Cass. com., 17 décembre 2002, n° 98-23.076
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Attendu selon l'arrêt confirmatif attaqué (Poitiers 13 octobre 1993), que la Société d'Exploitation de Maisons de Santé (la SEMS) qui exploitait la polyclinique Saint-Georges à Saint-Georges de Didonne a conclu le 19 février 1982, avec deux médecins radiologues un contrat d'exclusivité pour une durée de 10 ans renouvelable par tacite reconduction ; que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 février 1991, le président et directeur général de la SEMS, M. X..., conformément à l'article 12 du contrat d'exclusivité, n'a pas renouvelé ce contrat qui devait cesser ses effets au 19 février 1992 ; que le 18 janvier 1993, les associés de la SEMS, le docteur X... et la SARL Société de Participation Médico Chirurgicale (la SPMC) ont cédé, avec clause de garantie de passif, la totalité de leurs actions à la Société Civile de Participation Médico Chirurgicale et Thérapeutique (la SCPMCT) ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 janvier 1993, les deux médecins radiologues qui ne s'étaient pas manifestés pour signer un nouveau contrat, étaient priés par la nouvelle direction de la polyclinique de libérer les locaux au plus tard au 30 juin 1993 ; que la SEMS et la SCPMCT, cette dernière se prévalant de la clause de garantie de passif contenue dans le contrat de cession ont assigné le docteur X..., la SPMC, les deux médecins radiologues, afin qu'il soit statué sur le montant de l'indemnité à laquelle ces deux derniers pouvaient éventuellement prétendre ; que les juges du fond tout en constatant que les médecins radiologues n'étaient pas fondés à invoquer la reconduction tacite du contrat d'exclusivité de 1982, ni la mise en oeuvre d'un nouveau contrat de fait à partir de cette date, ont condamné la SEMS et la SCPMCT sur la base des modalités prévues par l'article 12 du contrat d'exclusivité du 19 février 1982, à payer aux deux médecins radiologues une indemnité de résiliation et ont condamné ceux-ci à payer à la SEMS et à la SCPMCT une indemnité d'occupation ; que le docteur X... et la SPMC, tenus à la garantie de passif, ont été condamnés à rembourser à la SCPMCT la somme versée aux médecins radiologues au titre de l'indemnité de résiliation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... et la société SPMC reprochent à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen que le contrat d'exclusivité, qui ne comportait aucune clause de non-concurrence à son terme, ne prévoyait en conséquence le paiement d'une indemnité au profit des radiologues que dans le cas d'une rupture du contrat par la clinique ; qu'il ne permettait pas aux radiologues de prétendre au paiement d'une telle indemnité pour refus de renouvellement du contrat arrivé à son terme ; qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la convention d'exclusivité, conclue pour une durée de dix années à compter du 19 février 1982, pouvait être reconduite par tacite reconduction ; que, les parties ayant conservé la possibilité de mettre obstacle à la poursuite du contrat en respectant le délai de préavis, la correspondance adressée par le docteur X... agissant en qualité de président et directeur général de la SEMS avec avis de réception du 11 février 1992, par laquelle il mettait fin au contrat d'exclusivité s'inscrivait dans une volonté de rupture des relations contractuelles, lesquelles ont pris fin le 19 février 1992 ; qu'il retient encore que l'article 12 prévoit que "lors de la cessation du contrat, le centre de radiologie pourra se rétablir où bon lui semblera sans restriction de temps ou de distance. Sauf le cas de rupture volontaire par le centre de radiologie, il pourra prétendre à l'indemnité de la part de la clinique prévue aux article 10 et 11" ; qu'en en déduisant que la commune intention des parties avait été de prévoir le versement d'une indemnité au profit des médecins radiologues quelles que soient les circonstances mettant fin aux relations contractuelles les liant à la clinique, dès lors qu'elles ne résultaient pas d'une rupture volontaire leur incombant, la cour d'appel a, sans méconnaître la loi des parties pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que M. X... et la SPMC reproche à l'arrêt de les avoir condamnés in solidum à rembourser à la SCPMCT la somme qu'elle sera amené à payer aux médecins radiologues, au titre de l'indemnité de résiliation par application de la clause de garantie de passif contenue dans le contrat de cession, alors, selon le moyen :
1°) que l'application de la clause de garantie du passif supposait, aux termes du contrat de cession d'actions, un passif nouveau une cause ou une origine imputable à des faits antérieurs à la date du 31 décembre 1992, échappant par conséquent à la volonté de l'acquéreur ; qu'il est acquis aux débats que, si la lettre de non-renouvellement du contrat d'exclusivité a été adressée à titre conservatoire aux radiologues avant cette date, les radiologues se sont néanmoins maintenus dans les lieux dans l'espoir d'une poursuite du contrat avec la nouvelle direction, et n'ont demandé le paiement d'une indemnité de rupture qu'en conséquence de la décision librement prise par la nouvelle direction de demander effectivement leur départ ; qu'ainsi, le passif nouveau avait sa cause déterminante dans la décision postérieure au 31 décembre 1992, de la nouvelle direction de la clinique, et ne pouvait relever de la garantie contractuelle de passif stipulée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
2°) que l'application de la garantie contractuelle supposait encore que les faits constituant la cause ou l'origine du passif nouveau ne se révèlent qu'après le 31 décembre 1992 ; qu'en l'espèce, le non-renouvellement du contrat d'exclusivité dont la cour d'appel énonce qu'il constitue la cause du passif litigieux résulte d'une lettre adressée aux radiologues avant le 31 décembre 1992 ; que ce non-renouvellement antérieur au 31 décembre 1992 est d'ailleurs expressément mentionné au contrat de cession ; que les faits qui, selon la Cour d'Appel, sont la cause du passif litigieux étaient donc d'ores et déjà révélés à la date du 31 décembre 1992, de sorte que ce passif ne pouvait pas relever de la garantie contractuelle stipulée ; qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
3°) que loin de laisser croire que le problème des médecins radiologues aurait été réglé, les cédants, auxquels les radiologues n'avaient jamais demandé le paiement d'une indemnité de rupture, qui n'avaient dès lors pas à constituer de provision pour un litige qui n'était pas encore né, déclaraient (p,12 du contrat de cession d'actions), attirant ainsi clairement l'attention des acquéreurs sur une éventuelle difficulté et satisfaisant ainsi à l'obligation de renseignement qui pesait sur eux, que le contrat des radiologues annexé au contrat de cession avait été dénoncé sans qu'un nouveau contrat ne soit signé depuis cette date ; qu'ainsi la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le passif constitué par l'indemnité de résiliation trouve son origine dans la lettre de rupture du contrat de collaboration signifiée le 11 février 1991 par le docteur X..., agissant en sa qualité de président et directeur général de la société SEMS et qu'ainsi le passif nouveau avait bien une origine antérieure au 31 décembre 1992 ;
Attendu en second lieu, que l'arrêt constate que la lettre de rupture du contrat d'exclusivité avec effet au 19 février 1992 était à l'origine du passif nouveau, n'impliquait pas nécessairement que la découverte par la cessionnaire de cette situation de passif ait eu lieu avant le 31 décembre 1992 ; que le contrat de cession ne prévoyait pas de provision au regard de la cessation du contrat d'exclusivité des radiologues les cédants avaient amené leur cocontractant à "croire légitimement" que le problème des médecins radiologues avait été réglé par le docteur X... ; que c'est donc bien au moment où les médecins radiologues ont décidé de réclamer une indemnité de rupture que la société SCPMCT a découvert qu'il y avait matière à passif nouveau ; que la cour d'appel, interprétant la clause de garantie de passif figurant dans l'acte de cession des actions, a pu statuer comme elle a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que M. X... et la SPMC font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°) que le contrat de cession stipulait sans distinction que les garants pourront demander que tout passif nouveau soit compensé par tout actif nouveau résultant d'une augmentation de valeur d'actif circulant ou d'une diminution de valeur de passif ne figurant pas dans le bilan de la société clos le 31 décembre 1992, et ayant sa naissance ou son origine avant cette date ; qu'en décidant qu'il n'y aurait pas lieu de déduire, du montant de la garantie de passif due aux acquéreurs, les provisions inutilement constituées dans d'autres litiges, et venant en conséquence en diminution du passif résultant du bilan clos le 31 décembre 1992, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
2°) qu'en statuant de la sorte sans la moindre explication sur la clause de compensation pourtant invoquée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
3°) que le contrat stipulait expressément qu'il doit être tenu compte, pour la détermination des sommes dues par les garants, de l'éventuelle économie d'impôt résultant du nouveau passif, le montant de cette économie venant en déduction des sommes dues par les garants ; qu'en refusant, le cas échéant en ordonnant une expertise comptable, de tenir compte de l'économie d'impôt invoquée dans le montant de la condamnation prononcée, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, que la cour d'appel relève par motifs propres et adoptés qu'il importe peu que des provisions importantes constituées n'aient pas été utilisées en totalité, dès lors qu'elles concernaient des litiges distincts et qu'aucune provision n'a été constituée pour le litige concernant les radiologues ; qu'elle retient encore que le règlement de l'indemnité, charge déductible sur le plan fiscal, ne pourra entraîner une éventuelle réduction d'impôt, qu'à partir du moment où il aura fait l'objet d'un règlement effectif dans le cadre d'un exercice fiscal déterminé ; qu'en outre, le montant de cette charge ne constitue pas le seul paramètre permettant de calculer l'éventuelle diminution d'impôt ; que l'économie qui en résulte a donc un caractère hypothétique ; que son mécanisme de calcul ne pourra être mis en application qu'une fois acquis le règlement effectif de l'indemnité de rupture ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui n'a pas méconnu les termes clairs du contrat de cession et qui a répondu aux conclusions des parties, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
Et sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... et la SPMC reprochent à l'arrêt de les avoir condamnés in solidum à rembourser à la SCPMCT, la somme qu'elle sera amenée à payer aux médecins radiologues dans la proportion de 551/1346 pour le docteur X... et de 795/1346 pour la SPMC, alors, selon le moyen :
1°) qu'à supposer que la cour ait entendu ainsi prononcer une condamnation solidaire, le contrat excluait expressément toute solidarité des cédants au titre de la garantie de passif ; qu'en statuant de la sorte, après avoir elle-même admis dans ses motifs que la garantie n'était due qu'à proportion des droits de propriété des cédants sur les parts sociales, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations au regard de l'article 1134 du Code civil qu'elle a violé ;
2°) qu'en toute hypothèse, l'arrêt attaqué ne pouvait condamner le docteur X... et la SPMC tout à la fois in solidum et chacun à proportion de ses parts ; qu'il a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, que s'il est exact que la garantie de passif stipulée au contrat de cession mentionne que les cédants "s'engagent divisément et sans solidarité" envers le cessionnaire, la cour d'appel a retenu que c'est à bon droit que le Tribunal a relevé l'obligation des cédants à garantir le passif résultant de l'indemnité de rupture seulement à proportion de leurs droits de propriété sur les parts sociales ; que la contradiction dénoncée par le moyen trouve son origine dans une erreur purement matérielle qu'il est possible de réparer conformément à l'article 462 du nouveau Code de procédure civile ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.