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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 11 février 2020, n° 19/03127

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Veuliah (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Heyte

Conseillers :

M. Franco, Mme Brisset

Avocats :

Me Coubris, Me Puybaraud, Me Pitico

TGI Libourne, du 9 mai 2019, n° 19/00047

9 mai 2019

EXPOSE DU LITIGE

M. B D E et Mme X E (ci après les époux E) ont trois enfants, J E, I E et C E.

La société civile immobilière SCI Veuliah a été constituée le 5 juillet 2002 entre Mme X E et deux des enfants, J et I E.

Le capital social était initialement fixé à 12.000 € et divisé en 120 parts d'une valeur de 100 € chacune, attribuées comme suit :

* 40 parts à Mme X E,

* 40 parts à Mme J E,

* 40 parts à M. I E.

Le patrimoine de cette SCI comprenait, entre autres nombreux biens immobiliers, la résidence principale des époux E à Bouliac et la résidence principale de M. C E. La gérante en était J E

Le 12 novembre 2010, Mme X E a cédé à sa fille J E 20 parts sociales de la SCI Veuliah numérotées 21 à 40 pour un prix de 40.000 € et à son fils I E 20 parts sociales de ladite SCI numérotées de 1 à 20, pour un prix de 40.000 €, sommes affectées au règlement de la dette fiscale de Mme X E.

Par acte du 15 janvier 2018, les époux B D et X E auraient acquis l'usufruit de 100 des 120 parts de la SCI Veuliah pour la somme de 96.000 €, et C E (le troisième enfant) a acquis des parts sociales dans le cadre d'une augmentation de capital au mois de mai 2018 et les époux Perez se seraient attribués l'usufruit d'une partie des parts souscrites par C E.

A la suite de désaccords entre eux et leurs enfants J et I E, et affirmant détenir statutairement, ensemble, un droit de vote exclusif aux assemblées générales, les époux E ont demandé à la gérante, J E, par lettre recommandée avec avis de réception du 14 janvier 2019 de provoquer la délibération des associés sur l'ordre du jour notamment relatif à la révocation d'elle même J E de ses fonctions de gérante et la nomination de co gérants.

Exposant que J E a gardé le silence, les époux E et C E ont, par acte du 18 février 2019, assigné devant le président du tribunal de grande instance de Libourne statuant en la forme des référés J E, I E et la société SCI Veuliah aux fins de voir désigner un mandataire ad hoc dans la perspective précitée.

Par ordonnance du 9 mai 2019, le président du tribunal de grande instance de Libourne a :

- déclaré la demande principale de désignation d'un mandataire de M. B D E, Mme X E et M. C E irrecevable,

- déclaré la demande reconventionnelle de mise sous séquestre des parts sociales irrecevable devant le président du tribunal de grande instance,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- rejeté toutes les autres demandes,

- condamné les demandeurs aux dépens.

Pour statuer ainsi qu'il l'a fait le juge a pour l'essentiel retenu, que s'agissant de la demande faite à la gérante de provoquer la délibération de l'assemblée générale, cette demande ne peut émaner que d'un associé, qualité faisant défaut à M. B D E, Mme X E, simplement titulaires de l'usufruit d'un certain nombre de parts leur permettant uniquement d'exercer un droit de vote.

S'agissant des prétentions de C E, le juge a retenu que bien qu'ayant la qualité d'associé, il n'avait pas fait précéder son assignation de la réclamation prévue par les statuts.

M. B D E, Mme X E et M. C E ont relevé appel partiel de cette ordonnance par déclaration au greffe de leur avocat le 3 juin 2019, ne visant que la disposition de la décision qui déclare la demande principale de désignation d'un mandataire de Monsieur B D E, Madame X E et Monsieur C E irrecevable.

Par conclusions au soutien de l'appel transmises par RPVA le 16 juillet 2019, les époux E et M. C E demandent à la cour de :

Vu les articles 39 et suivants du décret 78-704 du 3 juillet 1978

Vu les articles 809 et 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 1961 du code civil

Vu les statuts de la société VEULIAH,

- réformer l'ordonnance rendue le 9 mai 2019 en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande principale de désignation d'un mandataire ad hoc de M. B D E, Mme X E et M. C E,

Et statuant à nouveau,

- dire M. B D E, Mme X E et M. C E recevables et bien fondés dans leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc,

- désigner tel mandataire qu'il plaira, chargé de :

* provoquer la délibération des associés de la société VEULIAH à l'effet de statuer sur l'ordre du jour suivant :

- Révocation de Madame J E de ses fonctions de gérant

- Nomination de co gérants

- Modifications corrélatives des statuts

- Pouvoirs en vue des formalités,

* en cas de défaillance des associés minoritaires, se substituer à eux pour voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social.

- condamner M. I E et Mme J E in solidum au paiement d'une somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre l'ensemble des frais et honoraires articles 8 et 10 de recouvrement forcé par voie d'huissier, et ce, à titre de complément d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure.

Ils soutiennent pour l'essentiel que dans le silence de la loi et en l'absence d'une position claire du droit positif sur l'extension de la qualité d'associé à l'usufruitier le premier juge les a déclarés irrecevables alors que ni les textes ni la jurisprudence n'ont tranché la question ; que les intimés ne démontrent pas que l'usufruitier n'a pas la qualité d'associé ; qu'il est certain que sans trancher ce débat doctrinal l'usufruitier dispose de certaines prérogatives attachées à la qualité d'associé puisqu'il peut se voir conférer l'ensemble des droits de vote ; qu'il y a lieu de le reconnaître leur qualité à agir ; qu'en tout état de cause rien ne s'oppose à ce que C E lui-même propriétaire de 20 parts en nue propriété du capital de la société puisse agir.

Par conclusions transmises par RPVA le 24 juillet 2019, Mme J E, M. I E et la SCI Veuliah demandent à la cour de :

Vu l'article 39 du décret du 3 juillet 1978,

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,

- confirmer l'ordonnance de Mme la Présidente du tribunal de grande instance de Libourne du 9 mai 2019,

- déclarer irrecevable la demande des consorts E de désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée générale de la société Veuliah pour statuer sur l'ordre du jour fixé dans le courrier des époux E à Mme J E du 14 janvier 2019,

- débouter les consorts E de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner in solidum M. B D E, Mme X E et M. C E à payer à la société Veuliah la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,

- les condamner in solidum aux entiers dépens.

Exposant le contexte des contentieux opposant les parties, ils avancent que toutes les juridictions de fond ayant à ce jour statué ont dénié à l'usufruitier la qualité d'associé, et qu'aucune décision de la Cour de cassation n'a non plus reconnu à l'usufruitier la qualité d'associé.

L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience collégiale du 10 décembre 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Les dispositions de l'article 1873 du Code civil autorisent le démembrement des droits attachés à des parts sociales en nue propriété et usufruit.

Aux termes des statuts de la SCI, le droit de vote est transféré à l'usufruitier : en effet l'article 8 des statuts intitulé 'parts sociales' dispose :

Titre 'la propriété des parts sociales résulte seulement des statuts, des actes qui les modifient, des cessions et mutations ultérieures, qui seraient régulièrement consentis, constatés publiés.

Tout associé peut, après toute modification statutaire, demander la délivrance d'une copie certifiée conforme des statuts en vigueur au jour de la demande. À ce document est annexé la liste mise à jour des associés, des gérants et, le cas échéant, des autres organes sociaux. Les parts sociales ne sont pas négociables.

Droits attachés aux parts' chaque part donne droit dans la répartition des bénéfices ou des pertes, du boni ou du mali de liquidation, à une fraction proportionnelle au nombre de parts existantes. Elle donne également droit de participer aux assemblées générales des associés et d'y voter.

Usufruit 'Si une part sociale est grevée d'usufruit, le droit de vote appartient à l'usufruitier pour toutes les décisions prises lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires, le nu propriétaire en sa qualité d'associé étant convoqué aux assemblées générales, avec voix consultative.

Ainsi, le nu propriétaire a la qualité d'associé, et en l'espèce aucune disposition ni des statuts ni de la loi ne confère à l'usufruitier la qualité d'associé.

Et aux termes des statuts de la SCI et en espèce l'article 14 intitulé 'décisions collectives', seul l'associé a la faculté de demander à la gérante de provoquer la délibération des associés ; cet article dispose en effet:(...)

Convocation : sauf lorsque tous les associés sont gérants, les assemblées sont convoquées par la gérance ou sur la demande de plusieurs associés représentant la moitié au moins de toutes les parts sociales.' (...)

En l'espèce B D et X E (titulaires selon leurs écritures de l'usufruit de plus de 80 % des parts sociales) ont demandé à la gérante de la SCI de provoquer ladite délibération alors qu'ils ont la seule qualité d'usufruitiers titulaires d'un droit de vote et non la qualité d'associés.

C'est donc par une motivation précise et pertinente que la cour adopte que le premier juge a déclaré irrecevables leurs prétentions de voir désigner un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés de la société à l'effet, au principal, de statuer sur la révocation de Mme J E de ses fonctions de gérant, la nomination de cogérants, la modification corrélative des statuts et les pouvoirs en vue des formalités.

Le premier juge a pertinemment retenu qu'aux termes de l'article 39 du décret du 3 juillet 1978, 1'associé non gérant peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée , et que l'article 14 des statuts de la SCI intitulé 'convocation' précise que 'sauf lorsque tous les associés sont gérants, les assemblées sont convoquées par la gérance ou sur la demande de plusieurs associés représentant au moins la moitié de toutes les parts sociales'.

S'agissant de C E, s'il a la qualité d'associé, sous réserve de l'issue du contentieux également pendant devant le tribunal de Grande instance de Libourne à ce sujet, il est constant que l'assignation délivrée en son nom n'a pas été précédée d'une réclamation faite par lui à la gérante dans les termes de l'article 14 des statuts aux fins de provoquer une délibération.

En effet la mise en demeure par lettre recommandée datée du 14 janvier 2019 adressée à la gérante J E (pièce numéro 24 des intimés) est signée des seuls X E et B D E et la signification de cette lettre par acte du huissier du 17 janvier 2019 mentionne toujours qu'il s'agit d'une lettre adressée en recommandé AR émanant de Monsieur et Madame B D E demandant de provoquer la délibération des associés de la société Veuliah, aux fins précitées.

C'est donc pour des motifs précis et pertinents que la cour adopte que le premier juge a déclaré irrecevables les prétentions des époux B D et X E ainsi que de C E. L'ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions.

L'équité commande de condamner in solidum Madame X E et Messieurs B D et C E à payer à la société civile immobilière SCI Veulialh la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires.

Les consorts X E, B D E et C E seront condamnés in solidum aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme, dans les limites de l'appel, l'ordonnance du 9 mai 2019,

Y ajoutant

Condamne in solidum Madame X E et Messieurs B D E et C E à payer à la société civile immobilière SCI Veulialh la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Condamne in solidum Madame X E et Messieurs B D E et C E aux entiers dépens.