Cass. com., 22 mai 2001, n° 98-19.086
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
M. Leclercq
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
Me Roger, SCP Defrenois et Levis
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 3 juin 1998), que le 17 juin 1992, une assemblée générale de la Société anonyme d'exploitation du Château Giscours (la SAEGC) dont la totalité du capital était détenu par des membres de la famille Z..., a décidé d'une augmentation de capital jusqu'à hauteur de 39 millions de francs en une ou plusieurs fois ; que le 2 décembre 1992 le conseil d'administration a décidé d'une première augmentation de capital de 350 000 francs par l'émission de 3 500 actions de 100 francs chacune avec une prime d'émission de 5 900 francs par actions ; que par décision du 17 décembre 1992, l'augmentation de capital a été portée à 520 000 francs dans les mêmes conditions ; qu'enfin le conseil d'administration ayant constaté que l'augmentation avait été souscrite à hauteur de 437 000 francs, une assemblée générale extraordinaire du 16 février 1993 a porté le capital de 1 437 000 francs à 10 millions de francs par incorporation d'une partie de la prime d'émission ; que certains actionnaires, les consorts A... et les époux Nicolas Z..., ont demandé judiciairement l'annulation de l'augmentation de capital, contestant le montant de la prime d'émission qui, selon eux, n'aurait pas été causée compte tenu de la situation de la société et n'aurait eu d'autre objet, grâce à un abus de majorité, que de permettre aux époux Pierre Z..., actionnaires majoritaires de le demeurer ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les époux Nicolas Z... et les consorts A... reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande alors, selon le moyen, qu'une augmentation de capital conçue avec une prime d'émission correspondant à 59 fois la valeur des actions afin d'empêcher les actionnaires minoritaires de devenir majoritaires, constitue une fraude et qu'en n'examinant pas comme il lui était demandé, si le mobile ayant amené les actionnaires majoritaires, dont le conseil d'administration représentait les intérêts, ne consistait pas à détourner de sa fonction la prime d'émission pour éviter de perdre la majorité, en émettant très peu d'actions avec une prime d'émission destinée en réalité à renflouer le capital au détriment de l'intérêt social et des actionnaires minoritaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 179 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, par une appréciation concrète de la situation de la société à la date de l'augmentation de capital litigieuse, sur la base des documents comptables alors disponibles et produits aux débats, estimé que le montant des réserves, du chiffre d'affaires et de la valeur du stock justifiait le montant de la prime d'émission et retenu que si la situation de la société exigeait l'apport de capitaux propres, les modalités adoptées ne contrevenaient pas à l'objectif visé et écarté par cette appréciation souveraine l'existence de la fraude invoquée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que les époux Nicolas Z... et les consorts Z... X... font encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le moyen :
1 / que la cause est le motif illicite ou immoral qui a déterminé le consentement ; qu'en considérant valide une augmentation de capital avec une prime d'émission de 5 900 francs par action alors que la cause de cette prime d'émission ne consistait que dans le désir des actionnaires majoritaires d'abuser de leur majorité en reconstituant le capital social auquel ils ne pouvaient souscrire par de nouvelles actions, faute de moyens financiers, au détriment des actionnaires minoritaires, la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil ;
2 / que l'obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite ne peut avoir d'effet ; que la cour d'appel qui a retenu le montant des réserves et la valeur du stock ainsi que le chiffre d'affaires sans rechercher si la dégradation considérable des comptes de la société en trois ans ne privait pas de cause la prime d'émission, puisque le solde de la société était positif de 18 848 000 francs au 31 décembre 1989, le compte était débiteur de 26 893 714 francs en 1991 et qu'au 31 décembre 1992 une nouvelle perte de 10 089.331 francs venait s'ajouter, soit en deux ans un total de pertes de 45 953 000 francs, a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du Code civil ;
3 / que la cour d'appel qui considère que l'augmentation des pertes n'est liée qu'à une dotation aux provisions et aux amortissements de 37 748 000 francs a ainsi dénaturé par omission le rapport de l'expert judiciaire Paquier qui explique que la cause de cette dotation résulte dans la dette de la SMEFF, société contrôlée par M. Pierre Z..., du groupe des actionnaires majoritaires, qui s'élevait au 1er janvier 1993 à la somme de 38 670 253,81 francs qui compte tenu de l'état de la société n'avait guère de chance d'être recouvrée, et a ainsi dénaturé ce rapport et violé l'article 1134 du Code civil ;
4 / que l'apport de son droit au bail à une société par le preneur constitue une opération prohibée ; qu'en ne recherchant pas, comme il lui était demandé, si ce chiffre n'était pas établi en raison de la valorisation d'un bail à long terme dont était bénéficiaire la société Jean Perrot, la cour d'appel a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-35 du Code rural ;
Mais attendu, en premier lieu, que le moyen qui se borne, pour soutenir l'existence d'un abus de majorité, à la simple affirmation que, faute de moyens financiers, les actionnaires majoritaires n'auraient pu souscrire à de nouvelles actions est inopérant ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant estimé que le montant de la prime d'émission était justifié, en l'état de la situation de la société au 31 décembre 1992, qui tenait nécessairement compte des pertes des exercices antérieurs, la cour d'appel a écarté l'abus de majorité invoqué, justifiant légalement sa décision ;
Attendu, en troisième lieu, qu'il ne saurait être reproché à la cour d'appel d'avoir dénaturé un document auquel elle ne s'est pas référée ;
Attendu, enfin, que contrairement aux allégations du moyen, les époux Nicolas Z... et les consorts Z... X..., n'avaient pas soutenu dans leurs conclusions que le bénéficiaire du bail à long terme était une société Jean Perrot, mais la SAEGC elle-même ;
D'où il suit que le moyen qui n'est pas fondé en ses trois premières branches, manque en fait en la quatrième ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.