CA Amiens, ch. économique, 28 janvier 2003, n° 01/04279
AMIENS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
PVI Systems (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chapuis de Montaunet
Conseillers :
M. Roche, Mme Rohart-Messager
Avoués :
SCP Le Roy, SCP Selosse Bouvet et André
Avocats :
Me Baube, Me Denieul
Vu le jugement du 9 novembre 2001 par lequel le Tribunal de Commerce de SENLIS a : - prononcé la nullité de la cession de parts sociales de la STE PVI à la STE PVI SYSTEMS intervenue le 10 mai 2000, - condamné solidairement les époux X... à :
* rembourser à la SA. PVI SYSTEMS la somme de 114.176,69 € (748.950 F) avec intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2000,
* payer à la SA. PVI SYSTEMS la somme de 7.622,45 € (50.000 F) au titre de son indemnisation du préjudice matériel,
* payer sous la même solidarité à Mme Y... la somme de 31.920,94 € (209.387,61 F) en réparation du préjudice matériel de celle-ci outre 1 F en réparation de son préjudice moral,
* payer à Mme Y... la somme de 1.067,14 € (7.000 F) et à la SA. PVI SYSTEMS la somme de 2.286,73 € (15.000 F) par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. *
Vu l'appel interjeté par les époux X... et leurs conclusions enregistrées le 2 décembre 2002, et tendant à :
- infirmer le jugement et débouter la STE PVI SYSTEMS et Mme Y... de l'intégralité de leurs demandes,
- statuant à nouveau, condamner la STE PVI SYSTEMS à payer :
* à M. X..., la somme de 11.449,68 € exigible depuis le 30 juin 2001 majorée des intérêts au taux maximum des comptes courants déductible par la STE PVI SYSTEMS outre la somme de 22.867,35 € exigible depuis le 28 février 2001 au titre de la promesse de porte fort de la SARL PVI souscrite par la STE PVI SYSTEMS et ce avec intérêts au taux légal depuis le 28 février 2001 avec capitalisation par application de l'article 1154 du Code civil ;
* à Mme X..., la somme de 11.417,66 € exigible depuis le 30 juin 2001 majorée des intérêts au taux maximum des comptes courants déductible par la STE PVI SYSTEMS ; - condamner solidairement Mme Y... et la STE PVI SYSTEMS à leur payer la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile
ainsi qu'en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP LE ROY, avoué dans les conditions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.
Vu, enregistrées le 4 décembre 2002, les conclusions présentées par la STE PVI SYSTEMS et Mme Y... et tendant à :
Vu l'article 1110 du Code civil, les jugements du Tribunal de Commerce de COMPIEGNE des 9 août 2000 et 22 juin 2001,
- constater l'état de cessation des paiements de la SARL PVI au 31 octobre 1999,
- dire et juger que l'état de cessation des paiements dans lequel se trouvait la SARL PVI avant même la cession de ses parts le 10 mai 2000 l'empêche de réaliser l'activité économique constituant son objet social et affecte donc profondément les qualités substantielles des parts cédées,
en conséquence,
- prononcer la nullité de la cession des parts sociales de la SARL PVI réalisée par l'acte sous seing privé du 10 mai 2000,
Vu les articles 1116 et 1117 du Code civil, les rapports EXCOM et D...,
- constater les nombreuses falsifications dont le bilan de l'exercice 1999 de la SARL PVI a fait l'objet,
- dire et juger que ces falsifications constituent un dol au préjudice des cessionnaires des parts sociales dont le prix a été déterminé sur la base de ce bilan,
en conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé l'annulation de la cession des parts intervenue et en ce qu'il a condamné en conséquence solidairement les époux X... à rembourser à la SA. PVI SYSTEMS la somme de 114.176,69 € (748.950 F) outre intérêts de droit à compter de la date de délivrance de l'assignation,
- constater que les parts de la SARL PVI ne sont pas matérialisées et dire que le seul prononcé de la nullité de la cession réintègre les époux X... dans la propriété de leurs parts, faisant droit à l'appel incident,
Vu l'article 1382 du Code civil, - porter la condamnation des époux X... in solidum à payer à la SA. PVI SYSTEMS à la somme de 60.287,25 € (395.458,42 F) en indemnisation de son préjudice matériel et à 10.000 € au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, - les condamner sous la même solidarité à payer à Mme Y... la somme de 33.538,78 € (220.000 F) en indemnisation de son préjudice matériel et celle de 30.000 € au titre de son préjudice moral, - très subsidiairement, réduire le prix de cession des parts de la SARL PVI et en conséquence débouter les appelants de leur demande de paiement de solde du prix, - condamner sous la même solidarité les appelants aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés par la SCP SELOSSE BOUVET ET ANDRE, dans les conditions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile. SUR CE,
Attendu qu'il résulte de l'instruction que la STE PVI SYSTEMS, qu'avait créée à cet effet Mme Y..., a acquis le 10 mai 2000 auprès de M. et Mme X... la totalité des parts de la STE PVI moyennant le prix de 1.499.440 F payable en partie au comptant et pour le solde conformément à un échéancier s'étalant en cinq années ; que le prix de vente des parts fut déterminé sur la base du bilan arrêté par l'expert-comptable de la STE PVI, au 31 décembre 1999, le chiffre d'affaires net étant établi à 5.622.756 F en progression de 520.000 F sur l'exercice précédent ; que la cession des parts, le paiement de la moitié du prix (étant convenu que le solde serait acquitté par règlements réguliers jusqu'en 2005) et le transfert effectif de la direction de la société eurent lieu le 10 mai 2000 ; que, par ailleurs, dans le cadre de cette reprise Mme Y... s'est portée caution de la STE PVI auprès de la banque SCALBERT-DUPONT pour un montant de 220.000 F ; que, cependant, la situation de référence établie le 29 juin 2000 en vertu du contrat de garantie par le même expert-comptable qui avait établi le bilan au 31 décembre 1999, révélait désormais pour les quatre premiers mois de l'année 2000, une perte de 1.243.827 F pour un chiffre d'affaires de 1.072.809,67 F ; que c'est ainsi qu'à la suite de la déclaration de cessation des paiements effectuée le 31 juillet 2000 par la Direction de la STE PVI le Tribunal de Commerce de COMPIEGNE prononça la liquidation judiciaire de cette dernière et fixa provisoirement la date de cessation des paiements au 4 mai 2000, soit antérieurement à la date de cession de ses parts ;
Qu'ultérieurement, par jugement prononcé le 22 juin 2001 le Tribunal de Commerce de COMPIEGNE, à la demande du liquidateur de la SARL PVI et sur le rapport du Cabinet d'expertise comptable EXCOM mandaté par le juge commissaire a reporté la date de cessation des paiements de la SARL PVI au 31 octobre 1999 soit plus de six mois avant la date de cession des parts litigieuses ;qu'excipant ainsi d'un dol de la part des cédants et d'une erreur provoquée sur les qualités substantielles de la chose vendue la STE PVI SYSTEMS et Mme Y... ont, par acte du 24 octobre 2000, assigné les époux X... devant le Tribunal de Commerce de SENLIS en annulation de la cession de parts et indemnisation de leur préjudice tant matériel que moral ; que c'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement déféré. *
Attendu qu'aux termes de l'article 1110 du Code civil : "l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ... " ;
Attendu que des parts sociales ont pour qualité substantielle de permettre à leur propriétaire de diriger une société ayant une activité économique et commerciale et d'en tirer profit, notamment, par la perception des répartitions des bénéfices générés par l'activité sociale ; qu'en l'espèce, par jugement du 22 juin 2001, le tribunal de commerce, sur requête de Me LEBLANC, ès qualités de liquidateur de la STE PVI, a reporté la date de cessation des paiements de cette dernière au 31 octobre 1999 aux motifs que "le processus de poursuite d'exploitation de la SARL n'avait pu prospérer que par le différé dans le règlement des fournisseurs par l'augmentation du découvert bancaire" et que "la date de cessation des paiements apparût contemporaine du 31 octobre 1999, soit l'époque où elle ne disposait pas d'une réserve de crédit lui permettant de faire face au règlement des créances bancaires et des fournisseurs" ; qu'au demeurant, l'état des créances déposé le 26 avril 2001 révélera un passif admis par le juge commissaire de 2.576.700 F ; que, de même, l'examen des comptes de l'entreprise, lors du dépôt de son bilan, révélait que :
* le 4 mai 2000 une facture de 135.614,96 F d'un fournisseur (HIGHWAY) n'avait pu être payée,
* le 28 juillet 2000 la SOCIETE GENERALE rappelant un solde débiteur de 449.823,13 F mettait en demeure la société de mettre fin à son découvert,
* le même jour l'URSSAF rejetait une demande de sursis à poursuites en notant que les cotisations ouvrières de juin 2000 n'avaient pas été réglées ;
Qu'il sera également observé que la SARL PVI avait pour seule banque la SOCIETE GENERALE ; qu'à l'examen des extraits de compte pour la période d'août 1998 à avril 2000 a pu être relevé une dégradation significative de la trésorerie et plus particulièrement depuis avril 1999, soit une année avant la cession de l'entreprise ; qu'un premier prêt de trésorerie de 104.000 F avait déjà été accordé par la banque au mois de février 1999 ; qu'au mois d'août 1999 la SARL PVI a à nouveau emprunté une somme de 250.000 F en prétextant l'achat de matériel informatique à usage professionnel ; que l'examen des comptes annuels 1999 permet de constater qu'aucun investissement n'a été effectué ; qu'ainsi, ce prêt de 250.000 F est en réalité venu financer le besoin de fonds de roulement de la SARL PVI qui n'a cessé de s'accentuer depuis février 1999 et qui matérialise la dégradation de la rentabilité de l'entreprise.
Attendu qu'eu égard à l'ensemble des éléments de fait et de droit susrappelés les parts cédées par les époux X... se sont révélées être celles d'une société en cessation des paiements et, donc, insusceptible de réserver aux détenteurs de son capital quelque pouvoir de direction ou espoir de gain que ce soit ; que la réalisation de l'activité économique constituant l'objet de la société s'est dès lors révélée impossible et les qualités substantielles attendues, et non pas seulement la valeur, des parts cédées, inexistantes ; qu'en fonction de l'erreur ainsi commise par les acquéreurs sur lesdites qualités substantielles en considération desquelles les parties ont contracté, c'est à juste titre que le tribunal a prononcé, sur le fondement de l'article 1110 précité, la nullité de cession réalisée par l'acte sous seing privé susmentionné du 10 mai 2000 et a condamné solidairement, par voie de conséquence, les époux X... à rembourser à la STE PVI SYSTEMS la somme déjà versée de 748.950 F soit 114.176,69 €, avec intérêts de droit à compter du 24 octobre 2000 ; date de l'assignation en justice.
Attendu, par ailleurs, qu'il ressort de l'ensemble des pièces du dossier, et notamment des rapports d'expertise effectués par le Cabinet EXCOM et M. D..., les faits suivants en ce qui concerne la comptabilité de la STE PVI :
a) majoration artificielle du chiffre d'affaires 1999 pour 948.000 F par :
* décalage de la comptabilisation des chiffres d'affaires de 1998 sur 1999 à hauteur de 528.000 F,
[* majoration fictive du poste "factures à établir" pour 146.500 F, *] établissement de créances fictives pour 295.859 F,
b) sous-évaluation importante du risque de non recouvrement : plus de 80 % des créances étaient exigibles à plus de 90 jours, la sous-évaluation a été évaluée à 450.000 F,
c) absence de provisions pour risque,
d) dissimulation des dettes exigibles (par exemple : créance TICN et créance URSSAF),
e) transfert de marge commerciale par manipulation comptable des stocks (cf. rapport EXCOM pages 13 et 14) ;
Qu'au total, une fois les chiffres rétablis, il apparaît (cf. rapport EXCOM page 14 confirmé par le rapport D...) que les résultats réels de la société cédée étaient négatifs et en dégradation constante depuis quatre années ; que le rapport effectué par le Cabinet EXCOM souligne, enfin, "les variations de marge commerciale au cours des trois derniers exercices ne reflètent pas la situation réelle de l'exploitation : cette situation est consécutive à une mauvaise évaluation des factures et avoirs à établir, associée à une absence de rigueur dans le rattachement des produits à chaque exercice. Les résultats dégagés lors de l'établissement des comptes annuels ne reflètent pas les résultats réels de l'exploitation" ; que si les appelants soutiennent que ce rapport expertal ne saurait être pris en compte eu égard à son aspect non contradictoire, il sera observé que le rapport d'expertise judiciaire de M. D..., dont le caractère contradictoire n'est pas contesté, énonce expressément qu'à la suite des contrôles effectués "l'analyse des comptes par le Cabinet EXCOM se trouve confortée" ; que la présentation des comptes ainsi faite a été de nature à vicier le consentement des acquéreurs en leur dissimulant la véritable situation sociale de l'entreprise et doit être regardée comme constitutive d'un comportement dolosif de nature à justifier également la nullité de la cession, déjà prononcée pour erreur sur les qualités substantielles des parts cédées, ainsi qu'une action en responsabilité délictuelle fondée sur l'article 1382 du Code civil à l'effet d'obtenir réparation du préjudice subi par les intimés. [*
Attendu, à ce titre, que la STE PVI SYSTEMS sollicite la condamnation des époux X... à lui payer l'intégralité des frais exposés pour l'acquisition des parts sociales ainsi que pour le fonctionnement de la STE PVI ; que, cependant, seules les dépenses spécifiques liées à l'acquisition même des parts et évaluées de la façon suivante par les intimés : droits d'enregistrement : 80.285 F, honoraires d'avocat : 69.065,58 F, frais de recherche INPI : 4.522,50 F soit 153.873,08 F et, donc, 23.457,80 € peuvent être regardées comme directement imputables aux époux X..., lesquels seront ainsi condamnés in solidum à en indemniser la STE PVI SYSTEMS ; que, par ailleurs, Mme Y... s'est portée caution de la STE PVI et, à ce titre, a été actionnée en paiement par la BANQUE SCALBERT- DUPONT à hauteur de 209.387,61 F ; que dès lors qu'elle ne se serait pas portée caution sans les manoeuvres dolosives des appelants, ceux-ci ont été à juste titre solidairement condamnés à lui payer la somme de 209.387,61 F soit 31.920,94 € ; qu'une somme de 1 F soit 0,15 € lui a également été allouée à juste titre par les premiers juges, pour l'indemniser du préjudice moral dont elle excipe. *]
Attendu qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement sauf à substituer aux motifs retenus par les premiers juges ceux sous-exposés et à porter à 153.873,08 F soit 23.457,80 € le montant du préjudice matériel de la STE PVI SYSTEMS mis à la charge in solidum des époux X..., à débouter ces derniers de l'ensemble de leurs demandes et à rejeter le surplus des prétentions respectives des intimés.
SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE.
Attendu que les époux X..., condamnés in solidum aux dépens d'appel, verseront, sous la même solidarité, la somme de 2.000 € à la STE PVI SYSTEMS sur le fondement de l'article susvisé.
PAR CES MOTIFS La COUR ;
Statuant publiquement et contradictoirement ;
Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme ; Au fond, confirme le jugement sauf à substituer aux motifs retenus par les premiers juges ceux ci-dessus exposés et à porter à 23.457,80 € le montant du préjudice matériel de la STE PVI SYSTEMS mis à la charge in solidum des époux X... ;
Y ajoutant ;
Déboute les époux X... de l'ensemble de leurs demandes ;
Déboute les intimés du surplus de leurs demandes respectives ;
Condamne in solidum les époux X... aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP SELOSSE BOUVET ET ANDRE, avoué ainsi qu'à payer sous la même solidarité à la STE PVI SYSTEMS la somme de 2.000 € au titre des frais hors dépens.