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Décisions

CA Nancy, ch. soc. sect. 1, 21 avril 2020, n° 19/01719

NANCY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Novacarb (Sté), Rhodia Chimie (Sté), Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Meurthe et Moselle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Henon

Conseillers :

Mme Hery Freiss, Mme Gallet

Avocats :

Me de Romanet, Me Bernard, Me Janin, Me Arnault, Me Bossuot Quin, Me Hur Vario

TGI Nancy, 24 mai 2019

24 mai 2019

EXPOSE DU LITIGE :

H K a été employé en qualité d'agent d`entretien sur le site de l'usine de La Madeleine à Laneuveville devant Nancy du 3 septembre 1962 au 31 juillet 1992.

Ses employeurs successifs ont été :

- les Soudières Réunies La Madeleine Varangéville jusqu'en 1969,

- la société Saint Gobain jusqu'au 31 décembre 1971,

- la société Rhône Progil jusqu'au 31 décembre 1973,

- la société Rhône Poulenc Industries jusqu'à fin 1981,

- la société Rhône Poulenc Chimie de Base du 24 décembre 1981 au 6 octobre 1987,

- la société Rhône Poulenc Chimie à compter du 28 septembre 1987, date de l'immatriculation de son établissement secondaire de Laneuveville devant Nancy, et jusqu'à son départ en retraite.

Le 29 janvier 2013, H K a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle une déclaration de maladie professionnelle pour un cancer de la prostate et une tumeur de la vessie, accompagnée d'un certificat médical délivré le même jour par le Docteur Q G faisant état d'un 'cancer de la prostate avec envahissement osseux et médullaire et tumeur vésicale'.

A l'issue de son instruction, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle a, le 26 juillet 2013, notifié une décision de refus de prise en charge de la pathologie déclarée par H K au titre du tableau n°16 bis des maladies professionnelles.

H K est décédé le 11 août 2013.

Le 3 septembre 2013, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle a notifié à P B veuve K la prise en charge, au titre du tableau n°16 bis des maladies professionnelles, de la tumeur de l'épithélium urinaire déclarée.

Le 10 juin 2015, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle a refusé de prendre en charge le décès de H K au titre du tableau n°16 bis des maladies professionnelles.

Par courrier du 30 juin 2015, P B veuve K a sollicité une expertise médicale en application des dispositions de l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale.

Par courrier du 10 août 2015, les ayants droit de H K ont sollicité de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle la mise en oeuvre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Par courrier recommandé avec avis de réception expédié le 2 octobre 2015, P B veuve K, I K épouse A, S K épouse X et C K, ayants droit de H K, ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nancy d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société Novacarb.

Le 6 octobre 2015, le docteur L N a effectué l'expertise médicale sollicitée dans la cadre du refus de prise en charge du décès de H K au titre du tableau n°16 bis C.

Le 13 octobre 2015, il a conclu que 'les données médicales mises à disposition et les renseignements communiqués font admettre que le décès de H K n'est pas imputable à la maladie professionnelle du 29 janvier 2013".

Par courrier du 5 novembre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle a notifié ces conclusions à P B veuve K et refusé la prise en charge du décès au titre de la législation professionnelle.

Par exploit d'huissier signifié le 10 janvier 2017, la société Novacarb a assigné la société Rhodia Chimie en intervention forcée.

Par jugement du 24 mai 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Nancy a:

- dit que la maladie professionnelle du tableau 16 bis dont était atteint H K n'est pas due à la faute inexcusable de son employeur,

- débouté P B veuve K, I K épouse A, S K épouse X et C K de l'ensemble de leurs demandes,

- débouté la société Novacarb de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné P B veuve K, I K épouse A, S K épouse X et C K aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 12 juin 2019, les ayants droit de H K ont interjeté appel de ce jugement.

Le dossier a été appelé à l'audience de la chambre sociale du 11 février 2020.

Les consorts K, régulièrement représentés, ont développé oralement leurs conclusions écrites déposées à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Ils concluent à l'infirmation du jugement entrepris et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :

- déclarer recevable et non prescrite leur action,

- confirmer le caractère professionnel du cancer de la vessie dont H K était atteint,

- dire et juger que la maladie professionnelle du tableau 16 bis dont il était atteint est la conséquence de la faute inexcusable de son ancien employeur, aux droits et obligations duquel vient la société Rhodia Chimie,

- en conséquence, fixer au maximum la majoration de la rente à verser, au titre de l'action successorale par la caisse primaire d'assurance maladie compte tenu de l'issue de l'appel enregistré au rôle de la Cour sous le numéro de répertoire général 19/01715,

- fixer, au titre de l'action successorale, la réparation des préjudices subis par H K de la façon suivante :

En réparation du préjudice de la souffrance physique : 30.000 €, en réparation du préjudice esthétique : 20.000 €, en réparation du préjudice de la souffrance morale : 50.000 €, en réparation du préjudice d'agrément : 30.000 €,

- condamner la société succombant à leur payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Rhodia Chimie, régulièrement représentée, a développé oralement ses conclusions écrites déposées à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens.

Elle conclut à titre principal à la confirmation du jugement entrepris.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de :

- débouter les ayants droit de H K de leur demande, à titre successoral, de majoration de rente de ce dernier, dans l'hypothèse où la cour n'accorderait pas de rente à H K dans le cadre du recours enregistré sous le numéro de répertoire général 19/01715 dont elle est par ailleurs saisie et auquel elle n'est pas partie,

- constater qu'elle s'en remet à justice sur la demande des ayants droit de H K, à titre successoral, de majoration de rente de ce dernier, dans l'hypothèse où la cour l'accorderait,

- débouter les ayants droit de H K de leur demande formulée, à titre successoral, en réparation de son préjudice d'agrément, et subsidiairement de ramener à de plus justes proportions la somme sollicitée à ce titre,

- de ramener à de plus justes proportions les sommes sollicitées par les ayants droit de H K, à titre successoral, en réparation des souffrances physiques et morales endurées ainsi que du préjudice esthétique subi,

A titre plus subsidiaire, elle demande à la cour de :

- lui déclarer inopposables les conséquences financières de la faute inexcusable reconnue,

- débouter par conséquent la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle de son recours récursoire exercé au titre des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale,

- débouter en conséquence la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle de son recours récursoire du chef de la majoration de rente de H K,

Plus subsidiairement encore, elle demande à la cour de :

- débouter les ayants droit de H K et la société Novacarb de leur demande de condamnation à son encontre à supporter la charge des condamnations à intervenir,

- dans l'hypothèse où elle serait condamnée à supporter la charge des condamnations à intervenir, déclarer le jugement commun et opposable à la société Novacarb,

En tout état de cause, elle sollicite le débouté des parties de leur demande formulée à son encontre au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, subsidiairement, de ramener à de plus justes proportions les sommes sollicitées de ce chef par les parties adverses.

La société Novacarb, régulièrement représentée, a développé oralement ses conclusions écrites déposées à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens.

Elle conclut à titre principal à la confirmation du jugement entrepris et demande à la cour, y ajoutant, de la mettre hors de cause et de rejeter l'intégralité des demandes formées à son encontre.

Elle demande à titre subsidiaire que soient rejetées l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle à son encontre, et la demande de majoration de rente de H K.

Plus subsidiairement, elle sollicite la condamnation de la société Rhodia Chimie à la garantir de l'intégralité des montants mis à sa charge.

A titre reconventionnel, elle demande la condamnation solidaire des parties adverses à lui payer la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle, régulièrement représentée, a développé oralement ses conclusions écrites déposées à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens.

Elle demande à la Cour de :

- dire si la maladie du 29 janvier 2013 dont était atteint H K est due ou non à la faute inexcusable de son ancien employeur et, le cas échéant,

- constater qu'elle s'en remet à l'appréciation de la Cour quant à la demande de mise hors de cause de la société Novacarb et quant à sa demande de garantie de la société Rhodia Chimie à hauteur des sommes susceptibles d'être mises à sa charge,

- surseoir à statuer sur la question de la majoration de rente jusqu'à ce qu'intervienne un arrêt dans la procédure enregistrée sous le numéro de répertoire général 19/01715,

- fixer les réparations correspondantes,

- débouter les sociétés Rhodia Chimie et Novacarb de leur demande tendant à faire échec à son action récursoire,

- condamner l 'employeur fautif à lui rembourser le montant global des indemnisations complémentaires qu'elle sera amenée à verser du fait de cette faute inexcusable, en ce compris l'éventuelle majoration de rente susceptible d'être versée,

- débouter la société Novacarb de sa demande de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'employeur fautif à lui verser la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le délibéré a été fixé au 7 avril 2020.

MOTIFS :

Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La charge de la preuve de la faute inexcusable repose sur la victime.

Sur l'exposition au risque

La société Rhodia Chimie conteste l'exposition au risque, dans un cadre professionnel, de H K.

Elle invoque ainsi l'insuffisance probatoire de deux attestations sur l'honneur d'anciens collègues de travail, rédigées en des termes identiques de nombreuses années après la sortie de H K des effectifs de la société Rhodia Chimie, et l'absence de production d'un rapport d'enquête de la caisse primaire d'assurance maladie concernant la maladie professionnelle invoquée.

Elle estime en outre que H K accomplissait de nombreux autres travaux que ceux d'entretien des chaudières à charbon susceptibles de l'avoir exposé aux suies de combustion du charbon, de sorte que la preuve du caractère habituel de l'exposition ne serait pas rapportée.

Enfin, elle fait valoir l'origine multifactorielle du cancer de la vessie, dont le tabagisme est une cause, aucun document n'établissant l'absence d'exposition tabagique, y compris passive, de H K.

En l'espèce, l'origine professionnelle dont cancer de la vessie dont a souffert Michel Lomont a été reconnue par la caisse primaire d'assurance maladie le 3 septembre 2013 au titre du tableau n°16 bis des maladies professionnelles concernant les affections cancéreuses provoquées par les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon.

La maladie visée dans le C de ce tableau est la 'tumeur primitive de l'épithélium urinaire (vessie, voies excrétrices supérieures) confirmée par examen histopathologique ou cytopathologique'.

Il n'est pas contesté que le cancer de la vessie dont H K a souffert correspond à cette pathologie.

Le délai de prise en charge prévu par le tableau est de trente ans. H K ayant pris sa retraite le 31 juillet 1992, et déclaré la maladie le 29 janvier 2013, le délai de prise en charge est respecté.

Enfin, le tableau prévoit une durée d'exposition au risque de dix ans, au titre, notamment, des travaux, dont se réclament les ayants droit de H K, de ramonage et d'entretien de chaudières et foyers à charbon et de leurs cheminées ou conduits d'évacuation ou à la récupération et au traitement des goudrons, exposant habituellement aux suies de combustion de charbon.

Au soutien de leur argumentation, selon laquelle H K aurait réalisé ces travaux de façon habituelle pendant au moins dix ans, ses ayants droit décrivent ses conditions de travail.

Ils rappellent tout d'abord que le site de la Madeleine est la deuxième soudière de France et la quatrième d'Europe, et que l'établissement comptait quatre cent salariés en 2007. Ils expliquent que le site comportait sept chaudières industrielles, dont six fonctionnant au charbon et une au fuel, une chaudière étant toujours à l'arrêt pour maintenance. Ils font valoir que H K était ouvrier électromécanicien de maintenance à l'atelier chaudière et qu'il intervenait directement à l'intérieur des chaudières, tant pour les révisions que pour les réparations.

Ils ajoutent que, selon les propres déclarations de H K, les bleus de travail des ouvriers étaient maculés de poussières d'amiante, de suies et graisse, dans un environnement de travail chaud, confiné, empoussiéré et sans aucune protection respiratoire.

La lettre d'embauche de H K du 2 août 1962 mentionnait un emploi de manoeuvre au service entretien général. L'attestation qui lui a été délivrée le 30 juillet 1992 par la société Rhône Poulenc Chimie fait état d'un emploi d'agent d'entretien.

L'enquêteur de la caisse primaire d'assurance maladie ayant instruit le dossier de demande de reconnaissance, en tant que maladie professionnelle, du cancer de la prostate par ailleurs déclaré par H K, et dont les observations apportent des éléments d'information qu'il n'y a pas lieu d'écarter, a entendu dans ce cadre O T, coordinateur hygiène, sécurité, qualité et environnement au sein de la société Novacarb. Lors de son audition, O T a confirmé les activités exercées par H K et notamment l'entretien des chaudières à charbon, et précisé que les six chaudières de grande capacité présentes sur le site avaient été installées en 1952 et qu'elles étaient toujours en fonctionnement en 2013. L'enquêteur notait : 'Monsieur T a souhaité pour plus de précisions que je rencontre un ancien collègue de Monsieur K, toujours en activité et qui a travaillé avec lui à l'entretien des chaudières'.

D J, ainsi auditionné, a confirmé avoir exercé la même activité que H K, et a précisé avoir dû à ce titre retirer la crasse de charbon lors des opérations de maintenance effectuées sur les chaudières, chacune faisant l'objet d'un entretien complet une fois par an, et avoir également dû évacuer les cendres et gratter les grilles recouvertes de suie de combustion.

Il précise que les salariés affectés à ce poste devaient régulièrement entrer dans les chaudières ou même dans les conduits.

Les appelants versent en outre aux débats des attestations, très précises et circonstanciées, de R E et F Y, anciens collègues de travail de H K, qui décrivent les fonctions de H K et les conditions de son exposition à l'inhalation de poussières de suies de charbon, brais et huiles de houille. Ils précisent notamment que pour l'entretien des grilles de chaudière, qu'il fallait décrasser, H K devait les sortir des axes au marteau, ce qui dégageait des résidus de suies de charbon brûlées, et nécessitait parfois l'utilisation de dégrippants en aérosol contenant notamment des amines aromatiques.

Au vu de ces éléments concordants, il ne saurait être sérieusement contesté que H K a exercé pendant plus de dix ans une activité d'entretien de chaudières à charbon et de leurs conduits, qui l'a exposé de façon habituelle aux suies de combustion de charbon.

La société Rhodia Chimie conteste à titre subsidiaire l'imputabilité au travail de la pathologie déclarée.

Cependant, la circonstance, bien que contestée par ses ayants droit, selon laquelle H K a été, à un moment donné de sa vie, un fumeur occasionnel, qui résulte des pièces du dossier relatif aux plaques pleurales par ailleurs examiné par la cour, n'apparaît en tout état de cause pas de nature à modifier l'appréciation selon laquelle son exposition professionnelle a nécessairement eu un rôle causal dans la survenue de la pathologie.

Dès lors, il convient de considérer que le cancer de la vessie dont il a souffert a bien une origine professionnelle.

Sur la preuve du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

Il incombe au salarié, ou à ses ayants droit, qui invoquent la faute inexcusable de son employeur, de rapporter la preuve de ce que celui ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé d'une part, et de ce qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver d'autre part.

La société Rhodia Chimie soutient que le tableau 16 bis C n'a été créé que par le décret n° 88-575 du 6 mai 1988, et que l'exposition de H K aux suies de combustion de charbon correspond à une époque, pour l'essentiel antérieure à ce décret, au cours de laquelle l'employeur ne pouvait donc avoir conscience du risque auquel elle l'avait exposé.

Elle fait valoir que les ayants droit de H K tentent d'entretenir une confusion avec le tableau n°16 des maladies professionnelles, créé en 1938 et concernant, non pas les affections cancéreuses, mais les affections cutanées ou des muqueuses.

Cependant, la création du tableau n°16 dès 1938 permet précisément de classer les goudrons, huiles et brais de houille ainsi que les suies de combustion du charbon comme étant des matières susceptibles de provoquer des pathologies.

L'intervention des salariés à l'intérieur des chaudières les exposait aux poussières de suies de combustion du charbon, matières reconnues irritantes et susceptibles de provoquer des lésions cutanées.

L'ajout, en 1946, des épithéliomas primitifs de la peau parmi les pathologies provoquées par les produits incriminés, puis la création en 1988 du tableau 16 bis, n'ont fait que confirmer leur dangerosité.

La nécessité de protéger les salariés soumis à des poussières, vapeurs et gaz irritants ou toxiques était prévue bien avant l'embauche de H K puisque les mesures à prendre et notamment la fourniture de masques et dispositifs de protection appropriés sont mentionnées au décret n° 48-1903 du 13 décembre 1948.

Il ne peut donc être sérieusement soutenu que les sociétés ayant successivement exploité le site de La Madeleine, et en dernier lieu concernant H K, la société Rhône Poulenc Chimie, d'envergure nationale, ne pouvait avoir conscience du danger auquel étaient exposés les salariés soumis à l'inhalation de poussières de suies de charbon, dont la nocivité était reconnue depuis 1938, puis confirmée par les réglementations successives, lors des opérations de maintenance des chaudières à charbon.

L'attestation établie par R E fait état de l'absence d'information et de protections des voies respiratoires des salariés, sans que ce point ne donne lieu à une quelconque observation en réponse des sociétés adverses.

Au vu de ces éléments, il apparaît que la maladie professionnelle de H K a découlé d'un manquement de l'employeur à son obligation contractuelle de sécurité, compte tenu de la mise en contact des salariés chargés de la maintenance des chaudières aux poussières de suies de combustion du charbon, et de l'insuffisance de mesures de protection adaptées, sur le site de La Madeleine entre 1962 et 1992.

Ce manquement présente le caractère d'une faute inexcusable dès lors que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Par conséquent, le jugement du pôle social du tribunal de grande instance de Nancy du 24 mai 2019 est infirmé.

Sur les demandes financières

Sur la majoration de la rente

Il résulte des dispositions des articles L. 431-1 et R. 434-33 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable au présent litige, que les arrérages de la rente versée en cas d'incapacité permanente de travail courent du lendemain de la date de consolidation.

En l'espèce, le certificat médical final établi par le Docteur G le 24 octobre 2013 mentionne une date de consolidation avec séquelles au 11 août 2013 au titre de la tumeur de la vessie.

Il résulte en outre d'un courrier intitulé 'date de consolidation de la MP du 29/01/2013, pour votre patient Monsieur H K', adressé par le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie au Docteur G le 17 octobre 2013, que le Docteur G répondait ainsi à la demande du médecin conseil de lui 'faire parvenir un certificat médical final de la maladie professionnelle du 29.01.2013 (tumeur de la vessie) afin de pouvoir indemniser les séquelles'.

Ces pièces établissent que la date de consolidation relative à la tumeur de la vessie a été fixée, conformément à la procédure prévue par les dispositions de l'article L. 442-6 du code de la sécurité sociale, par le médecin conseil en accord avec le médecin traitant de H K, au 11 août 2013.

Il n'y a pas lieu de retenir la date du 29 janvier 2013, dont se prévalent les consorts K et qui ressort du certificat médical final établi le 9 mars 2015 par le docteur G, dans la mesure où ce dernier a été établi au titre de différentes pathologies et que ce même médecin avait établi plusieurs mois auparavant, le 24 octobre 2013, un certificat médical au titre de la seule pathologie intéressant le présent litige.

Dès lors que la date de consolidation à retenir correspond à celle du décès de H K, aucune rente n'était due à la succession de H K.

Par suite, il y a lieu de débouter les appelants de leur demande de majoration de rente d'ayant droit.

Sur l'indemnisation complémentaire de H K

Aux termes des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L. 452-2 du même code, la victime d'une maladie professionnelle a le droit de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été retenue, la réparation des préjudices personnels endurés.

Les ayants droit de H K font valoir, au soutien de leur demande en réparation des souffrances physiques, qu'il a dû subir plusieurs résections de tumeurs et de nombreuses fibroscopies urétrovésicales, ce qui lui a occasionné des douleurs intenses et continues ; qu'il a souffert d'une fracture fémorale due à une métastase osseuse, à la suite de quoi il a fait l'objet d'une rééducation très douloureuse.

Ils sollicitent également la réparation de sa souffrance morale, invoquant le fait qu'il était porteur d'une maladie professionnelle dont il avait conscience du risque, potentiellement mortel, de récidive.

Il convient toutefois de rappeler, d'une part, que l'indemnisation prévue au titre des souffrances endurées comporte à la fois la réparation des douleurs physiques et celle du préjudice moral résultant de la maladie reconnue comme maladie professionnelle.

Il y a lieu de relever, d'autre part, que la victime souffrait par ailleurs d'un cancer de la prostate métastasé, dont elle est décédée, le décès n'ayant pas été imputé à la maladie professionnelle prise en charge au titre du tableau n°16 bis ; qu'elle était âgée de quatre vingt ans lors de la première constatation médicale de la pathologie, soit un âge dépassant l'espérance de vie des hommes de sa génération ; et que les souffrances subies entre la date de première constatation médicale de la maladie et le décès, ont duré un peu plus de six mois.

Au vu de ces éléments, les souffrances endurées, englobant les douleurs physiques et le préjudice moral, apparaîtront justement indemnisées par l'allocation à ce titre d'une somme globale de 5.000 €.

Aucun élément au dossier n'établit que l'incontinence de H K à la fin de sa vie, et la nécessité de se déplacer en fauteuil roulant au cours des derniers mois, trouveraient leur cause dans la maladie professionnelle prise en charge au titre du tableau n°16 bis, compte tenu du cancer de la prostate métastasé dont il était également affecté.

Il n'y a de ce ne fait pas lieu de faire droit à la demande formulée au titre du préjudice esthétique.

Il ne peut non plus être retenu un préjudice d'agrément du seul fait de la privation des joies de la vie courante dans des activités ordinaires de loisirs, dont tant la garde des petits enfants, que les départs annuels en voyage à une périodicité annuelle ou bi annuelle font partie, sans que les ayants droit de H K n'aient démontré l'exercice auparavant par l'intéressé d'une activité régulière et spécifique sportive ou de loisirs.

Sur la détermination de la société venant aux droits et obligations du dernier employeur

Les sociétés Rhodia Chimie et Novacarb s'opposent quant à la détermination de l'entité subrogée dans l'obligation d'indemnisation des ayants droit de H K en raison de la faute inexcusable de son dernier employeur.

Il résulte du certificat de travail versé aux débats, que la société Rhône Poulenc Chimie a été le dernier employeur de H K.

La société Rhône Poulenc Chimie a fait l'objet d'un contrat d'apport partiel d'actif du 13 février 1996 au profit de la société par actions simplifiée Novacarb, dite Novacarb 1, immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le numéro 399 12 676.

Le 13 novembre 2002, la société Novacarb 1 a conclu avec la société par actions simplifiée Rhod M un contrat d'apport partiel d'actif portant notamment sur la branche d'activité correspondant au site de la Madeleine.

La société Nocacarb, dite Novacarb 2, immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le numéro 442 993 283, est venue aux droits de la société Rhod M.

La société Rhodia Chimie est venue aux droits de la société Novacarb 1 à la faveur d'un contrat de fusion absorption.

La société Rhodia Chimie invoque un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 13 décembre 2005 (pourvoi n°05-12284), selon lequel la société cessionnaire se trouve subrogée dans l'obligation d'indemniser la victime d'une maladie dès lors que celle ci trouve sa cause dans l'activité apportée, c'est-à- dire lorsque le salarié a travaillé lors de l'exposition au risque considéré dans la société ou la branche d'activité cédée, peu important le transfert du contrat de travail du salarié à la société cessionnaire.

Elle en déduit que l'obligation d'indemniser les ayants droit de H K en raison de la faute inexcusable commise par son dernier employeur, a été transférée successivement, en même temps que la branche d'activité ayant généré l'exposition du salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante, aux sociétés cessionnaires, et donc en dernier lieu à la société Novacarb 2, cessionnaire finale de la branche d'activité du site de Nancy La Madeleine.

La société Novacarb 2 objecte à cette argumentation, qu'elle n'est ni le dernier employeur de H K, ni l'ayant droit de son dernier employeur. Elle fait ainsi valoir que le passif lié à l'exposition à l'amiante de H K n'a pas été transféré dans son patrimoine mais a subsisté dans celui de la société Rhodia Chimie, dès lors que les sociétés Novacarb 1 et Rhod M, qui avaient opté lors de l'apport partiel d'actif conclu en 2003 pour un apport soumis au régime des scissions, avaient limité la transmission de passif concernant les litiges en cours, aux seuls litiges connus à la date de réalisation de l'apport, ce qui n'était pas le cas de celui initié par les ayants droit de H K. Elle sollicite par conséquent sa mise hors de cause. A titre préliminaire, il y a lieu de préciser que le contrat de travail de H K ayant cessé à son départ en retraite en 1992, il convient de déterminer, non à quelle société son contrat de travail aurait été transféré, mais quelle entité doit prendre en charge les dettes de réparation à l'égard de personnel dont le contrat de travail n'a pas été transféré. A cet égard, il résulte de l'examen du traité d'apport partiel d'actif conclu le 13 novembre 2002 entre la société Novacarb 1 (devenue Rhodia Chimie) et la société Rhod M (devenue Novacarb 2), que les paragraphes intitulés 'régime juridique de l'apport partiel d'actif' (page 4/66) et 'régime de l'apport' (page 18/66) stipulent : 'les parties soussignées ont opté pour la faculté que leur confère l'article L. 236-22 du code de commerce de soumettre le présent projet d'apport aux dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-21 du code de commerce, lequel sera, en conséquence, placé sous le régime juridique des scissions, les parties dérogeant expressément aux dispositions de l'article L. 236-20 du code de commerce'. Selon l'article L. 236-22 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable, la société qui apporte une partie de son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-21. Il découle en outre des dispositions des articles L. 236-3, L. 236-20 et L. 236-22 du code de commerce, que sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif emporte lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport.

En l'espèce, il est prévu au traité, s'agissant du passif pris en charge par la société bénéficiaire, que 'par exception aux dispositions de l'article L. 236-22 du code de commerce, les parties conviennent expressément que les passifs faisant l'objet des provisions mentionnées ci-dessus et ceux liés aux litiges mentionnés en annexe 10 sont les seuls passifs connus transférés à la société bénéficiaire en application des présentes. Sont donc, notamment, exclus tous les contentieux, litiges et autres réclamations existant à la date de réalisation autres que ceux listés en annexe 10" (page 10/66).

La liste établie en annexe 10, qui comporte notamment deux 'contentieux contre la caisse primaire d'assurance maladie demandant la reconnaissance comme accident du travail d'un événement subi par un salarié de Novacarb' concernant des salariés nommément désignés, ne mentionne pas le présent litige, qui n'était pas né à la date de ce traité (page 57/66).

Ce faisant, les parties au traité du 13 novembre 2002 ont expressément dérogé au principe de transmission universelle de patrimoine en limitant la transmission des passifs susceptibles de naître de litiges, à ceux figurant sur la liste établie en annexe 10.

Il résulte de ces éléments que c'est à la société Rhodia Chimie, venant aux droits de la société Novacarb 1, qu'il incombe de répondre de l'engagement de la responsabilité de l'ancien employeur de H K au titre de la faute inexcusable.

Sur l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie

Il résulte de l'article L 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale que les caisses primaires d'assurance maladie récupèrent contre l'employeur, dont la faute a été jugée inexcusable, les sommes qu'elles versent à la victime ou ses ayants droits.

L'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, issu de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 et applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites à compter du 1er janvier 2013, précise que, quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 du code du travail.

Cette disposition a pour effet de neutraliser, dans le cadre de la reconnaissance et de l'indemnisation de la faute inexcusable de l'employeur, l'effet d'inopposabilité qui s'attache aux irrégularités affectant la procédure d'instruction de l'accident ou de la maladie lorsque l'employeur n'a pas été mis en capacité de présenter ses éventuelles observations.

Dès lors qu'en l'espèce, la présente décision reconnaît la faute inexcusable de l'employeur, il convient de faire application de l'article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale et de reconnaître l'action récursoire de la caisse contre la société venant aux droits du dernier employeur, soit la société Rhodia Chimie.

Il est à cet égard indifférent que la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle ait été diligentée à l'égard de la société Novacarb, et non de la société Rhodia Chimie, la demande d'inopposabilité invoquée de ce fait n'ayant pas à être examinée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Rhodia Chimie est condamnée aux dépens de première instance, le jugement du 24 mai 2019 étant infirmé sur ce point.

Il y a lieu de condamner la société Rhodia Chimie aux dépens d'appel ainsi qu'à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les sommes de 1.000 € aux ayants droit de H K, de 1.000 € à la société Novacarb et de 1.000 € à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle.

Elle est déboutée de ses propres demandes de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement du pôle social du tribunal de grande instance de Nancy du 24 mai 2019 en toutes ses dispositions,

STATUANT A NOUVEAU,

DIT que la maladie professionnelle dont a été atteint H K et reconnue comme telle, au titre du tableau n° 16 bis, le 3 septembre 2013, résulte de la faute inexcusable de son dernier employeur, aux droits et obligations duquel vient la société Rhodia Chimie,

En conséquence,

FIXE l'indemnité complémentaire de H K à la somme de 5.000 € au titre des souffrances endurées,

DEBOUTE les ayants droit de H K de leur demande au titre de la majoration de rente, et du surplus de leurs demandes au titre de l'indemnité complémentaire,

DIT que la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle devra verser la somme de 5.000 € aux ayants droit de H K au titre de ses préjudices personnels,

DIT que la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle récupèrera ensuite ladite somme représentative des préjudices personnels de H K auprès de la société Rhodia Chimie,

CONDAMNE la société Rhodia Chimie aux dépens de première instance le cas échéant exposés postérieurement au 1er janvier 2019,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société Rhodia Chimie à verser à P B veuve K, I K épouse A, S K épouse X et C K, ayants droit de H K, la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Rhodia Chimie à verser à la société Novacarb la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Rhodia Chimie à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Rhodia Chimie aux dépens d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.