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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 8 décembre 2009, n° 08/21540

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Commerciale Richelieu (SARL)

Défendeur :

SPB (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Degrandi

Conseillers :

Mme Moracchini, Mme Delbes

Avoués :

SCP Baufume-Galland-Vignes, Me Teytaud

Avocats :

Me Gassenbach, Me Malka

T. com. Paris, du 21 oct. 2008, n° 20070…

21 octobre 2008

Vu le jugement rendu le 21/10/2008 par le tribunal de commerce de Paris, qui, dans ses dispositions essentielles et en ordonnant l'exécution provisoire, a dit qu'aucun accord définitif sur la cession d'une participation majoritaire au capital du groupe Coris à S. n'avait été formé, a dit que la Compagnie Commerciale Richelieu (CCR) avait le droit de rompre les pourparlers avec la société SPB, a dit fautives les conditions de rupture par CCR des pourparlers ouverts avec S., tendant à la cession d'une participation majoritaire dans Coris et a condamné CCR à payer la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts et celle de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a rejeté toutes les autres demandes ;

Vu les appels interjetés le14/10/2008 par la société CCR et le 5/12/2008 par la société SPB à l'encontre du jugement susdit ;

Vu l'ordonnance de jonction des deux procédures nées des appels intervenue le 9/6/2009 ;

Vu les conclusions signifiées le 19/10/2009 par la société CCR, qui, après infirmation du jugement, demande à la cour de débouter la société SPB de toutes ses demandes et de condamner cette dernière au paiement de la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées le 9/10/2009 par la société SPB, qui demande à la cour, à titre principal, de condamner la société CCR à lui payer la somme de 787.922,71 € à titre de réparation de la perte subie, celle de 4.700.000 € à titre de réparation du gain manqué , celle de 100.000 € à titre de réparation du préjudice d'image, à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement sur le quantum de la condamnation prononcée et de condamner CCR pour rupture des pourparlers contractuels au paiement des sommes de 787.922,71 € , à titre de réparation de perte subie, 4.230.000 € à titre de réparation du gain manqué, 100.000 € à titre de réparation du préjudice d'image, en tout état de cause, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société CCR de sa demande reconventionnelle, et de la condamner au paiement de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

SUR CE

Considérant que la société SPB, dont les principaux clients sont des banques, des opérateurs de téléphonie, des groupes de distribution, est un courtier d'assurances spécialisé dans les programmes d'assurances dits affinitaires dont la caractéristique est d être conçus, sur mesure, pour des clients distribuant des produits d'assurance sous leur propre marque ; que CCR, qui est une société holding, à capital détenu par la famille E. et principalement par son dirigeant Monsieur Fernando E., contrôle la société Coris International, laquelle exerce sur le territoire français l'activité de gestionnaire de sinistres pour le compte de sociétés d'assurances et de banques et intervient comme intermédiaire d'assurances ;

Considérant que S. et CCR se sont rapprochées à la fin de l'année 2005 ; que le 9/6/2006, les parties sont convenues d'un accord sur le principe d'une prise de participation par S. de 60 % du capital de la société Coris International ; que le 11/8/2006,SPB a émis une lettre d'intention contresignée par Monsieur Fernando E., gérant de CCR ; que S. a fait citer, par acte du 3/4/2007, CCR devant le tribunal de commerce de Paris, et demandé à titre principal qu'il juge que CCR avait rompu, de manière fautive, l'accord conclu avec S. en vue de la cession de contrôle du groupe Coris, à titre subsidiaire, qu'il juge que CCR avait rompu les pourparlers contractuels avec S. en vue de la cession du contrôle du groupe Coris et qu'il condamne en conséquence CCR à payer à S. 787.922,71 € , correspondant aux coûts engagés dans le cadre de l'opération, à titre de réparation de la perte subie, 4.700.000 € à titre de réparation du gain manqué, 100.000 € à titre de réparation de son préjudicie d'image ; que c'est dans ces circonstances et conditions qu'est intervenu le jugement déféré ;

Considérant que, devant la cour, S. soutient qu'un accord exécutoire a été conclu entre S. et CCR dès le 11/8/2006 sur les éléments essentiels de la cession du contrôle de Coris et que les parties se sont ensuite accordées sur la documentation de cession elle-même, et ont parfait le contrat sur des points secondaires ; qu'elle fait valoir que la lettre d'intention, très précise, loin de servir de simple cadre à une négociation à venir, est, à l'inverse, le résultat de plusieurs mois de négociations qui avaient été marquées par un premier accord de principe le 9/6/2006; qu'elle fixe les éléments essentiels de l'acquisition au sens de l'article 1583 du code civil, soit la chose et le prix, mais encore d'autres éléments considérés comme essentiels par les parties; qu'en effet, selon elle, le11/8/2006, les parties ont arrêté le montant de la participation de S. dans le capital de Coris International, avec la précision du nombre de titres acquis via une augmentation de capital de cette société et du nombre de titres directement cédés par CCR à S., le prix d'acquisition et les modalités de calcul du complément de prix éventuellement dû au cédant, les modalités de paiement du prix d'acquisition, le principe d'une garantie d'actif et de passif pour tout préjudice subi en raison d'un fait générateur antérieur à la cession avec la précision en annexe des filiales du groupe Coris couvertes par cette garantie, le bénéfice au profit du cédant d'une option de vente d'une durée de cinq ans portant sur le reliquat de sa participation dans le capital de Coris International après cession du contrôle de cette dernière à S., les termes du pacte d'actionnaires devant être conclus entre les parties ; qu'elle ajoute qu'en signant cette lettre d'intention CCR s'est engagée de manière ferme et irrévocable dans les termes de cette lettre, sous réserve de deux conditions suspensives, tenant, d'une part, à la validation des principales informations par l'audit qui serait mené par S. sur le groupe Coris et, d'autre part, à l'approbation de l'opération par le conseil de surveillance de S., lesquelles ont été réalisées au 4/10/2006 ; que S. prétend en conséquence, qu'en refusant, au mois de novembre 2006, de finaliser et de signer les actes de cession, CCR a rompu de manière fautive l'accord conclu en vue de la cession de contrôle du groupe Coris ;

Considérant que dans la lettre d'intention signée le 11/8/2006, les parties évoquent l intérêt pour la poursuite des négociations en vue de la prise de contrôle majoritaire de la société Coris International et des filiales', la situation qui existerait si (les) négociations devaient aboutir , les conditions et modalités selon lesquelles (S.)ou toute société de son groupe qu'elle se substituerait, serait amenée à acquérir le contrôle de (Coris) ; que S. et CCR affirment que Coris mettra tout en oeuvre pour que ces opérations puissent aboutir dans le cas où (elle) ferait une offre ferme à la signature d'un protocole d'accord matérialisant l'ensemble des opérations et engagements susvisés au plus tard le 15/11/2006, de sorte que les cessions soient opérées en janvier 2007"; que les deux sociétés envisagent la signature d'une garantie d'actif et de passif en ces termes :'cette garantie prévoirait un plafond et une franchise que nous fixerons ensemble après la réalisation de l'audit ... et dans le cas où nous donnerions une suite favorable au projet ; que l'annexe IV de la lettre d'intention, qui est censée préciser les principales dispositions du pacte d'actionnaires est constituée d'une énumération des principales dispositions que pourrait comporter le pacte d'actionnaires à mettre en place entre les actionnaires' et contient une liste de clauses et d'obligations générales qui ne sont ni détaillées ni adaptées précisément au cas d'espèce ; que le paragraphe C ( page 7de la lettre ) prévoit qu' "il est bien entendu qu'en tout état de cause la réalisation de la cession de contrôle de la société dans les conditions ci-dessus serait expressément subordonnée à l'accord conjoint sur les protocoles d'accord, garantie d'actif et de passif et autres documents annexes que (les) conseils rédigeraient dès lors que toutes les autres conditions auront été satisfaites" ;

Considérant que, compte tenu des termes utilisés dans la lettre d'intention, de l'emploi qui y est fait du conditionnel, il ne peut être retenu que cet acte contient une offre précise, complète et ferme ainsi qu'une acceptation claire portant sur les éléments essentiels du contrat et qu'il révèle une volonté non équivoque et délibérée de s'engager ; qu'au contraire, ses stipulations expresses, claires et précises démontrent que les parties étaient toujours, au mois de novembre 2006, au stade des pourparlers précontractuels et que la signature d'un pacte d'actionnaires et d'une convention de garantie de passif et d'actif sont des éléments essentiels à la conclusion du contrat de cession ;

Considérant, en conséquence, que c'est à juste titre que les premiers juges ont dit qu'aucun accord définitif n'était intervenu sur la cession d'une participation majoritaire au capital du groupe Coris et que CCR avait le droit de rompre les pourparlers engagés avec S. ;

Considérant que la rupture fautive des pourparlers peut justifier l'allocation de dommages-intérêts ;

Considérant que la lettre d'intention constitue un accord de principe en ce sens que les parties se sont obligées à poursuivre de bonne foi les négociations en cours sur les conditions dans lesquelles l'acquisition envisagée par S. de 60 % des actions détenues par CCR dans le capital de Coris international pourrait être réalisée ;

Considérant que S. expose le déroulement des faits de la façon suivante ; que dès l'été 2006, elle a associé Coris à la mise en oeuvre de ses projets de développement en France et à l'étranger ( pièces 8 à 18 ) ; que le comité d'entreprise a été consulté (pièce 25) ; que l'audit financier a été réalisé le 8/9/2006 ; que le conseil de surveillance (pièce 20) , auquel participaient Messieurs E., a donné son autorisation ; qu'au mois d'octobre, la décision a été prise de communiquer sur l'opération ; que les 10 et 11 octobre 2006, les équipes de direction de S. et Coris se sont réunies à Bratislava (pièce 28) ; que le numéro d'octobre du journal mensuel de S. intitulé Explorer a été consacré au rapprochement S./Coris et a publié des entretiens avec les dirigeants des deux sociétés sous le titre S. Coris une alliance prometteuse (pièce 26) ; que les parties ont formalisé la documentation d'acquisition et tenu une réunion le 26/9/2006 ; que des projets et contreprojets ont été échangés ; que S. a intégré certaines modifications dans la nouvelle version circularisée le 4/10/2006 ; que les parties sont convenues d'une réunion le 7/11/2006 afin de finaliser le texte, des divergences subsistant sur les conditions et modalités de la garantie de passif, et de signer les actes ; que dès le début de la réunion, CCR a indiqué qu'elle ne voulait plus réaliser l'opération, motif pris de l'absence de garanties de la part de S. sur les synergies attendues du rapprochement ; qu'elle a confirmé sa position par mail ( pièce 34) en exigeant un engagement ferme d'apports d'affaires de S. au profit de Coris International ; que le 20/11/2006 (pièce 35), S. a organisé une présentation sur les synergies Coris SPB ; que le 24/11/2006, CCR a maintenu sa décision ; que par courriers des 25 et 29 novembre 2006, S. a répondu que cette décision constituait une violation caractérisée des engagements négociés et conclus entre les parties, et qu'elle entendait préserver ses droits pour le préjudice considérable que la décision de CCR lui faisait subir ; que par lettre du 14/12/2006 (pièce 38), CCR, pour expliquer la rupture, a dit que les synergies n'étaient ni réelles ni immédiates et qu'il n'était question que d'un potentiel de développement ce qui par définition est purement hypothétique puis a évoqué les divergences sur la garantie de passif, l'absence d'accords sur les rémunérations, le non respect des engagements relativement à la participation au directoire ;

Considérant que CCR, qui ne conteste aucune des étapes du processus, soutient tout d'abord, que c'est à la suite de la réunion du 20/11/2006 (pièce 12), que l'impossibilité d'un accord sur la chose et sur le prix est apparue irréversible, du fait qu'elle n'a pas obtenu de réponses satisfaisantes sur les synergies envisagées ; qu'ensuite, l'ayant informé en cinq jours, il ne saurait lui être reproché d'avoir maintenu son partenaire dans un espoir devenu vain ; qu'elle ajoute que sa décision est d'autant moins fautive qu'elle fait suite à la prise de conscience que malgré tous les efforts passés, les intéressés ne parviendraient jamais à s'accorder sur l'équilibre économique du contrat projeté comme le démontre le désaccord persistant jusqu'à ce jour sur les comptes de référence de la garantie de passif ;

Considérant, ainsi que le relève à juste titre S., que la question des synergies, qui est la seule à avoir été avancée le 7/11/2006, comme étant de nature à empêcher la finalisation des actes, constitue un prétexte fallacieux ; qu'en effet, ce sujet a été examiné par les deux parties dès le début de leurs discussion et a donné lieu à un accord de confidentialité le 27/5/2005 (pièce 3 de S.); qu'il a constitué le préalable à l'accord de principe du 9/6/2006 et à la lettre d'intention du 11/8/2006 ; que Monsieur E. a, lui-même, lors de la réunion du conseil de surveillance du 4/10/2006, déclaré que Coris International et S. se connaiss(aient) depuis longtemps et que dès 2001, les deux sociétés (avaient) travaillé sur un projet de coopération commerciale ; qu'il a incité les équipes commerciales des deux groupes à se mettre à l'oeuvre ; que dans l'entretien paru dans le journal Explorer , Fernando et Richard E. ont officialisé l alliance conclue avec S., en insistant sur la complémentarité des activités et des implantations géographiques des deux groupes et, en la qualifiant d'essentielle, ont précisé qu'elle constituait un accélérateur de croissance ; que les autres motifs avancés dans la lettre du 4/12/2006 ne sont ni sérieux ni pertinents ; que S. fait valoir à bon droit qu'elle a accepté les contrepropositions et les a intégrées dans le projet de garantie du 4/10/2006 à l'exception de deux d'entre elles ayant trait aux comptes garantis et à la double franchise, qui étaient contraires à l'accord du 11/8/2006 ; qu'en ce qui concerne la participation au directoire, S. précise s'être engagée le 4/10/2006 à réserver un siège à M. E. ou à son fils ; qu'elle a, dans l'attente qu'un poste soit disponible, proposé un poste de directeur général délégué à l'international à Monsieur E., qui permettait au titulaire de siéger au directoire ; qu'ainsi que l'indique S., il est totalement vain pour CCR de prétendre, a posteriori, ériger un simple contretemps affectant provisoirement la mise en oeuvre d'un élément accessoire de la cession au rang de motif déterminant de la rupture, et ce d'autant plus qu'elle avait accepté d'indemniser largement en cas de rupture et de rémunérer Messieurs E., à hauteur respectivement de 250.000 € pour Fernando et 180.000 € pour Richard, ce qui constituait une augmentation très substantielle de leur rémunération ;

Considérant qu'il s'évince de ce qui précède que la rupture des pourparlers est intervenue brutalement, de manière imprévisible et sans motif légitime, alors que S. pouvait croire, sans imprudence de sa part, que les actes de cession allaient être finalisés ; que les premiers juges ont, à juste titre, dit que les conditions de la rupture étaient fautives ; que leur décision sera confirmée ;

Considérant que S. demande à être indemnisée des coûts internes et externes qu'elle a supportés en pure perte en vue de l'acquisition du contrôle du groupe Coris, du gain manqué qu'elle aurait retiré de l'exécution du contrat de cession et du préjudice d'image ;

Considérant que les parties ont réglé dans la lettre d'intention le problème des coûts liés à la transaction' ; qu'il y est spécifié que chaque partie sera responsable de ses propres coûts et débours engagés dans le cadre des négociations et/ou de la transaction envisagée' ; que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'elles doivent être exécutées de bonne foi ; que S. est mal fondée à demander à être indemnisée de ce chef de préjudice ;

Considérant qu'en l'absence d'accord ferme et définitif, le préjudice subi par S. ne peut être constitué par les gains qu'elle pouvait espérer tirer en cas de conclusion du contrat ni même de la perte d'une chance d'obtenir ces gains;

Considérant que compte tenu de la brutalité de la rupture fautive et du discrédit qu'il en résulte pour elle, S. a indiscutablement subi un préjudice que la cour estime devoir indemniser à hauteur de 100.000 € ; que le jugement déféré sera donc infirmé sur le quantum des dommages-intérêts alloués ;

Considérant que CCR, qui succombe et sera condamnée aux dépens, ne peut se voir octroyer des sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'équité commande au contraire qu'elle soit condamnée à verser la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré uniquement en ce qu'il a condamné la Compagnie Commerciale de Richelieu à verser la somme de 50.000 € à S., le confirme pour le surplus,

Statuant du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la Compagnie Commerciale de Richelieu à payer la somme de 100.000 € à S., à titre de dommages-intérêts, ainsi que la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande des parties,

Condamne la Compagnie Commerciale de Richelieu aux dépens d'appel et admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.