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Décisions

Cass. crim., 15 mai 1997, n° 96-80.399

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. de Massiac

Avocat général :

M. Amiel

Avocat :

Me Choucroy

Paris, 9e ch., du 18 déc. 1995

18 décembre 1995

Vu le mémoire ampliatif produit ;

Sur les faits,

Attendu que la société "Centre Francais de Télé-Informatique" (CFTI), créée en 1984, dont l'activité était la vente de matériels informatiques et de logiciels de gestion, a été introduite sur le second marché de la Bourse des valeurs de Paris, le 3 juin 1986, au cours de 160 francs; que la déclaration de cessation des paiements de cette société a été effectuée par un administrateur provisoire dix-huit mois après, en décembre 1987; qu'entre ces deux dates, le cours du titre a progressé de 350% pour culminer à 549 francs en avril 1987, chuter légèrement le mois suivant, à 384 francs, après la publication des résultats de l'exercice 1986, et se dégrader brutalement à la fin du mois de juillet, une fois connu l'état provisoire des pertes de l'exercice 1987 et la situation réelle de l'entreprise ;

Qu'ayant donné à plusieurs reprises des renseignements inexacts sur les résultats de l'entreprise et sur l'engagement de certains actionnaires de référence - dont la GMF - à soutenir le développement de celle-ci, Gérard Y..., dirigeant de la société CFTI, a été poursuivi, sur le fondement de l'article 10-1, alinéa 3, de l'ordonnance du 28 septembre 1967, pour avoir répandu dans le public des informations trompeuses sur la situation et les perspectives d'une société cotée en bourse, de nature à agir sur les cours de son titre ;

Qu'ayant dans le même temps, entre le 1er et le 15 avril 1987, cédé l'ensemble de ses actions avant la publication des résultats de l'exercice, alors que le titre était au plus haut, l'intéressé a également été cité, sur le fondement de l'alinéa 1er de l'article 10-1 précité, pour délit d'initié ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 10-1 alinéa 3 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 dans sa rédaction issue de la loi n° 83-1 du 3 janvier 1983 en vigueur au moment des faits, 495 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard Y... coupable d'avoir sciemment répandu dans le public des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur de titres ou sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ;

"aux motifs qu'il n'est pas douteux qu'au cours des mois de février, mars et avril 1987, les espoirs de Gérard Y... se sont évanouis de voir se réaliser ses projets avec ses actionnaires de référence, qu'il s'agisse du noyau stable ou de l'apport de chiffre d'affaires espéré du fait des accords conclus avec certains d'entre eux; que de même n'ont pas été à la hauteur de ses attentes les acquisitions des sociétés Prosoft SA et Prosoft Bureautique ;

"que le prévenu n'était pas dans l'ignorance de la gravité de la situation de la société CFTI puisqu'en février 1987 devant le Conseil d'administration de la Sofigam, il présentait la situation de la CFTI sous un jour très sombre "si les principaux actionnaires ne réagissaient pas très rapidement"; qu'il aggravait encore ses prévisions dans une lettre du 3 avril 1987 adressée à M. X... (SOFIGAM) dans laquelle il déplorait que les principaux actionnaires ne tiennent pas leurs promesses ;

"mais qu'il n'est pas établi que les informations manifestement trompeuses et mensongères sur les perspectives de chiffre d'affaires et de bénéfice pour 1987 reproduites dans les conclusions du rapport de gestion remis par Gérard Y... au Conseil d'administration le 11 mai 1987 aient donné lieu à une diffusion publique par le fait du prévenu ;

"que dans ces conditions il convient d'étendre la relaxe partielle à la diffusion d'information du 11 mai 1987; qu'en revanche le 25 mai 1987 au cours d'une réunion organisée par la Société Française des Analystes Financiers, le prévenu a livré des informations confirmant les perspectives annoncées le 11 mai 1987, légèrement en baisse toutefois sur les bénéfices attendus pour 1987 estimés à hauteur de 12 millions de francs ;

"qu'une telle annonce intervenait sur la base des mêmes indications trompeuses déjà mentionnées dont Gérard Y... avait parfaitement conscience et en toute connaissance de l'importance qu'elles revêtaient en période de reconstitution de l'actionnariat et d'augmentation du capital alors que le cours du titre avait subi des fléchissements sensibles dans le mois écoulé qu'il était urgent de contrer par la diffusion de perspectives optimistes ;

"que l'intention frauduleuse du prévenu résulte de la connaissance qu'il avait du caractère mensonger et trompeur des informations; que le dol spécial exigé par le texte d'incrimination issu de la loi du 3 janvier 1983 consistant dans l'intention d'agir sur le cours du titre se trouve lui aussi caractérisé par l'enjeu décisif que représentait le maintien du cours du titre pour consolider l'opération d'augmentation de capital envisagée ;

"alors que, d'une part, le fait, pour le dirigeant d'une société, d'annoncer devant des analystes financiers, que l'exercice en cours devrait permettre la concrétisation des engagements pris envers la personne morale par ses deux principaux actionnaires et que dans ces conditions la société pourrait réaliser un chiffre d'affaires et un bénéfice importants, ne peut constituer, eu égard à l'emploi du conditionnel auquel a eu recours l'intéressé qui n'a formulé ses prévisions qu'en fonction d'une pure hypothèse, la diffusion d'une information fausse ou trompeuse sur les perepectives ou la situation d'un émetteur de titres ou sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière au sens de l'article 10-1 alinéa 3 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 dans sa rédaction issue de la loi du 3 janvier 1983 alors applicable, en sorte qu'en déclarant le prévenu coupable de l'infraction prévue par ce texte, la Cour a privé sa décision de toute base légale ;

"alors que, d'autre part, les juges du fond ont laissé sans réponse les conclusions du prévenu dans lesquelles ce dernier contestait que les axes de développement de la société étaient compromis en mai 1986 en faisant valoir que le 6 avril le dirigeant légal de la Sofigam, qui avait vendu ses actions à un actionnaire unique de renom, l'avait assuré que les perspectives de collaboration entre les deux sociétés n'étaient pas remises en cause et que la GMF, qui avait par erreur vendu 49 000 titres, avait pris l'engagement d'en racheter 50 000 ;

"et, qu'enfin, les juges du fond se sont mis en contradiction flagrante avec leurs propres constatations en prétendant que les déclarations du 25 mai 1987 avaient été effectuées pour maintenir le cours du titre, après avoir relevé qu'après une annonce identique intervenue le 11 mai 1987 et rendue publique par la presse spécialisée, le cours du titre avait déjà chuté brutalement et qu'après les déclarations de l'exposant faites le 25 mai, le titre avait enregistré une baisse de 20 % ;

Attendu que, pour déclarer Gérard Y... coupable de diffusion d'informations trompeuses, les juges du fond observent que l'intéressé n'a cessé, tout au long du premier trimestre 1987, de faire état en public des bons résultats de son entreprise pour l'année écoulée, de perspectives prometteuses pour l'exercice en cours et du soutien sans faille des grands investisseurs constituant le noyau dur de son actionnariat, et qu'il en est résulté une surévaluation des cours qui s'est prolongée, dans l'esprit du public, même après la publication, le 5 mai 1987, de résultats mitigés pour l'exercice 1986 ;

Que les juges relèvent que, si les propos que le prévenu a tenus en janvier 1997, devant un public d'analystes financiers, avant que les comptes ne soient définitivement connus, peuvent être imputés à l'erreur ou à l'imprudence, il n'en va pas de même de ceux qu'il a tenus en mai, devant les mêmes personnes, après la réunion de l'assemblée générale, car il savait, à cette date, que la société perdait plus d'un million de francs par mois depuis le début de l'année, sans perspective d'amélioration immédiate, et que la plupart des sociétés constituant le noyau dur l'avaient quitté ou étaient devenues hostiles ;

Qu'ils ajoutent que l'intéressé a volontairement pris le parti de diffuser des informations trompeuses sur la situation de CFTI pour maintenir une bonne tenue des cours et rendre possible une augmentation de capital avec émission de titres en bourse, opération de nature, selon lui, à remédier aux difficultés de la société ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit dont elle a reconnu le prévenu coupable et a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 10-1 alinéa 1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 dans sa rédaction issue de la loi du 3 janvier 1983, des articles 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard Y... coupable de délit d'initié ;

"aux motifs que par lettre du 3 avril 1987 Gérard Y... a fait connaitre à M. X... son intention de démissionner et de réaliser ses titres CFTI si les engagements commerciaux des actionnaires de référence n'étaient pas tenus ;

"qu'une telle démarche, présentée par le prévenu comme un simple moyen de pression doit être comprise différemment dès lors que les titres possédés par Gérard Y... ont été le jour même mis sur le marché et qu'ils ont pu être réalisés les 13 et 15 avril 1987; qu'en effet à la date du 3 avril 1987, Gérard Y... bénéficiait d'informations privilégiées sur les perspectives et la situation de la CFTI, selon lesquelles la continuité de l'entreprise n'était plus assurée du fait du désengagement des actionnaires de référence et de la non-réalisation des accords commerciaux ;

"qu'en réalisant sur le marché directement et à son seul bénéfice, une opération de cession des titres qu'il détenait personnellement sur le fondement de telles informations, Gérard Y... s'est rendu coupable du délit d'initié qui lui est reproché sans qu'il y ait lieu de s'arrêter au mobile avancé par lui pour tenter de justifier son acte ;

"alors que, d'une part, si les dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 interdisent aux personnes qui disposent en raison de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière, de réaliser des opérations sur le marché avant que le public en ait eu connaissance, c'est à la condition que lesdites informations soient précises, confidentielles, de nature à influer sur le cours de la valeur et déterminantes des opérations réalisées; que dès lors, les juges du fond ont privé leur décision de toute base légale en déclarant le demandeur coupable de l'infraction prévue par ce texte en refusant de tenir aucun compte du mobile invoqué par ce prévenu qui soutenait n'avoir vendu ses titres que pour faire pression sur les actionnaires de la société afin de les amener à respecter leurs engagements envers cette personne morale ;

"alors que, d'autre part, en affirmant que le prévenu savait dès le 3 avril 1987 que les accords commerciaux conclus entre le groupe CFTI et la SOFIGAM ainsi que la GMF ne seraient pas respectés, les juges du fond ont laissé sans réponse les conclusions de Gérard Y... dans lesquelles ce dernier faisait valoir que le 6 avril 1987 le dirigeant de la SOFIGAM l'avait assuré que les perspectives de collaboration entre les deux sociétés n'étaient pas remises en cause et que la GMF qui avait par erreur vendu 49 000 titres avait pris l'engagement envers lui d'en racheter 50 000" ;

Attendu que, pour déclarer Gérard Y... coupable de réalisation d'une opération boursière, à partir d'informations privilégiées sur les perspectives d'un titre, avant que le public n'en ait connaissance, la cour d'appel relève que le prévenu a revendu 999 des 1000 parts qu'il détenait, les 13 et 15 avril 1987, au moment où le cours était au plus haut et avant qu'il ne s'effondre par suite de la publication des comptes de l'exercice 1986, puis de la divulgation des pertes de l'exercice 1987 et du désengagement de ses principaux actionnaires ;

Que les juges ajoutent que la justification avancée par le prévenu - selon laquelle il n'aurait vendu ses actions que pour contraindre ses principaux actionnaires à respecter leur engagement de lui fournir des parts de marché - n'est qu'un faux prétexte, l'ordre de vente ayant été donné le jour même où il écrivait à ces derniers de tenir leur promesse et avant, donc, qu'ils ne pussent déférer à cette invitation ;

Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, nonobstant tous autres erronés mais surabondants, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.