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Décisions

Cass. 2e civ., 13 octobre 2016, n° 15-13.302

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flise

Rapporteur :

M. de Leiris

Avocat général :

M. Mucchielli

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Versailles, du 18 déc. 2014

18 décembre 2014

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 décembre 2014), qu'à la suite d'une cession à la société Manpower France holding par M. X... d'actions du groupe Damilo, moyennant un prix de cession composé d'une partie définitive et d'un complément dépendant du taux de réalisation d'un objectif lié au résultat d'exploitation de la société cédée, la société Manpower France holding a été autorisée par ordonnance d'un juge de l'exécution à pratiquer des saisies conservatoires pour sûreté et conservation d'une créance évaluée provisoirement à une certaine somme, correspondant à la différence entre le montant initial et le montant définitif de la trésorerie nette ; que M. X... a sollicité du juge de l'exécution la rétractation de l'ordonnance, la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées entre les mains de divers établissements bancaires et sociétés civiles immobilières et la réduction de l'assiette des saisies conservatoires aux seules parts sociales de la SCI Frédéric Passy ;

Sur premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de retenir la compétence du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre, pour autoriser les saisies de compte ou les saisies de parts sociales et autoriser la société Manpower France holding à effectuer ces saisies, alors, selon le moyen :

1°/ que s'agissant des comptes ouverts à Paris auprès de la Compagnie financière Edmond de Rothschild ou de la Banque HSBC, l'exécution ne pouvait avoir lieu qu'à Paris, et le juge du lieu d'exécution de la mesure était le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris ; qu'à raison du principe de l'unicité du domicile, il était exclu que les juges du fond puissent décider que M. X... étant domicilié en Belgique, ce qui n'était pas contesté, il pouvait également être regardé comme domicilié à Neuilly sur Seine ; qu'en retenant la compétence du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre s'agissant des saisies conservatoires concernant les comptes ouverts auprès de la Compagnie financière Edmond de Rothschild et de la Banque HSBC, l'arrêt attaqué a violé le principe de l'unicité du domicile et les articles 102 du code civil et R. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que s'agissant de la SCI Evanuelle, dont le siège est à Paris, le juge du lieu d'exécution ne pouvait être que le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris ; qu'à raison du principe de l'unicité du domicile, il était exclu que les juges du fond puissent décider que M. X... étant domicilié en Belgique, ce qui n'était pas contesté, il pouvait également être regardé comme domicilié à Neuilly sur Seine ; qu'en retenant la compétence du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre s'agissant des saisies conservatoires concernant les comptes ouverts auprès de la Compagnie financière Edmond de Rothschild et de la Banque HSBC, l'arrêt attaqué a violé le principe de l'unicité du domicile et les articles 102 du code civil et R. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

3°/ qu'il était exclu que les juges du fond retiennent que M. X... avait son domicile en France, sans s'expliquer quant aux raisons présidant à la préférence accordée à son adresse française quand celui-ci invoquait son adresse belge ; qu'à défaut, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 102 du code civil et R. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

Mais attendu que le juge de l'exécution dans le ressort duquel est situé l'un des biens saisis appartenant au débiteur demeurant à l'étranger étant compétent pour autoriser des mesures conservatoires sur les biens du débiteur situés en dehors de son ressort, M. X... est dénué d'intérêt à revendiquer un domicile situé à l'étranger en vue de contester la compétence du juge de l'exécution dans le ressort duquel est située une partie des biens saisis ;

D'où il suit que le moyen n'est pas recevable ;

Sur les deuxième et cinquième moyens, réunis :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de retenir la compétence du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre, pour autoriser les saisies de compte ou les saisies de parts sociales et autoriser la société Manpower France holding à effectuer ces saisies et de juger régulière la procédure puis de refuser de rétracter l'ordonnance du 25 octobre 2012 et de maintenir les mesures conservatoires autorisées par cette ordonnance alors, selon le moyen :

1°/ que si même il a simplement à se prononcer sur l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe, le juge de l'exécution, saisi d'une demande de mesure conservatoire, n'est compétent pour autoriser la mise en place d'une telle mesure que pour autant qu'un juge (éventuellement un arbitre) a la compétence pour se prononcer sur l'existence de la créance ; que tel n'est pas le cas lorsque seul un tiers expert, au sens de l'article 1592 du code civil, est apte à se prononcer sur l'existence d'une créance ; que pour avoir décidé le contraire, les juges du fond ont violé l'article 1592 du code civil, ensemble l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que dès lors que seul un tiers expert au sens de l'article 1592 du code civil est apte à se prononcer sur l'existence d'une créance à l'exclusion de toute autorité juridictionnelle, il est exclu que le juge de l'exécution puisse autoriser, à propos d'une telle créance, la mise en place d'une mesure conservatoire ; qu'à cet égard, l'arrêt doit à tout le moins être censuré pour excès de pouvoir au regard des articles 1592 du code civil et L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

3°/ qu'avant de se prononcer sur l'existence d'un principe de créance fondée en son principe, les juges du fond auraient dû s'expliquer, comme le soutenait M. X..., sur le point de savoir si la société Manpower France holding ne pouvait se prévaloir d'un ajustement du montant définitif de la trésorerie nette dès lors que le délai fixé au 15 mai 2012 pour la communication de la trésorerie nette n'avait pas été respecté ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué encourt la censure pour violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que lorsqu'ils autorisent une mesure conservatoire, les juges du fond doivent préciser le montant de la créance en considération de laquelle les mesures conservatoires sont autorisées ; qu'en l'espèce, M. X... faisait valoir, devant le tribunal de commerce, que la société Manpower France holding avait reconnu avoir majoré le montant de la trésorerie nette (conclusions d'appel, p. 40, in extenso) ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce point, avant de maintenir les mesures conservatoires pour la somme de 5 374 799, 23 euros dont la société Manpower France holding avait reconnu le mal-fondé, les juges du fond ont violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que toute personne dont la créance paraît fondée dans son principe pouvant, pour assurer la sauvegarde de ses droits, solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, ayant exactement énoncé qu'il n'appartenait pas au juge de l'exécution de statuer sur la réalité de la créance ou d'en fixer le montant, mais de se prononcer sur le caractère vraisemblable d'un principe de créance, a retenu à bon droit que la contestation relative à la détermination du montant définitif de la trésorerie nette, que les parties avaient dévolue à la compétence exclusive d'un tiers-expert, en application de l'article 1592 du code civil, était indépendante de la compétence que le juge de l'exécution tenait de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

Et attendu que la détermination du montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est envisagée n'étant prescrite que pour l'autorisation par le juge de l'exécution de cette mesure conservatoire, la cour d'appel a exactement retenu qu'il ne lui appartenait pas, pour statuer sur une demande de mainlevée de saisies conservatoires, d'établir la preuve d'une créance liquide et exigible et encore moins d'en apprécier le quantum ;

Attendu enfin, qu'ayant, par une décision motivée, souverainement retenu l'existence d'une créance paraissant fondée dans son principe, ainsi que de circonstances menaçant le recouvrement de la créance, c'est à bon droit que la cour d'appel, a décidé d'écarter la demande de rétractation de l'ordonnance autorisant l'accomplissement de mesures conservatoires ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de juger régulière la procédure puis de refuser de rétracter l'ordonnance du 25 octobre 2012 et de maintenir les mesures conservatoires autorisées par cette ordonnance alors, selon le moyen :

1°/ que devant le tribunal de commerce, la procédure est orale ; qu'à supposer même qu'une demande ait été formulée préalablement aux termes de conclusions écrites déposées au greffe et signifiées à la partie adverse, de toute façon, la demande reconventionnelle ne résulte que de la prétention que son auteur formule verbalement à l'audience au cours de laquelle les débats ont lieu ; qu'ainsi, si l'auteur des conclusions écrites ne comparait pas à l'audience, le juge n'est saisi d'aucune demande ; qu'en toute hypothèse, si l'auteur des conclusions comparait à l'audience, seule la prétention qu'il émet lors de l'audience saisi le juge peu important qu'il ait formulé une prétention différente dans le cadre de conclusions préalablement déposées et signifiées ; qu'en statuant comme ils l'ont fait pour prendre en compte des conclusions écrites, qui étaient inopérantes, les juges du fond ont violé les articles R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution et 446-1 et 860-1 du code de procédure civile ;

2°/ que, devant le tribunal de commerce, la société Manpower France holding se bornait à titre principal à solliciter la désignation d'un tiers expert aux termes de l'article 1592 du code civil ; que par hypothèse, la désignation d'un tiers expert ne peut conduire à l'obtention du titre exécutoire que requiert l'article R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution ; qu'en effet, ce titre exécutoire ne peut résider qu'en une condamnation à paiement prononcée par une autorité juridictionnelle et assortie de l'exécution provisoire ; que par suite, les juges du fond ont violé les articles L. 111-3 et R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution ;

3°/ que si la société Manpower France holding a formulé à titre subsidiaire une condamnation à paiement, le juge ne peut être regardé comme saisi de cette condamnation à paiement que pour autant que la demande principale est écartée ; que le juge doit donc être considéré comme non saisi de la demande subsidiaire ; qu'à cet égard encore, l'arrêt attaqué a été rendu en violation des articles 4 et 64 du code de procédure civile et R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution ;

Mais attendu que l'obligation faite, à peine de caducité, au créancier d'introduire une procédure ou d'accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, dans le mois qui suit l'exécution d'une mesure conservatoire, peut être satisfaite par la signification au débiteur dans ce délai, de conclusions contenant une demande incidente, sous réserve, lorsque la procédure est orale, que le créancier ait repris oralement ces conclusions lors de l'audience de plaidoirie ultérieure ; que M. X... ne s'étant pas prévalu de ce que la société Manpower France holding n'aurait pas repris oralement ses conclusions devant le tribunal de commerce, le moyen est, en sa première branche, nouveau et mélangé de fait et de droit ;

Et attendu que la cour d'appel ayant relevé que les parties avaient dévolu à la compétence exclusive d'un tiers-expert la détermination du montant définitif de la trésorerie nette et que la société Manpower avait formé une demande reconventionnelle consistant en la désignation d'un tiers-expert pour déterminer le montant définitif de la trésorerie nette, la cour d'appel a justement déduit de ces seuls motifs que cette société justifiait avoir accompli les diligences nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;

Sur le sixième moyen, pris en sa seconde branche :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande visant au cantonnement de la créance alors, selon le moyen qu'en s'abstenant de rechercher si, eu égard au cautionnement qu'avait donné M. X..., les mesures de saisie ne devaient pas être cantonnées, les juge du fond ont de nouveau violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant souverainement retenu le défaut de connaissance suffisamment certaine de la valeur réelle des parts de la SCI Frédéric Passy, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, justifié sa décision d'écarter la demande de cantonnement des mesures conservatoires à la saisie des seules parts de cette SCI ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu, qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen et la première branche du sixième moyen, annexés, qui sont irrecevables ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.