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Décisions

Cass. com., 3 mai 2018, n° 15-23.456

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Pau, du 16 juin 2015

16 juin 2015


Statuant tant sur le pourvoi principal formé par MM. X... et Florian Y... (les consorts Y...) et la société Adéquation patrimoine que sur le pourvoi incident relevé par Mme B... , épouse Z... (Mme Z...) ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Z..., M. X... Y... et M. Florian Y... ont constitué la SARL Adéquation patrimoine, chaque associé ayant la qualité de gérant ; que faisant état de l'inexécution de ses obligations par M. X... Y... ainsi que de la mésentente entre les associés, paralysant le fonctionnement de la société, Mme Z... a demandé sa dissolution anticipée pour justes motifs, ainsi que l'annulation de délibérations d'assemblées générales et la condamnation de ses associés et de la société à lui payer des dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que Mme Z... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dissolution de la société Adéquation patrimoine alors, selon le moyen, que la dissolution anticipée de la société peut être demandée en justice pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé ; que ce cas de dissolution, à la différence de celui tiré de la mésentente entre associés, ne suppose pas en outre une paralysie du fonctionnement de la société ; qu'au cas d'espèce, au titre des inexécutions de ses obligations d'associé imputées par Mme Z... à M. X... Y... figurait en première place la manoeuvre ayant consisté pour ce dernier à faire acquérir par la société son fonds libéral pour un prix surévalué, en contournant les règles sur les conventions réglementées ; qu'en repoussant la demande de dissolution au motif que le fonctionnement de la société n'était pas paralysé, sans s'expliquer sur l'inexécution imputée à M. Y..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1844-7, 5° et 1184 du code civil, ensemble l'article L. 223-19 du code de commerce ;

Mais attendu que l'inexécution de ses obligations par un associé ne permet, en application de l'article 1844-7, 5°, du code civil, le prononcé judiciaire de la dissolution anticipée de la société pour juste motif qu'à la condition qu'elle paralyse le fonctionnement de la société ; que le moyen, qui postule le contraire, manque en droit ;

Sur le moyen unique, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, du pourvoi principal :

Attendu que les consorts Y... et la société Adéquation patrimoine font grief à l'arrêt d'ordonner une expertise alors, selon le moyen :

1°/ que le juge qui requalifie l'objet d'une demande dont il est saisi doit inviter au préalable les parties à conclure ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a dit que la demande formée par Mme Z... avait pour objet non pas la cession forcée de ses parts sociales mais son retrait de la société et a fait droit à l'exercice de celui-ci en la déclarant légitime ; qu'en statuant ainsi, sans rouvrir les débats, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société, leur valeur est déterminée par expert ; que dans les sociétés civiles, le retrait d'un associé peut être autorisé par décision de justice pour de justes motifs ; que la cour d'appel qui a relevé que les statuts de la société n'avaient pas prévu l'exercice d'un droit de retrait, mais qui a énoncé faire droit à la demande de Mme Z... en ce sens, sans constater que la forme de la société le permettait, a violé les articles 1843-4 et 1869 du code civil ;

3°/ que dans leurs conclusions, les consorts Y... et la société Adéquation patrimoine ont exprimé leur refus de voir ordonner la cession forcée de ses parts sociales par Mme Z... ; qu'en retenant que les parties s'accordaient sur le principe de la cession mais s'opposaient quant au prix, la cour d'appel a dénaturé les écritures des parties et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel s'étant bornée, dans le dispositif de son arrêt, à ordonner une expertise judiciaire, le moyen, exclusivement dirigé contre des motifs de l'arrêt, qui ne sont pas le soutien de ce chef de dispositif, est irrecevable ;

Mais sur le même moyen, pris en ses deux premières branches :

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

Attendu que pour condamner solidairement les consorts Y... et la société Adéquation patrimoine à payer à Mme Z... une certaine somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que si les délibérations relatives au changement de calcul de la rémunération des gérants et à la révocation de Mme Z... de ses fonctions de gérant ne peuvent être qualifiées d'abus dans la mesure où elles n'ont pas eu d'effet contraire à l'intérêt social au point de pouvoir justifier leur annulation, il n'en demeure pas moins qu'elles s'inscrivent dans un contexte global qui avait pour but l'éviction de Mme Z..., en créant une situation intenable pour elle avec pour objectif de la faire céder sur le prix de cession de ses parts ; qu'il relève que le changement de calcul de la rémunération des gérants a réduit substantiellement ses revenus, sans que la cour soit cependant en mesure de déterminer précisément les facteurs de cette perte ; qu'il retient que la décision de ne plus répartir les dividendes entre les associés, contrairement aux années précédentes et sans qu'il soit prévu d'investissement particulier, a privé Mme Z... d'une source de revenus complémentaires, et que la brusque révocation de la gérance l'a privée de toute rémunération à compter de janvier 2013 et exclue de la gestion de l'entreprise, la privant d'un droit de regard sur la gestion de la clientèle ; qu'il en déduit que ces décisions successives ont de toute évidence nui aux intérêts de Mme Z... et lui ouvrent droit à l'allocation de dommages-intérêts ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir exclu l'abus de majorité et sans caractériser aucune faute distincte commise par les consorts Y... et la société Adéquation patrimoine, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi incident ;

Et sur le pourvoi principal :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement la société Adéquation patrimoine, M. X... Y... et M. Florian Y... à payer à Mme Z... la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu, le 16 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.