CEDH, sect. 5, 1 septembre 2016, n° 48158/11
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
Décision
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Nußberger
Juges :
M. Hajiyev, M. Møse, M. Potocki, M. Grozev, Mme O’Leary, M. Ranzoni
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section)
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48158/11) dirigée contre la République française et dont deux ressortissants de cet État, MM. X et Y (« les requérants »), ont saisi la Cour le 28 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement).
2. Les requérants ont été représentés par Me François Froment-Meurice, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Les requérants allèguent une violation de l’exigence d’impartialité par la Commission des sanctions de l’AMF, ainsi qu’une atteinte à la prévisibilité de la loi pénale.
4. Le 8 octobre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. À l’époque des faits, le premier requérant X était directeur général délégué de la banque d’Orsay (« la banque »), responsable de l’activité de négociation pour compte propre. Le second, Y, était employé par cette banque et exerçait ses fonctions au sein du desk « Risque arbitrage ».
6. Au cours du mois de février 2005, la banque intervint dans l’opération d’augmentation de capital de la société Euro Disney. La période de souscription s’étendait du 31 janvier au 8 février 2005 inclus. La souscription des actions nouvelles était réservée aux détenteurs d’actions anciennes ou aux cessionnaires de leurs droits préférentiels de souscription. L’intervention de la banque consista, d’une part, à acheter des droits préférentiels de souscription et souscrire à des actions nouvellement émises et, d’autre part, à couvrir cette position par la vente d’actions non encore détenues, en ayant recours à des emprunts de titres.
7. À compter du 5 février, la banque ne parvint plus à emprunter la quantité nécessaire de titres pour couvrir sa position. Elle poursuivit toutefois ses achats de droits préférentiels jusqu’à la clôture de la période de souscription, ce qui occasionna par la suite des retards (« suspens ») de règlement-livraison des actions vendues.
8. Le 9 mars 2005, le secrétaire général adjoint de l’Autorité des marchés financiers (AMF) procéda à un premier acte de contrôle sur pièce afin d’obtenir toute information concernant les transactions passées par la banque sur le titre Euro Disney.
9. Le 30 mars 2005, il décida l’ouverture d’une procédure de contrôle du respect par la banque de ses obligations professionnelles en matière d’investissement.
10. Le 7 novembre 2005, le rapport de contrôle fut transmis à la banque.
11. Le 8 décembre, celle-ci présenta ses observations en réponse.
12. Lors de sa séance du 25 avril 2006, la commission spécialisée no 1 du Collège, organe de poursuite de l’AMF, considéra que le contrôle avait démontré que la banque n’avait pas respecté plusieurs dispositions du Règlement général de l’AMF, ainsi que des règles de fonctionnement de l’organisation du marché des actions, Euronext, et des institutions de compensation, LCH.Clearnet S.A. et d’Euroclear France.
13. Le 22 mai 2006, le président de l’AMF, en sa qualité de président de la commission spécialisée no 1 du Collège, adressa une notification de griefs à la banque, au premier requérant en sa qualité de directeur général délégué, responsable de l’activité de négociation pour compte propre, ainsi qu’aux deux membres du desk « Risque arbitrage », dont le second requérant, qui avaient réalisé les opérations litigieuses.
14. Il leur fut reproché d’avoir méconnu les règles relatives au délai de livraison des titres, en ce qu’elles prescrivaient à tout prestataire de service d’investissement habilité, opérant pour compte propre, de ne pas procéder à des ventes de titres sans disposer de l’assurance raisonnable de pouvoir, notamment par le recours à des emprunts de titres, procéder à la livraison des instruments financiers correspondants dans un délai de trois jours à compter de la transaction (article 4-8-5-1 des Règles de fonctionnement de la banque centrale de compensation (chambre de compensation) renvoyant à l’Instruction IV.8-1 de ce même organisme pour la fixation de ce délai (voir ci-dessous le droit interne pertinent). Il fut également reproché aux requérants d’avoir méconnu le calendrier de l’augmentation de capital et à la banque de ne pas avoir mis en place des procédures de contrôle des services d’investissement.
15. Le 10 juillet 2006, la banque et les requérants adressèrent leurs observations en réponse aux notifications de griefs.
16. Les 17 octobre et 21 novembre 2006, le rapporteur désigné par le président de la Commission des sanctions de l’AMF, organe compétent pour prononcer des sanctions (« le rapporteur »), procéda à l’audition des requérants et du directeur général de la banque.
17. Le 12 septembre 2007, le rapporteur déposa son rapport dans lequel il estima que les manquements visés par les notifications de griefs étaient constitués et proposa des sanctions à l’encontre de la banque et des requérants.
18. Le 1er octobre 2007, les requérants et la banque adressèrent à la Commission des sanctions leurs observations sur ce rapport. S’agissant du premier grief, ils indiquèrent que les textes applicables ne prévoyaient pas de sanction pour les faits reprochés. Ils ajoutèrent que la seule sanction possible du défaut de livraison des titres dans le délai de trois jours fixé par l’Instruction IV.8-1 pouvait, éventuellement, être la procédure de dénouement forcé le soir du septième jour de compensation (rachat des titres par la Chambre de compensation) définie par l’Instruction IV.8-3 de LCH. Clearnet SA.
19. Lors de sa séance du 8 novembre 2007, la Commission des sanctions demanda au rapporteur, sur le fondement des dispositions du II de l’article R 621-40 du code monétaire et financier (CMF), un supplément d’instruction portant notamment sur l’interprétation et la combinaison des délais fixés par l’Instruction IV.8-1 relative aux délais de règlement et de livraison, avec la procédure prévue par l’Instruction IV.8-3 relative aux procédures de régularisation des suspens sur les transactions effectives sur les marchés de valeurs mobilières d’Euronext Paris.
20. Le rapporteur sollicita les observations de la banque et des requérants, celles du président de l’AMF, pris en sa qualité de président de l’autorité de poursuite, ainsi que celles de la société LCH. Clearnet SA.
21. Le 30 avril 2008, le rapporteur déposa son rapport complémentaire, auquel les requérants répondirent par des observations communes.
22. À l’issue de sa séance du 4 septembre 2008, la Commission des sanctions prononça à l’encontre de chacune des personnes mises en cause un avertissement, ainsi que des sanctions pécuniaires, de 300 000 euros (EUR) à l’encontre de la banque et de 25 000 et 20 000 EUR à l’égard, respectivement, du premier et du second requérant.
23. Au soutien de sa décision, la Commission des sanctions rappela que l’opération d’arbitrage en cause consistait à acheter des droits de souscription aux actions Euro Disney à émettre en février 2005 et à vendre à découvert par anticipation des actions existantes, afin de tirer parti d’éventuelles différences entre, d’une part, le prix de revient des actions que la banque escomptait obtenir lors de l’augmentation de capital en cours et, d’autre part, le prix de vente des actions existantes, auquel il y avait lieu d’ajouter le coût de l’emprunt des titres nécessaires au respect du délai de livraison. Elle releva que si la banque avait pu trouver à emprunter 17 250 000 titres au cours des journées des 3 et 4 février 2005, elle ne disposa plus, à compter de cette date, de l’assurance de pouvoir procéder en temps voulu à la livraison des titres qu’elle vendrait à découvert, et ce en raison de l’assèchement des possibilités d’emprunts et de la très forte hausse corrélative des taux auxquels avaient été réalisés les derniers emprunts. Elle constata encore que, malgré cela, la banque avait poursuivi ses achats de droits de souscription jusqu’au dernier jour de leur cotation, soit le 8 février 2005, augmentant ainsi de plus de 35 % entre ces deux dates sa position acheteuse en droits de souscription et, corrélativement, sa position vendeuse de titres existants. Elle retint, enfin, qu’à compter du 9 février 2005, la banque avait demandé et obtenu à plusieurs reprises l’exécution d’ordres d’achat qui s’étaient appariés à des ordres de vente pour des quantités et des prix identiques, qu’elle avait elle-même transmis à quelques secondes d’intervalle à des membres négociateurs distincts, et que ceci avait eu pour conséquence de masquer la méconnaissance du délai de livraison de trois jours.
24. Sur la question de l’articulation du délai fixé par l’Instruction IV.8-1 avec la procédure de dénouement forcé prévue par l’Instruction IV.8-3, la Commission des sanctions précisa que cette dernière :
« (...) se situ[e] dans le cadre exclusif des relations entre la Chambre de compensation et ses adhérents ; qu’en revanche, la fixation d’un délai à partir de la date de la transaction pour la livraison des instruments financiers - lequel, en l’état actuel des textes, est de trois jours - a été édictée par le régulateur directement dans l’intérêt du marché, pour en préserver la fluidité et prévenir les suspens ; que, contrairement à ce que soutient la banque mise en cause, les opérations d’arbitrage, dont le déroulement n’est pas incompatible avec le respect de cette règle, ne sauraient en être exonérées, d’une façon qui au demeurant porterait atteinte à l’égalité des conditions d’intervention des différents opérateurs sur le marché ; que, dès lors, un dépassement du délai de livraison peut - notamment dans le cas d’un prestataire habilité opérant pour compte propre - constituer un manquement dans les conditions précisées ci-après, alors même que les conditions nécessaires à la mise en œuvre par la Chambre de compensation de la procédure de dénouement forcé ne sont pas remplies ; »
25. Pour justifier les sanctions prononcées à l’encontre des requérants, la Commission considéra ce qui suit :
« (...) en raison de son incidence sur la fluidité et l’intégrité du marché, un manquement relatif à un dépassement du délai de livraison provoqué par la prise de positions vendeuses en dépit de l’absence de l’assurance raisonnable de pouvoir procéder à la livraison en temps voulu des instruments financiers correspondants, revêt un caractère particulier de gravité ; qu’en l’espèce, la façon dont la Banque d’Orsay a accru après le 4 février 2005 la taille de l’opération d’arbitrage qu’elle avait engagée est spécialement critiquable ; qu’il y a lieu en revanche, pour déterminer les sanctions encourues, de tenir compte de ce qu’antérieurement à la présente décision - prononcée, ainsi qu’il a été dit, après un supplément d’instruction - la portée exacte de la règle relative au délai de livraison et la combinaison de celle-ci avec les dispositions relatives à la procédure de dénouement forcé des transactions pouvaient ne pas apparaître pleinement ; (...) »
26. Le 28 novembre 2008, les requérants et la banque demandèrent l’annulation de cette décision devant le Conseil d’État. Ils prétendirent que l’intervention du président de l’AMF, autorité de poursuite, au cours de la procédure de sanction avait porté atteinte au principe d’impartialité. En particulier, ils dénoncèrent la demande d’avis adressée à cette autorité par le rapporteur, sur l’interprétation et la combinaison des règles pertinentes en la matière. Par ailleurs, invoquant le principe de légalité des délits et des peines, les requérants firent valoir qu’ils ne pouvaient pas être sanctionnés au titre du manquement à une règle dont la portée n’était pas précisément définie.
27. Le 18 février 2011, le Conseil d’État rejeta leur recours. Sur le moyen tiré du défaut d’impartialité, il considéra que le rapporteur pouvait entendre toute personne dont l’audition lui paraissait utile et notamment le président de l’AMF, pris en sa qualité d’autorité de poursuite. Il ajouta que l’avis de cette autorité ne liait pas le rapporteur ni la Commission des sanctions. Le Conseil d’État précisa à ce titre qu’il ne résultait pas de l’instruction de l’affaire que le rapporteur ou la Commission des sanctions s’étaient, en l’espèce, estimés liés par cet avis et que l’intervention de cette autorité n’avait donc pas porté atteinte au principe d’impartialité. Il considéra enfin que l’assistance technique apportée par les services de l’AMF pour l’instruction de l’affaire menée sous l’autorité du rapporteur n’avait pas davantage porté atteinte à ce principe.
28. Sur le moyen concernant la possibilité de sanctionner la méconnaissance du délai de livraison des titres et la prévisibilité d’une telle sanction, le Conseil d’État considéra que le principe de légalité des délits et des peines, « lorsqu’il est appliqué à des sanctions qui n’ont pas le caractère de sanctions pénales », ne fait pas obstacle à ce que les infractions soient définies par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l’activité qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève, conformément à l’article L 621-15 II du CMF (voir ci-dessous le droit interne pertinent). Il ajouta ce qui suit :
« (...) Considérant qu’il résulte de la combinaison des dispositions rappelées ci-dessus que, parmi les obligations auxquelles sont soumis les prestataires habilités opérant pour compte propre, figure la livraison des instruments financiers dans un délai de trois jours de bourse à compter de la date de la transaction ; que la méconnaissance de cette obligation n’a pas, contrairement à ce qui est soutenu, comme sanction la procédure de rachat forcé pouvant être engagée par la chambre de compensation le soir du septième jour de compensation suivant la date de dénouement théorique, procédure qui intervient dans le cadre exclusif des relations entre cette chambre et ses adhérents ; que la circonstance que les règles de fonctionnement de la société LCH. Clearnet SA, qui instituent une telle obligation, n’assortissent pas explicitement sa méconnaissance d’une sanction - ce qu’il ne leur appartenait pas de faire - ne fait pas obstacle à ce que le non-respect de cette obligation, qui est au nombre des obligations professionnelles visées au II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, soit sanctionné sur le fondement de cette disposition législative ; que, ni le principe de légalité des délits et des peines, ni celui de non rétroactivité de la loi répressive plus sévère, ne fait obstacle à ce qu’à la faveur de la première application d’une règle applicable à la date des faits litigieux, la commission des sanctions précise sa portée et en fasse application aux faits à l’origine des manquements qu’elle sanctionne, dès lors qu’à la date des faits litigieux, la règle en cause est suffisamment claire, de sorte qu’il apparaisse de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés, eu égard aux textes définissant leurs obligations professionnelles et à l’interprétation en ayant été donnée jusqu’alors par l’AMF ou la Commission des sanctions, que le comportement litigieux constitue un manquement à ces obligations, susceptible comme tel d’être sanctionné en application de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier ;
Considérant qu’en l’espèce, la règle méconnue est dénuée d’ambiguïté et qu’il résulte de l’instruction qu’elle était connue des professionnels ; que ni la circonstance que sa méconnaissance par un prestataire de services d’investissement opérant pour compte propre n’avait pas encore été sanctionnée, ni le fait que la commission des sanctions ait ordonné un supplément d’instruction afin de soumettre au débat contradictoire la question de l’articulation entre la règle de livraison des titres dans un délai de trois jours et la procédure de rachat forcé pouvant être engagée par la chambre de compensation, ne font obstacle à ce que la sanction de sa méconnaissance puisse être regardée comme ayant été raisonnablement prévisible ; que, par suite, en estimant que le défaut de livraison des titres avant l’expiration du délai de trois jours constituait un manquement, susceptible d’être sanctionné, aux obligations définies aux articles 321-24, 332-32 et 321-76 du règlement général de l’AMF dans leur version alors applicable, ainsi que par les règles relatives au dénouement des opérations auxquelles renvoient ces dispositions, la Commission des sanctions n’a méconnu ni le principe de légalité des délits et des peines ni celui de non rétroactivité de la loi répressive plus sévère ; (...) ».
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
29. Née de la fusion, par la loi de sécurité financière no 2003-706 du 1er août 2003 (entrée en vigueur le 4 août 2003), de la Commission des opérations boursières (COB) et du Conseil des marchés financiers, l’AMF est une autorité publique indépendante en charge de la régulation des marchés financiers. La loi du 1er août 2003 a notamment été l’occasion de mettre en conformité les procédures de sanction disciplinaire et administrative, jusqu’alors dévolue au Conseil des marchés financiers et à la COB, avec l’article 6 de la Convention, à la suite de plusieurs arrêts de la Cour de cassation ayant appliqué cet article à la procédure de sanction en vigueur devant la COB (Cass., com., 18 juin 1996, Bull. civ. IV, no 179, et Cass. Ass. plén., 5 février 1999, deux arrêts, Bull. civ., no1). Cette loi a ainsi mis en place une séparation organique au sein de l’AMF entre les fonctions réglementaire et de poursuite, relevant du Collège, et les fonctions de jugement et de sanction, confiées à la Commission des sanctions. Les dispositions pertinentes à ce sujet ont été rappelées par la Cour dans la décision sur la recevabilité dans l’affaire Messier c. France ((déc), no 25041/07, 19 mai 2009), à laquelle il est renvoyé.
30. Par ailleurs, cette loi a unifié la procédure et le régime des sanctions disciplinaires et administratives, ainsi que le barème des sanctions pécuniaires (ibid., § 293). Les dispositions pertinentes du CMF, en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :
Article L 621-9-1
« Lorsque le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers décide de procéder à des enquêtes, il habilite les enquêteurs selon des modalités fixées par le règlement général.
(...) »
Article L 621-15
« I. - Le collège examine le rapport d’enquête ou de contrôle établi par les services de l’Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée par le gouverneur de la Banque de France, président de la Commission bancaire, ou par le président de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles.
S’il décide l’ouverture d’une procédure de sanction, il notifie les griefs aux personnes concernées. Il transmet la notification des griefs à la Commission des sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres (...).
II. - La Commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l’encontre des personnes suivantes :
a) Les personnes mentionnées aux 1o à 8o et 11o à 15o du II de l’article L 621-9 (...)
b) Les personnes physiques placées sous l’autorité ou agissant pour le compte de l’une des personnes mentionnées aux 1o à 8o et 11o à 15o du II de l’article L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l’Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l’article L. 613-21 ;
III.- Les sanctions applicables sont :
(...) b) Pour les personnes physiques placées sous l’autorité ou agissant pour le compte de l’une des personnes mentionnées aux 1o à 8o, 11o, 12o et 15o du II de l’article L. 621-9, l’avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle, l’interdiction à titre temporaire ou définitif de l’exercice de tout ou partie des activités ; la Commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1, 5 million d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits éventuellement réalisés dans les autres cas ; les sommes sont versées au fonds de garantie auquel est affiliée la personne morale sous l’autorité ou pour le compte de qui agit la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ; »
Article R 621-39
« (...) I. - Le président de la Commission des sanctions attribue l’affaire soit à cette dernière soit à l’une de ses sections. Il désigne le rapporteur. Celui-ci procède à toutes diligences utiles. Il peut s’adjoindre le concours des services de l’Autorité des marchés financiers. La personne mise en cause peut être entendue à sa demande ou si le rapporteur l’estime utile. Le rapporteur peut également entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile. (...)
II. - Le rapporteur consigne par écrit le résultat de ces opérations dans un rapport. Celui-ci est communiqué à la personne mise en cause par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, remise en main propre contre récépissé ou acte d’huissier.
III. - La personne mise en cause est convoquée devant la Commission des sanctions ou la section par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, remise en main propre contre récépissé ou acte d’huissier, dans un délai qui ne peut être inférieur à 30 jours francs. Cette lettre précise que la personne mise en cause dispose d’un délai de 15 jours francs pour faire connaître par écrit ses observations sur le rapport. »
Article R 621-40
« II. - Lors de la séance, le rapporteur présente l’affaire. Le commissaire du Gouvernement peut présenter des observations. La personne mise en cause et, le cas échéant, son conseil présentent la défense de celle-ci. Le président de la formation saisie peut faire entendre toute personne dont il estime l’audition utile. Dans tous les cas, la personne mise en cause et, le cas échéant, son conseil doivent pouvoir prendre la parole en dernier. Lorsque la formation s’estime insuffisamment éclairée, elle demande au rapporteur de poursuivre ses diligences selon la procédure définie aux II et III de l’article R. 621-39. »
31. Les dispositions invoquées par la Commission des sanctions à l’appui de sa condamnation, telles qu’applicables à l’époque des faits, étaient les suivantes :
Article 321-24 du Règlement général de l’AMF
« Les services mentionnés à l’article 311-1 sont exercés avec diligence, loyauté, équité, dans le respect de la primauté des intérêts des clients et de l’intégrité du marché. Les prestataires habilités s’efforcent d’éviter les conflits d’intérêts et lorsque ces derniers ne peuvent être évités, veillent à ce que leurs clients soient traités équitablement (...) »
Article 321-76 du Règlement général de l’AMF
« Le prestataire habilité exerce ses activités dans le respect de l’ensemble des règles organisant le fonctionnement des marchés. »
Article 332-32 du Règlement général de l’AMF
« La livraison d’instruments financiers consécutives à une opération effectuée par le prestataire habilité pour compte propre, en relation ou non avec des opérations réalisées par des clients, fait l’objet d’un contrôle systématique de disponibilités en conservation propre, afin d’éviter un défaut de livraison ou d’empêcher l’usage des instruments financiers inscrits au nom de tiers. Faute de disponibilités en conservation propre suffisantes, le teneur de compte conservateur recourt à un emprunt des instruments financiers en cause. »
Article 4601 du livre I des Règles de marché d’Euronext
« Les transactions effectuées sur un marché de titres d’Euronext sont compensées conformément aux règles de compensation. Leur règlement-livraison s’effectue via les systèmes désignés par Euronext. »
Article 4-8-5-1 des Règles de fonctionnement de la banque centrale de compensation (LCH.CLEARNET SA), approuvées en tant que règles de fonctionnement d’une chambre de compensation par décision de l’AMF en date du 2 mars 2004
« Les règlements de capitaux et la livraison des instruments financiers, entre les adhérents compensateurs entre eux d’une part, et entre les collecteurs d’ordres et les adhérents compensateurs d’autre part, a lieu dans un délai maximal à partir de la date de la transaction. Ce délai (...) est indiqué dans une instruction. »
32. L’article 1er de l’Instruction IV.8-1 de LCH.CLEARNET SA publiée le 2 mai 1997 relative aux délais de règlement et de livraison fixe à trois jours le délai pour les achats et ventes au comptant prévu par l’article 4 8 5 1 précité.
33. L’Instruction IV.8-3 de LCH.CLEARNET SA publiée le 20 août 2004 relative aux procédures de régularisation des suspens sur les transactions effectuées sur les marchés de valeurs mobilières d’Euronext Paris, en vigueur à l’époque des faits, prévoit qu’à défaut du dénouement à bonne date d’une position ouverte, LCH.CLEARNET SA déclenche une procédure de régularisation des suspens dite « procédure de rachat » au « soir du septième jour de compensation suivant la date de dénouement théorique ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
34. Les requérants estiment que leur cause n’a pas été examinée de manière impartiale par la Commission des sanctions de l’AMF. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Thèses des parties
35. Les requérants soutiennent que le fait pour le rapporteur d’avoir, à la demande de la Commission des sanctions, sollicité du Président de l’AMF des observations sur le fond du droit constitue une atteinte à la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. Ils précisent que le Président de l’AMF préside la commission spécialisée du Collège qui a initié les poursuites à leur encontre et que le Collège est également l’auteur d’une partie des dispositions dont la méconnaissance peut être sanctionnée par la Commission des sanctions. Ils en déduisent que le Président de l’AMF ne peut avoir un regard objectif sur la portée exacte des textes en cause. Ils prétendent en outre que la loi n’autorisait pas une telle demande d’observations complémentaires et que le rapporteur et la Commission des sanctions s’en sont remis, en l’espèce, à l’interprétation et au jugement du Président de l’AMF. Ils ajoutent que les services de l’AMF sont intervenus à tous les stades de la procédure, allant jusqu’à rédiger la réponse du Président de l’AMF à la demande de complément d’instruction. Les requérants en concluent que ces interventions du Président et des services de l’AMF dans l’instruction de l’affaire devant la Commission des sanctions ont porté atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de la Commission des sanctions.
36. Le Gouvernement soutient que les dispositions du CMF prévoient une séparation organique très nette et étanche entre les fonctions de poursuite et de sanction. Il indique que la commission spécialisée du Collège procède à l’enquête et notifie les griefs, le rapporteur instruit l’affaire et la Commission des sanctions décide des sanctions éventuelles. Il soutient que la Commission des sanctions et le rapporteur n’ont pas excédé leurs pouvoirs en sollicitant des observations complémentaires du Président de l’AMF sur l’interprétation et la combinaison des dispositions en cause. Ils ajoutent que l’opinion des requérants a également été sollicitée et que ces derniers ont pu discuter des observations complémentaires recueillies. Le Gouvernement considère qu’aucun élément ne laisse penser que la Commission des sanctions se serait sentie obligée par les observations complémentaires émises par le Président de l’AMF. Il fait enfin valoir que l’intervention des services de l’AMF n’est pas de nature à remettre en cause la séparation étanche entre les organes de poursuite et de jugement au sein de l’AMF.
B. Appréciation de la Cour
37. La Cour rappelle que les principes généraux permettant d’apprécier le respect de l’exigence d’impartialité ont été récemment résumés dans l’arrêt Morice c. France ([GC], no 29369/10, §§ 73-78, 23 avril 2015). Elle rappelle également avoir déjà eu l’occasion d’appliquer ces principes à des autorités de régulation françaises, et notamment au Conseil des marchés financiers (Didier c. France (déc.), no 58188/00, 27 août 2002), à la Commission des sanctions de l’AMF (Messier, précité), ainsi qu’à la Commission bancaire saisie d’une procédure disciplinaire (Dubus S.A. c. France, no 5242/04, §§ 53-62, 11 juin 2009) et à la COB avant que l’AMF ne soit créée (Vernes c. France, no 30183/06, §§ 41-44, 20 janvier 2011).
38. En ce qui concerne l’aspect subjectif de l’impartialité de la Commission des sanctions, laquelle se présume jusqu’à la preuve du contraire, la Cour constate que rien n’indique en l’espèce un quelconque préjugé ou parti pris de la part de ses membres et du rapporteur désigné parmi ceux-ci. Le fait que la Commission des sanctions ait partagé l’avis du Président de l’AMF quant à la compréhension des textes en cause ne saurait à lui seul mettre en doute son impartialité (voir, mutatis mutandis, Previti c. Italie (déc.), no 1845/08, § 53, 12 février 2013, et Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 135, 4 mars 2014).
39. Quant à l’impartialité objective, la Cour rappelle que celle-ci est étroitement liée à la notion d’indépendance (Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 192, CEDH 2003 VI, et Dubus S.A., précité, § 54). Pour déterminer si un « tribunal » peut passer pour « indépendant », il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (Kleyn et autres, précité, § 190, et Grande Stevens et autres, précité, §§ 132-137).
40. À ce sujet, la Cour constate que les dispositions du droit interne régissant l’organisation et la procédure de sanction au sein de l’AMF opèrent une séparation claire et étanche entre les organes de contrôle, d’enquête et de poursuite, d’une part, et l’organe de jugement, d’autre part. Le déclenchement de la procédure de sanction relève ainsi du Collège, lequel peut notamment être saisi, comme en l’espèce, par un rapport de contrôle ou d’enquête établi sous l’autorité du secrétaire général de l’AMF. Le Collège notifie les griefs aux personnes mises en cause et transmet parallèlement cette notification à la Commission des sanctions, seule compétente pour apprécier l’existence des manquements et prononcer le cas échéant une sanction disciplinaire et/ou administrative. L’instruction de l’affaire devant ce dernier organe est assurée par l’un de ses membres désigné en qualité de rapporteur (paragraphes 29-30 ci-dessus).
41. La qualité de membre de la Commission est incompatible avec celle de membre du Collège. Les modalités et les conditions de nomination des membres de cette Commission garantissent plus généralement leur indépendance (paragraphe 29 ci-dessus). À ce titre, la Cour relève que figurent parmi les membres de la Commission des sanctions deux magistrats de la Cour de cassation et deux conseillers d’État, lesquels jouissent en droit interne de larges garanties destinées à les prémunir contre les pressions extérieures (voir, mutatis mutandis, Piersack c. Belgique, 1er octobre 1982, § 27, série A no 53).
42. La Cour ne voit dès lors pas de raison de s’éloigner de la conclusion à laquelle elle était déjà parvenue dans sa décision Messier (précité) et considère qu’il n’y a pas lieu de douter de l’indépendance de la Commission des sanctions et de son rapporteur par rapport aux autres organes de l’AMF.
43. La Cour estime ensuite que le fait pour la Commission des sanctions d’avoir demandé un supplément d’instruction et sollicité à cette occasion des observations complémentaires sur l’interprétation des dispositions en cause de la part du Président de l’AMF, pris en sa qualité de président de l’organe de poursuite, ne porte pas en soi atteinte à son impartialité, dès lors notamment que les requérants ont également été entendus et qu’ils ont pu discuter contradictoirement les observations complémentaires ainsi recueillies.
44. La Cour considère enfin que le fait que le Collège soit également, au sein de l’AMF, l’autorité principalement compétente pour édicter ou conférer un statut normatif aux règles dont la violation peut être sanctionnée par la Commission des sanctions ne porte pas non plus atteinte à l’impartialité de cette dernière instance, laquelle jouit d’une indépendance et d’une plénitude de juridiction pour apprécier la portée de ces règles et l’existence d’un manquement à celles-ci.
45. Il en va de même de la possibilité pour la Commission des sanctions et son rapporteur d’être assistés par les services administratifs de l’AMF, placés statutairement sous l’autorité du secrétaire général de l’Autorité. En effet, lorsqu’ils apportent leur assistance technique à la Commission des sanctions, ces agents lui sont fonctionnellement soumis et doivent agir sur l’instruction de ses membres, pour contribuer à la mission dont cet organe est investi, dans le respect des exigences d’indépendance et d’impartialité qui incombent à ce dernier.
46. Partant, la Cour ne constate l’existence d’aucune apparence de violation du principe d’impartialité.
47. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
48. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants dénoncent une violation d’un principe d’intelligibilité de la loi. Ils se plaignent également de la méconnaissance de l’article 7 § 1, en raison de l’absence d’infraction et de sanction prévues par la loi. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime qu’il s’agit en réalité d’un seul et même grief qui doit être examiné à la lumière de l’article 7 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »
A. Sur la recevabilité
49. Compte-tenu de la nature et de la gravité des sanctions encourues par les requérants, la Cour considère que l’article 7 § 1 de la Convention est applicable à la procédure de sanction disciplinaire suivie en l’espèce devant l’AMF (mutatis mutandis, Didier, précité, Dubus S.A., précité, §§ 53-62, Messier, précité, § 35, Vernes, précité, § 25, et Grande Stevens et autres, précité, § 101). Elle note en outre que le Gouvernement reconnaît expressément cette applicabilité.
50. Par ailleurs, elle constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
51. Les requérants soutiennent que les sanctions qui leur ont été infligées étaient fondées sur la combinaison de plusieurs normes, de sources différentes, qui ne prévoyaient pas expressément que les faits poursuivis constituaient un manquement au sens du CMF, si ce n’est au prix d’une interprétation extensive et ad hoc. Ils considèrent que les spécialistes du droit financier qui composent la Commission des sanctions étaient eux-mêmes dans l’impossibilité de qualifier le manquement, ce qui a conduit cette autorité à demander un supplément d’instruction sur l’interprétation et la combinaison des textes fondant les poursuites. Ils précisent qu’il n’existait, avant cette décision, aucun précédent portant sur ce type de faits et de manquement. Les requérants prétendent enfin qu’en l’absence d’infraction à un texte répressif, la Commission des sanctions aurait dû s’abstenir de prononcer des sanctions disciplinaires et pécuniaires à leur encontre.
52. Le Gouvernement fait valoir que le principe de légalité des délits et des peines prévu par l’article 7 de la Convention ne fait pas obstacle à ce qu’à la faveur de la première application d’une règle, l’autorité répressive établisse sa portée en l’interprétant. Tout en affirmant que les sanctions en cause entrent dans la matière pénale et que les dispositions de l’article 7 de la Convention leur sont applicables, le Gouvernement considère que ce principe doit pouvoir s’adapter à la nature administrative de la répression en cause. Il rappelle que la notion de prévisibilité de la loi s’apprécie en fonction du contenu du texte, de son domaine, ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. Il ajoute que cette prévisibilité ne s’oppose pas à ce que les personnes concernées aient recours à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent résulter d’un acte déterminé. Le Gouvernement considère que les contours des obligations professionnelles, dont la violation a été sanctionnée en l’espèce, étaient clairement établis par les textes applicables et connus des professionnels des marchés financiers dont font partie les requérants. Il fait valoir que ces obligations protègent les principes essentiels de fluidité et d’intégrité du marché. Le Gouvernement ajoute, qu’en l’espèce, les requérants ont délibérément poursuivis les opérations menées alors qu’ils n’ignoraient pas qu’ils enfreignaient ainsi leurs obligations professionnelles.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
53. Pour un rappel des principes généraux concernant l’application de l’article 7 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, notamment, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, §§ 77-93, CEDH 2013).
54. S’agissant de la question plus spécifique de l’accessibilité et de la prévisibilité de la législation en matière pénale, la Cour rappelle constamment que la notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, §§ 40 41, série A no 260 A, Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996 V, et Del Río Prada, précité, § 91). Ces conditions qualitatives doivent être remplies tant pour la définition d’une infraction que pour la peine que celle ci implique.
55. En raison même du caractère général des lois, le libellé de celles-ci ne peut pas présenter une précision absolue. L’une des techniques-types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu’à des listes exhaustives. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (Kokkinakis, précité, § 40, Cantoni, précité, § 31, et Del Río Prada, précité, § 92). Dès lors, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, y compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or, le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 141, CEDH 2008, et Del Río Prada, précité, § 92).
56. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes (ibidem). D’ailleurs, il est solidement établi dans la tradition juridique des États parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176 A). On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 36, série A no 335 B, C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 34, série A no 335 C, K. H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 85, 22 mars 2001, et Del Río Prada, précité, § 93). L’absence d’une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible peut même conduire à un constat de violation de l’article 7 à l’égard d’un accusé (voir, pour ce qui est des éléments constitutifs de l’infraction, Pessino c. France, no 40403/02, §§ 35-36, 10 octobre 2006 ; voir, pour ce qui est de la peine, Alimuçaj c. Albanie, no 20134/05, §§ 154-162, 7 février 2012). S’il en allait autrement, l’objet et le but de cette disposition – qui veut que nul ne soit soumis à des poursuites, condamnations ou sanctions arbitraires – seraient méconnus.
57. La Cour rappelle également que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (Groppera Radio AG et autres c. Suisse, 28 mars 1990, § 68, série A no 173). La prévisibilité́ de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (voir, parmi d’autres, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 37, série A no 316 B, et Achour c. France [GC], no 67335/01, § 54, CEDH 2006 IV). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (Soros c. France, no 50425/06, § 53, 6 octobre 2011).
b) Application au cas d’espèce
58. La Cour note d’emblée que les requérants ne contestent pas l’existence, l’accessibilité et la prévisibilité du contenu même des obligations professionnelles qui s’imposaient à eux, mais soutiennent que le non-respect de ces obligations n’était pas constitutif d’un manquement prévu et sanctionné par le CMF.
59. La Cour rappelle que l’un des principaux apports de la loi du 1er août 2003, d’application immédiate sur ce point, a été d’unifier le régime et la procédure des sanctions administrative et disciplinaire, tout en instaurant un mécanisme général de sanction applicable également au manquements d’un nombre déterminé de professionnels intervenant sur les marchés, à leurs obligations professionnelles telles que définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l’AMF (paragraphe 30 ci-dessus).
60. La Cour relève que la Commission des sanctions devait en particulier déterminer si le dépassement du délai de trois jours fixé pour la livraison des instruments financiers que devaient respecter les requérants dans les opérations en cause était passible de sanctions ou si ce dépassement ne pouvait avoir pour seule conséquence que la mise en œuvre d’une procédure technique de dénouement forcé par l’organe de compensation. Elle constate également que cette question a fait l’objet d’un moyen soulevé par les requérants devant la Commission des sanctions, ce qui a conduit celle-ci à ordonner un complément d’instruction. Si cette question de l’articulation des textes en cause pouvait dès lors constituer une difficulté sérieuse d’interprétation, la Cour estime que la Commission des sanctions n’était pas pour autant dans l’incapacité de qualifier juridiquement les fautes commises par les requérants comme l’affirment ces derniers.
61. Elle rappelle à ce sujet que le caractère inédit, au regard notamment de la jurisprudence, de la question juridique posée ne constitue pas en soi une atteinte aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité de la loi, dès lors que la solution retenue faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles (voir, mutatis mutandis, Huhtamäki c. Finlande, no 54468/09, § 51, 6 mars 2012, et Soros c. France, précité, § 58).
62. Or, en l’espèce, le caractère inédit de la question posée à la Commission des sanctions était en grande partie dû à la réforme du mécanisme de sanction disciplinaire devant l’AMF, intervenue moins de deux ans avant les faits, mais qui ne pouvait pas être ignorée des professionnels des marchés financiers tels que les requérants (paragraphe 59 ci-dessus).
63. À l’instar du Conseil d’État, la Cour estime que l’application de ce mécanisme général de sanction aux manquements aux obligations professionnelles en cause était raisonnablement prévisible et que le cantonnement, par la Commission des sanctions, de la procédure de rachat forcé aux relations entre la chambre de compensation et ses adhérents n’était pas une interprétation arbitraire.
64. Certes, la Cour note que la Commission des sanctions a jugé opportun de motiver le quantum de la sanction à l’égard des requérants en tenant compte, non seulement de la gravité des manquements constatés, mais également de ce que, par sa décision, elle précisait pour la première fois l’articulation de deux ensembles de textes et en sanctionnait la violation (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour considère qu’en procédant à cette appréciation, la Commission des sanctions a entendu signifier, non pas que l’interprétation des normes qu’elle appliquait n’avait pas pu être raisonnablement prévue par les requérants, mais que le comportement de ceux-ci ne devait pas être jugé avec la même sévérité que la violation délibérée d’une obligation établie et sanctionnée de longue date.
65. La Cour estime dès lors que la loi applicable à l’époque des faits était suffisamment prévisible pour permettre aux requérants de savoir que leur responsabilité professionnelle pouvait être engagée du fait de la poursuite, sans couverture raisonnablement prévisible, des achats de droits préférentiels jusqu’à la clôture de la période de souscription.
66. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 7 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention.