CA Bastia, ch. civ., 5 octobre 2016, n° 14/00215
BASTIA
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luciani
Conseillers :
Mme Deltour, Mme Bessone
Avocats :
Me Orabona, Me Poletti, Me Gastaud
Alexandre X...a été engagé le 16 mai 2005 en qualité de directeur général pour assurer les fonctions techniques de gestion administrative, financière et sociale de la SELARL de l'Ospedale, créée le 3 novembre 1993, exploitant quatre laboratoires d'analyses de biologie médicale. Il détient, depuis mars 2009, 12, 5 % des parts sociales de cette société en qualité d'associé non professionnel.
La SELARL de l'Ospedale est membre d'un groupe de sociétés comprenant la SELAS du Golfe, et la SELAS A Strada. Le suivi de la gestion administrative, financière et sociale de l'ensemble de ces sociétés a été externalisé au sein d'une SARL Divizia dont M. X...a été désigné gérant aux côtés de M. Y....
Faisant état de divers griefs à l'encontre de M. Y..., Mme Z..., Mme A..., Mme B..., Mme C...et Mme D..., tous gérants de la SELARL de l'Ospedale, M. X...les a fait assigner ainsi que la SELARL de l'Ospedale devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio pour que cette juridiction juge irrégulières la fixation de la rémunération de l'ensemble des gérants de la société, la prise en charge par la société de leurs cotisations sociales, l'octroi d'avantages en nature, qu'elle constate les fautes de gestion de M. Y...et Mme Z..., qu'elle prononce en conséquence leur révocation ainsi que leur exclusion de plein droit de la SELARL de l'Ospedale, qu'elle condamne les gérants au remboursement des rémunérations, charges sociales et avantages en nature non autorisés perçus depuis le 1er janvier 2006, qu'elle prononce la nullité de l'assemblée générale ordinaire du 1er septembre 2011.
Suivant jugement contradictoire du 17 février 2014 le tribunal de grande instance d'Ajaccio a :
• rejeté les moyens d'irrecevabilité de l'action de M. X...fondés sur les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile et le défaut de qualité d'associé du demandeur au titre des exercices 2006 à 2008,
• dit et jugé l'action en responsabilité des gérants au titre des années 2006 à 2009 prescrite,
• dit et jugé la demande de nullité de l'assemblée générale du 30 mars 2008 prescrite,
• rejeté la demande en nullité des assemblées générales ordinaires des 30 mars 2008, 1er septembre 2011, 16 février 2012 et 30 juin 2012,
• dit le mode de fixation de la rémunération des gérants régulier,
• rejeté les demandes de remboursement, de restitution des rémunérations des gérants et de leurs compléments de rémunération,
• constaté l'absence des fautes de gestion invoquées par le demandeur et rejeté en conséquence les demandes de révocation et d'exclusion des gérants défendeurs, de nomination d'un administrateur provisoire et d'expertise de minorité,
• débouté en conséquence M. X...de toutes ses demandes,
• dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
• condamné M. X...à payer à la SELARL de l'Ospedale, M. Y...et Mme Z...la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
• condamné M. X...à payer à Mme A..., Mme B..., Mme C...et Mme D...la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
• condamné M. X...aux dépens.
M. X...a formé appel de cette décision les 11 et 18 mars 2014.
Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 23 avril 2014. Entre temps la SELARL de l'Ospedale est devenue la SELARL Laboratoire 2A2B.
Dans ses dernières conclusions déposées le 18 septembre 2015, M. X...demande à la cour de confirmer le cas échéant par substitution de motifs le jugement entrepris en ce qu'il a jugé l'action sociale de M. X...recevable et de le réformer pour le surplus,
• de dire que l'action en nullité des conventions irrégulières au titre des exercices clos le 31 décembre 2006 et suivants n'est pas prescrite,
• de dire que l'action en responsabilité des cogérants pour les exercices clos le 31 décembre 2006 et suivants n'est pas prescrite ;
Sur le fond :
• de dire irrégulières la fixation de la rémunération de l'ensemble des gérants de la société, la prise en charge par la société des cotisations sociales, ainsi que les avantages en nature consentis aux co-gérants depuis 2006 jusqu'au 31 décembre 2013,
• de prononcer la nullité des découverts consentis aux associés du 1er janvier 2006 jusqu'au 31 décembre 2013 et en conséquence :
• de condamner solidairement à titre provisionnel M. Y..., Mme Z..., Mme A..., Mme B..., Mme C..., Mme D...au paiement des sommes perçues, soit par :
- M. Y...à hauteur de 1 509 299, 50 euros
-Mme Z...à hauteur de 809 238 euros
-Mme A...à hauteur de 588 232 euros
-Mme B...à hauteur de 473 945 euros
-Mme C...à hauteur de 378 800 euros
-Mme D...à hauteur de 607 534 euros,
soit à titre de dommages-intérêts soit à titre de remboursement de sommes perçues dans le cadre de conventions interdites, le tout avec intérêts de droit à compter de l'assignation ou de leur perception pour les sommes prélevées postérieurement à celle-ci,
• de désigner tel expert en comptabilité qu'il plaira à la cour en dehors du ressort de la cour d'appel de Bastia pour procéder à l'évaluation définitive du préjudice de la SELARL Laboratoire 2A2B, que ce soit au titre des sommes perçues au titre des rémunérations, charges sociales et avances en nature par les associés gérants,
• de condamner M. Y...et Mme Z...sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir à restituer le véhicule de fonction qui leur a été octroyé sans autorisation,
• de prononcer la révocation de M. Y...et Mme Z...de leur mandat de gérant en raison de leurs fautes de gestion caractérisant une cause légitime de révocation,
• d'ordonner l'exclusion de M. Y...et Mme Z...de la SELARL Laboratoire 2A2B,
• de condamner solidairement les défendeurs aux dépens et à 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 3 décembre 2014, la SELARL Laboratoire 2A2B, M. Y...et Mme Z...demandent à la cour, sur appel incident,
• de réformer le jugement et :
• de déclarer irrecevable M. X...en ses demandes qui ne tendent pas à l'allocation de dommages-intérêts au bénéfice de la société,
• pour le surplus de confirmer le jugement et en conséquence de débouter l'appelant de son recours,
• de condamner M. X...à payer à chacun des concluants la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens toutes taxes comprises.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 19 mai 2015 Mme A..., Mme B..., Mme C...et Mme D...demandent à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les moyens d'irrecevabilité de l'action de M. X...soulevés par le défendeur, fondés sur les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile et sur le défaut de qualité d'associé de l'intéressé au titre des exercices 2006 à 2008,
• dès lors, de déclarer l'appelant irrecevable en ses demandes,
• pour le surplus, de le débouter intégralement,
• de condamner M. X...à payer aux concluantes la somme de 10 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 janvier 2016.
SUR CE :
Sur les demandes d'annulation des assemblées générales :
La décision du premier juge concernant la nullité des assemblées générales des 30 mars 2008, 1er septembre 2011, 16 février et 30 juin 2012, fondée sur des motifs pertinents, et non précisément critiquée par l'appelant, sera confirmée.
Sur l'action en responsabilité contre les co-gérants et l'action en nullité des conventions interdites :
M. X...fonde ses demandes sur l'article 1843-5 du code civil et l'article L223-22 du code de commerce. Il s'agit d'une action « ut singuli », ouverte à tout associé pour solliciter la réparation du préjudice subi par la société, et l'allocation de dommages et intérêts à celle-ci. En l'espèce, l'action de M. X...tend au versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements des gérants ; comme l'a dit le premier juge il suffit que le demandeur soit associé, que la société se soit abstenue d'agir, et qu'elle soit appelée en la cause pour que l'action soit recevable au regard de l'article 122 du code de procédure civile. D'autre part, le fait que M. X...n'avait pas la qualité d'associé avant 2009 ne fait pas obstacle à son droit d'agir concernant les exercices antérieurs, le droit étant transmis avec le titre comme l'a rappelé le premier juge.
L'article L223-23 du code de commerce prévoit que l'action en responsabilité prévue à l'article L223-22 se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.
Contrairement à ce qu'énonce l'appelant, il ne s'agit pas pour lui de faire annuler une convention illicite au sens de l'article L223-21 du code de commerce-auquel cas la prescription de droit commun, devenue quinquennale, serait effectivement applicable-puisque d'une part se poserait la question de la qualité pour agir en annulation d'une convention passée entre la société et les autres associés, d'autre part l'annulation de la convention conduirait à la restitution des sommes indûment versées, et non pas au paiement de dommages et intérêts. En l'espèce l'action ut singuli ne peut ouvrir droit qu'à des dommages intérêts en faveur de la société.
Par conséquent la seule prescription applicable à l'action de M. X...est la prescription triennale de l'article L223-23 du code de commerce.
En outre, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que la qualité de directeur général de M. X..., embauché à ce titre depuis 2005, le disposait à être informé de toutes les données concernant les rémunérations des gérants, des éléments comptables et plus généralement du fonctionnement général de la société. En témoignent notamment les courriels que lui a adressés M. G..., comptable, en mai et août 2010, que M. X...produit pour indiquer au début de ses conclusions qu'il « s'est rapidement heurté à ses associés à propos du défaut d'approbation des comptes dans les délais légaux ainsi que sur les modalités de fixation et le montant des rémunérations des associés professionnels ». Il ne peut donc soutenir n'avoir pas eu connaissance de ce qu'il dénonce comme « fait dommageable » avant le 1er septembre 2011, date de l'assemblée d'approbation des comptes 2009 fixant le projet de rémunération des gérants pour l'exercice 2010, ou au plus tôt lors de son entrée au capital de la société le 16 mars 2009 en ce qui concerne les sommes perçues par les gérants au titre de l'exercice 2006.
Par conséquent c'est à juste titre que le premier juge a pu considérer qu'à la date de l'exploit introductif d'instance soit le 19 décembre 2011 la prescription de l'action en responsabilité des gérants était prescrite pour les années 2006 à 2009.
En ce qui concerne la période postérieure :
Il ne ressort pas des écritures de l'appelant que celui-ci sollicite le versement de dommages et intérêts à la société elle-même ; c'est donc à juste titre que la SELARL Laboratoire 2A2B, M. Y..., Mme Z...et Mme A...soulèvent l'irrecevabilité de l'action « Ut singuli ».
La demande de désignation d'un expert en comptabilité est également irrecevable.
Quant à l'action en nullité des conventions illicites, basée sur l'article L223-21 du code de commerce :
L'existence de comptes courants débiteurs et la distribution de dividendes fictifs sont constatés par la cour dans les développements qui suivent, mais M. X...ne peut représenter la société pour réclamer les restitutions auxquelles aboutirait nécessairement la nullité desdites conventions ; la société, qui conclut aux côtés et dans le même sens que les gérants auxquels ces conventions sont reprochées, ne réclame aucunement ces restitutions.
Les demandes de restitution de sommes indûment perçues seront donc rejetées.
La demande d'expertise de minorité est expressément abandonnée par l'appelant.
Sur la demande de restitution des véhicules de fonction de M. Y...et Mme Z... :
Outre que M. X...n'a pas qualité pour solliciter cette restitution au nom de la société, rien dans les pièces versées aux débats ne permet de dire que ces véhicules ont été attribués ou utilisés de façon abusive, en violation des règles du droit des sociétés
Sur la demande de révocation des gérants Mme Z...et M. Y... :
Aux termes de l'article L223-25 alinéa 2 du code de commerce le gérant est révocable par les tribunaux pour cause légitime à la demande de tout associé.
• En ce qui concerne M. Y... :
M. Y...est en arrêt de longue maladie depuis 2009 et perçoit une indemnité statutaire, dont le montant a été décidé par l'assemblée générale des associés, pour ses fonctions de gérant. L'article 13 des statuts de la société prévoit que « la société est gérée et administrée par un ou plusieurs gérants, personnes physiques directeurs du laboratoire exerçant leur profession au sein de la société … ». La situation de M. Y..., qui reconnaît ne plus être en état d'exercer son activité professionnelle de pharmacien biologiste, ne répond plus à ce critère. Par ailleurs celui-ci ne justifie aucunement qu'il peut, malgré son état de santé, exercer effectivement une activité de gestion auprès de la société, rémunérée à hauteur de 222 000 euros en 2012.
Ces circonstances constituent à l'évidence à elles seules un juste motif de révocation de M. Y....
• En ce qui concerne Alluin les fautes de gestion suivantes sont caractérisées :
- La radiation au registre du commerce d'Ajaccio de la SELAS du Golfe, dans le cadre de l'opération de transmission universelle de patrimoine entre cette société et la SELARL Laboratoire 2A2B :
M. X...reproche aux gérants, dont Mme Z..., d'avoir procédé à la radiation du registre du commerce et des sociétés de la SELAS du Golfe avant qu'il ait été statué sur son opposition, et d'avoir fusionné dès le 31 décembre 2012 les comptabilités des deux sociétés, en infraction avec les articles L 123-12 et suivants et L232-1 et suivants du code de commerce.
La dissolution de la SELAS du Golfe a été décidée le 1er août 2012, et M. X...a formé opposition le 24 août 2012. Or l'avis de transmission universelle du patrimoine a été reçu au greffe du tribunal de commerce d'Ajaccio le 13 septembre 2012, avant que le tribunal de grande instance ait tranché sur l'opposition de M. X...; il s'agit d'une faute de gestion, imputable aux gérants.
- La distribution de dividendes fictifs :
Le 31 juillet 2009, Mme Z...et M. Y...ont décidé, après avoir constaté l'existence d'un report à nouveau créditeur de 403 676 euros au 31 décembre 2008, d'un bénéfice de l'exercice 2008 de 35 073 euros et l'existence d'une situation bénéficiaire ressortant d'un arrêté intermédiaire au 30 avril 2009, de distribuer un acompte sur dividende d'un montant de 200 000 euros prélevé sur le compte report à nouveau et à répartir aux associés au prorata de leur participation au capital. Cette décision a été prise en vertu des dispositions statutaires, et notamment de l'article 13 qui donne les pouvoirs les plus larges à chacun des gérants.
L'article L232-12 du code de commerce prévoit que des acomptes sur dividendes peuvent être distribués à condition qu'un bilan établi au cours ou à la fin de l'exercice certifié par un commissaire aux comptes fasse apparaître que la société depuis la clôture de l'exercice précédent après constitution des amortissements et provisions nécessaires, déduction faite s'il y a lieu des pertes antérieures ainsi que des sommes apportées en réserve en application de la loi ou des statuts et compte tenu du report bénéficiaire, a réalisé un bénéfice ; que tout dividende distribué en violation des règles ci-dessus énoncées est un dividende fictif. Or, la certification des comptes n'a été opérée par le commissaire aux comptes que le 30 juin 2011. La distribution de l'acompte sur dividende, décidée près de deux ans plus tôt, constitue une distribution de dividende fictif en vertu de l'article précité, et ce même si cette distribution a été ratifiée a posteriori par l'assemblée générale du 1er septembre 2011. Le fait que M. X...ait perçu lui-même la somme de 25 000 euros à cette occasion ne l'empêche pas de discuter la régularité de l'opération.
- Enfin, le fait pour Mme Z...d'avoir constitué ou laissé constituer un compte courant débiteur est également fautif en application de l'article L223-21 du code de commerce : le rapport du commissaire aux comptes pour l'exercice 2010 révèle que son compte courant était débiteur de 256 226 euros au 31 décembre 2010, qu'il est redevenu créditeur en mars 2011.
Au vu de ce qui précède la révocation de Mme Z...est également justifiée.
En application de l'article 14 paragraphe 2 des statuts M. Y...et Mme Z...sont exclus de plein droit de la société. Il sera procédé conformément à cet article.
Aucune considération tirée de l'équité ne permet de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront partagés en première instance comme en appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a :
- rejeté les moyens d'irrecevabilité de l'action de M. Alexandre X...fondée sur les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile et le défaut de qualité d'associé du demandeur au titre des exercices 2006 à 2008,
- dit et jugé l'action en responsabilité des gérants au titre des années 2006 à 2009 prescrite,
- dit et jugé la demande de nullité de l'assemblée générale du 30 mars 2008 prescrite,
- rejeté les demandes en nullité des assemblées générales ordinaires du 30 mars 2008, 1er septembre 2011, 16 février 2012 et 30 juin 2012,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
Déclare irrecevables l'action fondée sur l'article L223-22 du code de commerce et la désignation d'un expert en comptabilité,
Rejette la demande en nullité des conventions illicites,
Prononce la révocation de M. Y...et Mme Z...de leurs fonctions de gérant de la SELARL Laboratoire 2A2B,
Dit qu'en application de l'article14 des statuts de la société l'exclusion de M. Y...et Mme Z...est encourue,
Dit qu'il sera procédé conformément à l'article 14 paragraphe 2 des statuts de la société,
Rejette la demande de restitution des véhicules de fonction,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre d'une part l'appelant d'autre part l'ensemble des intimés.