Cass. com., 21 octobre 2020, n° 19-15.685
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Barbot
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2019), la société Sapsa Bedding (la société débitrice) a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 23 octobre et 11 décembre 2014, la société BTSG étant nommée en qualité de mandataire judiciaire puis de liquidateur. Le 18 novembre 2014, la société [...] (la société [...]) a déclaré une créance correspondant à six factures impayées, émises avant le jugement d'ouverture.
2. Par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 11 décembre 2014, reçue le lendemain par le liquidateur, la société [...] a revendiqué divers biens correspondant aux factures ayant fait l'objet de sa déclaration de créance.
3. Le 24 décembre 2014, un commissaire-priseur a réalisé la prisée, valant inventaire, des biens dépendant de l'actif de la liquidation judiciaire.
4. Le 11 février 2015, la société [...] a saisi le juge-commissaire d'une requête en revendication de ces biens et, par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 9 mars 2015, a rappelé au liquidateur sa revendication du 11 décembre 2014 en demandant quelle suite y avait été donnée.
5. Par une ordonnance du 4 mars 2015, le juge-commissaire a autorisé la vente aux enchères publiques des biens dépendant de la liquidation. La vente a eu lieu les 15 et 16 avril 2015, pour un prix total de 827 050 euros.
6. Par une ordonnance du 18 juin 2015, statuant sur la requête en revendication du 11 février 2015, le juge-commissaire a autorisé la société [...] à reprendre les biens revendiqués entre les mains du débiteur, « sous réserve de la vérification de leur existence en nature au jour du jugement d'ouverture. »
7. Reprochant au liquidateur d'avoir vendu les biens revendiqués, la société [...] l'a assigné en responsabilité civile personnelle.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
9. La société BTSG fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société [...] les sommes de 71 360,36 euros à titre de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que le liquidateur ne peut être tenu de respecter les droits des tiers que dans la mesure où ils sont opposables au débiteur ; qu'en imputant à faute au liquidateur judiciaire de ne pas s'être abstenu de procéder à la vente des marchandises de la société débitrice en présence d'une requête en revendication formée par la société [...], quand la société revendiquante ne pouvait exercer de droits que si son action en revendication était accueillie de manière non conditionnelle, la cour d'appel a violé les articles 1240 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et L. 624-16 du code de commerce ;
2°/ qu'il incombe à toute personne qui revendique un bien de prouver qu'elle en est propriétaire et, à cette fin, de fournir des éléments précis permettant son identification ; qu'en imputant à faute au liquidateur judiciaire de ne pas s'être abstenu de procéder à la vente des marchandises de la société débitrice , sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la société [...] avait fourni des éléments précis d'identification des biens qu'elle entendait revendiquer, comme il lui appartenait de le faire pour que sa revendication soit valable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1240 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et L. 624-16 du code de commerce ;
3°/ que dans ses conclusions d'appel, le liquidateur judiciaire faisait valoir que l'ordonnance du 18 juin 2015 du juge-commissaire précisait que, s'il était fait droit à la revendication de la société [...], c'était sous la réserve de la vérification de l'existence en nature des biens revendiqués, au jour du jugement d'ouverture de la procédure, qu'il appartenait donc à la société revendiquante de préciser les marchandises qu'elle revendiquait et de prouver que celles-ci se retrouvaient en nature à cette date, tandis que les descriptions des biens évoqués dans sa requête en revendication (« sommiers mousse éco ») ne correspondaient pas aux marchandises en possession de la société Sapsa Bedding (« sommiers bruts »), et qu'elle n'avait fourni aucun élément précis d'identification des biens litigieux postérieurement à l'ordonnance précitée, de sorte que la société revendiquante n'avait pas établi qu'elle pouvait se prévaloir de cette ordonnance et en avait respecté les conditions ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Ayant exactement énoncé qu'il appartient aux organes de la procédure collective de s'abstenir de procéder à la réalisation d'actifs sur des biens objets d'une clause de réserve de propriété dont ils connaissent l'existence, sauf accord du vendeur à qui ils doivent payer le solde du prix restant dû sur le matériel, l'arrêt constate, d'abord, par motifs propres et adoptés, que la procédure collective de la société débitrice a été ouverte le 23 octobre 2014 et la société BTSG nommée liquidateur le 11 décembre 2014, que le liquidateur a reçu la requête aux fins d'acquiescement à la revendication le 12 décembre suivant, qu'il avait connaissance de la clause de réserve de propriété invoquée par la société [...] à la même date, que cette société a saisi le juge-commissaire d'une requête en revendication le 11 février 2015, que le liquidateur, autorisé par l'ordonnance du 4 mars 2015, a vendu tous les biens du débiteur en avril 2015 et que l'ordonnance du 18 juin 2015 a accueilli la demande de revendication de la société [...], sous réserve de la vérification de l'existence des biens revendiqués en nature au jour du jugement d'ouverture de la procédure.
11. L'arrêt relève, ensuite, que la déclaration de créance de la société [...] était accompagnée de bons de commandes et bons de livraison correspondant aux six factures impayées, émises au titre des marchandises ayant fait l'objet de la demande de revendication, livrées à la société débitrice entre les 16 septembre et 16 octobre 2014 et correspondant à des pièces en bois pré-débitées pour fabriquer des lits, des traverses et des sommiers. Relevant encore que l'inventaire du 24 décembre 2014 inclut un stock de matières premières avec la mention « sous clause de réserve de propriété éventuelle » et que cette partie de l'inventaire n'est ni détaillée ni exploitable, l'arrêt énonce exactement qu'en présence d'un inventaire incomplet, sommaire ou inexploitable, qui équivaut à l'absence d'inventaire obligatoire, la preuve que le bien revendiqué n'existe plus en nature au jour du jugement d'ouverture incombe au liquidateur, puis il retient qu'au vu des pièces qui lui sont soumises, la société BTSG ne rapporte pas cette preuve.
12. Par ces énonciations, constatations et appréciations, qui font ressortir, d'un côté, que la société BTSG était informée de la demande de revendication de la société [...] formée dans les délais légaux, de l'autre, que l'ordonnance du 18 juin 2015 avait accueilli la demande de revendication en son principe en l'assortissant d'une réserve qui, dès lors qu'elle permettait une contestation ultérieure sur l'existence des biens en nature à la date du jugement d'ouverture, obligeait le liquidateur à faire preuve de prudence en se mettant en mesure de représenter le prix des marchandises revendiquées après avoir vendu l'ensemble des biens de la société débitrice, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à d'autres recherches et a ainsi répondu aux conclusions invoquées par la troisième branche, a pu retenir, à la charge de la société BTSG, une faute engageant sa responsabilité personnelle à l'égard de la société [...].
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.