Cass. com., 3 février 2015, n° 13-26.078
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la commune de Challans a confié l'exploitation d'un abattoir industriel à une société d'économie mixte, la SEAC, laquelle a été transformée ultérieurement en société anonyme dont le capital était réparti entre les sociétés Bichon et VLV ; que par acte du 18 juillet 1995, la société VLV a promis de céder à la société Bichon le nombre d'actions de la SEAC nécessaire pour permettre à la société Bichon d'être à parité avec la société VLV ; qu'il était stipulé que cette cession était conditionnée par la perte de la majorité du capital dans la société VLV par le groupe des actionnaires actuels et qu'à cet effet, le promettant s'obligeait à aviser le bénéficiaire préalablement à toute cession d'actions qui ferait perdre au groupe des actionnaires actuels sa majorité dans la détention du capital ; que le 22 janvier 2010, la société Bichon a demandé à la société VLV l'exécution de la promesse ; que le 29 janvier 2010, la société VLV a cédé à la société Covia la quasi-totalité des actions qu'elle détenait dans la SEAC ; que le 3 février 2010, la société Covia a fait l'acquisition de l'intégralité des actions de la société VLV détenues par les consorts X..., portant sa participation dans le capital de cette société à 95 % ; que soutenant que la cession à la société Covia des actions détenues par la société VLV dans la SEAC avait été consentie en méconnaissance de la promesse du 18 juillet 1995, la société Bichon a assigné les sociétés VLV et Covia en annulation de cette cession et en revendication des actions nécessaires pour lui permettre d'être à parité avec la société VLV dans le capital de la SEAC ; que les sociétés VLV et Covia ont opposé la nullité de la promesse ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que les sociétés VLV et Covia font grief à l'arrêt de rejeter l'exception de nullité de la promesse et de retenir que la société Bichon a valablement levé l'option que lui conférait cette promesse alors, selon le moyen :
1°/ qu'est nulle la promesse de vente dont le prix n'est pas déterminable ; qu'en jugeant parfaite la promesse de cession d'actions conclue le 18 juillet 1995 entre la société VLV et la société Bichon portant sur des actions de la SEAC, stipulant, sans autre précision quant au calcul à opérer, que « le prix sera it fonction du montant des capitaux propres de la SEAC sur la base du dernier bilan arrêté à la date de la levée d'option », sans déterminer selon quelles modalités les parties avaient entendu fixer le prix en fonction des capitaux propres, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1591 du code civil ;
2°/ que la promesse du 18 juillet 1995 mentionnait que la cession était « conditionnée par la perte de la majorité du capital social dans VLV par le groupe des actionnaires actuels » ; qu'en relevant, pour estimer l'option valablement levée par la société Bichon, douze jours avant la cession des actions de la société VLV par les consorts X..., que la condition de fond posée par le promesse était la « perte imminente de la majorité du capital social dans VLV par le groupe des actionnaires actuels », la cour d'appel a dénaturé la promesse du 18 juillet 1995 et violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la clause litigieuse de la promesse faisait référence, pour la fixation du prix, au seul montant des capitaux propres à une date exactement précisée (dernier bilan arrêté à la date de la levée d'option), à l'exclusion de tout autre élément complémentaire de valorisation, et retenu que la locution « en fonction de » ne pouvait s'entendre que comme stipulant l'application proportionnelle, au montant des capitaux propres, du rapport du nombre d'actions comprises dans la cession et du nombre total d'actions constitutives de l'entier capital social, la cour d'appel a procédé à la recherche prétendument omise ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que la promesse stipulait que le promettant s'obligeait à aviser le bénéficiaire préalablement à toute cession d'actions qui ferait perdre au groupe des actionnaires actuels sa majorité dans la détention du capital, ce dont il résultait que l'obligation d'information à la charge du promettant devait porter sur une perte de majorité qui ne s'était pas encore réalisée, c'est sans dénaturer cette promesse que la cour d'appel a statué comme elle a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Bichon tendant à l'exécution forcée de la promesse, après avoir décidé qu'elle avait régulièrement levé l'option et que la vente aurait dû être formée le 22 janvier 2010, l'arrêt retient que le véritable propriétaire est en droit d'agir en revendication de la chose lui appartenant, à condition que la vente litigieuse ne soit pas consolidée du fait de l'une des parties concernées, que toutefois l'acquéreur de la chose d'autrui est en droit d'opposer la consolidation de son acquisition et de faire ainsi échec à l'action en revendication du véritable propriétaire, en se prévalant de la qualité de propriétaire apparent de son vendeur, sous réserve qu'il ait eu la croyance légitime que son vendeur avait la qualité de véritable propriétaire de la chose vendue ; qu'il estime qu'en l'occurrence, la société Covia pouvait croire légitimement, le 29 janvier 2010, que la société VLV était propriétaire de 1573 actions de la SEAC, notamment au vu du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire des actionnaires de la SEAC réunie l'année précédente ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a relevé d'office, sans inviter les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de l'apparence dont ni l'acquéreur de la chose d'autrui ni le véritable propriétaire des actions cédées à cet acquéreur ne s'étaient prévalus, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur ce moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 544 du code civil ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt énonce que l'invocation, par l'acquéreur, de la théorie de l'apparence implique qu'il ait eu la croyance légitime que son vendeur avait la qualité de véritable propriétaire de la chose vendue ; qu'il retient qu'en l'occurrence, la société Covia pouvait croire légitimement, le 29 janvier 2010, que la société VLV était propriétaire de 1573 actions de la SEAC, notamment au vu du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire des actionnaires de la SEAC réunie l'année précédente ; qu'il retient encore qu'il ne pourrait en être autrement que si la société Covia avait eu connaissance, avant la cession du 29 janvier 2010, de la promesse de vente conclue en 1995 entre les sociétés VLV et Bichon, visant une partie des actions de la SEAC ; qu'il ajoute que cette connaissance ou ignorance de la société Covia constitue un fait juridique pouvant être prouvé par tous moyens et que la société Bichon ne prouve pas que la cession d'actions conclue entre les sociétés VLV et Covia n'a pas été consolidée du fait de cette dernière, de sorte que son action en revendication d'une partie des actions vendues ne peut prospérer ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'acquéreur, fût-il de bonne foi, avait agi sous l'empire d'une erreur commune et que la cause de nullité affectant la vente réalisée à son profit était nécessairement ignorée de tous, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief du pourvoi principal :
REJETTE le pourvoi incident ;
Et sur le pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Bichon GL tendant à l'exécution forcée de la promesse de cession d'actions du 18 juillet 1995, l'arrêt rendu le 9 juillet 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.