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Décisions

Cass. com., 11 mars 2014, n° 12-12.074

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocats :

Me Balat, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Grenoble, du 12 mai 2010

12 mai 2010


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 mai 2010), que la société anonyme Crocus Technology (la société) a été constituée le 7 avril 2004 en vue du développement industriel d'un projet de mémoires magnétiques intégrées sur du silicium (les MRAM), M. X..., l'un des trois principaux actionnaires, étant nommé administrateur et directeur général ; que le même jour, une "convention d'actionnaires" a été conclue, pour une durée de trois ans, par l'ensemble de ceux-ci; qu'il était notamment stipulé que la démission de ses fonctions par l'un quelconque des dirigeants dans ce délai entraînerait de plein droit promesse irrévocable de sa part de céder à la société une partie des actions détenues par lui pour leur valeur nominale, cet achat d'actions devant s'effectuer en vue d'une réduction du capital non motivée par des pertes ou d'attribution à des salariés ; qu'il était également stipulé que la société disposerait d'un délai de six mois à compter de la démission pour exercer l'option d'achat et que dans le cas où le dirigeant concerné ne remettrait pas les ordres de mouvement constatant la réalisation de la cession, cette constatation résulterait de la consignation du prix ; qu'il était encore convenu que la société aurait la faculté de se substituer, dans le bénéfice de la promesse, toute personne physique appelée à remplacer le dirigeant concerné et que pour l'application de ces stipulations, la révocation d'un dirigeant pour une faute équivalente en droit social à une faute grave serait assimilable à une démission ; que le 8 juillet 2004, M. X... a conclu avec la société une convention prévoyant notamment qu'il bénéficierait d'une indemnité de rupture de son mandat social, en l'absence de faute grave ou lourde, et qu'il serait tenu d'une obligation de non-concurrence pendant une durée de deux ans après la cessation de ses fonctions ; que le 4 octobre 2004, le conseil d'administration a révoqué M. X... de ses fonctions de directeur général pour faute grave ; que le 24 mars 2005, l'assemblée générale des actionnaires a révoqué M. X... de ses fonctions d'administrateur ; que la société s'est ensuite prévalue de la promesse de cession d'une partie de ses actions souscrite par ce dernier et a, à la suite de son refus de l'exécuter, consigné une certaine somme correspondant au prix d'achat convenu ; que, faisant notamment valoir qu'il avait été abusivement révoqué de ses mandats sociaux et que le transfert de la propriété d'une partie de ses actions était irrégulier, M. X... a fait assigner la société aux fins d'annulation des décisions prises par les organes sociaux postérieurement à ce transfert et en paiement de diverses sommes au titre du rachat de ses actions et à titre de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire que sa révocation pour faute grave de ses fonctions de directeur général et d'administrateur était justifiée et de rejeter ses demandes indemnitaires pour révocation abusive, alors, selon le moyen :

1°/ que le procès-verbal des délibérations du conseil d'administration indique le nom des administrateurs présents, réputés présents, excusés ou absents et qu'il est revêtu de la signature du président de séance et d'au moins un administrateur ; que dans ses conclusions d'appel signifiées le 16 décembre 2009, M. X... faisait valoir que le procès-verbal de la séance du conseil d'administration du 4 octobre 2004, qui le révoquait de son mandat de directeur général pour faute grave, n'était signé que par M. Y..., président du conseil d'administration, et par aucun autre administrateur, et que ce n'est qu'a posteriori que, pour effacer cette irrégularité, la société Crocus Technology avait produit une copie du procès-verbal, non datée et non paraphée, non conforme à l'acte certifié au greffe du tribunal de commerce, comportant un ajout de signature ; qu'en se bornant à affirmer que le procès-verbal du conseil d'administration du 4 octobre 2004 était régulier au regard des dispositions de l'article R. 225-23 du code de commerce, sans répondre aux conclusions susvisées, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que si la révocation du directeur général d'une société anonyme peut être décidée à tout moment, sans préavis ni précision de motifs, par le conseil d'administration sur proposition de son président, il faut, même en cas de faute lourde, que l'intéressé ait été mis en mesure de présenter préalablement ses observations ; qu'à cet égard, le dirigeant social doit être informé en temps utile des griefs formulés au soutien de la proposition de révocation ; que dans ses conclusions d'appel signifiées le 16 décembre 2009, M. X... faisait valoir que l'ordre du jour communiqué en ouverture de conseil le 4 octobre 2004 faisait état de «l'examen de situation de blocage et décisions urgentes à prendre face aux difficultés de levée de fonds et au fonctionnement de la direction générale», la révocation de son poste de directeur général n'étant pas évoquée, de sorte que le principe du contradictoire n'avait pas été respecté puisqu'il n'avait pas été en mesure de préparer utilement son intervention ; qu'en estimant qu'aucune atteinte n'avait été portée aux droits de la défense, au seul motif que «M. X... a été entendu en ses observations» , sans rechercher si les conditions dans lesquelles s'était déroulée cette audition impromptue permettaient le respect des droits de M. X..., et notamment si celui-ci avait été informé en temps utile des griefs formulés à son encontre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 225-55 du code de commerce ;

3°/ que si la révocation du directeur général d'une société anonyme peut être décidée à tout moment, sans préavis ni précision de motifs, par le conseil d'administration sur proposition de son président, il faut que l'intéressé ait été mis en mesure de présenter préalablement ses observations ; que dans ses conclusions d'appel signifiées le 16 décembre 2009, M. X... faisait valoir qu'aux termes mêmes du procès-verbal de la séance du 4 octobre 2004, la parole lui avait été donnée pour s'expliquer sur la rupture du « lien de confiance » entre la société et lui, sans que soit évoquée l'existence d'une faute grave ; qu'en estimant que M. X..., finalement révoqué pour faute grave avec effet immédiat, avait été valablement entendu en ses observations, la cour d'appel, qui n'a pas recherché comme elle y avait été invitée si l'intéressé avait été en mesure de s'expliquer sur la faute grave qui lui était imputée, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 225-55 du code de commerce ;

4°/ que la rupture du lien de confiance ne constitue pas une faute grave ; qu'en estimant que M. X... avait été justement révoqué pour faute grave de son mandat de directeur général, cependant que dans le procès-verbal de la séance du conseil d'administration du 4 octobre 2004, il est simplement indiqué qu'il est reproché à M. X... une rupture du lien de confiance, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'une faute grave imputable à M. X..., a violé l'article L. 225-55 du code de commerce ;

5°/ que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ; qu'en estimant que M. X... avait été justement révoqué pour faute grave de son mandat de directeur général, au motif qu'il aurait rompu le «lien de confiance» en communiquant directement avec les investisseurs potentiels, cependant qu'en sa qualité de cofondateur et d'actionnaire de la société Crocus Technology, il était en droit d'intervenir dans ce domaine, la cour d'appel a violé les articles 225-35 du code de commerce et 1844 du code civil ;

6°/ qu' aux termes du procès-verbal de l'assemblée générale mixte du 24 mars 2005, la révocation de M. X... de son mandat d'administrateur est prononcée «pour les mêmes raisons» que la révocation de son mandat de directeur général, de sorte que la cassation qui sera prononcée dans le cadre des griefs précédents relatifs à la révocation du mandat de directeur général entraînera, par voie de conséquence, la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit justifiée la révocation «subséquente» de M. X... de son mandat d'administrateur et ce, par application de l'article 625 du code de procédure ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que conformément aux dispositions de l'article R. 225-23 du code de commerce, le procès-verbal est revêtu de la signature du président de séance et d'un administrateur ; que la cour d'appel a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'après avoir constaté que le conseil d'administration était, le 4 octobre 2004, appelé à délibérer sur un ordre du jour particulièrement explicite, portant sur l'examen "de la situation de blocage" et sur les"décisions urgentes à prendre face aux difficultés de la levée des fonds et au fonctionnement de la direction générale", l'arrêt relève que selon le procès-verbal de la séance, M. X... a été entendu en ses observations, dont le contenu précis y est rappelé, préalablement à la décision contestée ; qu'il ajoute, par motifs adoptés, qu'au cours de cette réunion, le président du conseil d'administration a estimé que les agissements de M. X... constituaient un manquement grave aux responsabilités inhérentes à son mandat de directeur général ; qu'en l'état de ces constatations, desquelles il résulte que M. X... a été mis à même de s'expliquer en temps utile sur la faute grave qui lui était reprochée, de sorte que la société n'a pas manqué à son obligation de loyauté dans l'exercice de son droit de révocation, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en troisième lieu, qu'ayant relevé que, s'exprimant en sa qualité de mandataire social, M. X... avait critiqué très sévèrement le président du conseil d'administration et, en portant ces critiques à la connaissance des tiers partenaires, pris le risque, en partie réalisé, d'ouvrir une grave crise interne et de compromettre définitivement le projet d'entreprise dans la phase particulièrement délicate de recherche des capitaux indispensables à sa mise en oeuvre et ayant précisé que ce manquement ne laissait pas d'autre possibilité au conseil d'administration que de mettre fin le plus rapidement possible à son mandat social, la cour d'appel a caractérisé une faute grave imputable à M. X... ;

Attendu, en quatrième lieu, que la cour d'appel n'a pas méconnu le droit de tout associé de participer aux décisions collectives en statuant comme elle a fait ;

Et attendu, enfin, que les griefs relatifs à la révocation de M. X... de ses fonctions de directeur général ayant été rejetés, le moyen, pris en sa sixième branche, est inopérant ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt de décider que le rachat forcé de la moitié de sa participation dans la société est intervenu en exécution d'une clause licite et régulièrement mise en oeuvre, alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a décidé que la révocation pour faute grave des mandats de directeur général et d'administrateur de M. X... était justifiée, emportera, par voie de conséquence, son annulation en ce qu'il a décidé que cette faute grave, et la révocation qui s'en est suivie de l'intéressé de ses mandats sociaux, justifiait le rachat forcé de la moitié de ses actions et ce, en application de l'article 625 du code de procédure civile ;

2°/ que la rupture du lien de confiance ne constitue ni une faute grave, ni une faute lourde ; qu'en estimant que la faute grave prétendument commise par M. X..., et la révocation corrélative de celui-ci de ses mandats sociaux, justifiaient le rachat forcé de la moitié de ses actions, en application de la clause de la convention d'actionnaires du 7 avril 2004 assimilant la faute grave ou lourde à la démission, cependant que le procès-verbal de la séance du conseil d'administration du 4 octobre 2004 et le procès-verbal de l'assemblée générale mixte du 24 mars 2005 se bornent à reprocher à M. X... une rupture du lien de confiance, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil et l'article L. 225-55 du code de commerce ;

3°/ que, selon l'article L. 225-206 du code de commerce, l'achat par une société de ses propres actions n'est possible que dans un nombre de cas limitativement énumérés aux articles L. 225-207 à L. 225-217 du même code, qui ne visent pas l'hypothèse de la faute grave commise par le mandataire social détenteur desdites actions ; qu'en estimant que la clause de la convention d'actionnaires du 7 avril 2004 prévoyant une telle hypothèse n'était pas contraire aux dispositions de l'article L. 225-206 du code de commerce, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

4°/ que nul ne peut être contraint à céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité ; qu'en estimant que le conseil d'administration de la société Crocus Technology avait pu à la fois révoquer M. X... de son mandat de directeur général pour faute grave et, sur ce seul fondement, le priver de la propriété de la moitié des actions qu'il détenait, la cour d'appel a violé l'article 545 du code civil et l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

5°/ que toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige ; qu'en déclarant que la clause de la convention d'actionnaires du 7 avril 2004 prévoyant le rachat forcé des actions pouvait être mise en oeuvre, cependant que la condition de mise en oeuvre de ce rachat forcé était liée à la seule appréciation du conseil d'administration sur l'existence d'un manquement du détenteur des actions, ce qui rendait potestative cette mise en oeuvre, la cour d'appel a violé les articles 1170 et 1174 du code civil ; 

Mais attendu, de première part, que le premier moyen ayant été rejeté, la première branche est sans portée ;

Attendu, de deuxième part , qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que M. X... avait été révoqué non pas seulement en raison d'une perte de confiance mais parce qu'il lui avait été, à juste titre, reproché d'avoir commis un manquement grave aux obligations inhérentes à ses fonctions, c'est sans encourir la critique formulée par la deuxième branche que la cour d'appel s'est prononcée comme elle a fait ;

Attendu, de troisième part, que les dispositions des articles L. 225-206 et suivants du code de commerce n'affectant pas la validité de la promesse consentie par M. X..., sous certaines conditions, de vendre une partie de ses actions à la société ou à une personne substituée à celle-ci, la critique formulée par la troisième branche est inopérante ;

Attendu, de quatrième part, qu'ayant fait application d'une convention à laquelle M. X... avait librement consenti, la cour d'appel n'a pu violer les dispositions invoquées par la quatrième branche ;

Et attendu, enfin, qu'ayant retenu que la faute grave visée par la convention du 7 avril 2004, dont la constatation pouvait être judiciairement contestée, ne dépendait pas de la seule volonté de la société, qui était tenue de justifier du manquement allégué en se fondant sur des éléments objectifs et vérifiables, la cour d'appel en a justement déduit que l'obligation de M. X... n'était pas nulle pour avoir été contractée sous une condition potestative ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité en contrepartie de son obligation de non-concurrence, alors, selon le moyen :

1°/ que, pour avoir une cause, la clause de non-concurrence doit nécessairement avoir une contrepartie financière ; qu'en estimant que, s'agissant d'un dirigeant social, la clause de non-concurrence imposée à celui-ci ne nécessitait pas une telle contrepartie, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil ;

2°/ que la clause de non-concurrence imposée au dirigeant social doit être limitée dans l'espace et dans le temps et ne doit créer aucune sujétion abusive ; qu'en estimant que la clause de non-concurrence infligée à M. X... était régulière, tout en constatant que cette clause était destinée à couvrir tous les «pays susceptibles de constituer le marché des produits MRAM», ce dont il s'évinçait que la clause litigieuse, qui avait vocation à s'appliquer à tous les pays du monde, n'était pas limitée dans l'espace, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1133 du code civil ;

3°/ que dans ses conclusions d'appel signifiées le 16 décembre 2009, M. X... sollicitait la confirmation du jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 3 octobre 2008 qui lui avait alloué, au titre de la clause de non-concurrence, une indemnité d'un montant de 150 000 euros au titre de la réparation de son préjudice ; qu'en estimant que M. X... n'offrait pas de démontrer l'existence d'un préjudice né de l'illicéité de la clause de non-concurrence, cependant que ce dernier sollicitait la confirmation du jugement ayant constaté l'existence de ce préjudice, la cour d'appel a dénaturé les conclusions susvisées et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que dès lors qu'il n'était pas allégué qu'au jour de la souscription de la clause de non-concurrence, M. X... avait la qualité de salarié de la société, la cour d'appel a énoncé à bon droit qu'il suffisait, pour que cette clause fût licite, qu'elle soit limitée dans le temps et dans l'espace et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que l'obligation de non-concurrence contractuellement mise à la charge de M. X... était limitée aux pays susceptibles de constituer le marché des produits MRAM et qu'elle ne concernait que ces produits, limitativement et précisément énumérés, c'est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d'appel a estimé qu'elle était limitée dans l'espace ;

Et attendu, enfin, que la troisième branche, qui critique un motif surabondant, est inopérante ;

D'où il suit que, pour partie non fondé, le moyen ne peut être accueilli pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.