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Décisions

Cass. com., 2 décembre 2020, n° 18-11.336

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Paris, du 17 nov. 2017

17 novembre 2017

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2017) et les productions, M. O... et MM. G... et V... H... ont, par un acte du 14 février 2008, cédé à la société Groupe Segula technologies, devenue la société Segula technologies (la société Segula), l'intégralité des parts qu'ils détenaient dans le capital de la société Mapsys et de ses filiales. M. G... H... a consenti le même jour une garantie d'actif et de passif à la société Segula.

2. Le 25 avril 2008, l'un des salariés de la société Mapsys, M. F..., qui était en arrêt de travail à la date de la cession des titres, a été licencié après que le médecin du travail l'eut déclaré définitivement inapte à exercer tout poste dans l'entreprise. Par un arrêt du 27 mars 2014, une cour d'appel a prononcé la nullité de ce licenciement au motif que l'inaptitude ayant conduit à cette décision était une conséquence du harcèlement moral dont M. F... avait été victime et a condamné la société Segula Engineering Consulting (la société SEC), venant aux droits de la société Mapsys, à lui payer certaines sommes.

3. Face au refus de M. H... de mettre en oeuvre la garantie d'actif et de passif, la société Segula l'a assigné en paiement. M. H... a, par conclusions du 28 mai 2015, sollicité à titre reconventionnel, le remboursement d'une somme qu'il estimait avoir indûment payée au titre de cette garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Segula fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement au titre de la garantie d'actif et de passif, outre intérêts, alors :

« 1°/ que le juge ne peut dénaturer le sens clair et précis des documents de la cause ; que la garantie d'actif et de passif du 14 février 2008 prévoyait que "dans le cas où un passif non comptabilisé ou un passif quelconque par rapport à celui porté dans les comptes de référence, mais ayant une cause ou une origine antérieure viendrait à se révéler, l'acquéreur pourra demander au Garant, à titre de réduction de prix, le reversement d'une somme égale au supplément de passif en question (
). Une insuffisance ne donnera lieu à reversement que si elle a des conséquences négatives effectives pour les sociétés et qu'il provient d'un fait ou d'un événement dont l'origine est antérieure à la date de réalisation (
). La responsabilité du Garant à raison des garanties qui précèdent ne pourra être mise en cause que pour des faits antérieurs à la cession" ; qu'aux termes de cette garantie, le passif autorisant la mise en oeuvre de la garantie doit trouver son origine ou sa cause dans des faits antérieurs à la réalisation de la cession, intervenue le 14 février 2008 ; que le passif dont la société Segula demande la prise en charge par M. H... au titre de la garantie de passif trouve son origine dans le harcèlement subi par M. F... antérieurement au transfert des titres ; qu'en considérant néanmoins que les demandes de la société Segula se situent hors du périmètre de la convention de garantie, la cour d'appel, qui a manifestement méconnu le sens clair et précis des termes de la garantie de passif, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la force obligatoire du contrat s'applique aux parties, mais également au juge qui est tenu d'en respecter et d'en faire respecter les stipulations ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que M. F... avait été victime d'un harcèlement l'ayant conduit à un arrêt de travail en cours au moment de la réalisation de la cession intervenue le 14 février 2008, que le médecin du travail a ensuite déclaré le salarié définitivement inapte à tout poste dans l'entreprise ; qu'elle a par ailleurs souligné à plusieurs reprises que la clause de garantie de passif était applicable en cas d'apparition d'un passif non comptabilisé dans les comptes de références provenant de faits dont la "cause" ou "l'origine" était antérieure à la cession ; qu'elle a néanmoins retenu que le licenciement constitue le fait générateur des indemnités dues par la société Segula et qu'il est intervenu postérieurement à la cession si bien que les demandes de la société Segula se situeraient hors du champs de la convention de garantie ; qu'en statuant ainsi, après avoir mis en évidence que l'origine du caractère illicite du licenciement résidait dans le harcèlement dont M. F... a été victime avant la cession, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;

3°/ que le droit pour la victime d'obtenir réparation existe dès que le dommage est causé ; que la date de naissance de la créance doit ainsi être fixée au jour où le dommage se réalise ; que la cour d'appel a, contrairement à ce principe, retenu que le licenciement constitue le fait générateur des indemnités due par la société Segula ; qu'elle a pourtant relevé que le licenciement est illicite parce que l'inaptitude ayant conduit au licenciement de M. F... trouve son origine dans le harcèlement dont il a été victime ; que les faits de harcèlement constituent la source du dommage subi par M. F... et sont antérieurs à la cession des titres intervenues le 14 février 2008 ; qu'en considérant néanmoins que la réparation du préjudice subi ne relevait pas du périmètre de la convention de garantie, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;

4°/ que le droit pour la victime d'obtenir réparation existe dès que le dommage est causé ; que la date de naissance de la créance doit ainsi être fixée au jour où le dommage se réalise ; que les indemnités accordées sont toutes en lien direct avec le fait que la nullité du licenciement prononcée trouve sa cause dans le harcèlement dont M. F... a été reconnu victime, antérieurement à la cession des titres ; qu'en conséquence, le licenciement ne peut constituer le fait générateur de l'ensemble des indemnités accordées à M. F... puisque, s'il n'avait pas été prononcé à la suite de fait de harcèlement, il n'aurait pas été annulé ; qu'en considérant néanmoins que la réparation du préjudice subi ne relevait pas du périmètre de la convention de garantie, la cour d'appel, qui a méconnu l'origine de la créance de réparation, a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que la société Segula ne contestait pas avoir eu connaissance du fait que M. F... était en arrêt de travail lors de la cession des titres et que la décision de licenciement pour inaptitude avait été prise par elle seule en toute connaissance de cause, cependant que, faisant partie d'un groupe employant plusieurs milliers de personnes en France, elle aurait pu explorer des solutions de reclassement, c'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des termes de la convention de garantie d'actif et de passif, que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu qu'au sens de cette convention, ce ne sont pas les faits de harcèlement moral qui, selon le médecin du travail, ont rendus M. F... inapte à exercer toute fonction dans l'entreprise, qui sont à l'origine du passif nouveau invoqué par la société Segula au titre de la garantie, mais la décision de licencier ce dernier.

6. En second lieu, après avoir relevé que le licenciement de M. F..., qui avait donné lieu à la procédure judiciaire à l'issue de laquelle la société Segula avait été condamnée à lui payer certaines sommes, était intervenu le 25 avril 2008, soit postérieurement à la période couverte par la convention de garantie, qui avait pris fin à la date de la cession des titres, le 14 février 2008, c'est à bon droit que la cour d'appel, tirant les conséquences de ses constatations, a retenu que les demandes de la société Segula se situaient hors du périmètre de cette convention.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La société Segula fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande reconventionnelle de M. H... et de la condamner à lui payer certaines sommes, alors :

« 1°/ que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le délai de prescription commence à courir à compter du jour où le créancier devait avoir connaissance de l'existence de sa créance ; qu'il appartient dès lors à celui qui entend échapper au jeu de la prescription de démontrer sa diligence en établissant les démarches tendant à s'assurer de l'existence de ses droits ; que le passif invoqué par M. H... était déterminable au 31 décembre 2007 puisqu'il consistait en un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé sur un exercice ; que le passif inscrit à hauteur de 175 511 euros devait correspondre à un chiffre d'affaires annuel de 2 340 152 euros ; que lors de l'établissement des comptes de cession, la société Mapsys avait nécessairement connaissance du caractère excessif du passif ; qu'il était donc acquis dès 2007 qu'une correction du montant définitif du passif serait opérée ; qu'il appartenait donc à M. H... de se renseigner sur l'état du passif et non à la société Segula de fournir spontanément ces informations ; qu'en retenant néanmoins qu'il incombait à la société Segula d'informer le garant, M. H..., de toute modification des postes d'actif et de passif, la cour d'appel, qui a découvert une obligation d'information contraire aux diligences imposées à celui qui entend échapper à la prescription, a violé l'article 2224 du code civil ;

2°/ que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que la bonne ou mauvaise foi de celui qui invoque la prescription n'a pas d'influence sur la faculté de s'en prévaloir ; que retenant cependant que la société Segula ne peut de bonne foi invoquer une quelconque prescription, la cour d'appel, qui a statué par des motifs qui ne sont pas de nature à faire obstacle au jeu de la prescription, a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. L'arrêt constate que M. H... ne faisait plus partie de la société Segula lorsque le montant de la remise de fin d'année accordée par celle-ci à la société HSBC, provisionné dans les comptes de l'exercice 2007 pour un montant qui s'est ultérieurement avéré trop élevé, a été définitivement arrêté dans les comptes de l'exercice 2009, et qu'il n'avait plus alors aucun droit de regard sur ces comptes. Il relève ensuite que la société Segula, seule en possession des éléments relatifs à cette provision, n'a pas répondu à la demande d'information de l'avocat de M. H..., ce dernier n'ayant réussi à obtenir l'information qu'au mois de décembre 2014, en s'adressant directement à un employé de la société Segula. De ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que M. H... n'avait pu avoir connaissance des comptes de l'exercice 2009 avant le 22 septembre 2010, date de leur dépôt, et, partant, des faits lui permettant d'exercer son action, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, la cour d'appel a exactement déduit que la demande reconventionnelle de M. H..., formée le 28 mai 2015, n'était pas prescrite.

10. Le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.