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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 11 mars 2009, n° 08/05079

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bélières

Conseillers :

M. Salmeron, M. Coleno

Avoués :

SCP Malet, Me de Lamy

Avocats :

Me Jung, SCP Bruno-Almuzara-Delmas-Cramaregeas

T. com. Toulouse, 8 sept. 2008

8 septembre 2008

Françoise R., Jean-François B. et Bruno J. sont associés au sein de la SNC B. J. R. qui exploite une officine de pharmacie [...], les trois associés étant co-gérants.

A la suite de dissensions sur les perspectives juridiques et économiques d'évolution de la société, Mme R. a été révoquée de ses fonctions de gérante par assemblée générale du 21 juin 2007.

Par jugement du 8 septembre 2008 le tribunal de commerce de Toulouse saisi par Mme R. a déclaré cette révocation valable, débouté Mme R. de sa demande d'annulation de la délibération ordonnant sa révocation, de sa demande de réintégration et de sa demande de dommages et intérêts, déclaré valable la décision de continuation de la société, débouté Mme R. de sa demande de dissolution de la société, ordonné le remboursement des droits sociaux de Mme R. évalués à la date du 21 juin 2007, désigné M. B. en qualité d'expert pour procéder à cette évaluation aux frais également partagés de Mme R. d'une part et la SNC Pharmacie B.-J.-R. d'autre part et condamné Mme R. à payer la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à chacun des défendeurs.

Pour statuer ainsi les premiers juges ont retenu que la révocation de Mme R. était justifiée par la non-participation de celle-ci à la gestion de la SNC, que la décision de continuation avait été valablement prise à l'unanimité des autres associés et qu'enfin la volonté de Mme R. de se retirer de la société figurait explicitement dans le PV de délibération signé des trois associés.

Par déclaration du 8 octobre 2007 Mme R. a relevé appel de cette décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme R. par conclusions signifiées le 23 décembre 2008 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle ne sollicite plus ni sa réintégration en qualité de gérante, ni le prononcé de la dissolution judiciaire de la SNC Pharmacie B.-J.-R., de réformer la décision en ce qu'elle a ordonné le remboursement des droits sociaux à la date du 21 juin 2007, de dire qu'il n'y a pas lieu à retrait de constater que sa révocation est intervenue dans des conditions vexatoires et de condamner la SNC Pharmacie B.-J.-R. à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts et de condamner tout succombant au paiement de la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose

- qu'elle ne s'est en aucun cas désintéressée de la gestion de la société et qu'il lui est en réalité fait grief d'avoir refusé la transformation juridique de la société,

- qu'elle est toujours associée de la SNC Pharmacie B.-J.-R. et exerce l'ensemble de ses prérogatives d'associée ce qui démontre la persistance de l'affection sociétatis,

- que le seul fait d'avoir exprimé le souhait de retrait dans le cadre de débats préalables à l'assemblée générale ne peut être assimilé à une décision de retrait, alors au surplus que la décision de retrait n'a fait l'objet d'aucune délibération,

- que la valorisation de ses parts à la date du 21 juin 2007 est privée de tout sens puisqu'elle a poursuivi ses fonctions en qualité d'associé bien au-delà de cette période.

La SNC Pharmacie B.-J.-R., M. J., M. B., par conclusions du 9 janvier 2009 auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé du détail de l'argumentation s'associent à la demande de donner acte, concluent à la confirmation de la décision et demandent la condamnation de Mme R. à leur payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 1.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils soutiennent

- que Mme R. s'est opposée à toute perspective d'évolution et notamment au passage en SEL de la société, qu'elle a cessé de participer aux réunions hebdomadaires de gestion et s'est désintéressée de la situation préférant maintenir un statut quo immobiliste, ainsi qu'il résulte du rapport de gérance, des comptes rendus des réunions de gestion et du rapport de synthèse préalable à la décision de révocation,

- que ce désintérêt compromettait l'intérêt social et constitue de ce fait un juste motif de révocation,

- qu'en tout état de cause, Mme R. ne justifie d’aucun préjudice lié à cette révocation de la fonction de gérant, qui n'induisait aucune rémunération supplémentaire,

- que les circonstances de sa révocation ne présentent aucun caractère subit ni vexatoire,

- que préalablement à la mise au vote de cette révocation, Mme R. avait informé ses associés de sa décision de se retirer de la société et de demander le remboursement de ses droits sociaux, si la révocation était votée et a demandé qu'un accord sur la valeur de ses parts soit trouvé ce qui n'a pu être le cas,

- que cette déclaration a été paraphée et signée à l'issue de la réunion par Mme R. qui ne peut plus en contester l'effectivité notamment en se prévalant du fait qu'elle continue à exercer ses droits d'associés, alors que son retrait ne peut devenir effectif qu'à la date d'acquisition de ses parts,

- que Mme R. a d'ailleurs prévenu l'équipe de son retrait lors des réunions ultérieures,

- que les changements de stratégie de Mme R., l'inanité de sa demande et son refus de partir leur cause un préjudice.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 janvier 2009

MOTIFS DE LA DÉCISION

Mme R. a renoncé à ses demandes concernant sa réintégration en qualité de gérante et le prononcé de la dissolution judiciaire de la SNC Pharmacie B.-J.-R. ; il en sera pris acte, si bien que les chefs de la décision déférée sur ces points deviennent sans objet.

Il reste en litige l'appréciation de la demande de dommages et intérêts en ce qui concerne la révocation de Mme R. et les demandes relatives au retrait de Mme R..

1° la révocation de Mme R.

Mme R. fait grief à cette révocation d'être dépourvue de justes motifs et d'avoir été entourée de circonstances vexatoires.

* les justes motifs

Il n'est pas nécessaire que la délibération de l'AG provoquant la révocation explicite le motif de révocation, encore faut-il toutefois que ce juste motif existe.

Selon les intimés, ces justes motifs résident dans d'importantes divergences de vues quant à la stratégie commerciale à adopter et le désintérêt persistant de Mme R. pour les questions de gestion.

Ces griefs ont été exposés de façon circonstanciée dans le rapport de gestion préalable à l'AG du 21 juin 2007 qui a prononcé la révocation.

Ce rapport met en évidence l'absence de Mme R. aux réunions de gérance hebdomadaires de gestion, qui se trouve confirmée par les comptes rendus écrits de ces réunions (pour l'année 2007 absence des 6, 13, 27 février, 27 mars, 17 avril, 24 avril, 2 mai, 15 mai, 29 mai).

Par ailleurs les intimés versent aux débats divers documents et notamment un extrait du message du Président de l'UOPS et des extraits de revues processionnelles confirmant la nécessité pour les officines de pharmacie de procéder à des choix nouveaux d'évolution et de réaménagement dans un contexte socio-économique difficile, ce qui exclut de considérer que la tenue de ces réunions hebdomadaires destinées à conduire une réflexion sur les orientations de gestion et les positionnements stratégiques à occuper ne relèverait que d'une simple 'réunionite' vexatoire.

En conséquence le reproche fait à Mme R. de se dérober de façon répétée à ces réunions constitue un motif sérieux.

Enfin, le rapport de gestion met également en évidence le faible investissement de Mme R. dans la réception des commerciaux, la défense des marchés obtenus, la recherche de nouveaux marchés, ayant entraîné la perte du marché de matériel médical de la maison de retraite et la chute du chiffre d'affaire lié à cette maison de retraite dont Mme R. avait la charge malgré le doublement du nombre de résidents et enfin la nécessité de la remplacer dans des marchés dont elle avait la responsabilité, tel que le marché de la contention veineuse, remplacement ayant abouti au doublement du chiffre d'affaire du secteur en deux mois.

Mme R. n'apporte ni contestation, ni élément de preuve permettant de considérer que ces constatations sont inexactes.

Il en résulte que Mme R. était en divergence totale avec les deux autres gérants sur les perspectives de gestion de la société et que son attitude contribuait à compromettre les résultats économiques et donc le fonctionnement et l'intérêt social de la SNC Pharmacie B.-J.-R..

En conséquence l'existence de justes motifs à la révocation est démontrée

* les conditions de la révocation.

La révocation de Mme R. est intervenue dans le cadre d'une assemblée générale extraordinaire convoquée à cette fin sur un rapport de gestion circonstancié. Cette révocation ne présente donc aucun caractère subit. Elle ne s'est accompagnée d'aucune circonstance particulière susceptible de présenter un caractère vexatoire.

En conséquence les demandes de dommages et intérêts de Mme R. ont été à juste titre rejetées par les premiers juges. Leur décision sera confirmée sur ce point.

2° le retrait de Mme R..

Mme R. conteste l'existence d'une décision de retrait de sa part.

Or le procès-verbal de réunion de l'AG extraordinaire reproduit la déclaration de Mme R. dans les termes suivants :

Elle déclare alors que comme l'article L 221-12 du code de commerce le permet elle est décidée à se retirer de la société et à demander le remboursement de la valeur de ses droits sociaux si les deux autres associés décident sa révocation de ses fonctions de gérante. Elle exprime en outre le souhait que soit très rapidement recherché et trouvé un accord sur cette valeur afin que son retrait soit effectif.

Cette déclaration est paraphée par Mme R. qui a en outre signé le procès-verbal d'AG. Par ailleurs Mme R. a confirmé sa volonté de retrait lors d'une réunion de l'équipe ayant donné lieu à un compte rendu du 27 novembre 2007 signé de plusieurs participants, dont Mme R. ne met pas en cause l'authenticité.

En conséquence la preuve est apportée tant de la volonté de Mme R. de se retirer de la société, que du fondement juridique sur lequel elle opère ce retrait.

La continuation de la société malgré la démission de l'un des gérants n'est désormais plus contestée ; il s'en suit que les dispositions de l'article L221-12 du code de commerce trouvent effectivement à s'appliquer.

L'exercice du droit de retrait prévu par ces dispositions est une faculté laissée au gérant révoqué, qui seul a qualité pour exercer cette option ; il s'en suit que celle-ci ne pouvait être soumise à la délibération de l'assemblée générale qui n'a sur ce point aucun pouvoir décisionnel. En conséquence la contestation de Mme R. à ce titre n'est pas fondée.

Faute d'un accord sur les conditions financières du remboursement des droits sociaux, la cession des parts sociales n'a pas été formalisée par un écrit tel que requis par l'article L 221-14 du code de commerce, il s'ensuit que Mme R. n'a pas à ce jour perdu la qualité d'associée. Cet état de fait et la participation qu'il autorise aux délibérations collectives n'a ni pour objet ni pour effet de conférer un caractère rétractable au retrait de Mme R. mis en oeuvre sur le fondement de l'article L 221-12 du code de commerce.

En conséquence les dispositions de l'article 1843-4 du code civil, doivent trouver à s'appliquer et les premiers juges ont à juste titre désigné un expert pour procéder à l'évaluation de ses droits sociaux.

Leur décision sera confirmée sur ce point.

Toutefois le retrait de Mme R. n'étant pas effectif pour les raisons ci-dessus explicitées, Mme R. conserve encore la qualité d'associée, ce qui n'est d'ailleurs pas discuté par les intimés ; en conséquence le chef de décision qui fixe la date d'évaluation des droits sociaux à la date du 21 juin 2007, soit à une date antérieure à celle où le retrait devient effectif, doit être infirmé.

Mme R. qui succombe dans l'essentiel de ses prétentions d'appel supportera les dépens d'appel, sans qu'il y ait lieu toutefois à une nouvelle application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le caractère abusif de la procédure diligentée par Mme R. n'est pas démontré ; par ailleurs, il n'est pas démontré que le comportement de Mme R. ait excédé les limites de la défense nécessaire de ses intérêts ; il n'y a pas lieu à dommages et intérêts.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Donne acte aux parties de ce que Mme R. ne sollicite plus sa réintégration en qualité de gérante de la SNC Pharmacie B.-J.-R. et de ce qu'elle ne sollicite plus le prononcé de la dissolution judiciaire et dit désormais sans objet les chefs de la décision déférée sur ce point.

Infirme la décision déférée mais seulement en ce qu'elle a dit que les droits sociaux de Mme R. devaient être évalués à la date du 21 juin 2007.

Confirme la décision pour le surplus,

Y ajoutant,

Rejette les demandes en dommages et intérêts et en indemnité au titre des frais irrépétibles présentées en cause d'appel.

Condamne Mme R. aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître de Lamy, Avoué.