Cass. com., 2 février 2016, n° 14-18.439
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor
Sur le moyen unique des deux pourvois, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 mars 2014), que par acte du 1er juillet 2011, ayant fait suite à un protocole d'accord du 13 avril 2011, la société Sud communication, aux droits de laquelle est venue la société Pierre Fabre participations, a cédé l'intégralité du capital de la société Sipa press à la société DAPD, tout en s'engageant envers cette dernière à garantir l'existence, au 30 juin 2011, d'un niveau de capitaux propres supérieurs à un certain montant ; qu'aux termes de cet acte, il était stipulé que si, à la suite de l'établissement de la situation comptable de la société Sipa press par le cessionnaire, un désaccord existait sur le montant des capitaux propres de cette société à la date de la cession, les parties auraient recours à un expert dont la décision serait définitive et sans appel sauf erreur grossière ; qu'une divergence d'analyse comptable les ayant opposées relativement à la nécessité de constituer ou non une provision correspondant au montant des droits d'auteur facturés non encaissés, les parties ont désigné un expert, lequel a déposé un rapport concluant à une insuffisance des capitaux propres et à l'existence d'une créance corrélative de la société DAPD ; que la société Sud communication ayant excipé d'une erreur grossière commise par l'expert, les sociétés DAPD et Sipa press l'ont assignée en paiement ; que cette dernière a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la société Bécheret-Thierry-Sénéchal-Gorrias étant nommée liquidateur ;
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande alors, selon le moyen :
1°/ que si le tiers évaluateur doit respecter la mission ou les méthodes d'évaluation arrêtées par les parties au contrat sous peine de commettre une erreur grossière, il jouit, en l'absence d'indication précise des parties sur un élément d'évaluation de la situation comptable de la société cédée qu'il a pour mission d'évaluer, d'une pleine liberté dans l'exécution de celle-ci ; que l'article 4.5.3 de l'acte de cession garantissait au cessionnaire un niveau de capitaux propres de la société Sipa press supérieur à 1 037 500 euros et stipulait que « si (...) un désaccord existait entre les parties sur le montant des capitaux propres à la date de réalisation, les parties auront recours à un expert. A toutes fins utiles, il est précisé que le calcul du montant des capitaux propres à la date de réalisation ne tiendra pas compte (i) des provisions comptables relatives au PSE tel que ce terme est défini ci-après et (ii) des augmentations de provisions comptables pour risques et charges, liées aux procédures faisant l'objet de l'indemnité spécifique de l'article 6, existantes au 31 décembre 2012 » ; que les parties à l'acte de cession n'avaient ainsi précisé la mission du tiers évaluateur qu'à propos de ces deux séries de provisions comptables limitativement énumérées, mais lui avaient laissé toute liberté par ailleurs, c'est-à-dire notamment pour ce qui concerne la comptabilisation des droits d'auteur sur factures non encaissées ; qu'en affirmant néanmoins que l'établissement de la situation comptable dans les quatre mois de la cession et l'évaluation des capitaux propres y figurant par le tiers évaluateur auraient dû être faits selon les méthodes comptables antérieurement suivies au sein de la société Sipa press à propos des droits d'auteur, sans qu'une telle prescription ne fût prévue par l'acte déterminant la mission du tiers évaluateur, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de l'acte de cession du 1er juillet 2011, a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que la cour d'appel a constaté que « l'acte de cession ne prévoit pas que le calcul des capitaux propres et l'établissement de la situation comptable doivent se faire conformément aux méthodes comptables antérieurement suivies au sein de la société Sipa press », ce dont il résulte que les parties à l'acte de cession n'avaient pas exigé du tiers évaluateur de respecter les méthodes comptables antérieurement suivies au sein de la société Sipa press ; qu'en affirmant cependant que le tiers estimateur avait commis une erreur grossière en outrepassant sa mission, au motif qu'il n'avait pas appliqué une méthode comptable constante pour évaluer la situation comptable et les capitaux propres de la société Sipa press, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles 1134 et 1592 du code civil ;
3°/ que les parties à un acte de cession sont libres de délimiter la mission et les méthodes d'évaluation de l'expert chargé d'évaluer la situation comptable de la société dont les titres sont cédés ; que cette liberté contractuelle ne saurait être remise en cause par les dispositions de l'article L. 123-17 du code de commerce, dont l'objet consiste uniquement à assurer une certaine continuité, d'ailleurs non impérative, dans la présentation des comptes annuels et les méthodes d'évaluation d'une société d'un exercice à l'autre, et non à encadrer les négociations des parties à un acte de cession ; qu'en affirmant cependant, pour imputer une erreur grossière au tiers estimateur, que l'établissement de la situation comptable de la société Sipa press et l'évaluation des capitaux propres y figurant devaient se faire à méthode comptable constante conformément au principe posé par l'article L. 123-17 du code de commerce, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, a violé l'article 1134 du code civil ;
4°/ qu'en affirmant en outre, pour retenir l'existence d'une erreur grossière imputable au tiers estimateur consistant à avoir évalué les capitaux propres de la société Sipa press en constituant des provisions comptables afférentes aux droits d'auteur sur factures non encaissés, que « la méthode de comptabilisation antérieure des droits d'auteur sur factures non encaissées par mention en annexe utilisée par la société Sipa press n'est contraire à aucune disposition légale ou règle comptable, n'a jamais été remise en cause par le commissaire aux comptes de la société Sipa press et n'est pas condamnée par l'expert », la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, dès lors que la seule légalité des règles comptables antérieures à la cession ne pouvait faire obstacle à la volonté des parties de confier à l'expert une mission d'évaluation impliquant le libre choix de la méthode comptable à appliquer, violant ainsi l'article 1134 du code civil ;
5°/ que la garantie donnée au cessionnaire par le cédant doit s'appliquer, dès lors qu'une différence est constatée entre la situation sociale décrite par le cédant et la situation réelle de la société dont les titres ont été cédés, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que le cessionnaire en avait ou non connaissance ; qu'en affirmant cependant, pour débouter la société Sipa press de sa demande d'indemnisation en application de la garantie du niveau des capitaux propres consentie par la société Sud communication, que « ce sont des capitaux propres calculés en vertu de cette méthode antérieure que la société Sud communication s'est engagée à garantir et ce, au su de la cessionnaire qui a eu connaissance de la pratique consistant à mentionner les droits d'auteur sur factures non encaissés en annexe aux comptes annuels et ne l'a remise en cause à aucun stade des négociations des conditions de la cession (...) », ce dont il résultait que la société cessionnaire avait prétendument connaissance de l'ancienne méthode de comptabilisation des droits d'auteur sur factures non encaissés et l'aurait ainsi acceptée, de telle sorte que la société bénéficiaire de la garantie n'était pas en droit d'invoquer une méthode d'évaluation distincte pour bénéficier de la garantie contractuelle, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et, partant, a violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'a pas dit que la connaissance qu'avait le cessionnaire de la méthode comptable antérieurement pratiquée au sein de la société Sipa press en matière de droits d'auteur sur factures non encaissées était de nature à le priver du droit d'invoquer le bénéfice de la garantie du cédant ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant, par une appréciation souveraine de la commune intention des parties, constaté que la méthode comptable suivie par la société Sipa press au jour de la cession était celle ayant présidé aux calculs et à l'expression des divers paramètres comptables figurant dans le protocole d'accord du 13 avril 2011 et l'acte de cession du 1er juillet 2011, et relevé que le niveau de capitaux propres que la société Sud communication s'était engagée à garantir avait été calculé en vertu de cette méthode, dont le cessionnaire avait pleine connaissance et qu'il n'avait remise en cause à aucun stade de la négociation des conditions de la cession, la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième et quatrième branches, et sans dénaturer les termes de l'acte de cession, qu'en décidant d'appliquer une méthode comptable qui ne respectait pas les prévisions des parties à cet acte et permettait à l'une d'elles de s'en affranchir, l'expert avait commis une erreur grossière dans l'accomplissement de la mission qui lui avait été confiée ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa dernière branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.