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Décisions

Cass. com., 30 septembre 2020, n° 18-17.353

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

M. Ponsot

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

Me Occhipinti, SCP Rousseau et Tapie

Paris, du 14 mars 2018

14 mars 2018

Jonction

1. Il y a lieu de joindre les pourvois n° J 18-17.353 et n° V 18-18.168, qui attaquent le même arrêt.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à MM. E..., H... et Q... C... du désistement de leur pourvoi (n° J 18-17.353) en ce qu'il est dirigé contre la société Alco.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2018), par acte du 28 décembre 2011, la société Stainless Europe (la société Stainless) a acquis de MM. E..., H... et Q... C... ( les consorts C...) la totalité des actions de la société Alco que ceux-ci détenaient directement ou indirectement, moyennant un prix de cession payable au comptant outre le versement éventuel de deux compléments de prix dépendant, pour ce qui est du second, du montant de la marge brute telle que constatée lors de l'arrêté des comptes au 31 décembre 2012.

4. Ayant vainement réclamé une somme de 120 000 euros qu'ils estimaient leur être due à ce titre par la société Stainless, les consorts C... ont, comme le stipulait l'acte de cession, fait désigner, par ordonnance sur requête, un expert ayant pour mission de déterminer la marge brute réalisée par la société Alco au cours de l'exercice 2012.

5. Dans son rapport du 22 avril 2014, l'expert a fixé la marge brute à un montant ouvrant droit au versement d'un complément de prix de 80 000 euros en application de l'acte de cession.

6. Estimant avoir été victimes d'agissements déloyaux lors de la conclusion du contrat, les sociétés Stainless et Alco ont assigné les consorts C... en paiement de dommages-intérêts, lesquels ont demandé, reconventionnellement, le paiement de la somme de 80 000 euros au titre du complément de prix.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi n° J 18-17.353

Enoncé du moyen

7. Les consorts C... font grief à l'arrêt du rejet de leur demande en paiement d'une somme de 80 000 euros au titre du complément de prix alors :

« 1°/ que sauf à établir qu'elle ignorait le fait caractérisant la méconnaissance par l'expert judiciaire de l'exigence d'impartialité, la partie ayant participé aux opérations d'expertise en s'abstenant de solliciter la récusation de l'expert n'est plus recevable à solliciter la nullité de l'expertise en invoquant ultérieurement le défaut d'impartialité de l'expert ; que, pour écarter les conclusions de l'expert M. A..., désigné par ordonnance sur requête du juge des référés du tribunal de commerce de Meaux du 22 janvier 2014 afin de déterminer la marge commerciale de la société Alco, servant de base au calcul d'un éventuel complément de prix stipulé dans le protocole de cession d'actions conclu le 28 décembre 2011 entre les consorts C... et la société Stainless, la cour d'appel a retenu que les sociétés Stainless et Alco soulevaient la nullité du rapport comme manquant d'impartialité et d'objectivité, M. A..., expert-comptable désigné à la demande des cédants étant un membre de la famille de l'une des salariés de la société Alco, et que les cédants ne contestaient pas cette proximité, laquelle était selon la cour d'appel de nature à jeter une suspicion sur l'impartialité de l'expert" ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi que le faisaient valoir les consorts C... si les contestations des sociétés Stainless et Alco quant à l'impartialité de l'expert judiciaire n'étaient pas tardives dans la mesure où elles avaient été élevées après dépôt du rapport d'expertise par ces sociétés qui avaient participé aux opérations d'expertise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 237 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que, subsidiairement, il appartient au juge saisi d'une demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire à raison du non-respect prétendu par l'expert de l'exigence d'impartialité de caractériser les éléments permettant d'établir l'existence d'un doute légitime quant à l'impartialité de l'expert ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter les conclusions du rapport établi par M. A..., que ce dernier était "un membre de la famille d'une des salariés de la société Alco" et que les consorts C... ne contestaient pas "cette proximité, laquelle est de nature à jeter une suspicion sur l'impartialité de l'expert", la cour d'appel, qui a statué par des motifs insuffisants pour caractériser l'existence d'un doute sur l'impartialité de l'expert judiciaire, a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 237 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ;

3°/ qu'en tout état de cause il était stipulé dans le protocole de cession du 28 décembre 2011 qu' "à défaut d'accord amiable entre les parties, un expert sera désigné sur requête" ; qu'en se fondant sur les calculs effectués par le commissaire aux comptes et expert-comptable de la société Alco, desquels il résultait qu'aucun complément de prix n'était dû par la société Stainless, quand les parties avaient convenu de confier à un expert judiciaire la détermination de la marge commerciale servant de base au calcul de l'éventuel complément de prix dont la société Stainless serait débitrice, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil (nouvel article 1103 du code civil) ;

4°/ qu'en outre il était stipulé dans le protocole de cession du 28 décembre 2011 qu'"un second complément de prix d'un montant maximum de deux cent trente mille (230 000) euros payable au plus tard le 28 juin 2013 s'établissant comme suit "Si la marge brute commerciale, déterminée selon la formule suivante : chiffre d'affaires hors taxes comprenant les prestations de service s'y rapportant diminué des achats hors taxes de marchandises et service net des frais de transport sur achats et vente + ou - la variation des stocks de marchandises de la société Alco, s'élève au moins à la somme d'un million sept cent quatre vingt dix mille (1 790 000) euros, le cédant bénéficiera d'un complément de prix comme suit : - pour une marge brute comprise entre 1 790 000 et 1 819 999 euros : - 40 000 euros ; - pour une marge brute comprise entre 1 820 000 et 1 859 999 euros : 80 000 euros - pour une marge brute comprise entre 1 860 000 et 1 889 999 euros : 120 000 euros (
)" ; que, pour accueillir les contestations de la société Stainless qui reprochait à l'expert de s'être écarté des règles comptables et d'avoir cherché à interpréter la commune intention des parties pour déterminer la valeur de la marge commerciale de la société Alco, la cour d'appel a retenu que les modalités de détermination de la marge brute étaient clairement prévues dans le protocole de cession et qu'aucun retraitement ou ajustement ne devait être effectué ; qu'en statuant de la sorte, quand le protocole de cession ne précisait pas qu'il convenait de calculer la marge brute commerciale en se référant aux définitions du plan comptable général et qu'il n'était ainsi pas exclu de tenir compte, sous le contrôle du juge, de la volonté des parties afin de procéder à des ajustements comptables, la cour d'appel a méconnu l'article 1134 du code civil (nouvel article 1103 du code civil) ;

5°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en se référant aux calculs effectués par le commissaire aux comptes et expert-comptable de la société Alco, sans examiner, fût-ce de manière sommaire, les conclusions du rapport d'expertise établi par le cabinet Fleuret, qui confirmait les calculs de l'expert judiciaire M. A... selon lesquels un complément de prix de 80 000 euros était dû par la société Stainless a cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. En premier lieu, il ne résulte ni de l'arrêt ni de leurs conclusions d'appel que les consorts C... aient soutenu que la contestation de l'impartialité de l'expert A... avait été soulevée tardivement ni que les stipulations contractuelles imposaient que la détermination de la marge commerciale servant de base au calcul de l'éventuel complément de prix dont la société Stainless serait débitrice ne pouvait être effectuée que par un expert judiciaire. Il suit de là que la cour d'appel n'avait pas à effectuer la recherche invoquée par la première branche, qui ne lui était pas demandée, et que le grief de la troisième branche, mélangé de fait et de droit, est nouveau.

9. En deuxième lieu, ayant relevé que l'expert désigné était un membre de la famille d'une des salariées de la société Alco, la cour d'appel a pu estimer que cette proximité, que les cédants ne contestaient en aucune façon, était de nature à jeter une suspicion sur l'impartialité de l'expert, justifiant d'écarter les conclusions de son rapport.

10. En dernier lieu, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à l'examen du rapport invoqué à la cinquième branche, produit aux débats mais dont les consorts C... ne tiraient aucune conséquence, a retenu le montant de la marge brute résultant des comptes de l'exercice 2012 pour en déduire qu'aucun complément de prix n'était dû, après avoir notamment constaté que les comptes des années 2010, 2011 et 2012 étaient présentés de manière identique sur les trois exercices et avaient été certifiés par le même commissaire aux comptes.

11. En conséquence, le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus.

Et sur le moyen unique du pourvoi n° V 18-18.168

Enoncé du moyen

12. Les sociétés Stainless et Alco font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors « que le cessionnaire de droits sociaux doit loyalement informer le cédant de l'état de la société et de ses relations avec la clientèle ; que la cour d'appel a constaté que consorts C..., cessionnaires des actions de la société Alco, avaient des relations personnelles très proches avec la responsable des achats de la société Sundyne, client important de la société Alco, et que le responsable des achats stratégiques de la société Sundyne avait écrit que les changements de personnes avaient eu un impact sur les relations entre les sociétés ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si les consorts C... avaient loyalement informé la société Stainless de ces relations particulières, qui impliquaient un risque de perte de clientèle par le simple fait de la cession de la société Alco, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. Après avoir relevé que la teneur des courriels échangés entre MM. E... et H... C..., d'une part, et Mme D..., responsable des achats au sein de la société Sundyne, d'autre part, révélait des relations personnelles et de grande familiarité entre eux, dépassant le cadre de simples relations professionnelles, l'arrêt retient que ceci ne prouve pas pour autant l'existence entre ces personnes des conventions occultes alléguées, susceptibles d'avoir été dissimulées au cessionnaire lors de la cession des actions et d'avoir vicié son consentement.

14. En l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que la société Stainless ne démontrait pas avoir été victime, lors de la cession des actions, d'une réticence dolosive ou d'un manquement à l'obligation de loyauté de la part des consorts C..., la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par le moyen, que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.