Cass. com., 20 septembre 2017, n° 16-10.776
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Avocats :
SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Gadiou et Chevallier
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Dolla, qui exerce l'activité de grossiste en fruits et légumes et commercialise notamment des melons, hors saison, est titulaire de la marque semi-figurative en couleurs « Melysol Cualidad », enregistrée auprès de l'Institut national de la propriété industrielle le 25 mars 1996 pour des produits de la classe 31, notamment des melons ; que cette société a été contrôlée et dirigée par M. X..., jusqu'à ce que celui-ci régularise le 1er février 2002, avec d'autres actionnaires, un protocole définitif de cession d'actions au profit de la société Arenys ; que, conformément aux stipulations de ce protocole, la société Dolla a conclu le 16 février 2002, avec la société Melysol, sise en République dominicaine, ayant également M. X... pour gérant, un contrat d'approvisionnement par lequel la seconde a confié à la première l'exclusivité de la vente de sa production de melons sur le marché européen et suisse, pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation notifiée six mois avant l'échéance ; que, conformément au protocole précité, la société Dolla a autorisé la société Melysol à utiliser pour une durée de dix ans les marques dont elle est propriétaire sur tous les territoires autres que ceux de l'Union européenne et de la Suisse ; que la société Melysol a ainsi déposé le 24 avril 2003 la marque semi-figurative « Melysol » en République dominicaine auprès de l'Oficina nacional de la propiedad industrial ; qu'un avenant au contrat d'approvisionnement, signé le 9 septembre 2002, a par ailleurs précisé le prix minimum d'achat de la saison 2002-2003, correspondant à la période du 15 novembre 2002 au 30 mai 2003 ; que la société Dolla, constatant la qualité insuffisante des derniers envois, a écrit le 14 mai 2003 à la société Melysol qu'elle ne pouvait plus garantir de prix acceptables et estimait qu'il était sage, dans un intérêt commun, d'arrêter les importations ; que par courriel du même jour, la société Melysol a pris note de la rupture unilatérale du contrat d'approvisionnement, tandis que la société Dolla lui précisait, le lendemain, que sa proposition d'arrêter les importations pour la deuxième quinzaine du mois de mai ne concernait que cette saison ; que le 21 mai 2003, la société Dolla a fait établir des constats d'huissier relevant la présence sur le marché d'intérêt national de Nice de plusieurs cartons portant l'indication « Melysol SA », contenant des melons ; que le 1er mars 2004 les sociétés Dolla et Arenys ont assigné la société Melysol et M. X..., pris en sa qualité de gérant et à titre personnel, notamment en indemnisation de la rupture du contrat d'approvisionnement et appropriation frauduleuse de la marque Melysol ; qu'en cours de procédure, la société Melysol a dénoncé, par lettre du 3 août 2004, le contrat venant à échéance le 16 février 2005 ; que les sociétés Dolla et Arenys ont été mises en liquidation judiciaire en cours d'instance, M. Y... étant nommé liquidateur des deux sociétés ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident :
Attendu que M. Y..., en sa qualité de liquidateur de la société Dolla, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en indemnisation de l'utilisation frauduleuse de la marque « Melysol », et tendant à ce qu'il soit interdit à la société Melysol d'utiliser cette marque sur le territoire français alors, selon le moyen :
1°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que, pour débouter M. Y..., ès qualités, de sa demande indemnitaire et tendant à l'interdiction de l'usage de la marque « Melysol » sur le territoire européen, la cour d'appel affirme que la marque « Melysol SA », constatée sur de nombreux cartons d'un box niçois, équivalait au nom commercial « Melysol SA » enregistré en République dominicaine le 15 février 1995 « sans précision sur son auteur qui n'est pas avec certitude la société Dolla, ce qui la rend distincte de la marque « Melysol cualidad » dont cette société est titulaire en France depuis le 25 mars 1996 soit postérieurement à cet enregistrement » ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait des propres conclusions de la société Melysol que celle-ci « [était] régulièrement et légalement propriétaire de la marque « Melysol » en République dominicaine », la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que, par l'article 16 du contrat de cession des titres de la société Dolla du 1er février 2002, la société Dolla a autorisé la société Melysol à utiliser sans contrepartie, et pour une durée de 10 ans, les marques dont elle est propriétaire sur tous les territoires autres que le territoire européen ; qu'en se bornant à rechercher la date à laquelle la société Dolla avait déposé la marque « Melysol » en France, pour la comparer à celle du dépôt de la marque « Melysol » par la société Melysol en République dominicaine, quand il lui appartenait de rechercher , ainsi que l'y invitait M. Y..., ès qualités, en sollicitant la confirmation du jugement sur ce point si, au regard des engagements des parties, l'utilisation par la société Melysol de la marque éponyme en France, constatée le 21 mai 2003, n'était pas une violation pure et simple de l'accord passé le 1er février 2002, de sorte qu'il convenait de faire interdiction à la société Melysol d'utiliser cette marque en France sous peine d'une astreinte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
3°/ qu'à supposer adoptés les motifs des premiers juges sur ce point, pour débouter M. Y..., ès qualités, de sa demande indemnitaire au titre de l'utilisation frauduleuse par la société Melysol de la marque éponyme appartenant à la société Dolla sur le territoire français, la cour d'appel énonce qu'elle ne différencie pas de la perte de clientèle le préjudice résultant de l'utilisation frauduleuse de la marque « Melysol » ; qu'en statuant ainsi, quand M. Y... demandait, non pas l'indemnisation de la perte de clientèle qui pouvait résulter de la livraison par la société Melysol de melons estampillés « Melysol » à ses clients, mais le préjudice distinct tenant à l'atteinte en soi portée au droit de propriété de la société Dolla, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
4°/ qu'à supposer adoptés les motifs des premiers juges sur ce point, pour débouter M. Y..., ès qualités, de sa demande indemnitaire au titre de l'utilisation frauduleuse par la société Melysol de la marque éponyme appartenant à la société Dolla sur le territoire français, la cour d'appel énonce que la société Melysol démontre qu'elle commercialisait également ses melons sous d'autres marques ; qu'en assimilant ainsi une nouvelle fois le préjudice dont l'indemnisation était demandée à une simple perte de clientèle, quand M. Y... demandait réparation du préjudice, distinct de la perte de clientèle, tenant à l'atteinte portée au droit de propriété de la société Dolla, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
Mais attendu, en premier lieu, que, quoiqu'ayant repris l'expression employée dans le procès-verbal d'huissier établi le 21 mai 2003, constatant la présence de nombreux cartons de « marque » Melysol SA à l'entrée d'un box d'une société niçoise, l'arrêt n'en a pas moins analysé cette indication comme correspondant au nom commercial de la société Melysol ; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations, faisant ressortir que l'indication Melysol SA apposée sur les cartons de ce producteur ne caractérisait pas une utilisation frauduleuse de la marque Melysol cualidad enregistrée par la société Dolla pour désigner des melons, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante invoquée par la deuxième branche, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, qu'en écartant toute utilisation frauduleuse de la marque Melysol cualidad la cour d'appel n'a pas adopté les motifs contraires des premiers juges, critiqués par les troisième et quatrième branches ;
D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que M. Y..., en sa qualité de liquidateur de la société Arenys, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire formée contre M. X... au titre de la garantie d'éviction alors, selon le moyen :
1°/ que la garantie d'éviction s'applique dans les cas où l'éviction trouble l'objet même de la vente rendant impossible la poursuite de l'activité sociale ou la réalisation de l'objet social ; que la cour d'appel constate que le redressement judiciaire de la société Dolla en 2006, puis sa liquidation en 2009, avaient par nature dévalorisé le capital de cette société, ce dont il résultait que la poursuite de l'activité sociale et la réalisation de l'objet social étaient inéluctablement rendues impossibles, et que la garantie d'éviction était due par le cédant, M. X... ; qu'en écartant néanmoins cette garantie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et elle a violé l'article 1626 du code civil ;
2°/ qu'en affirmant, au demeurant, pour écarter la garantie d'éviction invoquée par M. Y..., ès qualités, que la société Arenys, cessionnaire, n'avait pas été privée, même partiellement, du capital de la société Dolla après l'acquisition de celui-ci, quand elle constatait que le redressement judiciaire de la société Dolla en 2006, puis sa liquidation en 2009, avaient par nature dévalorisé le capital de cette société, ce dont il résultait que le cessionnaire avait nécessairement été privé, à tout le moins partiellement, du capital acquis, et que la garantie d'éviction était due par le cédant, M. X..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et elle a violé l'article 1626 du code civil ;
3°/ que, quoiqu'il soit dit que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie, il demeure cependant tenu de celle qui résulte d'un fait qui lui est personnel, que toute convention contraire est nulle ; qu'en exigeant de M. Y..., ès qualités qu'il apporte la preuve du respect des conditions de fond et de forme prescrits par la garantie de passif et d'actif, prévue à l'article 24 du contrat de cession des parts de la société Dolla, quand les conditions contractuelles relatives à la mise en oeuvre de la garantie de passif et d'actif étaient hors de propos, et ne pouvaient faire obstacle à la garantie d'éviction due par le cédant au cessionnaire, la cour d'appel a violé les articles 1626 et 1628 du code civil ;
4°/ qu'en se bornant à affirmer que le rapport d'expertise de M. Z..., rendu le 23 juin 2012, établissait que la rupture des relations commerciales entre les sociétés Dolla et Melysol était étrangère à la procédure de redressement judiciaire de la société Dolla et ne remettait pas en cause la cession, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par M. Y..., ès qualités, si le comportement de M. X... qui, après avoir vendu ses actions à bon prix à la société Arenys, avait dévalorisé et démonétisé ses actions en privant la société Dolla de ce qui en faisait la valeur, par une rupture abusive du contrat d'approvisionnement, et en détournant les actifs et la clientèle de la société Dolla à son profit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1626 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que la cession des actions de la société Dolla, consentie par neuf personnes dont M. X..., était intervenue le 1er février 2002, l'arrêt relève que cette société a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 5 octobre 2006 et 22 janvier 2009 ; qu'il ajoute que ces procédures ont certes, par nature, dévalorisé le capital de cette société, mais que la société Arenys n'a pas été privée, même partiellement, du capital de la société Dolla après l'acquisition de celui-ci en 2002 ; qu'il retient, par motifs adoptés, que le rapport d'expertise remis le 23 juin 2012 établit que la rupture des relations commerciales entre la société Dolla et la société Melysol, dont M. X... était le gérant, est étrangère à cette procédure collective ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir qu'après la cession la société Dolla a pu poursuivre son activité économique et réaliser son objet social pendant plusieurs années, la cour d'appel, qui ne s'est pas déterminée par référence aux conditions de la garantie de passif et d'actif prévue dans le protocole de cession et n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la quatrième branche que ses constatations et appréciations souveraines rendaient inopérante, en a déduit à bon droit que l'ouverture de cette procédure collective ne suffisait pas à caractériser une éviction de la société Arenys par le fait de M. X... ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche :
Vu les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que pour imputer la rupture du contrat à la société Melysol et la condamner à indemniser le préjudice subi par la société Dolla par suite de l'absence d'approvisionnement au cours des saisons 2003-2004 et 2004/2005, l'arrêt relève qu'après que la société Dolla eut notifié à la société Melysol l'arrêt des importations pour la saison 2002-2003 en raison de la qualité insuffisante des derniers envois, les parties ont continué à correspondre au cours du second semestre 2003 pour discuter notamment de la saison 2003-2004 ; qu'il constate que la société Dolla, par télécopie du 25 novembre 2003, a fait part de son insatisfaction quant aux propositions de la société Melysol et demandé à son propre conseil d'arrêter la rédaction de versions successives d'un éventuel avenant, restant dans l'attente de la première livraison de la saison 2003-2004 fixée à la fin de ce mois ; qu'il ajoute, par motifs adoptés, que la société Melysol a confirmé le 29 décembre 2003 son refus de livraison invoquant le défaut d'accord entre les parties et les dégâts occasionnés sur sa production par les conditions climatiques difficiles ; qu'il en déduit que ces éléments excluent une volonté de rupture de la part de la société Dolla et que le jugement doit être confirmé pour avoir imputé la responsabilité de la résiliation à la société Melysol ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le contrat d'approvisionnement pouvait être exécuté en l'absence d'avenant fixant le prix et les quantités des marchandises d'un commun accord entre les parties pour chaque saison nouvelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le même moyen, pris en sa cinquième branche :
Vu les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que pour imputer la rupture du contrat à la société Melysol et la condamner à indemniser le préjudice subi par la société Dolla par suite de l'absence d'approvisionnement au cours des saisons 2003-2004 et 2004-2005, l'arrêt relève que les courriels de la société Dolla adressés en mai 2003 à la société Melysol n'expriment pas la volonté de celle-là de résilier le contrat du 16 février 2002 conclu pour une durée de 3 ans, mais uniquement l'arrêt des relations contractuelles au cours de la saison 2002-2003, qui venait à échéance au cours du mois de mai 2003 ; qu'il ajoute que la société Melysol, immédiatement après ces courriels, a, les 14 et 18 mai 2003, vendu des melons à une autre société pour un poids net de 12 264 kilos 60 et en déduit que cette vente caractérise une violation manifeste, et grave compte tenu de l'importance du volume ainsi vendu, de l'exclusivité consentie le 16 février 2002 à la société Dolla, de nature à la rendre responsable de la résiliation du contrat d'exclusivité ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la vente résiduelle de la production de la saison 2002-2003 était intervenue après que la société Dolla eut mis un terme au contrat pour cette saison précise, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
Et sur les deuxième et troisième moyens du même pourvoi :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation prononcée sur le premier moyen de ce pourvoi, relatif à la rupture fautive du contrat imputée à la société Melysol, entraîne par voie de conséquence la cassation des chefs de dispositif attaqués par les deuxième et troisième moyens, relatifs à l'indemnisation des préjudices allouée à ce titre résultant de l'absence d'approvisionnement au cours de la saison 2004-2005 et de la perte de clientèle ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
REJETTE le pourvoi incident ;
Et sur le pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Melysol à payer à M. Y..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Dolla, les sommes de 379 200 euros pour l'absence d'approvisionnement pour la saison 2003-2004, de 379 200 euros pour l'absence d'approvisionnement pour la saison 2004-2005 et de 10 000 euros pour la perte de clientèle, l'arrêt rendu le 19 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.