CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 3 décembre 2009, n° 08/16768
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monin-Hersant
Conseillers :
M. Loos, M. Picque
Avoués :
SCP Baskal - Chalut-Natal, SCP Petit-Lesenechal
Avocats :
Me Dumont, Me Coudert
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 6 avril 2001 intitulé protocole de cession de
participation majoritaire', Mme Agnès D., agissant tant pour elle-même que comme porte-fort de Mmes Isabelle et Emmanuelle N., s'est engagée à céder à Mme Martine T., agissant tant pour elle-même que comme porte-fort de Mme Marie-Noëlle R., les 250 parts sociales détenues par elle dans le capital social de la société MINCEA ainsi que les 50 parts détenues par Mme Isabelle N. et les 200 parts appartenant à Mme Emmanuelle N., soit au total 500 parts au prix unitaire de 100 francs, la cession devant être réitérée par acte séparé conclu le même jour, soumis à enregistrement .
Le même jour, Mme D. a cédé à Mme E. au prix de 50.000 francs la créance qu'elle détenait sur la société MINCEA à hauteur de 128.145 francs, somme payable en 5 mensualités de 10.000 francs entre le 31 mai 2001 et le 30 septembre 2001.
L'acte de cession des 250 parts sociales détenues par Mme D. comporte un chapitre DECLARATIONS SPECIALES comportant les stipulations suivantes :
Corrélativement à la présente session, Mme T. s’engage à rapporter mainlevée des cautions données par Mesdames D. et S. dans le cadre du bail consenti à la SARL MINCEA selon acte authentique du 19 janvier 1999.
De même, Madame T. rapportera mainlevée de la caution donnée par Madame D. au bénéfice de la société MINCEA pour garantir les opérations bancaires de cette société auprès de tous les organismes financiers. Faute de mainlevée des engagements précités, Madame T. garantira Mesdames D. et S. de toute poursuite qui serait exercée à leur encontre, sans pouvoir en discuter le bien-fondé ou opposer quelque réclamation ou moyen de défense que ce soit, le présent engagement de substitution étant expressément stipulé à première demande, quelque soit la situation de la société MINCEA au jour où la (les) garantie(s) serait(ent)appelée(s).
Par ailleurs, l'acte intitulé protocole de cession de participation majoritaire comporte les mentions suivantes :
- à l'article INSCRIPTION, figurent les inscriptions prises au titre de la sécurité sociale par la CIPS et le nantissement pris par la BICS,
- à l'article CHIFFRE D’AFFAIRES-RESULTATS, figurent les chiffres afférents aux exercices clos au 31 décembre 1999 et au 31 décembre 2000,
- à l'article AJUSTEMENT DE GARANTIE, les mentions selon lesquelles le prix ne pourra pas être révisé avec en outre absence de toute garantie de passif,
- à l'article DECLARATION DU CEDANT, l’affirmation de la régularité de la comptabilité, de l'absence de dettes autres que courantes, de l'absence de litige avec quiconque sous réserve des réclamations BODY LOOK et ANTINEA.
Par jugement prononcé le 10 décembre 2001, le Tribunal de commerce d'Evry a prononcé la liquidation judiciaire de la société MINCEA, a fixé la date de cessation des paiements au 3 décembre 2001 et a désigné Maître SOUCHON en qualité de liquidateur.
Un litige oppose Mmes D. et T., Mme D. réclamant la garantie de Mme T. pour les sommes qu'elle a dû verser en sa qualité de caution et Mme T. contestant la validité de la cession.
Vu le jugement prononcé le 30 mai 2008 par le Tribunal de Grande Instance d'Evry qui a:
- débouté Mme T. de sa demande de nullité de l'acte de cession,
- débouté Mme T. de sa demande de nullité de la clause de reprise des cautions,
- condamné Mme T. à garantir Mme D. :
* des condamnations en principal, frais, intérêts et accessoires courus et restant à courir prononcées par jugement rendu le 31 décembre 2002 par le Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Fontainebleau,
* des condamnations en principal, frais, intérêts et accessoires courus et restant à courir prononcées par arrêt de la Cour d'Appel de Paris (affaire BICS), outre les dépens afférents à cette procédure,
- donné acte à Mme D. de ce qu'elle se réserve le droit d'appeler en garantie Mme T. dans le cadre de toute autre action qui pourrait être diligentée à son encontre au titre des cautionnements donnés par elle au profit de la société MINCEA,
- condamné Mme T. à payer à Mme D. la somme de 1.800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu l'appel déclaré le 26 août 2008 par Mme E.,
Vu les dernières conclusions déposées le 10 juin 2009 par Mme E., appelante,
Vu les dernières conclusions déposées le 9 juin 2009 par Mme D., intimée,
SUR QUOI, LA COUR
a) Sur la demande de nullité de l'acte de cession
Considérant que Mme T. demande à la Cour d'annuler l'acte de cession du 6 avril 2001 ainsi que le protocole d'accord de cession de participation majoritaire daté du même jour pour dol; qu'elle fait valoir que Mme D. l'a sciemment trompée sur la situation de la société en présentant des résultats erronés; qu'elle expose que le bilan actif et passif de la société au 31 décembre 2000 figurant en annexe du protocole de cession comporte des chiffres faux; que les pertes au 31 décembre 1999 chiffrées à 232.984 francs ont en réalité porté sur 407.791 francs soit 62.167,33 euros selon le rapport SEGES dressé à la demande de Maître SOUCHON, liquidateur de la société ; qu'au 31 décembre 2000, les pertes chiffrées dans le bilan à 57.014 francs ont en réalité atteint 207.604,24 francs selon les conclusions du cabinet d'expertise comptable ACDS; qu'une provision de 263.000 francs aurait dû être passée au 31 décembre 2000 en raison de deux procédures contentieuses en cours et qu'inversement un droit incorporel a été porté à l'actif à hauteur de 149.841 francs correspondant à un contrat de franchise enseigne ANTINEA qui avait été résilié en avril 1999; qu'une somme de 7.528 francs aurait dû figurer au passif au titre des pénalités fiscales et sociales et majorations de retard; que les déclarations de créances à la procédure de liquidation ont confirmé la présence d'un passif dissimulé; qu'au jour de la cession, les loyers de janvier à avril 2001 n'avaient pas été acquittés;
Considérant que Mme D. demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de la cession ; qu'elle expose que les erreurs comptables invoquées par l'appelante sont dépourvues de conséquences, s’agissant de simples erreurs, de traitements incorrects, n'entraînant en rien une modification des résultats de la société MINCEA' , erreurs de surcroît imputables à l'expert-comptable de la société;
Mais considérant que, si Mme D., gérante de la société MINCEA du 29 mars 2000 au 6 avril 2001, se trouve ainsi extérieure aux mentions figurant dans le bilan de la société au 31 décembre 1999, la situation est différente concernant l'exercice clos au 31 décembre 2000 puisque Mme D. doit garantir la véracité des chiffres figurant au bilan arrêté à cette dernière date et doit répondre personnellement des griefs de dissimulation qui lui sont reprochés; que Mme D. a notamment déclaré dans le protocole de cession de participation majoritaire que la société avait tenu une comptabilité régulière;
Considérant qu'il résulte du rapport du cabinet d'expertise comptable ACDS qui a repris la comptabilité de la société MINCEA le 1° juin 2001 en remplacement de Mme Q. que le résultat de l'exercice clos au 31 décembre 2000 présentait une situation négative non pas de de 57.014,78 francs mais de 207.604,24 francs; qu'il doit être relevé que, si l'absence de provision au titre des litiges ANTINEA et BODY LOOK ne peut être retenue comme fautive dès lors que l'acte de cession mentionne ces deux contentieux et précise que la cessionnaire a pris connaissance des réclamations, d'autres irrégularités s'apparentent à des dissimulations; qu'un droit incorporel a en effet été porté à l'actif à hauteur de 149.841 francs correspondant à un contrat de franchise enseigne ANTINEA alors que la cédante avait nécessairement connaissance de sa résiliation en avril 1999; que, de même, ont été occultées des pénalités fiscales et sociales et majorations de retard pour un montant de 7.528 euros qui auraient dû figurer au passif; qu'enfin aucune information n'a été donnée lors de la cession sur l'absence de règlement des loyers depuis janvier 2001;
Considérant, dans ces conditions, que Mme T. est bien fondée à soutenir avoir été victime d'un dol au sens de l'article 1116 du Code civil, la situation financière réelle de la société lui ayant été dissimulée par la présentation de documents comptables comportant des chiffres inexacts; qu'elle peut d'autant mieux prétendre que la situation financière était déterminante de son engagement que, dans la clause ajustements et garanties figurant dans le protocole de cession, les parties ont prévu une absence de convention de garantie le prix ayant été déterminé connaissance prise de l’exacte situation financière de la société';
Considérant que la nullité de l'acte de cession de parts comportant la clause de reprise de caution emporte nécessairement nullité du protocole de cession de participation majoritaire et nullité de l'acte de cession de créance, ces trois actes conclus le même jour entre les mêmes parties étant indivisibles ; que Madame D. doit dès lors être déboutée de ses demandes en garantie et de toutes ses autres réclamations ;
b) Sur les autres demandes
Considérant que Mme T. ne prouve aucunement le préjudice moral qu elle invoque ; qu elle doit être déboutée de cette demande ;
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Annule l'acte de cession de parts, le protocole de cession de participation majoritaire et l'acte de cession de créance conclus le 6 avril 2001 entre Mme D. et Mme T. ;
Déboute Mme D. de toutes ses demandes ;
Condamne Mme D. à verser à Mme T. la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne Mme D. aux entiers dépens de première instance et d'appel et accorde à la SCP BASKAL CHALUT-NATA, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.