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Décisions

Cass. 3e civ., 22 octobre 2020, n° 18-20.127

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

M. Barbieri

Avocats :

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Paris, du 14 févr. 2018

14 février 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 février 2018), rendu sur renvoi après cassation (Com., 29 septembre 2015, pourvoi n° 14-16.142), par acte du 28 décembre 1993, le groupement foncier agricole du Plateau (le GFA) a consenti à O... C... un bail à long terme ayant pour objet un ensemble de terres agricoles.

2. Par acte du 8 juillet 1978, O... C... a constitué avec ses parents, E... et ZF... C..., la société civile d'exploitation agricole de la Ferme du plateau (la SCEA), à la disposition de laquelle les biens loués ont été mis. A la suite de cessions de parts, le capital de la SCEA a été détenu par E... C... et son épouse, titulaires chacun d'une part sociale, et par leur fils, O... C..., titulaire du solde des parts, soit 1 098.

3. Les statuts stipulaient qu'en cas de décès d'un associé, la société continuerait entre les associés survivants et ceux des ayants droit de l'associé décédé qui auraient été agréés par les associés survivants, réunis en assemblée générale extraordinaire, et qu'à défaut d'agrément, les parts seraient rachetées par les associés survivants, exerçant à cet égard un « droit de préemption » sur lesdites parts.

4. O... C... est décédé en laissant, pour lui succéder Mme Q..., son épouse, et leurs enfants, T... et V... (les consorts Q... C...).

5. Sur requête de E... et ZF... C..., une ordonnance en la forme des référés du 3 septembre 2004 a désigné un expert à l'effet de déterminer la valeur des droits sociaux de O... C... à la date de son décès et alloué aux consorts C... Q... une provision de 100 000 euros à valoir sur la valeur des parts sociales. L'expert a fixé la valeur des parts.

6. Après le décès de E... C..., les consorts Q... C... ont assigné ZF... C... et les autres héritiers de son époux, Mme P... R..., Mme I... M... , MM. G..., J... et A... C..., MM. D..., K... et S... R..., Mme N... R..., Mme L... U..., M. F... M... , Mme W... H... et Mme B... C... (les consorts R...-C...-M...) afin de voir fixer la créance de la succession de O... C... au titre du remboursement des droits sociaux de celui-ci au sein de la SCEA et en obtenir paiement.

7. ZF... C... est décédée en cours d'instance, en laissant pour lui succéder ses quatre enfants, Mme R..., Mme M... , MM. G... et A... C..., ainsi que V... et T..., venant par représentation de leur père, O... C....

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. Les consorts Q... C... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de fixer la créance de la succession de O... C..., au titre du remboursement des droits sociaux qu'il détenait au sein de la SCEA, à la somme de 721 788 euros sous déduction de la provision déjà versée de 100 000 euros et de condamnation des « défendeurs » à leur verser cette somme, ainsi qu'à voir constater l'absence d'erreur grossière de l'expertise, alors :

« 1°/ que devant les juges du fond, les consorts C... R... M... ne déduisaient ni la prétendue extinction de la mise à disposition des terres au profit de la S.C.E.A., ni par voie de conséquence la prétendue absence de pérennité de celle-ci, ni a fortiori l'erreur grossière qu'ils imputaient à l'expert, de ce que les héritiers de O... C... avaient été privés par le G.F.A. de leur droit à poursuivre le bail consenti à O... C... ; que la cour d'appel, qui a déduit l'extinction de la mise à disposition des terres au profit de la S.C.E.A., et donc l'erreur grossière de l'expert, de ce que les consorts Q... C... avaient été indûment privés de l'exercice de leurs droits attachés au bail par le G.F.A., sans au préalable mettre les parties en mesure de débattre de ce moyen relevé d'office, a violé le principe de la contradiction, ensemble l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que, en tout état de cause, en se fondant sur la violation des droits locatifs des consorts Q... C... par le G.F.A., constitué entre les consorts C... R... M... , après le décès de O... C..., pour en déduire que les consorts Q... C... n'auraient pu mettre les terres objets du bail à la disposition de la S.C.E.A., que la S.C.E.A. ne pouvait donc poursuivre son activité après le décès de O... C... et, par voie de conséquence, qu'en se plaçant dans l'hypothèse d'une poursuite d'activité l'expert judiciaire avait commis une erreur grossière au détriment des consorts C... R... M... , la cour d'appel a violé l'article 1843-4 du code civil ;

3°/ que, aussi, la mise à disposition se poursuit, en dépit du décès du preneur et indépendamment de toute clause en ce sens, lorsque le bail est continué de plein droit au profit du conjoint, des ascendants ou des descendants du preneur décédé ; qu'en retenant que la mise à disposition de la S.C.E.A. du bail consenti par le G.F.A. du Plateau à M. O... C... a nécessairement pris fin au décès de ce dernier, pour en déduire absence de pérennité de la S.C.E.A. et l'erreur grossière commise par l'expert, la cour d'appel a violé l'article L. 411-37 du code rural ;

4°/ que, encore, devant les juges du fond, les consorts C... R... M... ne déduisaient ni la prétendue extinction de la mise à disposition des terres au profit de la S.C.E.A., ni par voie de conséquence la prétendue absence de pérennité de celle-ci, ni a fortiori l'erreur grossière qu'ils imputaient à l'expert, de ce que les héritiers de O... C... n'auraient pas été agréés en qualité d'associés de la S.C.E.A. ; que la cour d'appel, qui a déduit l'extinction de la mise à disposition des terres au profit de la S.C.E.A., et donc l'erreur grossière du juge, de ce que les consorts Q... C... n'avaient pas été agréés en qualité d'associés de celle-ci, sans au préalable mettre les parties en mesure de débattre de ce moyen relevé d'office, a violé le principe de la contradiction, ensemble l'article 16 du code de procédure civile ;

5°/ que, en tout état de cause et enfin, la cour d'appel qui, pour apprécier la pérennité de l'exploitation par la S.C.E.A. à la date du décès de O... C..., soit au 4 mars 2001, pérennité dont dépendait la réalité de l'erreur grossière imputée à l'expert judiciaire, s'est fondée sur un refus d'agrément intervenu trois ans plus tard, a violé l'article 1843-4 précité du code civil. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, ayant retenu, à bon droit, qu'en application de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime, le maintien de la mise à disposition des terres louées au profit de la SCEA était subordonné à la qualité d'associés des héritiers du preneur décédé et constaté que les statuts de celle-ci prévoyaient que la continuation de l'association dépendait de l'agrément des ayants droit de l'associé par les associés survivants, la cour d'appel, qui n'a pas relevé d'office le moyen selon lequel les consorts Q... C... auraient été privés des droits que leur conférait, à l'égard du GFA, le bail souscrit par leur auteur, ni ne s'est fondée sur celui-ci, en a exactement déduit que, la SCEA ne pouvant plus poursuivre l'exploitation des terres louées, le rapport de l'expert, fondé sur le postulat inverse du caractère pérenne de cette activité, était entaché d'une erreur grossière.

10. En deuxième lieu, répondant aux conclusions des consorts C... R... M... qui faisaient valoir que le preneur ne pouvait mettre les biens à la disposition d'une société d'exploitation qu'à la condition d'en être associé, de sorte que son décès mettait fin à cette convention, la cour d'appel a justement retenu, sans méconnaître le principe de la contradiction, que les consorts Q... C..., qui n'étaient pas associés au sein de la SCEA, ne pouvaient se prévaloir de la reconduction de cette mise à disposition dans les conditions de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime.

11. En troisième lieu, ayant relevé que le décès de O... C..., preneur associé au sein de la SCEA, avait mis fin, non pas au bail lui-même, mais à la convention de mise à disposition des terres louées, dès lors que ses héritiers n'étaient pas associés avant son décès et ne l'étaient devenus ni lors de cet événement, ni par la suite, en l'absence de délibération exprimant l'agrément des associés survivants, c'est sans méconnaître les dispositions de l'article 1843-4 du code civil et abstraction faite d'un motif surabondant tenant au refus d'agrément exprimé par décision du 14 mars 2004 que la cour d'appel a retenu que l'expertise mise en oeuvre sur le fondement du texte précité reposait sur des prémisses inexactes quant au mode de détermination de la valeur des parts sociales.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. Les consorts Q... C... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes tendant pour l'essentiel à voir fixer la créance de la succession de O... C..., au titre du remboursement des droits sociaux qu'il détenait au sein de la SCEA, et à voir condamner les « défendeurs » à paiement, alors :

« 1°/ que, d'une part, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ; que dix ans après avoir assigné les consorts C... R... M... en fixation de la créance de la succession de O... C... au titre du remboursement de ses droits sociaux dans la SCEA et en paiement de cette créance, les consorts Q... C... n'ont encore obtenu que la reconnaissance du bien-fondé de leur demande par l'arrêt attaqué qui, en revanche, les a déboutés de leurs demandes tendant à la fixation de leur créance et à la condamnation des défendeurs à payement, après avoir retenu que le rapport de l'expert judiciaire chargé d'estimer la valeur de ces parts doit être écarté comme étant entaché d'une erreur grossière et dit « qu'il appartiendra aux parties de tirer les conséquences qu'elles jugeront opportunes » ; qu'en statuant ainsi, quand il lui incombait de déterminer le montant de la créance ou, à tout le moins, de désigner un autre expert avec mission d'en déterminer le montant, la cour d'appel a violé l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que, d'autre part et en tout état de cause, le juge ne peut refuser de statuer, en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; que la cour d'appel a dit fondée en son principe la demande des consorts Q... C... tendant au paiement de la valeur, au jour du décès de O... C..., des 1 098 parts qu'il détenait dans la SCEA. ; que pour les débouter néanmoins de leurs demandes tendant à la fixation de leur créance à ce titre et à la condamnation des défendeurs à payement, elle a retenu que le rapport de l'expert judiciaire chargé d'estimer la valeur de ces parts est entaché d'une erreur grossière et doit être écarté ; qu'en statuant ainsi, quand il lui incombait de déterminer le montant de la créance ou, à tout le moins, de désigner un autre expert avec mission d'en déterminer le montant, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

14. La valeur des parts sociales d'un associé se retirant ou décédé devant être fixée, à défaut d'accord amiable, selon la procédure impérative prévue à l'article 1843-4 du code civil, la cour d'appel, qui ne pouvait substituer sa propre appréciation à celle de l'expert dont elle écartait l'estimation, ni en désigner un autre, a pu, dans les limites de son office, et sans méconnaître les règles du procès équitable, inviter les parties, qui n'ont pas été privées de la faculté de saisir la juridiction compétente, à se conformer à ces dispositions d'ordre public.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE les pourvois.