Cass. crim., 9 mars 2005, n° 04-83.615
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Challe
Avocat général :
M. Chemithe
Avocats :
SCP Defrenois et Levis, SCP Waquet, Farge et Hazan, Me Luc-Thaler
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour Jean-Raymond de X..., pris de la violation des articles 432-12 et 111-4 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Jean-Raymond de X... coupable du délit de prise illégale d'intérêts ;
"aux motifs que "le dossier démontre les faits suivants : courant 1997, les entreprises commerciales dirigées par le prévenu connaissaient une situation financière très difficile ayant abouti à des procédures collectives, d'après Marcel Z..., le prévenu a dès le départ été intéressé par le projet associatif envisagé par les membres fondateurs de l'association Philolille ( ... ) ; conseillant notamment à Marcel Z... d'écrire au maire de Lille pour solliciter une subvention ; d'après les membres fondateurs de l'association, l'influence de Jean-Raymond de X... au sein de celle-ci s'est accrue au fil du temps, et surtout à partir de 1998 ; Marcel Z..., trésorier de l'association, et Jean-Pierre Y..., gérant de la SARL NFP, sont des proches du prévenu, et en 1998, Marcel Z... a demandé à Jean-Raymond de X... s'il accepterait de travailler pour l'association ; que dans ce contexte, Jean-Raymond de X... a reconnu pour l'année 1998, avoir transmis la demande de subvention de l'association Philolille en indiquant qu'il était "favorable" à la reconduction des subventions accordées pour l'année 1997 ; qu'en raison de sa qualité d'adjoint au maire Jean-Raymond de X... ne peut soutenir valablement que cet avis donné était sans influence ; ( ... ) à tout le moins, qu'en ayant transmis avec un avis favorable pour la reconduction, une demande de subvention présentée par une association dans le fonctionnement de laquelle il avait une grande influence, et par laquelle il avait été démarché dans le but de faire travailler pour le compte de celle-ci, une entreprise commerciale dont il assumait la direction, Jean-Raymond de X... s'est bien rendu coupable du délit de prise illégale d'intérêts ; que l'enquête a en outre révélé que le montant intégral de la subvention avait été reversé par l'association à la SARL SLPG le 27 août 1998, au moment où cette société était en état de cessation des paiements ; que, contrairement à l'argumentation soutenue par le prévenu, le fait que le paiement soit intervenu au moment où l'association elle-même connaissait des difficultés financières au point qu'après cette opération, son compte s'est retrouvé débiteur d'au moins 30 000 francs, met pleinement en évidence que ce versement n'a pas été effectué dans l'intérêt de l'association Philolille, même en présence d'une convention de découvert dont cette dernière aurait bénéficié, et pour garantir une éventuelle augmentation du coût du papier que l'enquête n'a en rien établie, que le versement de la somme de 100 000 francs démontre l'intérêt du prévenu pour l'attribution de la subvention à l'association Philolille ; que l'idée de procurer artificiellement de la trésorerie à la SARL SLPG en état de cessation des paiement a été essentielle pour le prévenu ; que, compte tenu du contexte retracé plus haut, peu importe en l'espèce qu'au moment du vote de la subvention, il n'aurait pas encore existé de relation commerciale, du moins formalisée, entre l'association Philolille et la SARL SLPG ;"
"alors, d'une part, que la prise illégale d'intérêt suppose que le prévenu ait la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement de l'entreprise ou l'opération dans laquelle il a un intérêt ; que la simple influence n'est pas assimilable à la surveillance ou l'administration d'une opération ; que Jean-Raymond de X... n'ayant participé ni à l'instruction du dossier de subvention de l'association Philolille pour l'année 1998, ni au vote du conseil municipal rendu à l'issue de cette instruction, la seule influence susceptible d'avoir été produite par son avis favorable à la reconduction de la subvention ne caractérise pas l'existence d'un pouvoir de surveillance ou d'administration relativement à cette opération; qu'en se fondant néanmoins sur l'émission d'un tel avis pour retenir sa culpabilité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, que l'intérêt pris, reçu ou conservé dans l'opération doit être certain et non hypothétique ; qu'en l'absence de direction de fait ou de relation commerciale établie lors de l'opération, la seule influence prétendument exercée par le prévenu dans une association, et le fait que cette dernière ait démarché une société qu'il dirigeait sans conclure aucun marché de façon ferme, ne peut caractériser avec suffisamment de certitude l'intérêt du prévenu pour l'octroi d'une subvention à cette association ; que le paiement ultérieur par l'association à ladite société d'une somme correspondant au montant de la subvention ne le peut pas plus, dès lors qu'il n'est pas établi que ce paiement était prévu lors de l'octroi de la subvention ; que la cour d'appel a donc privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jean-Raymond de X..., maire adjoint de Lille, délégué à l'enseignement secondaire et aux universités, a émis un avis favorable à la reconduction en 1998 d'une subvention en faveur de l'association "Philolille", ayant pour objet "l'organisation de manifestations de l'expression publique de la philosophie" ; que cette subvention d'un montant de 100 000 francs, votée par le conseil municipal le 6 avril 1998, a été reversée par le trésorier de l'association, le 27 août 1998, à la société lilloise de publicité générale (SLPG), alors en redressement judiciaire, dont Jean-Raymond de X... était le gérant, au vu d'une facture de fourniture de papier de 109 271,28 francs ;
Attendu que, pour déclarer ce dernier coupable de prise illégale d'intérêts, l'arrêt retient "qu'il a transmis, avec un avis favorable pour sa reconduction, une demande de subvention présentée par une association dans le fonctionnement de laquelle il avait une grande influence et par laquelle il avait été démarché dans le but de faire travailler pour le compte de celle-ci une entreprise commerciale dont il assumait la direction " ; que les juges relèvent que le fait que le paiement soit intervenu au moment où l'association "Philolille" connaissait des difficultés financières démontre que ce versement n'a pas été effectué dans l'intérêt de l'association mais dans celui de la société SLPG, en état de cessation des paiements, en vue de lui procurer artificiellement de la trésorerie ; que les juges ajoutent qu'il importe peu qu'au moment du vote de la subvention il n'aurait pas encore existé de relation commerciale, du moins formalisée, entre l'association "Philolille" et la société SLPG ;
Attendu qu'en cet état la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 432-12 du Code pénal ;
Qu'en effet, le délit est consommé dés que le prévenu a pris directement ou indirectement un intérêt dans une entreprise ou dans une opération dont il avait, au moment de l'acte, la surveillance ou l'administration, celles-ci se réduiraient-elles au simple pouvoir d'émettre un avis en vue de décisions prises par d'autres ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Jean-Pierre Y..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 509, 515, 591 du Code de procédure pénale, violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu, Jean-Pierre Y..., coupable d'abus de confiance et, sur l'action publique, l'a condamné à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé à son encontre une exclusion des marchés publics pour une durée de 3 ans ;
"alors que, si le ministère public a interjeté appel des dispositions pénales du jugement prononçant une relaxe au profit de Jean-Pierre Y..., il n'a pas soutenu cet appel et s'en est rapporté à justice ainsi qu'il résulte des notes d'audience ; que la cour d'appel ne pouvait donc retenir la culpabilité de Jean-Pierre Y... sans méconnaître l'étendue de sa saisine et violer les articles 509 et 515 du Code de procédure pénale" ;
Attendu que la circonstance que le ministère public s'en est rapporté à justice sur les poursuites exercées contre Jean-Pierre Y... est sans incidence sur la saisine de la juridiction du second degré ;
Que, dès lors, le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour Jean-Pierre Y..., pris de la violation des articles 6 de la Convention des droits de l'homme, 3141 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu, Jean-Pierre Y..., coupable d'abus de confiance et, sur l'action publique, l'a condamné à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé à son encontre une exclusion des marchés publics pour une durée de 3 ans ;
"aux motifs qu'il résulte des explications figurant ci-dessus, que le contrat conclu entre l'association Philolille et sa SARL NFP était contrairement au contenu de la lettre du 30 janvier 1998, une convention de régie classique avec reversement au profit de l'association d'une quote-part de 50% hors taxes des montants collectés auprès des sponsors ; que l'enquête a établi que la SARL NFP avait collecté pour le compte de Philolille un montant total de 442 626,86 francs ; qu'en ayant conservé par-devers lui en sa qualité de dirigeant social de la SARL NFP, un montant de 221 313,43 francs, qu'il aurait dû restituer à l'association Philolille aux termes du contrat, Jean-Pierre Y... a bien commis le délit d'abus de confiance qui lui est reproché ;
"1) alors que l'abus de confiance ne peut résulter que d'un détournement ou d'une dissipation des biens remis à charge de les rendre ou les représenter ;
que la cour d'appel, qui a déclaré le prévenu coupable d'abus de confiance sans caractériser l'existence d'un détournement, a violé l'article 314-1 du Code pénal ;
"2) alors que l'utilisation par le mandataire des fonds encaissés pour le compte du mandant, afin de régler les dettes de ce dernier, exclut la qualification d'abus de confiance ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si la société NFP n'avait pas payé les frais à la charge de l'association Philolille sur les fonds encaissés pour son compte, ce qui excluait tout abus de confiance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 314-1 du Code pénal" ;
Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour Jean-Pierre Y..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 441-du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu, Jean-Pierre Y..., coupable d'usage de faux en écriture privée ou de commerce constitué par un courrier du 30 janvier 1998 rédigé par Marcel Z... et, sur l'action publique l'a condamné à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé à son encontre une exclusion des marchés publics pour une durée de 3 ans ;
"aux motifs que "la production par le prévenu dans le cadre d'une instance l'opposant à l'association Philolille, d'un document prétendument contractuel et contraire à l'accord des parties, caractérise le délit" ;
"1) alors que la preuve de l'existence et du contenu d'un contrat doit être établie conformément à l'article 1341 du Code civil ; qu'en présence d'un écrit émanant du trésorier de l'association Philolille justifiant du droit de la société NFP d'utiliser les fonds encaissés pour le compte de cette association, pour le paiement des frais dont elle était débitrice, la cour d'appel ne pouvait déclarer cet écrit contraire à l'accord des parties et constitutif d'un faux à la faveur de seuls témoignages ; qu'elle a violé ensemble les articles 1341 du Code civil et 441-1 du Code pénal ;
"2) alors que l'usage de faux ne peut être caractérisé en l'absence d'élément intentionnel ; que saisie de conclusions qui faisaient valoir que Jean-Pierre Y... avait été convaincu par Marcel Z... du droit pour la société NFP d'utiliser les fonds encaissés pour le compte de l'association Philolille, non seulement par la lettre du 30 janvier 1998, mais encore par l'attestation de Marcel Z... du 15 avril 1999, la cour d'appel ne pouvait se dispenser de justifier de l'élément moral imputable à Jean-Pierre Y..., sans priver sa décision de base légale au regard de l'article 441-1 du Code pénal" ;
Sur le quatrième moyen de cassation, proposé pour Jean-Pierre Y..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 441-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu, Jean-Pierre Y..., coupable de faux et usage de faux en écriture privée ou de commerce constitué par un document intitulé "justificatif de compte tiers - Citéphilo" et, sur l'action publique l'a condamné à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé à son encontre une exclusion des marchés publics pour une durée de 3 ans ;
"aux motifs qu'il résulte de l'instruction que le prévenu a déclaré au magistrat instructeur avoir versé à l'association Philolille un montant de 141 968 francs courant février et mars 1999 et a produit à l'appui de ces affirmations des documents comptables mentionnant ces versements au profit de " Citéphilo " ;
que les investigations ont permis d'établir que ces sommes ne se retrouvaient pas dans la comptabilité de l'association Philolille mais dans celle de la société SP Communication ; que le délit de faux est constitué ;
que l'explication donnée par le prévenu qui fait état de son manque de précision des intitulés repris par le comptable de la SARL NFP est peu crédible eu égard à l'importance des montants en question et de l'enjeu qu'ils représentaient pour le prévenu " ;
"1) alors que le faux ne peut être qualifié que si l'altération de la vérité a causé ou aurait pu causer un préjudice à la personne à laquelle on oppose le document altéré ; qu'en déclarant Jean-Pierre Y... coupable de faux et d'usage pour avoir versé aux débats un document comptable faisant état d'un versement de fonds sans avoir établi que l'altération de la vérité aurait causé un préjudice à la personne à laquelle il était opposé, la cour d'appel a violé l'article 441-1 du Code pénal ;
"2) alors qu'en l'état de conclusions qui démontraient que le document comptable litigieux justifiait de paiement fait par la société NFP pour le compte de l'association Philolille, la cour d'appel ne pouvait se dispenser d'apporter une réponse circonstanciée, sans violer les articles visés au moyen" ;
Sur le cinquième moyen de cassation, proposé pour Jean-Pierre Y..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 314-1, 441-1 du Code pénal, 1382 du Code civil, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu, Jean-Pierre Y..., coupable d'abus de confiance, de faux et usage de faux en écriture privée ou de commerce, sur l'action publique l'a condamné à une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé à son encontre une exclusion des marchés publics pour une durée de 3 ans et, sur l'action civile, l'a condamné à verser à la partie civile la somme de 33 788,30 euros de dommages-intérêts et, solidairement avec Marcel Z..., la somme de 1 000 euros ;
"aux motifs que la partie civile justifie de son préjudice à concurrence d'un montant de 33 788,30 euros du chef de l'abus de confiance ; qu'elle justifie d'un préjudice à hauteur de 1 000 euros pour le faux et l'usage de faux ;
"alors qu'une victime ne peut être indemnisée d'un montant supérieur à celui de son dommage ; qu'en se bornant à affirmer justifié le préjudice invoqué par la partie civile sans autre motivation, notamment quant au caractère personnel et direct du préjudice ainsi que son évaluation, la cour d'appel, en violation des articles 2 du Code de procédure pénale et 1382 du Code civil, n'a pas mis la cour d'appel en mesure d'exercer son contrôle" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;