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Décisions

Cass. 1re civ., 7 décembre 2005, n° 02-15.418

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Rapporteur :

M. Pluyette

Avocat général :

M. Cavarroc

Avocats :

SCP Monod et Colin, SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky

Paris, du 18 oct. 2001

18 octobre 2001

Attendu que Georges X..., notaire à Abidjan depuis 1953, est décédé le 19 juin 1994, à Paris, où il était revenu en 1991 pour recevoir des soins ; qu'il a laissé pour lui succéder sa femme, Mme Anne Y..., veuve X... et ses trois enfants, M. Thierry X..., Mme Valérie X... et Mme Corinne X..., épouse Z... ; que sa succession se compose d'immeubles situés en France et en Côte-d'Ivoire, de biens mobiliers ainsi que de divers actifs dépendant d'un trust aux îles Caïmans ; que par testament olographe, il a institué sa femme légataire de la quotité disponible la plus étendue permise par la loi qui sera applicable ; que par acte du 23 mai 1995, Mme veuve X... a déclaré opter pour le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit des biens dépendant de la succession ; que le premier arrêt attaqué, après avoir dit que la loi ivoirienne était applicable à la succession mobilière, a ordonné une mesure de médiation judiciaire ;

que Mme veuve X..., ayant demandé le bénéfice du droit de prélèvement prévu à l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, le second arrêt attaqué a dit qu'elle prélèverait sur les biens situés en France une valeur équivalente au droit d'usufruit dont elle était exclue par la loi ivoirienne, a rejeté, en l'état, la demande que M. Thierry X... avait lui-même formée et a débouté Mme Valérie X... de sa demande en dommages-intérêts dirigée contre sa mère pour des pénalités et amendes payées par la succession ;

Sur les deux moyens réunis du pourvoi n° A 02-15.418 formé contre l'arrêt du 18 octobre 2001 ;

Attendu que Mme veuve X... et M. Thierry X... font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la loi ivoirienne devait s'appliquer à la succession mobilière de Georges X... préalablement à la désignation du médiateur, alors, selon le pourvoi :

1 / qu'en se prononçant ainsi, sans caractériser si l'ensemble des parties étaient d'accord de recourir à la médiation après que le juge ait tranché la question de droit applicable, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard de l'article 131-1 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu'en ne répondant pas au moyen selon lequel Georges X..., s'il avait vécu en Côte d'Ivoire une partie de sa vie, il était venu se réinstaller en France dès 1991en raison de sa maladie et qu'il était resté jusqu'à son décès, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que l'arrêt relève que si Georges X... était venu en France en 1991 pour des motifs de santé sans pouvoir revenir à Abidjan, tous les éléments de fait démontraient qu'il avait maintenu ses attaches et ses centres d'intérêts en Côte d'Ivoire et que dans son testament rédigé quelques mois avant son décès, il s'était lui-même domicilié à Abidjan ; que la cour d'appel a pu déduire de cette appréciation souveraine qu'il n'avait pas déplacé son domicile et que la loi ivoirienne devait s'appliquer à la succession mobilière de Georges X... dès lors que cette loi était celle du dernier domicile du défunt ;

Attendu, ensuite, que la décision d'ordonner une médiation judiciaire, qui ne peut s'exécuter qu'avec le consentement des parties, est une mesure d'administration judiciaire non susceptible d'appel ni de pourvoi en cassation ; que le moyen, mal fondé en sa première branche, est irrecevable en sa seconde ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° A 03-10. 316 formé contre l'arrêt du 10 octobre 2002, pris en sa première branche ;

Vu l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, le droit de prélèvement est une exception à l'application normale d'une règle de conflits de loi, qui, lorsque un héritier français se voit reconnaître par une loi successorale compétente des droits inférieurs à ceux qui résulteraient pour lui de l'application de la loi française, lui permet de prélever, sur les biens de la succession en France, une portion égale à la valeur des biens dont il est privé, à quelque titre que ce soit, en vertu de cette loi ou coutume locale ;

Attendu que pour dire Mme veuve X... bien fondée à prélever sur les biens situés en France une valeur équivalente au droit d'usufruit dont elle était exclue par la loi ivoirienne, l'arrêt attaqué retient que le conjoint survivant, héritier non réservataire au sens de l'article 767 du Code civil, peut exercer le droit de prélèvement prévu à l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que Mme veuve X... exerçait ses droits, non pas en sa qualité d'héritière qu'elle n'avait pas perdue, mais en se prévalant, en vertu du testament, de sa seule qualité de légataire de la quotité disponible la plus étendue, pour laquelle elle avait exercé son droit d'option, de sorte qu'elle ne pouvait pas se prévaloir du droit de prélèvement de l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, la cour d'appel a violé par fausse application le texte susvisé ;

Et sur la deuxième branche du second moyen du même pourvoi ;

Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter la demande de Mme Valérie X... tendant à la condamnation de Mme veuve X..., sa mère, à prendre en charge personnellement les pénalités et amendes dues par la succession aux administrations fiscales françaises et ivoiriennes à compter du 13 juin 1995, l'arrêt relève qu'il n'est pas démontré que l'une ou l'autre des parties serait personnellement responsable de la longue durée des opérations de comptes, liquidation et partage alors que les droits en litige méritaient d'être discutés ;

Qu'en se prononçant par de tels motifs, sans examiner le fait générateur de responsabilité distinct qu'elle invoquait, consistant pour sa mère à s'opposer, malgré les termes du testament, à l'emploi des fonds successoraux pour le paiement, dans le délai légal, des droits de succession incombant à ses enfants, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

Et sur le pourvoi incident formé contre l'arrêt du 10 octobre 2002 par Mme veuve X... et M. Thierry X..., pris en sa première branche ;

Vu l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ;

Attendu pour "rejeter en l'état" la demande de M. Thierry X... fondée sur le droit de prélèvement, l'arrêt décide qu'il ne pouvait être retenu à ce jour que celui-ci serait, sur le trust constitué par Georges X... courant 1981 aux îles Caïmans, exclu de la succession de son père et que la modification contractuelle apportée en 1993 à ce trust n'était appelée à recevoir application qu'au décès de Mme Anne X... et à la condition que M. Thierry X... lui survive ou qu'il laisse des descendants survivants ;

Qu'en statuant par un motif inopérant, sans rechercher, alors que Georges X... avait stipulé en 1993 qu'à son décès, le dépositaire du trust devrait payer ou affecter le revenu net du fonds à son épouse et à ses enfants à parts égales (article III B), si cette clause, selon la loi ivoirienne déclarée applicable à la succession mobilière dont dépendait le trust, et compte tenu de la nature juridique de ce trust, portait atteinte aux droits réservataires de M. Thierry X... dès le décès de son père, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des moyens ;

REJETTE le pourvoi n° A 02-15.418 formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 octobre 2001 ;

CASSE ET ANNULE, l'arrêt rendu le 10 octobre 2002 par la cour d'appel de Paris, mais seulement en ce que Mme veuve X... a été jugée bien fondée à exercer le droit de prélèvement prévu à l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, en ce que la demande de M. Thierry X..., sur ce même fondement a été "rejetée en l'état" et en ce que la demande de Mme Valérie X... tendant à la condamnation de Mme veuve X..., sa mère, à prendre en charge personnellement les pénalités et amendes dues par la succession aux administrations fiscales françaises et ivoiriennes à compter du 13 juin 1995 a été rejetée, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.