaient donc conscience de l'existence et des causes celles-ci.
-la décision de résilier le bail commercial permettant l'exploitation du fonds de commerce démontre que les dirigeants de la société N.B Bien Être Et Spa, qui étaient dans l'incapacité de payer les loyers, avaient connaissance de l'état de cessation des paiements de celle-ci.
-depuis le début de l'année 2012 la société débitrice était dans l'incapacité de payer les sommes dues à l'Urssaf et notamment les précomptes ; les dirigeants avaient donc nécessairement conscience de l'état de cessation des paiements de celle-ci.
Au regard de ces éléments, c'est donc sciemment qu'ils se sont abstenus d'effectuer une déclaration de cessation des paiements dans le délai légal.
En conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont décidé que la sanction prévue à l'article L. 653-8 du code de commerce est susceptible de leur être appliquée de ce chef.
Sur l'augmentation frauduleuse du passif
Il résulte de la combinaison des articles L.653-4 et L.653-8 du code de commerce que le tribunal peut prononcer une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale à l'encontre de tout dirigeant qui a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.
Si effectivement les Z… ont poursuivi une exploitation déficitaire puisqu'ils ont créé un passif important pendant la période suspecte, il n'est cependant pas démontré qu'ils l'aient fait dans un intérêt personnel.
En conséquence aucune sanction ne peut être prononcée sur ce fondement.
Sur la mesure de la sanction.
Ainsi, c'est donc à juste titre que les premiers juges n'ont retenu que les faits prévus à l'article L.653-8, 3 °du code de commerce. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déchu les Z… du droit de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale.
X… indique avoir obtenu un diplôme de médiateur à l'université de Nice et sollicite l'absence de sanction afin de de pouvoir exercer une activité de médiateur. Cependant le projet de X… d'exercer les fonctions de médiateur, après avoir obtenu son diplôme n'est pas de nature à la dispenser de toute sanction.
S’agissant des circonstances au regard desquelles s'apprécie la mesure de la sanction, il sera tenu compte du fait que Y… a consenti une caution au bailleur pour les loyers impayés et réglé sur ses deniers personnels une somme de 41'000 euros.
En conséquence, la sanction prononcée par les premiers juges sera ramenée à deux ans.
Par ailleurs les Z… sont gérants de deux sociétés civiles immobilières familiales, la société Ivetis et la société Ferral. Il n'apparaît pas opportun, s'agissant de sociétés familiales ayant chacune pour objet de gérer des immeubles familiaux, que les Z… soient empêchés de les diriger. Dès lors, cette interdiction de gérer ne portera pas sur ces deux sociétés.
Sur les dépens et les indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il y a lieu de condamner Y… et X… aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En outre, ils doivent être condamnés à verser à la SCP Brouard-Daudé, en la personne de Maître Florence Daudé, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société N.B Bien Être Et Spa, qui a dû exposer des frais irrépétibles, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 2000 euros.
PAR CES MOTIFS
Déboute Y… et X… de leur demande de nullité du rapport du juge commissaire,
Confirme le jugement sauf sur le quantum de la mesure d'interdiction prononcée à l'encontre de Y… et X…,
Statuant à nouveau,
Prononce à l'encontre de Y… et X… une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale d'une durée de deux ans,
Dit que cette interdiction de gérer ne portera pas sur la gérance des sociétés civiles immobilières Ivetis et Ferral,
Condamne Y… et X… aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la SCP Brouard-Daudé, en la personne de Maître Florence Daudé, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société N.B Bien Être Et Spa, une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.