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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 27 octobre 2015, n° 14/14101

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Financière Lov (SAS), CDP Holding (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hirigoyen

Conseillers :

Mme Hebert-Pageot, M. Boyer

Paris, du 27 juin 2014

27 juin 2014

En juillet 2010, la Sas CDP Holding a été constituée en vue du rachat de la holding S. Courchevel qui détient 100% de la société Châlet des Pierres exploitant un restaurant à Courchevel, le capital social de CDP Holding étant détenu à hauteur de 15% par Madame Claudie S. et son frère Jean-Michel S. pris ensemble (ci-après les consorts S.) et de 85% par la Sas Financière Lov, filiale de Lov Group Invest.

Le 19 juillet 2010, Financière Lov s'est engagée par promesse unilatérale d'achat à acquérir les 15% de titres de CDP Holding appartenant aux consorts S..

Par acte séparé du même jour les consorts S. ont promis de vendre à Financière Lov lesdits titres au plus tard le 31 décembre 2013.

Par courrier du 27 décembre 2013, posté le 30 décembre 2013, Financière Lov a levé l'option de la promesse de vente, le prix de cession étant fixé à 385,83 euros par action, soit 136.584,95 euros pour la totalité des actions promises.

Contestant l'exercice de l'option, les consorts S. ont fait assigner Financière Lov et CDP Holding devant le tribunal de commerce de Paris pour voir annuler la levée de l'option et leur promesse unilatérale de vente.

Par jugement du 27 juin 2014, le tribunal de commerce de Paris a déclaré nulle la notification de la levée de l'option, la jugeant tardive au regard de l'article 10 de la promesse, a dit malfondées Financière Lov et CDP Holding en leurs demandes reconventionnelles, n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné Financière Lov et CDP Holding aux dépens de l'instance.

Financière Lov et CDP Holding ont relevé appel de cette décision selon déclaration du 3 juillet 2014 et demandent à la cour dans leurs dernières conclusions signifiées le 9 juin 2015 d'infirmer le jugement, de constater que la promesse de vente a été valablement exercée le 27 décembre 2013, de rejeter la demande d'annulation pour indétermination du prix, en conséquence, de dire valablement formée la vente des 354 actions CDP Holding détenues par les consorts S. au profit de Financière Lov , de dire que l'arrêt vaudra vente de ces actions à Financière Lov au prix qui sera fixé par l'expert désigné à cet effet conformément aux termes de la promesse, de donner acte à Financière Lov de ce qu'elle s'engage à payer le prix qui sera fixé par l'expert dans un délai de 8 jours suivant le dépôt du rapport d'expertise et le cas échéant d'ordonner à Financière Lov de consigner cette somme dans le même délai, d'autoriser CDP Holding à procéder à l'inscription en compte des actions sur son registre des mouvements de titres à compter du paiement du prix fixé par l'expert, de condamner les consorts S. à verser à Financière Lov 15.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 10.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans leurs écritures signifiées le 15 juin 2015, les consorts S. sollicitent à titre principal la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, subsidiairement, l'annulation de la promesse unilatérale de vente pour indétermination du prix et par voie de conséquence la nullité de la levée de l'option, le rejet de toutes les prétentions des sociétés appelantes et leur condamnation solidaire au paiement de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

SUR CE

- Sur la date d'exercice de l'option

Financière Lov et CDP Holding critiquent le jugement ayant retenu le caractère tardif de la notification de la levée de l'option au vu de l'article 10.1 de la promesse, alors que cette clause réglemente les modalités d'expédition et de computation des délais et que la prise en compte de la réception de la notification concerne uniquement les situations dans lesquelles la notification faite par l'une des parties déclenche pour l'autre l'exercice d'un droit enfermé dans un délai, que s'agissant de la levée de l'option seule la date d'envoi doit être prise en considération.

Tandis que pour les consorts S. la levée d'option n'est valablement notifiée qu'au jour où sa notification a touché le destinataire ainsi qu'il résulte du parallélisme avec la notification par lettre remise en mains propres.

Selon l'article 4.3 de la promesse de vente ' la Promesse pourra être exercée, en une seule fois, par voie de notification (ci-après la Notification d'Exercice) aux Promettants adressée par le bénéficiaire pendant la Période d'Exercice et pour la totalité des Actions promises. Cette Notification devra indiquer le montant du Prix déterminé conformément aux stipulations de l'article 5.1"

Il ressort des pièces au débat que Financière Lov a levé l'option par courrier daté du 27 décembre 2013, posté le 30 décembre 2013 et réceptionné par M. S. le 2 janvier 2014 et par Madame S. le 3 janvier suivant, la durée de validité de la promesse expirantle 31 décembre 2013.

Il ne saurait être déduit l'article 10.1 selon lequel 'toute notification est valablement adressée par lettre recommandée avec avis de réception adressée au siège social ou au domicile élu par les parties, ou lettre remise en mains propres' et ' tout délai se calcule à partir de la date de la première présentation de la lettre recommandée, la mention de la poste faisant foi, ou à compter du jour de la signature de la décharge inscrit par le destinataire de la notification' que la notification de la levée de l'option, pour être valable, doit avoir été reçue par les destinataires au plus tard le 31 décembre 2013, dans la mesure où ces dispositions précisent simplement, d'une part, les modalités d'envoi ou de remise des notifications, d'autre part, le point de départ des délais que font courir ces notifications pour l'autre partie. Ainsi, la notification de l'exercice de l'option fait courir à compter de la réception de la levée de l'option un délai de 20 jours pour contester le prix (5.2) et un délai de 60 jours pour la réalisation du transfert des actions promises (article 6.1). L'exercice de l'option, en tant que manifestation de volonté du bénéficiaire, ne dépend pas de sa date de réception par le destinataire.

Subordonner la validité de la levée d'option à la réception de la notification par les promettants au plus tard le 31 décembre 2013, est d'ailleurs en contradiction avec l'article 3 de la convention faisant courir la validité de la promesse jusqu'au 31 décembre 2013, le bénéficiaire qui dispose ainsi du droit d'exercer l'option jusqu'au 31 décembre 2013 inclus, n'ayant pas à voir ce délai amputé par les aléas d'acheminement du courrier.

La lettre recommandée levant l'option ayant été postée le 30 décembre 2013, c'est à tort que les premiers juges ont retenu que l'option avait été exercée hors délai. Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef.

Les consorts S. soulevant subsidiairement la nullité de la promesse et par voie de conséquence celle de l'exercice de l'option, il doit être statué sur ces demandes avant de se prononcer sur la validité de l'exercice de l'option.

- Sur la nullité promesse de vente et de la levée d'option

A l'appui de leur demande subsidiaire, les consorts S. font valoir la nullité de la promesse pour absence de détermination du prix, en ce que la clause relative au prix faisant référence à la valeur de marché des actions, corrigée par la dette consolidée du groupe, hors prise en compte de la quote-part des capitaux propres résultant du seul apport de Financière Lov, est contraire aux articles 1591 et 1592 du code civil, le renvoi à la valeur de marché n'ayant aucun sens en l'absence de toute cotation officielle et le renvoi à une valeur de transaction résultant de l'offre et la demande n'ayant rien d'objectif. Ils ajoutent que l'intervention du tiers expert prévu par la promesse n'est pas susceptible de rendre le prix déterminable, l'expert qui ne peut s'affranchir des termes de la convention n'ayant pas la possibilité de pallier l'imprécision des parties.

Tandis que Financière Lov et CDP Holding considèrent que le caractère déterminable du prix résulte clairement des articles 5.1 et 5.2 de la promesse, la valeur de marché visée dans l'acte ne renvoyant pas à la cotation des titres sur le marché réglementé mais à la juste valeur que l'on peut retirer du bien en le vendant, l'absence de critère absolu n'empêchant pas de déterminer ce prix, que l'acte prévoit à défaut d'accord sur le prix le recours à un tiers expert chargé de fixer le prix des actions, ce tiers étant investi d'un mandat indicatif, les parties le laissant libre de la méthode d'évaluation utilisée, ne lui imposant que deux éléments de retraitement comptables parfaitement déterminés, la dette consolidée du groupe et la quote-part des capitaux propres de CDP Holding, cette intervention étant suffisante à assurer le caractère déterminable du prix.

Dans son courrier du 27 décembre 2013 notifiant l'exercice de l'option, Financière Lov indique que le prix de cession des actions de CDP Holding déterminé en application de l'article 5 de la promesse et correspondant à la valeur de marché, s'établit à 136.584,95 euros, soit 385,83 euros par action promise, les modalités de calcul étant détaillées en annexe.

L'article 5 de la promesse dispose que:

- le prix des actions ' sera égal à la valeur de marché des Actions Promises, en tenant compte de la dette consolidée du groupe, étant précisé que ce prix ne prendra pas en compte la quote-part des capitaux propres de la Société à laquelle les Actions Promises donnent droit, correspondant à l'Augmentation de Capital souscrite par le seul Bénéficiaire....'( 5.1),

- les promettants disposeront d'un délai de 20 jours pour contester le prix ( 5.2) et qu'à défaut d'avoir pu parvenir à un accord sur les points litigieux, les parties soumettront les points de désaccord à un expert indépendant qu'elles désigneront d'un commun accord ( 5.5),

- l'expert agira comme mandataire commun des parties conformément à l'article 1592 du code civil, appliquera les principes prévus par la promesse (5.5) et remettra un rapport final précisant sa détermination du prix ( 5.6).

Pour que la vente soit valable au sens de 1591 du code civil, il suffit, si le prix de cession n'est pas déterminé, qu'il soit déterminable.

CDP Holding n'étant pas une société cotée sur un marché réglementé, la valeur de marché s'entend nécessairement du prix pouvant être obtenu dans le cadre d'une vente en fonction de l'offre et de la demande. Si ce prix de marché répond à des critères pouvant varier, il n'est pas pour autant laissé à la seule initiative de l'une des parties.

En effet, à défaut pour les parties de s'accorder sur cette valeur de marché, la promesse prévoit qu'elles s'en remettront à un tiers expert, agissant en qualité de mandataire commun, qui après avoir tranché les points de désaccord qui lui seront soumis par les parties, fixera le prix de cession, ses conclusions s'imposant alors aux parties en application de l'article 1592 du code civil.

Les consorts S. soutiennent vainement qu'en l'absence de critères objectifs fixés dans l'acte l'expert ne pourra pas déterminer le prix alors que l'article 5.5 en prévoyant que le tiers expert appliquera les principes de la promesse, lui impose pour trancher les contestations et déterminer le prix de marché de tenir compte de la dette consolidée du groupe et inversement de ne pas intégrer dans ce prix la quote-part des capitaux propres correspondant à l'augmentation de capital souscrite par Financière Lov, éléments objectifs, le laissant pour le surplus libre du choix de sa méthode pour parvenir au prix du marché.

Le recours à un tiers expert dans ces conditions suffit à rendre déterminable le prix des actions promises.

Il s'ensuit que les consorts S. seront déboutés de leurs demandes d'annulation de la promesse et de la levée de l'option et que l'option a été valablement exercée.

- Sur le caractère définitif de la vente

Les sociétés appelantes demandent à la cour de constater que la vente se trouve définitivement conclue avec la levée de l'option, de dire que le présent arrêt vaut vente à Financière Lov des actions promises par les consorts S., le fait que l'expert n'ait pas encore réalisé sa mission n'ayant d'incidence que sur la date de réalisation de la vente et non sur sa conclusion.

Les consorts S. objectent que la cession ne peut être valablement formée qu'à la date où le tiers expert aura effectivement réalisé sa mission, de sorte que la vente ne saurait être ordonnée avant que le prix ne soit déterminé.

Il résulte de la promesse que les consorts S. se sont irrévocablement engagés à première demande du bénéficiaire à céder les actions promises. Financière Lov ayant valablement levé l'option pendant la période de validité de la promesse, les consorts S. S. sont tenus par leur engagement. Il s'ensuit que la vente est parfaite quand bien même le prix de cession n'est pas encore déterminé, dès lors que ce prix a été jugé déterminable par le recours à un tiers, l'expert pouvant aux termes de la convention, à défaut d'accord des parties, être désigné par le président du tribunal de commerce de Paris à l'initiative de l'une d'elles et dès lors que les conclusions de l'expert s'imposant aux parties en application de l'article 1592 du code civil expressément visé dans la promesse, aucun nouvel accord des parties ne sera nécessaire après le dépôt du rapport d'expertise pour fixer le prix de cession.

Toutefois si la vente est parfaite, sa réalisation ne peut intervenir avant que le prix de cession ne soit fixé, l'article 6 de la promesse stipulant que la réalisation est matérialisée par la signature des ordres de mouvement portant sur les actions promises par les promettants contre paiement du prix par le bénéficiaire à la même date et que cette réalisation ainsi que le transfert de propriété des actions interviendront dans un délai maximum de 60 jours à compter de la date la plus lointaine de l'un des deux événements suivants: la date de la réception de la notification de l'exercice ou celle de la remise du rapport de l'expert. En l'absence d'accord des parties, la vente ne pourra être réalisée qu'après détermination du prix par l'expert.

En conséquence, la cour dira la vente parfaite, le présent arrêt ne se substituant toutefois pas à la réalisation de la vente.

Quant à l'inscription des ordres de mouvement sur les registres de CDP Holding, dont la signature est subordonnée au paiement concomitant du prix de cession, CDP Holding est fondée à en solliciter l'inscription à compter de la date du paiement du prix de cession fixé par l'expert.

- Sur la demande de dommages et intérêts

Il ne saurait être déduit du rejet de leurs demandes et contestations que le recours au juge par les consorts S. pour faire trancher le litige a dégénéré en abus de droit, étant relevé que leur demande avait été accueillie par les premiers juges.

A ces motifs, le jugement ayant débouté Financière Lov de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera confirmé.

- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des sociétés appelantes qui obtiennent gain de cause en appel et de condamner les consorts S. à leur verser ensemble une indemnité de 5.000 euros.

Les consorts S., parties perdantes, seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel, et déboutés de leur demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Financière Lov et le confirme de ce chef,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déboute les consorts S. de leur demande d'annulation de la promesse de vente du 19 juillet 2010 et tendant à voir déclarer tardive ou nulle la levée de l'option exercée par Financière Lov,

Constate que la vente des actions promises à Financière Lov est parfaite au 30 décembre 2013,

Donne acte à Financière Lov de ce qu'elle s'engage à payer le prix qui sera fixé par l'expert dans un délai de 8 jours suivant le dépôt du rapport d'expertise,

Autorise CDP Holding à inscrire sur ces registres les ordres de mouvement des actions cédées par les consorts S. à Financière Lov à compter de la date du paiement du prix de cession qui sera fixé par l'expert,

Condamne les consorts S. à payer à Financière Lov 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et les déboute de leur demande sur ce fondement,

Déboute Financière Lov et CDP Holding de leurs plus amples demandes,

Condamne les consorts S. aux dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils pourront être recouvrés directement par les avocats qui en fait la demande dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.