Cass. com., 11 mars 2003, n° 99-20.331
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Caen, 7 septembre 1999) que se portant fort de l'ensemble des actionnaires de la société Peri Repro, M. André X..., président de son conseil d'administration, a, suivant protocole d'accord du 21 juillet 1992, cédé les 3000 actions formant la totalité du capital social à M. Roger Y... ou à toutes autres personnes qui lui seraient substituées au prix de 7 500 000 francs, ce protocole comportant une clause de non-concurrence ; que les époux X..., Z... et M. A... (les cédants), ont assigné les consorts Y... et M. B... (les cessionnaires) en paiement du solde du prix des actions resté impayé et que ceux-ci ont reconventionnellement sollicité le paiement de dommages-intérêts, à raison de la violation de la clause de non-concurrence imputée à MM. C..., D... et A... ;
Sur le premier moyen du mémoire ampliatif des consorts Y..., pris en ses deux premières branches :
Attendu que les consorts Y... reprochent à l'arrêt de les avoir condamnés à payer aux cédants le solde du prix de cession des actions de la société Peri Repro et d'avoir rejeté leur demande reconventionnelle, alors, selon le moyen :
1 / que les conventions légalement formées tenant lieu de loi à ceux qui les ont faites, toutes leurs stipulations doivent être appliquées, peu important qu'elles s'analysent en une obligation principale ou accessoire ; qu'en refusant de faire jouer l'article 9 de la convention du 21 juillet 1992, par lequel les cédants tels que désignés à l'acte, dont MM. C... et D... pour qui M. X... s'était porté fort, s'interdisaient d'exercer directement ou indirectement une activité concurrentielle, cela sous prétexte que cette clause ne concernait qu'une obligation annexe à la cession d'actions, en sorte que, puisque les intéressés avaient cédé leurs actions quelques jours avant la signature du protocole, une telle obligation annexe se trouvait dépourvue d'objet, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
2 / qu'ils faisaient valoir qu'en se portant fort pour MM. C... et D..., considérés comme associés dans l'acte, M. X... avait accepté de leur rendre la clause de non-concurrence opposable, ce qui s'expliquait par le fait qu'ils n'étaient pas de simples associés "dormants", mais qu'en réalité c'étaient eux qui avaient créé la société Peri Repro, en 1982 et qui avaient donné le fonds de commerce exploitée par celle-ci en location-gérance à M. X... en mai 1986 ; qu'en délaissant de telles écritures, desquelles il résultait que l'obligation de non-concurrence n'avait rien d'accessoire mais avait été déterminante de leur consentement, y compris en ce qu'elle concernait MM. C... et D..., la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, que dès lors que la preuve était rapportée que MM. C... et D... n'étaient plus à la date du 21 juillet 1992, actionnaires de la société Peri Repro, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a décidé que la clause de non-concurrence insérée à l'article 9 du protocole d'accord du 21 juillet 1992, pour laquelle M. X... avait souscrit une promesse de port-fort, visant l'ensemble des porteurs d'actions de cette société à cette date, ne leur était pas opposable, peu important que cette clause ait constitué pour les cessionnaires une obligation essentielle ou accessoire à la vente ; que le moyen qui n'est pas fondé en sa première branche, ne peut être accueilli en sa seconde branche ;
Sur le premier moyen du mémoire ampliatif des consorts Y..., pris en ses troisième et quatrième branches et sur le premier moyen du mémoire ampliatif de M. B..., pris en ses deuxième et troisième branches, les moyens étant réunis :
Attendu que les consorts Y... et M. B... font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 / que la cession de la totalité des actions d'une société anonyme ne constitue pas la cession du fonds de commerce figurant à l'actif de la personne morale ; qu'en écartant les dispositions de l'article 1341 du Code civil invoqué par les exposants au prétexte que l'acte du 21 juillet 1992, consacrait la cession de la totalité des actions de la société Peri Repro, la cour d'appel a violé les articles 109 du Code de commerce et 1341 du Code civil ;
2 / que c'est seulement lorsque le défendeur est commerçant et a procédé à l'opération litigieuse dans l'intérêt de son commerce, que la preuve est libre ; qu'en décidant que les règles de la preuve littérale expressément invoquées par les cessionnaires, n'étaient pas en l'espèce applicables dès lors que la convention du 21 juillet 1992, contre laquelle il s'agissait de prouver, comportant cession de la totalité des actions de la société Peri Repro, constituait un acte de commerce, sans constater qu'ils auraient été eux-mêmes des défendeurs commerçants, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés ;
3 / que le juge doit en toutes circonstances observer lui-même le principe du contradictoire et ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en rejetant le moyen des consorts Y... fondé sur les dispositions de l'article 1341 du Code civil, au motif que la cession du capital de la société Peri Repro était un acte de commerce et que la preuve de la qualité d'associé de MM. C... et D... n'était pas soumise au texte susvisé, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office par elle, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que subsidiairement, le principe de la liberté de la preuve des actes de commerce n'est applicable qu'à l'égard des commerçants ;
qu'en excluant les dispositions de l'article 1341 du Code civil, au motif que la cession litige est un acte de commerce pour en déduire que la preuve de la qualité d'associé de MM. C... et D... n'est pas soumise à ce texte, la cour d'appel a violé les articles 109 du Code de commerce et 1341 du Code civil ;
Mais attendu qu'une cession d'actions devient un acte de commerce dès lors qu'elle a pour effet de conférer aux cessionnaires le contrôle d'une société ; qu'en relevant que les consorts X... avaient cédé les 3000 actions composant le capital social de la société Peri Repro à des cessionnaires, commerçants, ayant même exigé des cédants l'adoption d'une clause de non-concurrence et que cette vente était un acte de commerce, la cour d'appel, sans contrevenir au principe du contradictoire, a, à bon droit, écarté l'application des dispositions de l'article 1341 du Code civil et examiné non seulement les différentes attestations mais également le registre des transferts d'actions de la société Peri Repro, lesquels établissaient la cession préalable des actions détenues par MM. C... et D... demandée notamment par les cessionnaires eux-mêmes ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du mémoire ampliatif des consorts Y..., pris en ses cinquième, sixième, septième, huitième et neuvième branches et le premier moyen du mémoire ampliatif de M. B..., pris en ses première et quatrième branches, les moyens étant réunis :
Attendu que les consorts Y... et M. B... font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 / que l'écrit permettant de prouver contre le contenu d'un acte, s'entend de celui qui émane de la partie à qui on l'oppose ou de son mandataire ; qu'en décidant que constituait en tout état de cause un écrit de nature à combattre les mentions de l'acte du 21 juillet 1992 - visant parmi les associés cédants MM. C... et D... - le registre des mouvements de titres dont elle a déclaré par ailleurs, qu'il était sans intérêt de savoir si les cessionnaires en avaient connu l'existence et le contenu, bien qu'il ne se fût point agi d'un écrit émanant d'eux mêmes ou de leur mandataire, la cour d'appel a violé l'article 1341 du Code civil ;
2 / que nul ne pouvant se créer de titre à soi-même, la preuve ne peut résulter d'un document unilatéralement établi par le demandeur en preuve lui-même ou son mandataire ; qu'en retenant que les consorts X... et Z... faisaient preuve contre le contenu de l'acte du 21 juillet 1992 - de ce que MM. C... et D... avaient antérieurement cédé leurs actions - par un registre des mouvements de titres de la société émettrice, listé et paraphé, sans préciser par quelle personne ce registre l'avait été, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1315 du Code civil ;
3 / que l'inscription de titres au nom d'une personne sur le registre des transferts de la société émettrice, ne constitue au bénéfice du titulaire qu'une présomption de propriété contre laquelle peut être rapportée la preuve contraire ; qu'en érigeant en règle intangible que la cession par MM. C... et D... de leurs actions le 15 juillet 1992, était opposable aux cessionnaires avant même la signature du protocole d'accord du 21 juillet 1992, dès lors qu'elle était inscrite à la date du 15 juillet 1992 sur le registre des mouvements de titres de la société émettrice, en sorte qu'il importait peu que les exposants eussent eu effectivement connaissance du contenu de ce registre, voire de son existence, la cour d'appel a violé les articles 1 et 2 du décret du 2 mai 1983, ainsi que l'article 1315 du Code civil ;
4 / que nul ne pouvant se créer de titre à soi-même, la preuve ne saurait résulter d'un document unilatéralement établi par le demandeur en preuve ou par son mandataire ; qu'ils faisaient valoir que M. E... n'était pas seulement l'expert-comptable de M. X..., mais avait été également le conseil des cédants et leur mandataire lors de la négociation de la cession, ayant abouti au protocole d'accord du 21 juillet 1992, et en déduisaient que l'attestation de celui-ci n'était pas plus admissible que si elle avait été faite par les consorts X... eux-mêmes ; qu'en relevant, pour accorder force probante à l'attestation du comptable des cédants, que celui-ci n'était pas frappé d'une incapacité de témoigner en justice, sans répondre aux conclusions des exposants qui soulignaient sa qualité de mandataire des vendeurs, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif, ne satisfaisant pas ainsi aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / que, pour justifier de ce que MM. C... et D... n'avaient pu céder leurs actions à MM. X... et Z... le 15 juillet 1992, ils faisaient valoir que les cédants avaient souscrit le 21 juillet 1992 une garantie de passif et que, pour assurer l'exécution de cet engagement, le groupe des vendeurs avait obtenu une caution d'un établissement bancaire le 1er octobre 1992, soit quatre mois après la cession, que précisément cet acte de caution indiquait que les cédants étaient bien ceux visés à l'acte du 21 juillet 1992 et comprenaient notamment MM. C... et D..., que ce cautionnement avait été obtenu par les vendeurs et plus particulièrement par M. X... sur des informations données par lui à la banque, qu'à cette date les cédants considéraient donc bien que MM. C... et D... étaient intervenus à l'acte de cession ; qu'en délaissant de telles conclusions, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en méconnaissance des prescriptions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
6 / que nul ne peut se constituer une preuve à soi-même ;
que les déclarations d'un mandataire d'une des parties ne peuvent pas avoir valeur de témoignage ; qu'en se bornant à retenir l'attestation de M. E... au motif que ce dernier n'était atteint d'aucune incapacité de témoignage en justice, sans rechercher, comme il lui était expressément demandé par les consorts Y... dans leurs conclusions de première instance reprises en appel, si le fait qu'il ait été le mandataire des cédants au cours de la rédaction du protocole d'accord litigieux ne contrevenait pas au principe sus visé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1341 et suivants du Code civil ;
7 / que le motif dubitatif équivaut au défaut de motif ; qu'en énonçant que le maintien de MM. C... et D... en qualité d'associés dans le protocole d'accord et l'acte de caution peut s'expliquer par une erreur matérielle, pour en déduire que ces actes sont insuffisants pour établir que la date de cession des actions figurant sur le registre des mouvements soit erronée, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif et violé les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, qu'en relevant que le maintien des noms de MM. C... et D... dans le protocole d'accord du 21 juillet 1992 et sur d'autres courriers ne relevait que d'une erreur matérielle, dès lors que le registre des mouvements de titres consacrait l'existence de la cession d'actions de MM. C... et D... aux consorts Y... le 15 juillet 1992 et que cette cession avait été demandée par les cessionnaires eux-mêmes, la cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, a par une décision motivée, pu statuer comme elle a fait ; que moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen du mémoire ampliatif des consorts Y... et sur le second moyen du mémoire ampliatif de M. B..., pris en ses deux branches, les moyens étant réunis :
Attendu que les consorts Y... et M. B... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande en réparation de leur préjudice, alors, selon le moyen :
1 / que le préjudice résultant de l'exercice d'une activité concurrentielle interdite par une stipulation contractuelle, ne se traduit pas nécessairement par une baisse du chiffre d'affaires ou par un détournement de clientèle, mais peut consister en un manque à gagner et dans le fait qu'une clientèle nouvelle ne s'est pas adressée à l'entreprise bénéficiaire de la clause de non-concurrence, mais a préféré contracter avec celui exerçant l'activité concurrentielle illicite ; que la détermination d'un tel préjudice ne peut être faite autrement, que par l'examen des comptes de la société exerçant l'activité concurrentielle interdite, en sorte que, dès lors qu'il est constaté l'existence d'une activité de cette nature, les juges sont tenus d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée par la victime puisque la détermination de son préjudice dépend exclusivement d'investigations qu'elle n'est pas en mesure d'effectuer elle-même ; qu'en retenant, après avoir effectivement constaté l'exercice par M. A... d'une activité concurrentielle contractuellement illicite et la responsabilité de M. X... qui
s'en était porté fort, que les exposants soutenaient à tort qu'ils étaient dans l'incapacité d'apporter les éléments de preuve nécessaires, qui ne pouvaient résulter que de l'étude de la comptabilité de la société exploitée par l'auteur de la concurrence illicite, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 146 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'en se bornant à énoncer que c'est à tort que les consorts Y... soutiennent qu'ils sont dans l'incapacité d'apporter un quelconque élément de preuve et que celui-ci ne peut résulter que de l'étude de la comptabilité de la société Manche Repro, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 146 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / qu'en énonçant que les consorts Y... ne font état, à l'inverse de leurs prétentions concernant la société Copycaen, d'aucune perte de chiffres d'affaires postérieure à la création de la société Manche Repro, alors qu'il était fait état dans les conclusions d'appel d'une baisse du chiffre d'affaires de la société Peri Repro entre 1995 et 1996, c'est-à-dire après la constitution de la société de M. A..., la cour d'appel a dénaturé les conclusions pourtant claires et précises susvisées et méconnu les termes du litige ; qu'une violation des dispositions de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile s'ensuit ;
Mais attendu que par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que si M. A..., actionnaire de la société Peri Repro au moment de la cession, était depuis le 2 janvier 1995, gérant de la société Manche Repro ayant le même objet social que la société Peri Repro, de sorte qu'il a bien existé à son encontre une violation de la clause de non-concurrence insérée dans l'article 9 du protocole d'accord du 22 juillet 1992, les consorts Y... n'ont pas établi la réalité et la consistance de leur préjudice et pas davantage apporté d'éléments, permettant de rendre vraisemblable que la création de la société Manche Repro par M. A... ait pu entraîner pour eux une perte de clientèle, une perte de chiffre d'affaires ou un quelconque manque à gagner ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel qui n'avait pas à ordonner d'office une mesure d'expertise pour déterminer l'existence d'un préjudice seulement allégué, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen du mémoire ampliatif des consorts Y... :
Attendu que les consorts Y... font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen, que la cession de la totalité des actions d'une société anonyme ne constitue pas la cession du fonds de commerce figurant à l'actif de la personne morale ; qu'en décidant le contraire pour prononcer une condamnation solidaire des cessionnaires, au paiement du prix des actions, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1202 du Code civil ;
Mais attendu, que dès lors que la cession de la totalité du capital de la société Peri Repro a été analysée comme étant un acte de commerce pour lequel la solidarité des débiteurs était présumée, c'est à juste titre que la cour d'appel a condamné solidairement les cessionnaires au paiement de la somme restant due ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.